LES POITRINES DES HOMMES LIBRES SONT LES TOMBEAUX DES SECRETS صدور الأحرار قبور الأسرار

jeudi 19 novembre 2020

3 rabi‘ al-thanî / 19 novembre 2020 /- Gustave Le Bon... Noachisme...E. Sablé

 



 

Extrait de « La Civilisation des Arabes » de Gustave Le Bon *, 1884 (Livre IV, chap. 2)

 

 

 

 

         

L’ESCLAVAGE DANS LE MONDE ARABO-MUSULMAN 

 

 

« Le mot d'esclavage évoque immédiatement dans l'esprit d'un Européen, lecteur des romans américains d’il y a trente ans, l'image de malheureux chargés de chaînes, menés à coups de fouet, à peine nourris et n'ayant pour demeure qu'un sombre cachot. Je n'ai pas à rechercher ici si ce tableau de l'esclavage, tel qu'il existait chez les Anglais de l'Amérique il y a quelques années, est bien exact, et s'il est vraisemblable qu'un propriétaire d’esclaves n’ait jamais songé à maltraiter et par conséquent à détériorer une marchandise aussi coûteuse que l'était alors un nègre. Ce qui est au moins certain, c'est que l'esclavage chez les mahométans est fort différent de ce qu'il était chez les chrétiens. La situation des esclaves en Orient est bien préférable en effet à celle des domestiques en Europe. Ils font partie de la famille, arrivent parfois, comme nous l'avons vu précédemment, à épouser une des filles de leur maître et peuvent s'élever aux plus hauts emplois. Aucune idée humiliante ne s'attache en Orient à l'esclavage, et on a dit avec raison que l'esclave y est plus près de son maître qu'un domestique chez nous.

 

“L'esclavage, dit M. About, est si peu méprisé en pays musulman, que les sultans de Constantinople, chefs sacrés de l'islam, naissent tous de femmes esclaves, et n'en sont pas moins fiers, il s'en faut. Les mameluks, qui ont longtemps régné en Égypte, continuaient leurs familles en achetant les enfants du Caucase, qu'ils adoptaient à leur majorité. Souvent encore un grand seigneur égyptien, instruit et développe un enfant esclave qu'il marie ensuite à sa fille et substitue à tous ses droits ; et on rencontre au Caire des ministres, des généraux, des magistrats de l'ordre le plus élevé qui ont valu mille à quinze cents francs dans leur première jeunesse.”

 

Tous les voyageurs, qui ont eu occasion d'étudier sérieusement l'esclavage en Orient, ont dû reconnaître à quel point étaient peu fondées les réclamations aussi bruyantes que peu désintéressées des Européens contre cette institution. La meilleure preuve qu'on puisse alléguer en sa faveur, c'est qu'en Égypte les esclaves qui veulent leur liberté peuvent l'obtenir par une simple déclaration faite devant un juge, et cependant n'usent presque jamais de ce droit. “Nous ne pouvons dissimuler, ajoute Ebers après avoir fait la même remarque, que le sort de l'esclave chez les peuples attachés à l'islam doit être qualifié de relativement agréable. ”  

Je pourrais multiplier facilement des citations identiques ; je me bornerai à mentionner l'impression produite par l'esclavage en Orient sur les auteurs qui ont eu occasion de l'observer récemment en Égypte. “L'esclavage en Égypte est une chose si douce, si naturelle, si utile et si féconde, dit M. Charmes, que sa disparition complète y serait un vrai malheur. Le jour où les peuplades  sauvages de l'Afrique centrale ne pourront plus vendre les captifs qu'elles font à la guerre, ne voulant pas les nourrir gratuitement, il est clair qu'elles s'en nourriront : elles les mangeront, or, si l'esclavage est une plaie hideuse, qui fait honte à l'humanité, elle paraît bien préférable à l'anthropophagie, du moins lorsqu'on se place au point de vue des mangés ; car il est certainement des philanthropes anglais qui trouvent plus conforme à la dignité humaine que les noirs soient avalés par leurs semblables que soumis à un joug étranger. ”   

“Aujourd'hui, la liberté accordée aux esclaves, écrit M. de Vaujany, directeur de l'école des langues du Caire, leur permet de vivre à leur guise sans être inquiétés ;  cependant très peu profitent de ce privilège ; ils préfèrent leur état de servitude exempte de toute oppression, à l'insécurité d'une situation qui souvent ne serait pour eux qu'une source de peines et d'embarras.

