LES POITRINES DES HOMMES LIBRES SONT LES TOMBEAUX DES SECRETS صدور الأحرار قبور الأسرار

mercredi 6 octobre 2010

NASKH

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La « petite voie » est la plus grande

Certaines personnes se réclamant de l’enseignement de René Guénon revendiquent pour l’Islam une « Doctrine le l’abrogation » en se basant sur un passage des Futûhâtul mekkiyah (1) dans lequel le sheykh al-akbar emploie le terme naskh que plusieurs traducteurs ont interprété sans commentaire par « abrogation ». Il serait bon de remettre un peu d’ordre dans les idées en rappelant pour commencer l’acception guénonienne du terme doctrine.
En effet, ce terme s’applique indifféremment à une théologie, une philosophie ou une idéologie politique mais il définit, pour ce qui concerne la Tradition, l’ensemble des expressions d’une forme religieuse ou ésotérique dont la cohérence représente véritablement le corps ou mieux la forme intellectuelle telle qu’elle est susceptible d’être enseignée métaphysiquement (et théologiquement) à partir d’un texte révélé. Par conséquent, il n’y a pas plus de doctrine de l’abrogation que de doctrine du califat, de la prière, du pèlerinage ou de tout autre aspect particulier ou secondaire car tous ces aspects ne sont à proprement parlé que les membres de la doctrine elle-même ( 2). On observe donc là ce qu’il convient d’appeler un abus de langage destiné en l’occurrence à impressionner le lecteur afin de mettre en avant sa propre religion au détriment de celle des autres. Le procédé est assez efficace puisqu‘à présent cette tendance prosélyte gagne même les esprits de ceux qui se recommandent de l’enseignement de René Guénon.
Les affirmations dogmatiques sans cesse guettées par la rigidité de l’entendement humain sont le propre de la ferveur théologique, qui en soi reste tout à fait légitime mais relève, sur le fond, du domaine mystique, non de la voie initiatique et ésotérique ; ainsi, dans ce cas précis, le théologien parlera d’abrogation et de caducité là où l’initié (ou le métaphysicien) envisagera la possibilité de réaliser l’intégration de toutes les lois antérieures (à l’avènement de l’Islam). Tel est le point de vue de ceux qui recherchent la parfaite Servitude spirituelle (3).
Jusque là, nous avions l’habitude d’entendre plutôt les théologiens chrétiens qui, sur ce point de l’excellence non partagée, manquent rarement de se faire entendre. Depuis l’élection du Cardinal Ratzinger à la fonction pontificale, ces derniers, renforcés par les religieux nationalistes, durcissent encore le ton en proclamant de façon virulente (avec la revendication affichée de partir en guerre contre l’Islam) que la religion du Christ est la seule vraie Religion puisque Dieu a envoyé son Fils, l’Incarnation, afin de sauver tous les hommes et que cet avènement s’est produit sans aucun précédent et demeure par là même déterminant pour l’humanité par son irruption dans l’Histoire. En outre, ces déclarations exclusivistes qui purent se justifier en d’autres circonstances ne sont certainement pas un remède à la confusion générale actuelle. Mais le plus important, selon nous, est que cette attitude relevant de l’enthousiasme guerrier au sens propre reste conditionnée par l’emprise psychique et s’avère nulle et non avenue pour ce qui concerne le domaine d’une voie initiatique.
Si l’affirmation de l’excellence du dernier, au sens entendu et désigné ici, comme exclusif, avait été démontrée et confirmée par Guénon, on aurait pu alors parler à son égard d’une «  fonction pour l’avènement de l’Islam dans l’eschatologie occidentale moderne du monde chrétien », ce qui est évidemment réducteur, tendancieux et inacceptable (4). Sans mettre spécialement en avant l’excellence du dernier et encore moins une abrogation des formes antérieures, Guénon a mis en évidence la pérennité intellectuelle de la Tradition primordiale qui se perpétue, dans les modalités de notre période cyclique, avec l’Islam, lequel, en tant que Sceau de la prophétie, trouve son excellence, au même titre que toute tradition vivante jusqu’à la fin de notre cycle (5). Cette attitude qui n’a rien à voir avec la promotion d’une prétendue « équivalence de toutes les religions » concept aberrant et parfaitement étranger à notre point de vue (6), s’applique également pour le Védântâ, le Tantra, ou le Dharma Bouddhique (et par excellence le Vajrayana) qui conviennent plus particulièrement aux mentalités orientales et extrêmes orientales.
Dans une lettre à Lovinescu envoyée du Caire et datée du 19 mai 1935, Guénon précisait :
 « On ne peut d’ailleurs jamais dire que la constitution d’une nouvelle forme traditionnelle doit avoir forcément pour effet d’en faire disparaître une autre (même celle dont elle procède directement), car il pourra toujours y avoir des êtres auxquels celle-ci sera mieux appropriée, de même que la prédominance d’une certaine race dans une période n’empêche pas qu’il subsiste des représentant de la race qui l’ont précédée ».
On ne saurait être plus clair. 

