LES POITRINES DES HOMMES LIBRES SONT LES TOMBEAUX DES SECRETS صدور الأحرار قبور الأسرار

lundi 2 novembre 2009

GANESHA



GANESHA*




Ganesha ou Ganapati, signifie littéralement « le Seigneur des catégories » (de gana que A. Daniélou traduit par catégorie), c’est à dire ce qui peut faire l’objet d’une classification. Selon le Bhagavat Tattva, le mot gana représente une collection d’objets et le Seigneur des catégories, Ganapati, préside à « toutes classifications permettant d’établir des relations entre les choses, entre les différents degrés de la manifestations, c’est à dire entre le macrocosme et microcosme »[1].
Une légende puranique relate que Pârvatî brûlait du désir d'avoir un enfant. Il en fit part à Shiva qui lui prescrivit l’austérité (tapas ou tapasya) durant un an, ce à quoi elle se soumit. Elle reçut ensuite une injonction divine lui demandant d'aller dans sa chambre chercher son enfant qui venait de naître.
Elle y courut, le vit et fut émerveillée car il était encore plus beau que tous les dieux réunis. Son visage brillait comme le soleil levant, sa joie ne connut plus de limite.
Tous les dieux et déesses se rendirent alors au mont Kailash, le séjour des divins parents, pour contempler l’enfant glorieux et lui présentèrent leurs hommages tout en étant ravis par sa beauté.
Les neuf planètes[2], les Navagraha, vinrent aussi pour féliciter le couple divin et leur fils bien-aimé. L'une d'elles, Shani ne voulut pas lever les yeux vers l'enfant et demanda que ce soit lui qui baisse la tête.
Pârvatî fut vexée. Shani[3] expliqua que sa femme, jalouse, avait prédit que toute personne qu'il regarderait avec admiration serait détruite ![4]
Pârvatî ne le crut point et exigea que Shani fasse comme tous et admire l’enfant. Il s'exécuta et instantanément la tête de Ganesh fut séparée de son corps et s'envola dans l'espace jusqu'au Goloka, le monde dans lequel séjourne Krishnâ[5]. Pârvatî se lamenta bruyamment et créa un grand tumulte. Vishnu, comprenant le drame, partit aussitôt sur sa monture Garuda[6] en quête d’une nouvelle tête afin de remplacer celle qui avait disparu.
Sur les rives de la rivière Pushpabhadra, il vit un troupeau d'éléphants endormis. Choisissant un animal couché dont la tête était tournée vers le nord, il la trancha et la rapporta immédiatement. Cet éléphant était en réalité un Gandharva[7] qui espérait être libéré de son existence terrestre. Vishnu, à son retour, plaça la tête de l'éléphant sur le cou de l'enfant Ganesh en insufflant la vie dans le corps inanimé. Il le présenta ainsi à Pârvatî qui fut ravie d'avoir un enfant de la sagesse et de la puissance d'un éléphant.
Vishnu vêtit l'enfant de parures raffinées convenant à sa beauté et Himavân, le père de Pârvatî, fit de même. Vishnu rassembla alors tous les êtres célestes, rendit un culte à l'enfant et lui donna les huit noms par lesquels on le connaîtrait désormais : Vighneshvara, Ganesha, Heramba, Gajânana, Lambodara, Ekadanta, Soorpakarna et Vinâyaka.
Si Ganesh a été créé par Pârvatî sans l'intervention de Shiva, ce dernier joue cependant un rôle essentiel puisque c’est par son pouvoir transformateur, en réalité, que Ganesh obtient la tête de l’éléphant et réalise ainsi un être de sagesse et de spiritualité à partir d’un garçon impétueux et irascible. Pour obtenir cette tête d'éléphant, Shiva l'envoie en effet chercher vers le Nord. Or l'on sait que le Nord (uttaram) est une direction polaire correspondant à l’obtention de l'illumination et de la délivrance par le parcours initiatique de la voie des dieux (devayana) : la tête d'éléphant rapportée ne possède qu'une seule défense, signe qu'au terme de son voyage initiatique vers le Nord, Ganesh a réalisé l’état suprême de la non-dualité (advaita).

Fréderic Morlet, dont nos lecteurs pourront lire dans ce numéro la suite de l’Introduction au Devîmahâtmyâ[8], signale que, pour les hindous, aucun travail, aucune entreprise ne porte de fruits bénéfiques, qui ne soit inauguré par une offrande à Ganesh, Seigneur des dévots et gardien des portes ; tout spécialement si les portes sont celles qui introduisent aux arcanes de la Science spirituelle puisque ce dieu est l’Intelligence lumineuse qui guide l’adepte vers l’accomplissement et lui procure succès et perfection dans sa quête.

* Commentaire de la couverture VLT du n° 117.






[1] Voir Alain Daniélou ; Le Polythéisme hindou, ed. Buchet/Chastel.
[2] L’astrologie hindoue ajoute les nœuds lunaires appelés Rahu et Ketu aux sept planètes traditionnelles en leur accordant autant d’importance.
[3] Shani représente saturne, l'une des neuf planètes divinisées sous le nom des Navagraha. Shani porte un trident, un arc et une lance; il est le fils du Soleil (Surya).
[4] Pour comprendre ce passage, il faut lui appliquer le symbolisme astrologique de Saturne.
[5] Selon le Brahmavaivarta-Purâna, Ganesha, à l'origine, était Krishnâ lui-même sous forme humaine.
[6] Animal-véhicule ( vâhana) deVishnu. Garuda est un oiseau fabuleux, doté d'un corps humain et d'une tête de vautour. Il est muni d'ailes et de serres puissantes. Il symbolise les enseignements ésotériques des Védas. Il est l'ennemi farouche des serpents Naga.
[7] Etre céleste, représentant l'harmonie. Les Gandharva sont représentés sous la forme de musiciens célestes, partenaires des Apasarâ.






mercredi 6 mai 2009

LA REVUE « VERS LA TRADITION », UN AN APRÈS.