 

Loin d'être malheureuse, la condition des esclaves en Égypte les élève presque toujours au-dessus de celle d'où ils ont été tirés. Beaucoup d'entre eux, les blancs principalement, sont arrivés aux postes les plus éminents. Un enfant né d'une esclave est l'égal d'un enfant légitime, et s'il est l'aîné de la famille, il a droit à toutes les prérogatives attachées à son rang. Cette fameuse milice des mamelouks, qui a si longtemps gouverné l'Égypte, ne se recrutait que parmi les esclaves. Ali bey, Ibrahim bey, le farouche Mourad bey, défait à la bataille des Pyramides, avaient été achetés dans les bazars. Aujourd'hui encore, il n'est pas rare de rencontrer un officier supérieur ou un fonctionnaire de haut rang, qui a été esclave dans sa jeunesse, on en voit même, devenus fils adoptifs, ayant reçu une éducation soignée, épouser la fille de leur maître.” Ce n'est pas en Égypte seulement que les esclaves sont traités avec la plus grande douceur ; il en est de même dans tous les pays soumis à la loi de l'islam. Dans la relation de son voyage au Nedjed, une Anglaise, lady Blunt, relatant une de ses conversations avec un Arabe, écrit les lignes suivantes :

“Une chose qu'il ne pouvait pas comprendre de la part du gouvernement britannique, c'est qu'il eût quelque intérêt à entraver partout le commerce d'esclaves. Nous lui dîmes que c'était dans l'intérêt de l'humanité. « Mais, répondit-il, ce commerce n'a rien de commun avec la cruauté. ”  Il insista : « Qui a jamais vu maltraiter un nègre ?” Nous n'aurions pu dire, en effet, que nous l'avions vu faire quelque part en Arabie, et, de fait, ajoute l'auteur anglais, il est notoire que parmi les Arabes, les esclaves sont des enfants gâtés plutôt que des serviteurs.”

Rien sans doute n'est plus condamnable en principe que l'esclavage, mais les principes artificiels créés par les hommes ne jouent qu'un rôle bien faible dans la marche des choses. En ne se plaçant même qu'au point de vue du nègre, il est clair que pour une créature aussi inférieure, l'esclavage est chose excellente. Rien ne peut valoir pour ces natures enfantines, faibles et imprévoyantes, un maître que son intérêt oblige à prévoir tous leurs besoins. Nous en voyons la preuve dans la triste décadence où sont tombés la plupart des anciens esclaves de l'Amérique devenus libres après la guerre de sécession, et n'ayant plus qu'à compter sur eux-mêmes.

Quant à détruire la traite des nègres, comme prétendent le faire les Anglais, il faudrait, pour réussir dans cette tentative, empêcher la demande des esclaves, c'est-à-dire transformer entièrement les mœurs de tout l'Orient, et, du même coup, modifier quelque peu le reste du monde. Jusque-là, l'intervention hypocrite des Européens dans des affaires qui les intéressent en réalité fort peu sera entièrement inutile et n'aura d'autre résultat que de les faire détester davantage des Orientaux.

“ Les expéditions contre les négriers du Soudan, dont on a fait grand bruit, n'ont été en réalité, dit un Anglais J. Cooper, dans son récent ouvrage sur la traite en Afrique, que des razzias ajoutant des massacres à des massacres. On a détruit quelques postes de chasseurs d'esclaves, bien vite rétablis sans doute après la retraite de l'expédition ; mais, en somme, cette énorme dépense d'argent et de sang humain a peu servi, et jamais des tentatives de ce genre n'ont entravé la traite.”