*Les différentes définitions de ce terme sont les suivantes : abrogation ; révocation ; reproduction ; suspension ; transcription (d’un texte) ; métamorphose (d’une chose en une autre).




NOTES


(1) Chapître 339.
(2) Rappelons la définition universelle de l’Islam par son Tawhîd : « La doctrine de l’Unité est unique » (Tawhîdun wahîd).
(3) Le naskh des lois antérieures abordé par Ibn Arabî (voir le passage reproduit ci-dessus) est susceptible de s’interpréter selon différents point de vue comme beaucoup d’autres aspects, d’ailleurs, de la doctrine islamique contenue dans les Futûhât, conformément au hadith, « La différence de point de vue (ikhtilâf) dans ma communauté est une baraka ».
(4) Ce qui nous fit adhérer immédiatement à l’exposé doctrinal de R. Guénon dés la lecture d’Orient et Occident est précisément l’esprit totalement désintéressé de ce dernier à l’égard de tout engagement confessionnel. C’est ce que nous avons tenté de suggérer dans un autre texte par les réserves que nous formulons à l’égard de l’idée d’une fonction, afin de rétablir l’équilibre, en quelque sorte, car enfin, il nous parait impossible de représenter l’enseignement de R. Guénon par un titre officiel quelconque sans en réduire la dimension initiatique (voir ci-dessous : De « Vers la Tradition » à la Tradition).
(5) Seules les traditions éteintes comme par exemple celle de l’Egypte ancienne ou encore celle des Incas peuvent être considérées comme caduques et par conséquent abrogées de facto. 
(6) Il ne peut y avoir aucune équivalence entre les religions du fait qu’elles se déterminent par adaptation cyclique à différents types humains et qu’elles ne sont, par là même, aucunement interchangeables. Ce n’est qu’au regard du seul point de vue métaphysique qu’il est possible parler de l’équivalence des différentes formes traditionnelles.





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lundi 13 septembre 2010

Archive I


564




vendredi 19 février 2010

DE « VERS LA TRADITION » A LA TRADITION



N'étant plus d'actualité, nous avons retiré le message correspondant à ce titre.

DE « VERS LA TRADITION » A LA TRADITION




« Celui dont la sincérité
envers Dieu est totalement
pure n’aime pas que l’on
voit sa personne ni que
l’on répète ses paroles . »
Yahiâ Ibn Mu’âdh





Il y avait, dans la mosquée Sheykh Muhyid-din à Damas, un majdhoub. On pouvait l’entendre pousser des cris pendant les salâwât mais personne ne disait rien. Tous les muslîmûn s’accordaient à ne lui prêter aucune attention et faire comme s’il n’existait pas ou plutôt comme s’il agissait normalement. Un soir, peu avant la Salâtul-maghreb, il lança des petits billets de un dirham dans toutes le directions et se prosterna de même, hors de la qiblah, puis soudain déchirant le calme sourd de la mosquée à moitié remplie, il poussa plusieurs cris irrégulièrement espacés. Aucune réaction ; on se comportait selon cette recommandation avisée : si tu n’as aucune emprise sur les choses, fais en sorte que les choses n’en n’aient aucune sur toi.
Cette sentence peut s’appliquer aussi aux éléments incontrôlables qui constituent la vie sociale actuelle : il n’y a pas que les majdhoub qui poussent des cris, il y a aussi ceux qui écrivent des livres, ceux qui se prennent pour des maîtres ou pour de grands penseurs et puis il y a ceux d’un autre genre, victimes d’une ignorance profonde et irréversible ; nous voulons dire parler de ceux qui œuvrent avec frénésie contre toute réalité métaphysique et qui, aujourd’hui, s’entendent à diriger des entreprises mortifères ou ceux qui, soumis à l’empire de l’argent et du pouvoir, n’ont pour seul but que d’occuper des postes à haute responsabilité politique voire même « la fonction suprême ». Dans tous ces cas plus ou moins particuliers, on retrouve la perte du contrôle sur l’idée de soi, conséquence de la rupture avec la cosmologie et la vie traditionnelle. Les effets qui résultant de cette attitude finissent par réduire l’individualité  à la non-relation et à la désarticulation, d’où, à son égard, cette recommandation salutaire : Nescio vos .