728+(1352)



Nous avons regroupé ci-dessous les trois comptes-rendus concernant la revue Vers la Tradition, un an après la mort de son directeur Roland Goffin, mis en ligne sur ce blog en 2009.




LA REVUE « VERS LA TRADITION », UN AN APRÈS.


ÉTATS DES LIEUX

La dernière livraison de VLT (n° 114-115) nous a laissé, dans l’ensemble, une impression plutôt désagréable. Avant d’aborder les questions qui ne manquent pas de rendre perplexe, nous devons avouer avoir constaté que la revue subit depuis quelque temps un certain épuisement, cela bien avant la disparition de M. Roland Goffin. Pour notre part, nous avions décidé, en tant que simple collaborateur occasionnel de la revue, de restreindre notre collaboration aux seuls comptes-rendus (1), sous réserve que la direction nous sollicite pour un travail particulier, ou que nous ayons à l’occasion une étude qui nous paraisse susceptible d’intéresser les lecteurs.
On sait que la volonté inébranlable de Goffin avait permis non seulement de créer et de maintenir l’existence de VLTdans des circonstances parfois difficiles, mais également de lui assurer sa fonction principale d’être un support pour l’expression de la pensée traditionnelle, dans ses différentes formes, et aussi selon différents points de vue. Si on a pu parfois regretter de la part de la direction à l’époque, un manque de discernement dans le choix de certains textes, il reste que d’un autre côté, cette attitude était compensée par une grande disponibilité et une ouverture d’esprit qui sont indispensables à la vie intellectuelle. Il importe ici de rappeler que l’orthodoxie doctrinale est étrangère à toute forme de dogmatisme, de préjugés et d’ “esprit de chapelle” dont on ne voit que trop les défauts aujourd’hui comme hier, et surtout que, si les principes sont immuables, la pensée traditionnelle est par nature continuellement actuelle et doit continuellement s’adapter, pour reprendre une expression de R. Guénon aux « conditions changeantes de temps et de lieu ». Une revue est un support privilégié pour recevoir l’expression d’une telle actualisation. On verra mieux plus loin pourquoi nous apportons ici ces précisions.
La reprise en main de la direction par André Bachelet a suscité quelques espoirs et réveillé notre intérêt, satisfait en partie par de nouvelles contributions de qualité. La continuité de l’orientation fondamentale de la revue, qui reste établie sur l’autorité de l’œuvre de R. Guénon paraissait assurée. A défaut d’un vrai redressement, l’espoir du maintien ferme de cette orientation était permis. En effet, l’autorité incontestable de Bachelet dans le domaine maçonnique, et les contributions régulières qu’il avait donné à la revue dans ce domaine témoignent d’une intelligence et d’un grand discernement, laissant espérer une attitude équivalente dans la direction de la revue ainsi qu’une plus grande unité, mais surtout une meilleure qualité dans le contenu des études proposées.
Or, curieusement, on assiste en quelque sorte à un renversement de situation qui ne fait que déplacer les problèmes. Si Goffin dirigeait seul sa revue, soumis par conséquent à ses bonnes inspirations comme à ses moins bonnes, on voit bien que Bachelet entend également diriger et composer seul sa revue, ce qui bien sûr est légitime, mais, qu’à la différence de Goffin, il ne le fasse plus en totale indépendance. C’est en tout cas ce que fait apparaître, contre toute attente, le sommaire de ce dernier numéro dont le changement de ton nous fait craindre la menace d’une influence extérieure animée d’intentions intéressées et partisanes qui pourrait bien annoncer un entrisme délibéré comme cela s’est déjà produit à plusieurs reprises par le passé et dont R. Goffin a toujours su repousser énergiquement toutes les tentatives (2). En tant que collaborateur, nous tenons à ce que VLT, dans son essence, ne puisse jamais devenir l’organe d’expression d’une organisation ou d’un parti quel qu’il soit, même paré de tous les critères de régularité traditionnelle. Dès la disparition de Goffin, dont la forte personnalité protégeait la revue d’un tel accident, la crainte que des représentants quelconques d’un groupe ou que des individus particuliers cherchent à s’emparer de la revue était réelle*.

* ici se termine le message de cette première partie mise en ligne le 02/01/09.