 Les Européens, qui interviennent en Orient pour empêcher par la force le commerce des esclaves, sont assurément des philanthropes vertueux animés des intentions les plus pures ; mais les Orientaux ne sont pas du tout persuadés de la pureté de ces intentions, et font remarquer que ces mêmes philanthropes vertueux, si tendres pour les noirs, forcent à coups de canon les Chinois à subir des importations d'opium, qui font périr plus d'hommes en une année que la traite des nègres n'en détruit dans une période dix fois plus longue. »

 

 

En arabe, l’esclave est désigné par le terme coranique ‘abd que les traducteurs rendent aussi par : « adorateur », « serviteur » ou « dévot ». On se sert également du terme « esclave » pour traduire doulo du grec et servus – servûla du latin. Pourtant, son apparition date en réalité du XIIIe siècle et provient du latin médiéval, slaves (en raison des nombreux slaves qui ont été réduit précisément en esclavage). L’acception que l’on en retient généralement s’est formée à Venise avec la Renaissance ; « esclavage » date de 1577. Il est évident que les différents cas que nous venons de citer, associés au sens courant que l’on attribut à l’esclave et à l’esclavage, deviennent aussi vagues que fautifs.

Il faut admettre que nombres d’amalgames sont intentionnellement maintenus par l’usage de certains mots mal définies et finalement ambigües tels que ceux-ci. Mais les acteurs de la modernité n’ont-ils pas voulu  tirer tous les avantages dans cet usage abusif  afin de dénigrer les Anciens au profit du prestige progressiste de leur « civilisation » ?

Il faut se rendre à l’évidence que les acceptions des termes « esclave » et « esclavage » varient selon les idéologies des uns et des autres et l’esclavage entendu dans son sens le plus général a existé de tout temps et doit être évalué dans ses modalités selon le tempérament des peuples qui l’ont pratiqué. Il reste que l’idéologie actuelle de son abolition est une illusion qui prend les allures d’une imposture, car en réalité, il n’a jamais autant existé que dans les temps modernes, certes sous une forme très différente de celle des anciennes civilisations, mais sur le fond, tout aussi terrible d’autant qu’ils s’y sont associés l’hypocrisie et le cynisme.

 On ne peut éluder que l’ère industrielle a généré de nouvelles formes desclavage avec l’apparition du prolétariat ; plus généralement ensuite avec l’asservissement général des peuples occidentaux à la consomation des produits de l’industrie et aux conditions financières pour les acquérir : glorification du travail, exaltation du progrès technique, propagande des loisirs. Il est impossible d’ignorer l’asservissement de nos contemporains à l’égard de tous ceux qui détiennent le pouvoir politique et les flux de la finance internationale, c'est-à-dire, les clés de leur confort. On peut multiplier les exemples ponctuels démontrant l’état de notre servitude et de notre abandon pour tout ce qui concerne les biens de notre conditionnement matériel ; il s’agit bien dans tous les cas d’une forme ou d’une autre d’esclavage qui passe d’autant plus inaperçu que nous nous persuadons que son existence, par la grâce du « progrès en marche », doit appartenir définitivement au passé.

 

 

* Guénon disait de cet auteur, à propos de son célèbre ouvrage La Psychologie des foules, qu’il était un homme intelligent mais de mauvaise foi, ne reconnaissant pas qu’il devait la plupart de ses idées à son séjour dans l’Inde. (Correspondance)

 

 

 

 

 

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LE NOACHISME 

 

Pseudo-religion ou « non-religion » ?

 

 

 

Note inédite de Guénon datant vraisemblablement de la période 1910-1920  :

 

« Dans son livre “Israël et l'humanité”, édité 14 ans après sa mort en 1914, Elie Benamozegh [*] prône le mosaïsme pour la communauté juive et le noachisme pour l'ensemble de l'humanité.