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Vers la Tradition en est à son troisième numéro depuis que nous en avons repris la direction. Les textes arrivent lentement et nous sommes résolus à ne plus laisser passer aucune remarque désobligeante à l’égard des « auteurs traditionnels » affiliés à des courants spécifiques, qu’ils soient schuoniens, vâlsaniens, borelliens ou autres. Certains peinent à comprendre cette « censure » qui pourtant dans le contexte actuel ne devrait avoir nul besoin de justification : Nous pensons qu’il convient surtout de ne pas augmenter la multiplication de ces polémiques qui sévissent depuis quelque temps et de façon encore plus vulgaire maintenant sur de nombreux forums du web, notamment au sujet de C. A. Gilis et M. Vâlsan, mais pas seulement. Le climat produit par ce laisser-aller pathologique cristallise l’attention sur des aspects individuels et fausse les règles de la réfutation. Il ressort d’ailleurs à la lecture de ces différentes interventions une impression désagréable due en partie à l’incompétence des contradicteurs réagissant dans la hâte avec une syntaxe médiocre, sans parler des nombreuses fautes de français qui émaillent cette « littérature clavier » de seconde zone. S’il arrive qu’un intervenant possède quelque qualité, on se demande alors ce qu’il espère faire ressortir en s’introduisant dans ce lieu de la réaction incessante et de l’hyper-texte.
Concernant les polémiques entre les différents groupements guénoniens, nous voulons dire ceci : Il n’existe, à notre connaissance, aucune personne qui puisse revendiquer pour elle-même une parfaite connaissance de ce qu’implique la métaphysique intégrale contenue dans l’œuvre de R. Guénon ; toute objection, reproche ou critique, faite à un tiers relativement à la compréhension doctrinale de cette dernière, peut très facilement se retourner contre soi. C’est d’ailleurs ce qui ne manque jamais de se produire car vouloir redresser les torts dans le vaste domaine de la Connaissance exigerait une maîtrise spirituelle et une autorité doctrinale sans faille, de sorte qu’à supposer l’existence d’une telle personne, la sagesse la garderait bien de se laisser aller aux faiblesses du donneur de leçon.