Ce numéro double est divisé en trois parties distinctes. A propos de la section consacrée aux articles de fond, on pourra faire le reproche, pour la plupart, d’avoir été déjà publiés d’une façon ou d’une autre. Si des rééditions de textes anciens sont toujours possibles, et même souhaitables dans certains cas, elles doivent de préférence être réservées à des textes devenus introuvables ou difficiles d’accès, ce qui n’est pas le cas ici. On pourrait également faire d’autres remarques sur la seconde partie contenant les comptes-rendus et les notes de lecture dans laquelle Bachelet nous informe longuement et dans le détail du changement d’horizon intellectuel de J. M. Vivenza, ce qui représente un intérêt très secondaire. Mais, nous parlions d’épuisement : concernant cette seconde partie, Patrick Marcelot revient pour rendre compte d’un livre conçu et édité, il y a une douzaine d’années par Monsieur Abdallah. Penot (sous le pseudonyme de A.Khurshîd),présentant dans une traduction de bonne qualité quelques mawâqif de l’émir ‘Abd al-Qâdir l’algérien. Cette réédition n’offre l’avantage que d’avoir été augmentée de nombreuses pages de glossaire et de notices et d’une préface de B. Etienne, ce qui de la part de M. A. Penot, n’a pas manqué de nous surprendre. Jean Annestay, extrêmement présent dans la dernière partie de ce numéro, semble d’ailleurs lui aussi émettre quelques réserves -insuffisantes selon nous- à l’égard de ce Maçon très sentimental et passablement confus. Vient enfin le sujet de nos inquiétudes, à savoir, le regroupement des quatre textes du troisième volet consacrés à l’émir ‘Abd al-Qâdir organisé donc par Annestay qui, dans la livraison précédente, signait déjà deux articles qui lui donnèrent l’occasion de fustiger les « guénoniens » qui ne seraient au fond rien de moins que des «ânes» ; « (…) ceux qui ont la conscience étriquée, (…) qui sont incultes, superficiels, boursouflés etc.… ». Nous relevons à l’attention des personnes qui ne connaîtraient pas ces textes que la chose était exprimée de manière à ce qu’il soit impossible de distinguer lesquels parmi les guénoniens tombaient sous le coup de ce jugement rédhibitoire. Nous tenons à souligner que cette invective relève du manque de Adâb (l’excellence du comportement ou Mu’âmalah, comme on dit chez les gens du taçawwuf), ne serait-ce déjà qu’à l’égard du Sheykh ‘Abdelwahîd Yahya Guénon lui-même, et prend ici dans ce contexte particulier, une tonalité manifestement sournoise que l’on peut même qualifier sans exagération de suspecte.
Cependant, à dénoncer de façon systématique les vaines spéculations « intellectualistes » de certains « guénoniens », car c’est de cela dont il était question, on risque de ne plus savoir distinguer la connaissance théorique de la doctrine comme préparation indispensable à toute réalisation effective (sans d’ailleurs qu’il faille concevoir ici une simple relation de succession causale ou temporelle dans le parcours initiatique) de la spéculation mentale en tant qu’illusion. Et dans ce domaine, c’est précisément le discernement intellectuel lui-même, qui doit permettre de distinguer la vérité de l’erreur, la lumière de l’obscurité, la rectitude de la déviation. Et comme première application de ce discernement, on peut remarquer que là où certains perçoivent vain « intellectualisme », il est possible qu’il n’y ait plutôt là que leur propre incapacité à comprendre de quoi il s’agit vraiment en matière de vérités opératives. Invoquer, comme M. A. Penot, les « fondamentaux » ou brandir vulgairement, comme Annestay, l’épouvantail d’obscurs « guénoniens » n’est pas de nature à affecter en quoi que ce soit la lumière divine qui s’exprime dans la doctrine pour ceux qui sont capables de la comprendre effectivement, sous réserve des manifestations des différentes formes de déviation intellectualiste qu’il faut en effet dénoncer, comme l’ont toujours fait les maîtres de la tradition.
Mais il faut mettre chaque chose à sa place car c’est en cela que réside la sagesse. Or ce genre de discours est souvent de nature à accroître la confusion plutôt qu’à la dissiper. On comprend qu’il s’agit là d’un vaste sujet, que l’on ne fait ici qu’aborder en passant, relativement à ces considérations autour de la revue VLT, un sujet disons-nous aussi vaste que la connaissance elle-même à laquelle il se rapporte, et que R. Guénon, et non pas les « guénoniens » d’ Annestay, a abondamment traité dans ses écrits, au point que l’on puisse dire que dans le fond il n’a jamais traité de rien d’autre, comme d’ailleurs Shankarasharya, le célèbre maître du Védântâ, avec lequel il avait une affinité particulière…wa allâhu a‘lam.
Et il faut tout de même rappeler à nos compagnons lancés dans de telles invectives, que certains des « intellectualistes » qu’ils se plaisent complaisamment à dénoncer, ne les ont pas attendus pour méditer sur la signification des rites, la guidée du maître, et d’autres aspects de la discipline, et en tirer, avec R. Guénon, les conséquences qui s’imposent dans le domaine des applications, de même que de notre côté, nous n’oublions pas qu’ils sont suffisamment édifiés sur les enseignements du taçawwuf au sujet de la véritable connaissance. Maintenant, que R. Guénon ait précisé qu’il ne s’agit en tout ce qui concerne les supports rituels et la présence du maître humain que d’adjuvants à un processus de réalisation qui reste purement intellectuel est une vérité qu’ils devront garder à l’esprit avant de partir en guerre contre les « intellectualistes » déviés et ignorants, «  guénoniens » ou non, et mesurer leurs propos, à moins qu’ils cherchent à susciter une mise au point, qui sera de toute façon salutaire pour l’ensemble de la communauté. Pour bien comprendre ce que nous voulons dire à propos des critiques de Annestay, il faut préciser que le terme guénonien est susceptible de qualifier, jusqu’à preuve du contraire, toute personne reconnaissant à un degré ou un autre l’enseignement doctrinal du « Grand Soufi ». Dans ce sens, le qualificatif « guénonien », s’il est assurément imparfait, a en général, comme tous les qualificatifs du même genre, un sens premier positif, commodément utilisé pour désigner l’adhésion à un courant de pensée ; ainsi parlera-t-on des thomistes, des platoniciens, des akbariens, etc. Par conséquent, il doit être précisément qualifié si l’on veut lui donner un autre sens, comme veut manifestement le faire Annestay dont on veut supposer que ce n’est pas à l’autorité de l’œuvre de R. Guénon qu’il s’en prend aussi violemment, mais à certains représentants réels ou proclamés de ce courant « guénonien », ou les « guénoniens » ainsi qu’il l’ écrit. Cependant, c’est précisément parce qu’il s’en prend aux « guénoniens » en général et sans autre précision, que ses propos sont inacceptables. Nous les rejetons dans leur acception insultante avec d’autant plus de vigueur que l’insulte proférée ici est lancée dans une revue dédiée à l’œuvre de René Guénon. Enfin, le trait psychologique consistant à se montrer comme pensant largement au-dessus de la mêlée et à vouloir rehausser sa propre autorité sur « certains autres », comme dirait A. H. Guiderdoni, trahit dans la plupart des cas quelques travers qu’il conviendrait certainement de diriger d’abord contre soi-même, ainsi qu’il est dit dans le Coran que nous faisons suivre d’un commentaire traduit par Abdallah Penot lui-même :

