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vendredi 19 février 2010

DE « VERS LA TRADITION » A LA TRADITION



N'étant plus d'actualité, nous avons retiré le message correspondant à ce titre.

DE « VERS LA TRADITION » A LA TRADITION




« Celui dont la sincérité
envers Dieu est totalement
pure n’aime pas que l’on
voit sa personne ni que
l’on répète ses paroles . »
Yahiâ Ibn Mu’âdh





Il y avait, dans la mosquée Sheykh Muhyid-din à Damas, un majdhoub. On pouvait l’entendre pousser des cris pendant les salâwât mais personne ne disait rien. Tous les muslîmûn s’accordaient à ne lui prêter aucune attention et faire comme s’il n’existait pas ou plutôt comme s’il agissait normalement. Un soir, peu avant la Salâtul-maghreb, il lança des petits billets de un dirham dans toutes le directions et se prosterna de même, hors de la qiblah, puis soudain déchirant le calme sourd de la mosquée à moitié remplie, il poussa plusieurs cris irrégulièrement espacés. Aucune réaction ; on se comportait selon cette recommandation avisée : si tu n’as aucune emprise sur les choses, fais en sorte que les choses n’en n’aient aucune sur toi.
Cette sentence peut s’appliquer aussi aux éléments incontrôlables qui constituent la vie sociale actuelle : il n’y a pas que les majdhoub qui poussent des cris, il y a aussi ceux qui écrivent des livres, ceux qui se prennent pour des maîtres ou pour de grands penseurs et puis il y a ceux d’un autre genre, victimes d’une ignorance profonde et irréversible ; nous voulons dire parler de ceux qui œuvrent avec frénésie contre toute réalité métaphysique et qui, aujourd’hui, s’entendent à diriger des entreprises mortifères ou ceux qui, soumis à l’empire de l’argent et du pouvoir, n’ont pour seul but que d’occuper des postes à haute responsabilité politique voire même « la fonction suprême ». Dans tous ces cas plus ou moins particuliers, on retrouve la perte du contrôle sur l’idée de soi, conséquence de la rupture avec la cosmologie et la vie traditionnelle. Les effets qui résultant de cette attitude finissent par réduire l’individualité  à la non-relation et à la désarticulation, d’où, à son égard, cette recommandation salutaire : Nescio vos .


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Vers la Tradition en est à son troisième numéro depuis que nous en avons repris la direction. Les textes arrivent lentement et nous sommes résolus à ne plus laisser passer aucune remarque désobligeante à l’égard des « auteurs traditionnels » affiliés à des courants spécifiques, qu’ils soient schuoniens, vâlsaniens, borelliens ou autres. Certains peinent à comprendre cette « censure » qui pourtant dans le contexte actuel ne devrait avoir nul besoin de justification : Nous pensons qu’il convient surtout de ne pas augmenter la multiplication de ces polémiques qui sévissent depuis quelque temps et de façon encore plus vulgaire maintenant sur de nombreux forums du web, notamment au sujet de C. A. Gilis et M. Vâlsan, mais pas seulement. Le climat produit par ce laisser-aller pathologique cristallise l’attention sur des aspects individuels et fausse les règles de la réfutation. Il ressort d’ailleurs à la lecture de ces différentes interventions une impression désagréable due en partie à l’incompétence des contradicteurs réagissant dans la hâte avec une syntaxe médiocre, sans parler des nombreuses fautes de français qui émaillent cette « littérature clavier » de seconde zone. S’il arrive qu’un intervenant possède quelque qualité, on se demande alors ce qu’il espère faire ressortir en s’introduisant dans ce lieu de la réaction incessante et de l’hyper-texte.
Concernant les polémiques entre les différents groupements guénoniens, nous voulons dire ceci : Il n’existe, à notre connaissance, aucune personne qui puisse revendiquer pour elle-même une parfaite connaissance de ce qu’implique la métaphysique intégrale contenue dans l’œuvre de R. Guénon ; toute objection, reproche ou critique, faite à un tiers relativement à la compréhension doctrinale de cette dernière, peut très facilement se retourner contre soi. C’est d’ailleurs ce qui ne manque jamais de se produire car vouloir redresser les torts dans le vaste domaine de la Connaissance exigerait une maîtrise spirituelle et une autorité doctrinale sans faille, de sorte qu’à supposer l’existence d’une telle personne, la sagesse la garderait bien de se laisser aller aux faiblesses du donneur de leçon.