L’océan sans rivage

Il y a par conséquent une certaine désinvolture à se déclarer héritier à part entière de l’œuvre de R. Guénon : ceux, parmis les mutaçawwufûn, qui revendiqueraient ce droit à l’héritage doivent méditer les conséquences initiatiques mises en évidence par l’extrait suivant du chapitre XX des Aperçus sur l’initiation : « Nous devons encore préciser que l’infaillibilité doctrinale, telle que nous venons de la définir, est nécessairement limitée comme la fonction même à laquelle elle est attachée, et cela de plusieurs façons : tout d’abord, elle ne peut s’appliquer qu’à l’intérieur de la forme traditionnelle dont relève cette fonction, et elle est inexistante à l’égard de tout ce qui appartient à quelque autre forme traditionnelle que ce soit ; en d’autres termes, nul ne peut prétendre juger d’une tradition au nom d’une autre tradition, et une telle prétention serait fausse et illégitime, parce qu’on ne peut parler au nom d’une tradition qu’en ce qui concerne cette tradition elle-même ; cela est en somme évident pour quiconque n’y apporte aucune idée préconçue. Ensuite, si une fonction appartient à un certain ordre déterminé, elle ne peut entraîner l’infaillibilité que pour ce qui se rapporte à cet ordre seul, qui peut, suivant les cas, être renfermé dans des bornes plus ou moins étroites : ainsi, par exemple, sans sortir du domaine exotérique, on peut concevoir une infaillibilité qui, en raison du caractère particulier de la fonction à laquelle elle est attachée, concerne seulement telle ou telle branche de la doctrine, et non la doctrine dans son ensemble ; à plus forte raison, une fonction d’ordre exotérique, quelle qu’elle soit, ne saurait conférer aucune infaillibilité, ni par conséquent aucune autorité, vis-à-vis de l’ordre ésotérique ; et ici encore, toute prétention contraire, qui impliquerait d’ailleurs un renversement des rapports hiérarchiques normaux, ne pourrait avoir qu’une valeur rigoureusement nulle. Il est indispensable d’observer toujours ces deux distinctions, d’une part entre les différentes formes traditionnelles, et d’autre part entre les différents domaines exotérique et ésotérique,[1] pour prévenir tout abus et toute erreur d’application en ce qui concerne l’infaillibilité traditionnelle : au delà des limites légitimes qui conviennent à chaque cas, il n’y a plus d’infaillibilité, parce qu’il ne s’y trouve rien à quoi elle puisse s’appliquer valablement. Si nous avons cru devoir y insister quelque peu, c’est que nous savons que trop de gens ont tendance à méconnaître ces vérités essentielles, soit parce que leur horizon est borné en fait à une seule forme traditionnelle, soit parce que, dans cette forme même, ils ne connaissent que le seul point de vue exotérique ; tout ce qu’on peut leur demander, pour qu’il soit possible de s’entendre avec eux, c’est qu’ils sachent et veuillent bien reconnaître jusqu’où va réellement leur compétence, afin de ne jamais risquer d’empiéter sur le terrain d’autrui, ce qui d’ailleurs serait surtout regrettable pour eux-mêmes, car ils ne feraient en somme par là que donner la preuve d’une incompréhension probablement irrémédiable ».
Il est important d’avoir bien conscience de ce qui est impliqué par ce point de vue exceptionnel. Faute d’avoir dépassé diverses questions d’ordre formel voilant la question essentielle de l’ésotérisme traditionnel et obturant l’accès à sa dimension universelle, on se retrouve avec des limitations, certainement légitimes dés lors qu’elles se manifestent, mais qui, néanmoins, retranchent la personne du cercle de l’héritage guénonien au plein sens du terme. Si l’Islam est considéré unanimement comme une religion comprise selon les définitions occidentales, quelle que soit la profondeur spirituelle que l’on puisse atteindre, il peut aussi, pour quelques rares personnes, être beaucoup plus que cela. Echappant à tout statut extérieur et voyant au-delà de l’ensemble des fonctions particulières propres à une forme, les initiés véritables formant l’élite appelée à jouer le rôle d’intermédiaire entre l’Orient et l’Occident, se situent au-delà de toute considération sur les qualités inhérentes à l’excellence supposée supérieure d’une forme traditionnelle. La réalisation de ces personnalités exceptionnelles, sur laquelle René Guénon s’est exprimé sans aucune équivoque, remet à sa place les intentions de ceux qui pensent en termes de « conversion », et de bien d’autres concepts tels que, par exemple, la question de l’abrogation des révélations antérieures à la loi islamique[2] proclamée par ceux qui, animés du zèle excessif des convertis, s’apparentent d’avantage au formalisme étroit des intégristes qu'aux héritiers du Sheykh al-Akbar.
Nous ajouterons que si R.Guénon a une fonction, c’est bien celle d’avoir explicité cela dans toute l’étendue de son œuvre[3] : « D’une façon tout à fait générale, nous pouvons dire que quiconque a conscience de l’unité des traditions, que ce soit par une compréhension simplement théorique ou à plus forte raison par une réalisation effective, est nécessairement, par là même, « inconvertissable » à quoi que ce soit ; il est d’ailleurs le seul qui le soit véritablement, les autres pouvant toujours, à cet égard, être plus ou moins à la merci des circonstances contingentes. On ne saurait dénoncer trop énergiquement l’équivoque qui amène certains à parler de « conversions » là où il n’y en a pas trace, car il importe de couper court aux trop nombreuses inepties de ce genre qui sont répandues dans le monde profane, et sous lesquelles, bien souvent, il n’est pas difficile de deviner des intentions nettement hostiles à tout ce qui relève de l’ésotérisme »[4]. En effet, l’apologie et les partis pris exclusifs à l’égard de sa propre confession se retrouvent toujours à un degré ou à un autre dans les tendances psychologiques du « converti ». Nous ne cumulerons pas les citations, le lecteur intéressé peut facilement se reporter aux Aperçus sur l’Initiation, particulièrement les chapitres « Sur l’infaillibilité traditionnelle » et « Le don des langues » dans lesquels il est fait mention de cette science pure, cette « Science Sacrée », relevant de l’ésotérisme et de l’initiation, qui doit occuper sereinement la place centrale dans une revue traditionnelle se recommandant de l’œuvre de R. Guénon.