« Ô, vous qui avez la foi, que pas un groupe d’entre vous ne se moque d’un autre. Il se pourrait que ceux qui sont tournés en dérision vaillent mieux que leurs agresseurs. (…) Ne vous calomniez pas et ne vous affublez pas de sobriquets injurieux. Quel nom déplaisant que [de ‘s’entendre’ appeler] pervers alors qu’on a la foi. Quant à ceux qui ne se repentent pas, ceux là sont les injustes. »
 (Coran : 49, 11).

Commentaire :

« A propos de cette partie du verset – quel nom déplaisant que [de s’entendre’ appeler] pervers alors qu’on a la foi –, les commentateurs ont estimé qu’elle pouvait s’appliquer aussi bien au moqueur qui méritait désormais le nom de pervers pour s’être moqué de son frère qu’à celui qui était tourné en dérision et qui était en butte à l’insulte malgré sa qualité de croyant… »*.

* Fin du second volet mis en ligne le 04/01/09.

Annastay introduit la troisième partie consacrée à l’émir algérien en constatant la discrétion de la commémoration dans notre climat contemporain où la moindre occasion est systématiquement exploitée pour célébrer à peu prés tout et n’importe quoi et souligne à juste titre que cette discrétion peut être in fine tout à fait bienvenue étant donné l’incompréhension générale et les préjugés persistants dans les mentalités. La présentation s’annonçait bien, mais, est-ce à l’organisateur de l’hommage que l’on doit la reproduction d’un mawqif extrait du livre de M. A Penot ? Si les limites fonctionnelles d’une revue peuvent certes aller jusqu’à une sorte de prépublication d’un ouvrage en cours de réalisation, elles sont transgressées, si l’on peut dire, par une post-publication qui ne se justifierait que dans des cas spéciaux d’éditions oubliées, perdues ou encore épuisées pour un temps indéterminé. En l’occurrence, cette décision éditoriale évoque plus la promotion « bonnes feuilles » que l’hommage sincère, et vient s’ajouter à l’excès de textes republiés de la première section. Viennent ensuite, la traduction effectuée par Annastay d’une communication de Itzchak Weissman d’un intérêt très moyen, et l’article, toujours d’Annestay, « ‘Abd el-kader, le Soufisme et la Maçonnerie », qui promet de se poursuivre dans un prochain numéro. Dans cette première livraison, où l’auteur reprend à peu prés tout ce que l’on sait déjà de l’émir et de son contexte historique (par les écrits de M. Chodkiewicz, C. A. Gilis et bien d’autres études précieuses), est sous-tendue l’idée principale qui jadis avait été énoncée de façon concise par C. A. Gilis dans son introduction des Poèmes métaphysiques (éd. de l’œuvre) : « …nous ne pouvons manquer d’évoquer, ne serait-ce qu’en quelques mots, la fonction qui fut celle de l’émir par rapport à l’Occident, et de rappeler comment sa défaite même et son exil en France furent pour lui l’occasion providentielle de rendre présente et sensible une certaine « Baraka » ou Bénédiction islamique dans un pays qui, depuis des siècles, avait perdu jusqu’à la mémoire de ce qu’une telle « influence spirituelle » pouvait représenter ». L’honnêteté imposait au moins cette référence (ou une autre)…
On doit enfin signaler une anomalie dans ce numéro, qui pour être au premier abord anodine, reste révélatrice des mauvaises influences qui viennent s’exercer ici, en raison certainement de la situation problématique que nous avons exposée. On trouve en effet (p. 159) un encart publicitaire, présenté comme émanant de la direction et intitulé « A nos lecteurs », pour informer ceux-ci d’une émission programmée sur la radio nationale France-Culture, consacrée à l’émir Abd el-Qader, à l’animation de laquelle participera Annestay lui-même. En effet, il est gênant, pour une revue traditionnelle, de servir de support publicitaire à un organe d’expression aux tendances idéologiques aussi nettement anti-traditionnelles et subversives que celles de cette station radiophonique bien connue. Ici encore, il est permis de s’interroger sur la responsabilité de la Direction dans cette annonce. Toute personne un peu sensible à l’esprit traditionnel peut constater qu’il y a toujours sur les ondes deFrance-culture un universitaire de service, à la manière du très spécial A. W. Madded, pour rappeler la façon dont il convient de concevoir les choses (3). A ce sujet, M. A. Penot, récemment, en a fait les frais dans l’émission « Culture d’islam » où son temps de parole fut littéralement passé à la trappe au profit des considérations lénifiantes et passablement tendancieuses du présentateur.
Nous collaborons à la revue VLT depuis 1992 suite à l’invitation amicale de Goffin. Nous n’avons jamais fait parti du bureau de l’Association, ni même de l’Association. Notre relation à l’égard de VLT fut toujours désintéressée et indépendante. Goffin nous a accepté durant ces seize années en permettant de nous exprimer avec une totale liberté et sans jamais intervenir pour influer dans un sens ou dans un autre. Nous avons toujours reconnu la générosité et la bienveillance qu’il nous témoigna et qu’il exprimait spontanément à l’égard de quiconque se présentait à lui en tant que « guénonien ».
Lors de la préparation de numéros spéciaux comportant des thèmes ou annonçant des colloques, il prévenait tous ses collaborateurs suffisamment à temps afin qu’ils rédigent leurs textes dans les meilleures conditions. Il n’est jamais arrivé une seule fois que nous ayons eu la mauvaise surprise de découvrir, à la réception de la revue, un numéro comportant un thème nous concernant particulièrement qui soit conçu « dans notre dos » comme c’est le cas avec la parution de ce numéro double. Cette manière peu élégante de procéder, tout à fait étrangère à l’esprit de la revue et à celui de son Directeur fondateur, est inacceptable et rompt par là même tout lien que nous avions jusqu’ici avec Vers la Tradition que nous considérons désormais comme ayant cessé d’exister pour ce qui nous concerne*.