L’océan sans rivage

Il y a par conséquent une certaine désinvolture à se déclarer héritier à part entière de l’œuvre de R. Guénon : ceux, parmis les mutaçawwufûn, qui revendiqueraient ce droit à l’héritage doivent méditer les conséquences initiatiques mises en évidence par l’extrait suivant du chapitre XX des Aperçus sur l’initiation : « Nous devons encore préciser que l’infaillibilité doctrinale, telle que nous venons de la définir, est nécessairement limitée comme la fonction même à laquelle elle est attachée, et cela de plusieurs façons : tout d’abord, elle ne peut s’appliquer qu’à l’intérieur de la forme traditionnelle dont relève cette fonction, et elle est inexistante à l’égard de tout ce qui appartient à quelque autre forme traditionnelle que ce soit ; en d’autres termes, nul ne peut prétendre juger d’une tradition au nom d’une autre tradition, et une telle prétention serait fausse et illégitime, parce qu’on ne peut parler au nom d’une tradition qu’en ce qui concerne cette tradition elle-même ; cela est en somme évident pour quiconque n’y apporte aucune idée préconçue. Ensuite, si une fonction appartient à un certain ordre déterminé, elle ne peut entraîner l’infaillibilité que pour ce qui se rapporte à cet ordre seul, qui peut, suivant les cas, être renfermé dans des bornes plus ou moins étroites : ainsi, par exemple, sans sortir du domaine exotérique, on peut concevoir une infaillibilité qui, en raison du caractère particulier de la fonction à laquelle elle est attachée, concerne seulement telle ou telle branche de la doctrine, et non la doctrine dans son ensemble ; à plus forte raison, une fonction d’ordre exotérique, quelle qu’elle soit, ne saurait conférer aucune infaillibilité, ni par conséquent aucune autorité, vis-à-vis de l’ordre ésotérique ; et ici encore, toute prétention contraire, qui impliquerait d’ailleurs un renversement des rapports hiérarchiques normaux, ne pourrait avoir qu’une valeur rigoureusement nulle. Il est indispensable d’observer toujours ces deux distinctions, d’une part entre les différentes formes traditionnelles, et d’autre part entre les différents domaines exotérique et ésotérique,[1] pour prévenir tout abus et toute erreur d’application en ce qui concerne l’infaillibilité traditionnelle : au delà des limites légitimes qui conviennent à chaque cas, il n’y a plus d’infaillibilité, parce qu’il ne s’y trouve rien à quoi elle puisse s’appliquer valablement. Si nous avons cru devoir y insister quelque peu, c’est que nous savons que trop de gens ont tendance à méconnaître ces vérités essentielles, soit parce que leur horizon est borné en fait à une seule forme traditionnelle, soit parce que, dans cette forme même, ils ne connaissent que le seul point de vue exotérique ; tout ce qu’on peut leur demander, pour qu’il soit possible de s’entendre avec eux, c’est qu’ils sachent et veuillent bien reconnaître jusqu’où va réellement leur compétence, afin de ne jamais risquer d’empiéter sur le terrain d’autrui, ce qui d’ailleurs serait surtout regrettable pour eux-mêmes, car ils ne feraient en somme par là que donner la preuve d’une incompréhension probablement irrémédiable ».
Il est important d’avoir bien conscience de ce qui est impliqué par ce point de vue exceptionnel. Faute d’avoir dépassé diverses questions d’ordre formel voilant la question essentielle de l’ésotérisme traditionnel et obturant l’accès à sa dimension universelle, on se retrouve avec des limitations, certainement légitimes dés lors qu’elles se manifestent, mais qui, néanmoins, retranchent la personne du cercle de l’héritage guénonien au plein sens du terme. Si l’Islam est considéré unanimement comme une religion comprise selon les définitions occidentales, quelle que soit la profondeur spirituelle que l’on puisse atteindre, il peut aussi, pour quelques rares personnes, être beaucoup plus que cela. Echappant à tout statut extérieur et voyant au-delà de l’ensemble des fonctions particulières propres à une forme, les initiés véritables formant l’élite appelée à jouer le rôle d’intermédiaire entre l’Orient et l’Occident, se situent au-delà de toute considération sur les qualités inhérentes à l’excellence supposée supérieure d’une forme traditionnelle. La réalisation de ces personnalités exceptionnelles, sur laquelle René Guénon s’est exprimé sans aucune équivoque, remet à sa place les intentions de ceux qui pensent en termes de « conversion », et de bien d’autres concepts tels que, par exemple, la question de l’abrogation des révélations antérieures à la loi islamique[2] proclamée par ceux qui, animés du zèle excessif des convertis, s’apparentent d’avantage au formalisme étroit des intégristes qu'aux héritiers du Sheykh al-Akbar.
Nous ajouterons que si R.Guénon a une fonction, c’est bien celle d’avoir explicité cela dans toute l’étendue de son œuvre[3] : « D’une façon tout à fait générale, nous pouvons dire que quiconque a conscience de l’unité des traditions, que ce soit par une compréhension simplement théorique ou à plus forte raison par une réalisation effective, est nécessairement, par là même, « inconvertissable » à quoi que ce soit ; il est d’ailleurs le seul qui le soit véritablement, les autres pouvant toujours, à cet égard, être plus ou moins à la merci des circonstances contingentes. On ne saurait dénoncer trop énergiquement l’équivoque qui amène certains à parler de « conversions » là où il n’y en a pas trace, car il importe de couper court aux trop nombreuses inepties de ce genre qui sont répandues dans le monde profane, et sous lesquelles, bien souvent, il n’est pas difficile de deviner des intentions nettement hostiles à tout ce qui relève de l’ésotérisme »[4]. En effet, l’apologie et les partis pris exclusifs à l’égard de sa propre confession se retrouvent toujours à un degré ou à un autre dans les tendances psychologiques du « converti ». Nous ne cumulerons pas les citations, le lecteur intéressé peut facilement se reporter aux Aperçus sur l’Initiation, particulièrement les chapitres « Sur l’infaillibilité traditionnelle » et « Le don des langues » dans lesquels il est fait mention de cette science pure, cette « Science Sacrée », relevant de l’ésotérisme et de l’initiation, qui doit occuper sereinement la place centrale dans une revue traditionnelle se recommandant de l’œuvre de R. Guénon.