Ex nihilo, nihil.

La Rédaction de Vers la Tradition[5] ne se préoccupe de l’actualité sous aucun de ses aspects. Les faits humains qui modifient continuellement cette dernière n’ont pas la réalité qui nous autoriserait à prendre au sérieux la série indéfinie des évènements qu’elle diffuse. Leur caractère vain et délibérément hostile à toute expression traditionnelle les destine sans même qu’il y ait à intervenir, à un inévitable néant et ce serait, au fond, de cette seule finalité qu’il conviendrait de parler si nous les évoquions. L’actualité, pour nous, est essentiellement l’actualité permanente de la vie traditionnelle dont l’une des qualités intellectuelles est de renvoyer à elles-mêmes les catégories idéologiques de la pensée moderne.
Les économies modernes, imposant le progrès illimité des technologies afin d’échapper perpétuellement au non-sens de leur nature consumériste, sont la principale cause efficiente de la crise générale, aujourd’hui ressentie et constatée par tout le monde. Dans ces conditions, elle ne peut que s‘amplifier et condamner les protagonistes des nations mondialisées à subir des situations absurdes, criminelles et inextricables dans un perpétuel affrontement jusqu’à épuisement. Nous voulons simplement rappeler que, dans le contexte de cette bouillonnante dissolution, le maintien désintéressé d’une revue traditionnelle relève du miracle.


La Rédaction

Décider d’une orientation éditoriale, c’est d’une certaine façon, exclure la possibilité de toutes les autres. Cela ne peut se faire sans déclencher des réactions auxquelles il faut s’attendre, sachant qu’il est impossible de contenter tout le monde. Mais est-ce bien de cela qu’il s’agit ?
Puisque l’orientation de la revue revient à l’expression de la Tradition telle que l’a transmise René Guénon et qu’il s’agit au fond de le représenter, le nom de la personne qui figurera la fonction directrice dans l’ « ours » n’a qu’une importance très secondaire. La détermination éditoriale reste inchangée dans tous les cas, et, comme il va de soi qu’une revue traditionnelle, faute des moyens nécessaires et de l’esprit partisan répandu dans le monde journalistique, ne peut commander d’articles à quiconque (sauf cas exceptionnel), les contributions n’arrivent et ne peuvent arriver que selon l’inspiration et la qualité désintéressée de leurs auteurs et en fonction aussi des affinités traditionnelles partagées avec l’équipe de rédaction. C’est peut-être d’ailleurs là que réside le point le plus délicat puisque les auteurs auront naturellement tendance à se sentir motivés par celles-ci. C’est aussi le rôle du comité de rédaction d’effacer autant qu’il est possible les caractères restrictifs et formellement exclusif des différentes traditions et en priorité, comme l’écrivit F. Schuon dans l’un de ses articles, cette idée du meilleur dans l’ordre confessionnel[6], dont nous venons de parler, qui doit être transposée, vers les degrés supérieurs propres à l’ésotérisme.
Plus que la « responsabilité », c’est la cohérence ou l’esprit de conséquence qu’il nous paraît essentiel de mettre en avant et d’expliciter lorsque certaines décisions ne seront plus comprises.
Concernant la reprise de la revue, nous pouvons dire la chose suivante : Aucun lien nettement perceptible ne semble rattacher, du moins en apparence, l’ensemble des facteurs concourant à la survie de VLT, et nos lecteurs seraient bien étonnés de savoir à quoi tient finalement la possibilité de sa publication actuelle, tant certains des éléments y contribuant sont aléatoires. Quoi qu’il en soit, c’est véritablement ces nombreux facteurs ou éléments de toutes sortes offerts par la situation même dans laquelle évolue l’équipe rédactionnelle qui représente la véritable possibilité actuelle d’une « Direction » de Vers la Tradition.
Un dernier point enfin : on tend généralement à penser qu’il est bon de tenir compte du lectorat et de son appartenance majoritaire à telle ou telle religion ou doctrine ; certes il est question de respecter le lecteur, car enfin, c’est bien à son service que nous nous mettons ; cependant, si ce dernier se dispose à lire VLT dans un état d’esprit véritablement intellectuel, son attention se portera immanquablement sur tous les aspects de la Tradition Une et Pérenne quelque soit la doctrine particulière qui l’exprimera et c’est d’ailleurs essentiellement cette attitude qui autorise la référence expresse à l’œuvre de René Guénon.