* Fin du dernier volet mis en ligne le 07/01/09.


NOTES

(1) Il ne s’agissait pourtant pas à cette époque des mêmes collaborateurs. Il semble incontestable que l’emprise grandissante du phénomène Internet, par son interférence avec le support papier, corresponde à une modification en profondeur des relations humaines, et en l’occurrence de l’information et des connaissances véhiculées par l’écriture. De là à penser que cette modification ait partie liée avec l’épuisement général de la pensée dont nous voyons partout les effets aujourd’hui, il n’y a qu’un pas que nous n’hésitons pas à franchir.
(2) Nous avons déjà fait allusion à cette question dans notre Hommage à Roland Goffin (cf. VLT, n° 111).
(3) Le discours dominant consiste, lors des émissions dont le thème aborde les questions philosophiques (et spirituelles), à tout réduire à des concepts psychanalytiques, omniprésents d’ailleurs dans la plupart des programmes de cette chaine.



***



Pour conclure, nous ajoutons à ces textes, rédigés en collaboration avec D. Tournepiche, l’annonce soudaine de notre prise en charge rédactionnelle mise en ligne le 6 mai 2009*.

* On pourra prendre connaissance plus loin de l’évolution des choses durant les trois années qui suivirent ainsi que la sinistre manipulation subie par la revue, dans le dernier message concernant ce dossier spécial, intitulé : Dernier compte rendu « Vers La Tradition »(I et II), en date du samedi 27 octobre 2012.

La Revue "Vers La Tradition", un an et quelques mois après...


Fluctuat nec mergitur

Lorsque nous avons mis en ligne sur ce site notre réaction, suite à la parution du n° 114-115 de Vers La Tradition, nous ne nous doutions pas qu’André Bachelet, son Directeur, remettrait sa démission un mois plus tard et nous n’aurions jamais imaginé devenir responsable de cette revue peu de temps après. Pour le coup, ce dénouement, si l’on peut dire, donne un accent assez ironique à la décision annoncée dans la conclusion de notre critique, La revue Vers La Tradition, un an après. C’était pourtant bien là notre volonté, étant entendu que Bachelet faisait de VLT quelque chose qui ne nous convenait plus en introduisant une « équipe » aux conceptions singulières au détriment des anciens collaborateurs et fidèles rédacteurs ayant entouré R. Goffin, à savoir, en premier lieu Nikos Vardhikas, évincé ; D. Tournepiche et nous-mêmes, jamais consultés ni invités à la participation du Numéro spécial sur l’Émir ‘Abdel Qadîr dont nous avons découvert le contenu à sa parution.

Nous précisons bien que c’était le droit le plus strict de Bachelet, en tant que Directeur désigné, de faire ce que bon lui semblait. Notre liberté de jugement s’est exprimée à l’égard de la nouvelle Direction éditoriale, en référence à notre propre conception des choses (au terme d’une collaboration régulière de seize années avec Goffin), expression légitime s’il en fut.
Enfin, il ne nous appartient pas de porter un jugement quelconque sur les raisons qui ont poussé Bachelet à démissionner*, toute cette histoire appartenant désormais au passée.
La revue VLT prend donc un nouveau départ avec les moyens du bord, à savoir, peu de texte en réserve et l’adversité du climat moderne dont la corruption générale gagne sans cesse du terrain. 








dimanche 5 avril 2009

Stanislas de Guaita ( à propos de sa correspondance)

Pour en aider la lecture, voici la transcription de la lettre que Matgioi (Albert de Pourvouville) a reproduit à la page 40 de la brève biographie consacrée " au frère immortel" en 1909, il y exactement un siècle :




« Le Verbe ! C’est en Lui et par Lui que nous pouvons connaître cette majuscule et vivante académie des Dieux bien familiaire aux Pythagore comme aux Platon et que les premiers chrétiens vénéraient et fréquentaient en esprit sous le nom si mal compris de Communion des Saints.
Là réside encore la raison secrète d’un rite catholique également incompris. Chrétiens, je puis dire : le Grand Arcane de l’Eucharistie ! Ne vous effarouchez pas. Qu’importe ici la forme traditionnelle des idées religieuses de chacun ? Sur cette terre du moins, l’ésotérisme de toutes les grandes religions n’aboutit que là – Religion, religare, là est le Lien.
“Dans le Sein d’Abraham”, disent les juifs vulgaires ; “en Adam Kadmôn” disaient et disent les kabbalistes ; “Au pied du trône de Buddha”, écrit Mme Blavatzki ; “Sur le sacré Cœur de Jésus”, psalmodient nos pauvres modernes théologiens. Et tous d’ajouter : “Là, là seulement, est le Repos, la Paix, le Salut, la Vie éternelle”. Ils ont tous raison ! »
Stanislas de Guaita
Château d’Alteville, par Dieuze,
(Alsace Lorr.)