Ex nihilo, nihil.

La Rédaction de Vers la Tradition[5] ne se préoccupe de l’actualité sous aucun de ses aspects. Les faits humains qui modifient continuellement cette dernière n’ont pas la réalité qui nous autoriserait à prendre au sérieux la série indéfinie des évènements qu’elle diffuse. Leur caractère vain et délibérément hostile à toute expression traditionnelle les destine sans même qu’il y ait à intervenir, à un inévitable néant et ce serait, au fond, de cette seule finalité qu’il conviendrait de parler si nous les évoquions. L’actualité, pour nous, est essentiellement l’actualité permanente de la vie traditionnelle dont l’une des qualités intellectuelles est de renvoyer à elles-mêmes les catégories idéologiques de la pensée moderne.
Les économies modernes, imposant le progrès illimité des technologies afin d’échapper perpétuellement au non-sens de leur nature consumériste, sont la principale cause efficiente de la crise générale, aujourd’hui ressentie et constatée par tout le monde. Dans ces conditions, elle ne peut que s‘amplifier et condamner les protagonistes des nations mondialisées à subir des situations absurdes, criminelles et inextricables dans un perpétuel affrontement jusqu’à épuisement. Nous voulons simplement rappeler que, dans le contexte de cette bouillonnante dissolution, le maintien désintéressé d’une revue traditionnelle relève du miracle.