[1] On pourrait, en se servant du symbolisme géométrique, dire que, par la première de ces deux distinctions, l’infaillibilité doctrinale est délimitée dans le sens horizontal, puisque les formes traditionnelles comme telles se situent à un même niveau, et que, par la seconde, elle est délimitée dans le sens vertical, puisqu’il s’agit alors de domaines hiérarchiquement superposés [note de R. G.].
[2]Les exotéristes chrétiens, quant à eux, considèrent leur culte comme celui de la seule et vraie religion. Du point de vue du Dharma bouddhiste tibétain, pour prendre un exemple parmi d’autres, cette abrogation ainsi que l’anathème des formalistes n’ont aucune réalité. A ce sujet, voici ce que rapporte Leila Khalifa sur le point de vue d’Ibn Arabî : « (…) On pourrait donc dire que l'abrogation naskh des religions par la religion musulmane est en vérité l'intégration même de ces religions et non leur caducité (annulation), le Sheikh nous fait remarquer que " le lever du soleil dans le ciel n'annule pas la présence des étoiles". »
[3] Cette « fonction » telle que nous venons véritablement de ne pas la définir est proprement une « non fonction » (nous pouvons en effet écrire une fonction mais non la fonction, sinon pour « statuer » au-delà de tout statut. Nous reviendrons à l’occasion sur cette question).
[4] Voir le chapitre « A propos des conversions », Initiation et Réalisation Spirituelle, R. Guénon, eds. Traditionnelles.
[5] Nous entendons n’impliquer celle-ci, dans les propos qui vont suivre, qu’à partir du n°116 ( de VLT ), qui fait suite immédiatement à la démission de M. A. Bachelet.
[6] F. Schuon : L’idée du « meilleur » dans l’ordre confessionnel, Etudes traditionnelles n° 471 ; 472 ; 473 (année 81). Les remarques les plus intéressantes de F. Schuon ont souvent trait à la perspective religieuse et à ses conséquences dans le domaine des faits humains ; elles sont donc légitimes sous ce rapport, comme le sont sous d’autres rapports, par exemple, celles de J. Borella (philosophie et théologie chrétien). 
















dimanche 31 janvier 2010

DES VÉDAS AU CHRISTIANISME (Compte-rendu)







Tara MICHAËL : DES VÉDAS AU CHRISTIANISME*
Hommage à Philippe Lavastine avec la contribution de Lama Denys Teundrup.
Éditions Signatura





Tara Michaël, collaboratrice régulière de Vers la Tradition et anciennement de la défunte revue Connaissance des religions – et auteur de nombreux livres – fut très tôt éveillée à l’esprit traditionnel, et particulièrement à la spiritualité hindoue par la lecture des ouvrages de René Guénon. Elle étudie à Paris et y poursuit la voie universitaire; obtient une licence ès lettre et apprend le sanskrit avec Louis Renou à la Sorbonne; rencontre le grand musicien de sarangî, le pandit Ram Narayan ; reçoit le certificat de sanskrit de l’université de Paris ; étudie la civili- sation de l’Inde ancienne à l’EPHE, puis celle de l’Inde contemporaine, à l’INALCO ; obtient une bourse de deux ans du gouvernement indien qui lui permet de partir à Poona, en Inde, afin de poursuivre son cursus. C’est là qu’elle prend contact directement avec les courants spirituels et la vie traditionnelle qui lui donneront cette autorité particulière la distinguant nettement de la plupart des universitaires qui s’arrêtent en général à des connaissances méthodologiques de seconde main.
Cet ouvrage, présentant Philippe Lavastine (1908-1999) dans une préface très élogieuse, contient essentiellement des retranscriptions d’entretiens de ce dernier la différentes périodes de son existence. L’intérêt de ce travail est de nous exposer les doctrines hindoues sous le rapport de l’organisation rituelle de la société sans jamais perdre de vue que l’existence, dans sa totalité, est sacralisée dans l’actualisation permanente des Védas. La profondeur de ces entretiens doit certainement beaucoup à la lecture de l’œuvre de René Guénon, que P Lavastine cite d’ailleurs, et ses formulations sont telles qu’il est facile, au fond, de les transposer à toutes les civilisation traditionnelles comme lui-même le fait très souvent avec le Christianisme.
La première partie se compose de propos reconstitués à partir des notes de T. Michaël rédigées alors qu’elle accompagnait P. Lavastine en tant que secrétaire dans les années soixante, et la seconde, de transcriptions à partir d’enregistrements d’entretiens effectués avec le Lama Denys Teundrup ; transcriptions qui devaient faire l’objet d’un ouvrage qui finalement n’a jamais vu le jour. L’échec de tous les projets livresques de P. Lavastine serait dû, semble-t-il, à son incapacité à relire et remettre en forme écrite ses propres paroles rapportées par les uns et les autres. On peut se demander, par conséquent, s’il n’y a pas dans tous ces exposés sur le Sanâtana Dharma, le Christianisme et la mentalité du monde moderne, qu’il critique avec une virulence parfaitement justifiée, quelques imprécisions venant de l’ambiguïté de certaines formules utilisées spontanément, étant donné l’absence du contexte vivant et direct de ses déclarations.