« Oui : nous avons tous tendance à croire que Guaita eût refusé de signer toute œuvre dont il n’aurait pu surveiller l’impression jusqu’au bon à tirer : et cette conviction fait que nous ne nous substituerons jamais à lui, et que, dans un but quelconque, si noble soit-il, nous ne mettrons jamais son nom au bas des pages, même écrite de sa main, qu’il n’aurait pas révisé pour la publication avec sa coutumière minutie »*.
 
Matgioi



*Extrait de la fin du deuxième chapitre de l’ouvrage Stanislas de Guaita par Matgioi, Paris VI, Librairie Hermétique ; 1909.







jeudi 5 mars 2009

SHAYKH AL 'ALÂWÎ (Suite et fin)






Réactions et précisions suite à notre compte-rendu.

(Voire l’article précédent)



La publication du compte rendu de La Voie du Taçawwûf du Sheikh ‘Alâwî paru dans le n° 108 de la revue VLT a suscité certaines critiques à l’endroit des notes et des commentaires du traducteur D. Tournepiche (et conséquemment de notre compte rendu). Outre qu’une partie de ces reproches reposent, nous l’espérons, sur un malentendu reposant sur une mauvaise formulation de notre part (et peut-être sur une partie de phrase manquante), l’essentiel de leurs contenus visait surtout l’absence de réserve et de quelques mises au point attendues dans le CR concernant principalement les notes contenant plusieurs citations de Guénon qui, pour ce lecteur, ainsi assemblées et ajoutées à des commentaires, en arrivent à dire exactement le contraire de l’enseignement du Sheikh ‘Alâwî. Nous devons préciser que (pour la première fois) la Rédaction de VLT, ne fit suivre aucune épreuve habituellement envoyée par l’imprimeur et que les corrections d’usage n’ont pu être effectuées. La note 32, qui s’étend sur trois pages, vient commenter le passage suivant :

« …l’intention pure du murîd, son détachement, le scrupule (wara’) Puissamment déterminé, (…) le cœur exempt de tout caractère blâmable, sans anxiété, (…) insensible à l’infortune : En tout cela est la condition de la réalisation de la perfection (kamal) ».

En effet beaucoup de choses sont évoquées dans cette longue note pour ce qui concerne spécifiquement « la qualification du murîd ». Tenant compte du contexte dans lequel le Sheikh a écrit qui ne correspond pas tout à fait à celui qui est le nôtre actuellement et bien que ce soit justement sur cette évolution de la situation, et en rappel de l’enseignement guénonien, que reposait les remarques de D. T. , Il aurait sans doute été mieux accepté si celui-ci, au préalable, avait distingué les différentes sortes de murîd, puis les différentes possibilités de manifestation du murshîd et enfin, évoqué concernant le taçawwuf, les difficultés liées a présence dans un monde qui lui est délibérément hostile. Compris comme allant de soi, et ainsi sortit de son contexte, puis accolé à des conseils venant d’un enseignement direct relevant d’un autre ordre, « la connaissance théorique de la doctrine et la concentration, le rattachement (…) restant la condition principale et préalable » extrait des Aperçus sur l’initiation, ainsi que les autres citations (qui doivent se lire dans l’attention requise par l’ensemble des chapitres contenus dans cette étude et dans Initiation et Réalisation spirituelle) n’a pas été compris, de même que, n’a pas été acceptée la liberté prise de considérer nos conditions actuelles (conditions d’“acquisition” du noble caractère selon la transmission excluant la possibilité d’un cheminement pas à pas sous la direction d’un véritable murshîd). René Guénon, considérant le rattachement, distinguait les conditions orientales et l’état d’esprit occidental. Il n’est plus explicitement question de cela dans la note 32, (ce qui relève de la voie occidentale étant mis de côté) mais de la possibilité du sulûk sous la direction d’un (véritable) murshîd, à ne pas confondre avec la fonction de moqaddem ou celle d’un sheikh n’ayant pas encore parcouru toutes les stations de la voie jusqu’à terme.

Comme nous n’avons, aucune compétence sur cette question difficile, nous nous contenterons de poser les éléments de la question qui se résument à ceci : Où va le murshîd lorsqu’il disparaît et quelle est alors la nature actuelle de sa guidance ? Conjointement à cette autre : le murshîd disparaît-il pour tout le monde ou seulement pour ceux qui ne sont pas expressément qualifiés ?

Une partie de la réponse est dans la formule traditionnelle disant que lorsque le disciple est prêt, se présente alors le maître (en nous gardant de préciser s’il s’agit du maître physique ou du maître intérieur). La solution à toutes ces questions doit se faire normalement, in shâ’Allâh, dans une recherche active. Pour notre part, nous ne pouvons dire davantage.