La Rédaction

Décider d’une orientation éditoriale, c’est d’une certaine façon, exclure la possibilité de toutes les autres. Cela ne peut se faire sans déclencher des réactions auxquelles il faut s’attendre, sachant qu’il est impossible de contenter tout le monde. Mais est-ce bien de cela qu’il s’agit ?
Puisque l’orientation de la revue revient à l’expression de la Tradition telle que l’a transmise René Guénon et qu’il s’agit au fond de le représenter, le nom de la personne qui figurera la fonction directrice dans l’ « ours » n’a qu’une importance très secondaire. La détermination éditoriale reste inchangée dans tous les cas, et, comme il va de soi qu’une revue traditionnelle, faute des moyens nécessaires et de l’esprit partisan répandu dans le monde journalistique, ne peut commander d’articles à quiconque (sauf cas exceptionnel), les contributions n’arrivent et ne peuvent arriver que selon l’inspiration et la qualité désintéressée de leurs auteurs et en fonction aussi des affinités traditionnelles partagées avec l’équipe de rédaction. C’est peut-être d’ailleurs là que réside le point le plus délicat puisque les auteurs auront naturellement tendance à se sentir motivés par celles-ci. C’est aussi le rôle du comité de rédaction d’effacer autant qu’il est possible les caractères restrictifs et formellement exclusif des différentes traditions et en priorité, comme l’écrivit F. Schuon dans l’un de ses articles, cette idée du meilleur dans l’ordre confessionnel[6], dont nous venons de parler, qui doit être transposée, vers les degrés supérieurs propres à l’ésotérisme.
Plus que la « responsabilité », c’est la cohérence ou l’esprit de conséquence qu’il nous paraît essentiel de mettre en avant et d’expliciter lorsque certaines décisions ne seront plus comprises.
Concernant la reprise de la revue, nous pouvons dire la chose suivante : Aucun lien nettement perceptible ne semble rattacher, du moins en apparence, l’ensemble des facteurs concourant à la survie de VLT, et nos lecteurs seraient bien étonnés de savoir à quoi tient finalement la possibilité de sa publication actuelle, tant certains des éléments y contribuant sont aléatoires. Quoi qu’il en soit, c’est véritablement ces nombreux facteurs ou éléments de toutes sortes offerts par la situation même dans laquelle évolue l’équipe rédactionnelle qui représente la véritable possibilité actuelle d’une « Direction » de Vers la Tradition.
Un dernier point enfin : on tend généralement à penser qu’il est bon de tenir compte du lectorat et de son appartenance majoritaire à telle ou telle religion ou doctrine ; certes il est question de respecter le lecteur, car enfin, c’est bien à son service que nous nous mettons ; cependant, si ce dernier se dispose à lire VLT dans un état d’esprit véritablement intellectuel, son attention se portera immanquablement sur tous les aspects de la Tradition Une et Pérenne quelque soit la doctrine particulière qui l’exprimera et c’est d’ailleurs essentiellement cette attitude qui autorise la référence expresse à l’œuvre de René Guénon.




[1] On pourrait, en se servant du symbolisme géométrique, dire que, par la première de ces deux distinctions, l’infaillibilité doctrinale est délimitée dans le sens horizontal, puisque les formes traditionnelles comme telles se situent à un même niveau, et que, par la seconde, elle est délimitée dans le sens vertical, puisqu’il s’agit alors de domaines hiérarchiquement superposés [note de R. G.].
[2]Les exotéristes chrétiens, quant à eux, considèrent leur culte comme celui de la seule et vraie religion. Du point de vue du Dharma bouddhiste tibétain, pour prendre un exemple parmi d’autres, cette abrogation ainsi que l’anathème des formalistes n’ont aucune réalité. A ce sujet, voici ce que rapporte Leila Khalifa sur le point de vue d’Ibn Arabî : « (…) On pourrait donc dire que l'abrogation naskh des religions par la religion musulmane est en vérité l'intégration même de ces religions et non leur caducité (annulation), le Sheikh nous fait remarquer que " le lever du soleil dans le ciel n'annule pas la présence des étoiles". »
[3] Cette « fonction » telle que nous venons véritablement de ne pas la définir est proprement une « non fonction » (nous pouvons en effet écrire une fonction mais non la fonction, sinon pour « statuer » au-delà de tout statut. Nous reviendrons à l’occasion sur cette question).
[4] Voir le chapitre « A propos des conversions », Initiation et Réalisation Spirituelle, R. Guénon, eds. Traditionnelles.
[5] Nous entendons n’impliquer celle-ci, dans les propos qui vont suivre, qu’à partir du n°116 ( de VLT ), qui fait suite immédiatement à la démission de M. A. Bachelet.
[6] F. Schuon : L’idée du « meilleur » dans l’ordre confessionnel, Etudes traditionnelles n° 471 ; 472 ; 473 (année 81). Les remarques les plus intéressantes de F. Schuon ont souvent trait à la perspective religieuse et à ses conséquences dans le domaine des faits humains ; elles sont donc légitimes sous ce rapport, comme le sont sous d’autres rapports, par exemple, celles de J. Borella (philosophie et théologie chrétien). 
















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