Qui fut P. Lavastine ? On a vu apparaitre le nom de cet ami sincère de l’Inde dans le colloque de Cerisy-la-Salle dirigé par R. Alleau et M. Scriabine qui eut lieu en 1973 (les actes du colloque furent publiés quelques années plus tard; René Guénon et l’actualité de la pensée traditionnelle, Éd. Archè Milano). Il participa, en effet, à ce colloque par une communication intitulée Tri-Varga (les trois valeurs) et la plupart des « tables rondes », organisées à la suite de plusieurs interventions, bénéficièrent de sa présence. Les amis « marginaux » du poète astrologue Daniel Giraud ont eut aussi l’occasion de le découvrir dans une interview lors de la parution du premier numéro de la revue Révolution intérieure (septembre 1977).
Il fut autrefois, dit-on, un ami de René Daumal et un proche de Gurdjieff. Mais il fut surtout disciple des Pandits Motimal Sharma et Vasudeva Agrawala (1904 - 1966) qu’il rencontra lors d’un séjour de sept années en Inde. C’est vraisemblablement par l’enseignement de ces savants, l’apprentissage du sanskrit et la fréquentation du milieu traditionnel qu’il dut acquérir l’autorité dont il fait preuve dans ses propos : « (…) Car le Dieu unique était aussi bien connu de la vieille Inde que d’Israël. Les études de Coomaraswamy sur le monothéisme védique ne laissent aucun doute à ce sujet (…) Le principe fondamental au sujet de cet UN qui n’est pas l’un numérique, le premier nombre d’une série, mais l’un sans second (ekam advaitam), c’est : Il n’est pas donné, Il est donnant (Plotin). La même idée se retrouve dans la Kena Upanishad. Il y a chez les Anciens un mono-idéisme, mais cette idée doit rayonner partout. Les anciens n’ont qu’une idée, l’idée du centre, mais il faut que ce centre rayonne partout. C’est ce que l’Inde exprime par la grande formule : Veda pûrânâbhyâm samupabrihayet ! Que le Veda soit amplifié par les purâna ! Ce Brihayet signifie : qu’il soit étendu, agrandi, déployé, expanded en anglais. La racine BRH qui exprime l’expansion est celle de Brahmâ, de BRHat. Or le moment où l’âtman réalise le brahman, c’est le moment où l’âtman commence à croître. Ce qui n’était qu’un alpâtman, un petit âtman angoissé, mesquin, fermé, devient maintenant un mahâtman, un grand âtman. Il prend conscience de l’infini : il se magnifie. C’est l’instant du magnificat. Il commence à s’étendre : tendere : Racine sanskrite TAN qui se trouve dans TANTRA. Le Tantra, c’est l’extension (sous-entendu : du sacrifice).
Cet UN est ce qui est à sacrifier, c’est-à-dire à étendre. Le Shata-patha-brâ- mana veut dire le Brâhmana des cent chemins. ‘Étendre le sacrifice’, c’est le faire pénétrer partout. Le silence est requis pendant le sacrifice parce qu’il s’agit qu’il imbibe, qu’il pénètre toute la réalité ».
À l’instar de René Guénon, il voit dans le monde moderne l’irréparable catas trophe. C’est le fond désastreux de la situation du monde occidental qui motive les critiques visant l’inconsistance actuelle de l’Église chrétienne acceptant que sa pratique de la foi soit réduite à une affaire privée sans conséquence sur le cours de la vie sociale, économique et politique. Cet abandon à la seule volonté des puissances nationales le révolte. La vie spirituelle ainsi réduite au degré individuel, cet étouffement subi et accepté ayant joué de concert avec l’ouverture, depuis la fin du moyen âge, de toutes les portes qui ont introduit le système aberrant qui mène le monde actuel est dénoncé avec une grande pertinence tant pour ce qui concerne directement le monde chrétien – il vaudrait mieux dire le monde d’origine chrétienne – que l’état actuel de l’Inde elle même qui, peu à peu, tend à s’imprégner de l’influence des productions industrielles de l’Occident. Tara Michaël nous avait dressé un tableau assez alarmant de la situation des hindous subissant dans les campagnes l’influence dissolvante de la “parabole” ; voir aussi l’article, « Qu’en est-il de la Tradition en Inde, aujourd’hui ? » (VLT n° 104- 105).