M. R.  

 

Suite à cette précision, nous avons reçu, la remarque suivante de D. Tournepiche :

« Cette note 32 a suscité en effet des réactions dentiques de plusieurs côtés qui me conduisent à reconnaître que son contenu peut prêter à confusion. Pourtant, elle ne fait que reprendre, en les articulant dans une intention précise, un ensemble de principes et de règles techniques énoncés par R Guénon au sujet de la voie de réalisation spirituelle. C'est volontairement que j'ai voulu les résumer dans une formule spéciale : la doctrine est le maître véritable de la réalité essentielle. Or j'ai pris soin d'expliquer ensuite dans quel sens la doctrine devait s'entendre ici, de telle sorte qu'aucun malentendu ne subsiste dans l'esprit du lecteur attentif. J'estime par conséquent que les reproches qui m'ont été adressés à ce sujet ne sont pas recevables. Au contraire, ils pourraient peut-être révéler le contraire de ce qu'ils prétendent, à savoir qu'il faut se conformer à une discipline rigoureuse sous la direction d'un sheikh pour assurer son profit spirituel plutôt que de spéculer de façon artificielle comme ils me reprochent de l'avoir fait. En réalité, le fait est que les indications données ici par Sheikh ‘Alawî sur les conditions d'acquisition de la Perfection, quand elles sont reçues dans les conditions de l'occident moderne, doivent être actualisées par l'enseignement providentiel donné par R Guénon afin d'être opératives à quelque degré.

Ce point de vue légitime n'est effectivement pas partagé par tout le monde: il existe en quelque sorte deux écoles (nous renvoyons d'ailleurs nos contradicteurs aux articles publiés par nous dans VLT sur le thème de l'intellect dans l’œuvre de R Guénon, auxquels il faudra présenter d'autres objections que des postures scandalisées de supposés murîd convaincus de représenter l'orthodoxie, parce qu'ils accomplissent quotidiennement les rites de la sharî'a et le dhikr prescrit dans la dévotion à leur maître et l'enseignement normal de leur silsila. Qu'ils sachent qu'ils n'ont nullement l'exclusivité de cet aspect de l'enseignement traditionnel, et que ceux qui considèrent que l'étude de la doctrine reste la base nécessaire à toute réalisation ne l'ignorent nullement).

Il y a donc ceux qui considèrent l’œuvre de R Guénon comme une simple propédeutique à l'entrée dans une voie, et ceux qui considèrent que, bien loin de se réduire à cela, l’œuvre de R Guénon constitue un enseignement opératif spécialement destiné aux occidentaux de notre époque, qui garde son actualité une fois accompli le rattachement à une voie traditionnelle définie. Il y a là un aspect des choses réellement important, et totalement étranger aux spéculations mentales ou pseudo intellectuelles que certains veulent y voir. C'est dans le fond cette perspective qui commande la rédaction de cette note 32. Nous ne vivons plus aujourd’hui à l'époque de Junayd ou de l’Imam Shadhulî, ni même à celle de sheikh 'Alawî, malgré sa proximité dans le temps et dans l'espace et l'importance bien connue de sa tarîqa et de sa rûhâniyya vivante dans l'établissement du taçawwuf en Europe (et c'est bien pour cela que nous avons jugé utile de présenter cette traduction de la qaçîda minhaj al-taçawwuf...), et une adaptation est indispensable pour les européens (il s'agit évidemment d'une règle générale qui suppose toujours des exceptions). Les partisans de l'intégration totale et exclusive dans la forme risquent de se retrouver dans la situation de l'arroseur arrosé à montrer ainsi complaisamment du doigt de soi-disant pseudo intellectuels guénoniens dévoyés.

La posture du murid scandalisé à laquelle nous faisions allusion plus haut pourrait ainsi révéler quelques idoles tout aussi nuisibles que la spéculation mentale désorientée qu'ils veulent dénoncer, l'argument n'étant pas nouveau. Nombreux aujourd’hui dans les turûq de France et de Navarre, sont ceux qui s'installent paisiblement dans d’autres illusions, confortés par la régularité de leur situation formelle et disciplinaire, ou s’autosuggestionnant sur la réalité de leur abandon spirituel entre les mains de leur sheikh, qu’ils parent éventuellement de qualités plus ou moins hypothétiques, l’hydre de l'âme et du mental se reconstituant continuellement en s'adaptant aux circonstances.

Dans l'ivresse apaisante du dhikr collectif, et la jouissance d'une réelle présence de la baraka, un pharisianisme d'un nouveau genre peut ainsi se développer et prospérer là on l'attend le moins, et il est tout aussi dangereux que l'intellectualisme réel ou supposé visé par les objecteurs de la note 32 signalés par mr Rouge. Mais un autre principe de l'adab des gens de la voie consiste dans la fraternité sincère, qui ne nécessite pas d'adaptation particulière comme celles dont nous parlions plus haut, sur laquelle insiste précisément Sheikh 'Alawî, et qui devrait normalement se traduire par un échange d'idées dépourvu d'arrière-pensées partisanes ou d'esprit de chapelle. Or de ce côté là, étant disposé nous-mêmes à croître en science en profitant de celle de nos compagnons proches ou éloignés, nous dirons que nous sommes franchement déçus que les mystérieux objecteurs de la note 32 aient préféré faire part, en coulisse, de leur point de vue à M. Rouge plutôt qu'à nous-mêmes qui sommes tout de même les premiers concernés...au point que nous nous demandons si la mauvaise opinion qu'ils paraissent avoir de nous n'a pas une source plus lointaine que cette note 32...

Ajoutons, puisqu'il est question de cette note, qu'elle fait partie d'un ensemble qui en comprend 73, et qu'elle accompagne un écrit édifiant de Sheikh 'Alawî et sa traduction, sur lesquels personne jusqu'à présent ne m'a fait de remarque particulière, lesquelles seront toujours bienvenues (même si elles sont défavorables) si elles témoignent d'une intention droite orientée vers le recherche de la vérité et l'accroissement de science. 

 

Wa Allâhu akbar !

 

D.T.

SHAYKH AL-‘ALÂWÎ










SHAYKH AL-‘ALÂWΠ
Minhâj al-taçawwuf 

 La voie du Taçawwuf
Épitre sur la voie soufie
 

 
 

 

 

D. Tournepiche, collaborateur à VLT depuis quelques années, vient de faire paraître aux éditions Albouraq une traduction de la dernière partie d’un ouvrage en vers du Sheikh A. Ibn-Mustaphâ al-‘Alawî ; Al-risâla al-‘alawiyya fî ba’d min al-masâ’il al-shar‘iyya, (Épître sur la voie soufie). Ce texte, ainsi que l’explique le traducteur dans sa présentation, est une synthèse des vérités doctrinales, des règles rituelles, des méthodes et de l’adab qui se doivent d’être comprises et mises en œuvre par le murîd (disciple) ayant reçu l’initiation (pacte initiatique). Nous saluons l’initiative de Tournepiche d’avoir fait publier le texte original en regard de sa traduction, qui ne présente aucune difficulté particulière pour un lecteur francophone ayant les connaissances de base de la grammaire arabe. Afin de bien préciser les intentions du Sheikh ‘Alâwî, le traducteur a reproduit un extrait de la préface que celui-ci rédigea pour son traité al-manh al-quddûssiyya (le don sanctifié) :

« (…) Le sage parmi les soufis a dit : Il y a une grande différence entre celui qui est conduit par [cette vision directe] et celui qui s’en enquiert à son sujet. Les tenants de toute science particulière s’affrontent et disputent entre eux tandis que leurs représentants attitrés s’opposent et se contredisent. Ce n’est pas le cas de cette noble science, pure de divisions et d’altérations ».

 En effet, C’est en principe toute la différence entre le point de vue de la théologie et celui de la réalisation spirituelle par le dévoilement et la connaissance directe ; l’un dépend de l’activité limitée et discursive de la raison, l’autre s’est définitivement affranchi des conditionnements de la conscience ordinaire. C’est ainsi que la foi en la Révélation de l’Islâm et en son Envoyé, par la ferveur du « Grand Jihad », se transforme en Connaissance. Le texte lui-même se compose de 132 distiques (qui perdent hélas la sonorité de leurs rimes une fois traduits) annotés par de longs et nombreux commentaires que certain jugeront sans doute un peu denses. Cependant, comme il s’agit d’une traduction et par conséquent d’une interprétation, Tournepiche a choisi, en se référant à différentes sources, d’expliciter intellectuellement l’enseignement du Sheikh par des développements surtout profitables aux familiers des œuvres de R. Guénon et M. Vâlsan. Le sheikh ‘Alâwî aborde les aspects essentiels de l’intention spirituelle et de la pratique au sein de la tariquah. Dés les premiers vers, la voie (tarîq) est définie comme « la réalisation effective du lien fondamental qui l’unit à l’Elu », c’est à dire du Prophète Mohammad (‘a s) lui-même. C’est par le sheikh-murshîd que s’établit le rapport vivant à la Loi sacrée et sa Fin ultime qui est Vérité absolue. « Les gens du banc » (ahl al-sâfâ) sont mentionnés, et, ainsi que le commente le traducteur, le Sheikh fait allusion à l’homonymie entre les termes arabes çuffa (banc) et çafâ (être pur) ; le terme taçawwuf (que l’on traduit en général de façon fautive, par mystique) se compose en effet des mêmes lettres çad, fâ et waw. Donc, « La compagnie du sheikh est obligatoire », « L’intention droite » et « l’orientation permanente », « l’accomplissement des rites obligatoires », « l’effort (ijtihâd) » sont envisagés comme la définition même du murîd (le disciple initié) ainsi que la considération de ce dernier à l’égard de son frère dans la voie, que l’on retrouve d’ailleurs  dans toute la spiritualité islamique. La place centrale revient sans aucun doute au murshîd et à l’éducation (adab) dont il est le support incontournable.

Cependant, si l’adab du disciple envers le maître est généralement assez bien compris, il en va différemment des qualités du maître spirituel car celles-ci demeurent inexplicables sinon par cette éducation (adab) reçue de l’irshâd. En effet, ce sont les ressources spirituelles maintenues par l’organisation traditionnelle de la vie sociale qui garantissent l’état d’esprit et le désintéressement dans la préparation et l’approche du disciple et, pour le Sheikh, « L’adab du Maître envers le disciple ». Ce dernier point a son importance car lors de l’initiation, le pacte contracté par le disciple le lie en retour à l’accomplissement spirituel de ce dernier.

Le Sheikh ‘Alâwî écrit que le murshîd

 «  (…) Excelle dans les relations sociales et domestiques. Clément pour les grands comme pour les petits, / S’occupant du riche comme du pauvre. Il donne à tout ce qui possède un droit (dhî haqq) les conseils qui lui reviennent, /avec sévérité comme avec douceur. Il contrôle la purification des cœurs / en leur commandant le dhikr et la discipline spirituelle (al-riyâda). Il les préserve dans leur parcours autant qu’il le peut / jusqu’à ce que son disciple arrive à son seigneur et maître (mawlâhu) ».

Le contenu de ce traité nous conduit vers les difficultés posées par la tendance accélérée vers la dissolution de toutes les formes traditionnelles. Dors et déjà, étant donné que pratiquement plus personne n’est en mesure de souscrire aux qualifications requises qui fondent le point d’appui nécessaire du disciple né en Occident moderne et susceptible de recevoir régulièrement la guidance, comment pourrait-il y avoir une présence opérative des Maîtres qui soit, à l’instar du Sheikh ‘Alâwî, plus qu’une simple « activité de présence » ?

 










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