Voici un autre extrait, précisément sur les conséquences de cette diffusion des productions artistiques actuelles : « Le véritable scandale de notre temps, c’est une colère rentrée depuis cinquante ans de ne pouvoir le hurler, c’est l’art moderne. Vous savez dans l’église orthodoxe, on appelle encore un peintre d’icônes un écrivain d’icône ; il y a deux sortes de paroles, la parole pour les oreilles, c’est l’écriture sainte, et la parole pour les yeux, les images saintes (...). Le scandale aujourd’hui, c’est tellement effrayant que le monde va en mourir, c’est la prostitution des images ; on ne sait plus que les images possèdent une vie propre ; par exemple si je salis votre image du père, ou votre image de la mère, ou votre image de l’enfant, je détruis en vous cette image, c’est un assassinat, c’est un crime ». Et ce dont parle P. Lavastine n’est que l’un des effets de ces forces anti traditionnelles qui doivent supplanter, et peut-être même détruire, tous les cultes sacrés conformément au rôle et à la finalité que la tradition hindoue attribue au Kali-Yuga et à la Déesse Kali, aspect de Shiva, qui s’abreuve du sang de ses victimes et porte un collier de crânes humains… mais nos contemporains ignorent tout de leur misère spirituelle. Et pour ce qui est du culte, il s’avère qu’aujourd’hui, l’Église romaine, à la différence de l’Islam, n’offre plus aucune résistance : « L’Église à un moment donné vers le XIVe siècle a fini de tuer l’ancien monde mythique par son obstination à vouloir transposer en mode historique dit ‘réel’ et matérialiste l’événement éternel, celui qui a lieu in illo tempore, en ce temps là qui est le présent éternel. Par contamination romaine et matérialiste, mythe devint synonyme de mensonge et l’Église voulut que Jésus soit historique pour qu’il soit réel. Elle perd le sens du mythe, qui n’est rien en effet et c’est pourquoi on doit le vivre 1. Un mythe n’est qu’un mythe, c’est pourquoi tu dois le vivre, l’agir, le faire. C’est le bouleversant facere veritatem de l’Évangile. Il faut “faire la vérité”. (…) Que servira-t-il à quelqu’un, dit saint Paul, de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres ? (…) L’idée une fois perdue que c’est par le faire rituel, le faire selon le mythe, que l’on puise la connaissance, l’Église va laisser le monde faire ‘comme il veut’. Il n’y aura plus de scénario divin réglant toutes les activités humaines sur les prototypes angéliques ou divins. Lorsqu’au XIVe siècle, l’œuvre de destruction du sacré est achevée, les temps modernes commencent ».

Si l’on se reporte quelques années en arrière, en 1972, date à laquelle eut lieu le colloque de Cerisy, on constate déjà cette même attitude parfois abrupte qu’accompagne une intelligence traditionnelle que le temps n’a pas entamée (les entretiens avec le Lama Denys Teundroup eurent lieu peu de temps avant sa disparition). Cependant, ceux qui ont modifié leur parcours, après avoir médité Orient et Occident, et qui, ayant pris les mesures qui s’imposent face à la crise du monde moderne, ont aussi constaté avec son auteur que si les choses en sont arrivées à ce point extrême, c’est bien qu’il y a à cela une nécessité d’ordre cyclique, s’attendent à ce que le scandale arrive, parce qu’il faut qu’il y ait un scandale. Les conséquences à envisager de ce point de vue supérieur ne sont jamais évoquées par P. Lavastine. Cela s’explique sans doute par son rejet de la métaphysique pure et du darshan védantique post-shankarien, voire de Shankara lui-même. Bien que cette attitude puisse être interprétée comme une limitation, cela ne déprécie en rien le témoignage de cet homme au parcours exceptionnel pour qui l’Inde et ses doctrines actualisent l’expression du modèle traditionnel le plus complet.


*Paru dans le n°118 de VLT.











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