Ce qu’Elie Benamozegh appelle le “noachisme” (voir Aimé Pallière, Le Sanctuaire Inconnu) est la “religion des Patriarches” ; c’est en somme l’équivalent de ce qui est appelé en arabe Dinul-Fitrah, “Loi de la Nature primordiale”, qu’on dit être aussi la “religion d’Abraham”. Si l’on entend par là, comme semble le faire Benamozegh, l’unique vraie religion de toute l’humanité, elle s’identifie à la Tradition primitive elle-même ; mais alors il faudrait s’entendre sur la conception qui fait d’Israël, en tant que peuple  “sacerdotal”, le centre de l’humanité. En effet, cette conception est acceptable si l’on fait d’Israël le symbole des “élus” ; mais, si on l’entend littéralement et au sens extérieur, il faut dire que ce rôle n’est attribué à Israël qu’à un point de vue particulier et en vertu d’une délégation d’une puissance supérieure, représentée par la bénédiction de Melchissédec à Abraham ; autrement, on méconnaîtrait la suprématie du sacerdoce de Melchissédec, seul détenteur de la Tradition primitive dans sa plénitude. Le “noachisme”, en tant que commun à tous les hommes et représentant comme un degré inférieur ou imparfait, ne peut être qu’une participation imparfaite de cette même Tradition, l’ensemble des vestiges qui en sont demeurés dans le monde extérieur pendant la période d’obscuration dont le début est antérieur à la vocation d’Abraham.

– En correspondance avec la tradition juive à ce sujet, il est à remarquer que les Constitutions maçonniques anglaises déclarent que “le Maçon doit être un vrai Noachite”, c’est-à-dire qu’il doit professer les vérités religieuses fondamentales sur lesquelles tous les hommes sont d’accord, ce qui constitue bien le “noachisme” au sens où le prend Benamozegh. »

 

 

 

Pallière est un disciple de Benamozegh, catholique français, intégré au judaïsme sans être converti.  Il  reste chrétien et pratique un syncrétisme  entre deux formes rituelles, participant aux rites de la synagogue et à la messe catholique. Membre de l'Union Libérale Israélite, il a activement milité dans les organisations juives sionistes dans les années 1930. Il a une conception universaliste visant à unifier judaïsme et christianisme. C'est dans ce sens qu'il adhère au Noachisme professé par son maître Benamozegh. Ce dernier est un rabbin kabbaliste moderniste et sa conception du Noachisme reste dans le fond dépendante de la religiosité juive, comme il l'explique dans l’extrait suivant : « Nous, Juifs, nous avons nous-mêmes en dépôt la religion destinée au genre humain tout entier, la seule religion à laquelle les Gentils soient assujettis et par laquelle ils sont sauvés et vraiment dans la grâce de Dieu, comme l'ont été nos Patriarches avant la Loi...La religion de l'humanité n'est autre que le Noachisme, non qu'elle ait été instituée par Noé, mais parce qu'elle remonte à l'alliance faite par Dieu avec l'humanité en la personne de ce juste. Voilà la religion conservée par Israël pour être transmise aux gentils… »

Évoquer la restauration finale de la Tradition primordiale, mais sous la direction d'Israël, est pour le moins étrange.  Dans la généalogie biblique du livre de la Genèse, Noé représente l'héritage de la tradition antédiluvienne en tant que père des humains représentés par ses trois fils : Cham, Japhet et Sem, et c'est dans ce sens que l'humanité post-diluvienne (qui commence la « période d'obscuration » mentionnée par Guénon) est appelée « fils de Noé » par la tradition juive, à comparer avec l'expression coranique « fils d'Adam » qui désigne aussi l'humanité mais comme descendance de l'homme primordial Adam qui représente proprement la Tradition primordiale. Abraham intervient plus tard, suivant sa généalogie qui en fait un descendant de Sem ; il représente une  « actualisation cyclique », en tant que « point de jonction de la tradition hébraïque avec la grande tradition primordiale ».  

Ces explications suffisent pour comprendre que Benamozegh reste enfermé dans le domaine exclusivement religieux du Judaïsme. Ses conceptions ne sont prisent actuellement au sérieux que par quelques chrétiens « intégristes », contaminés par le nationalisme et un certain moralisme Protestant.

 

[*] Elie Benamozegh (1823-1900) est un rabbin  italien (kabbaliste).

 


  

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Erik Sablé : René Guénon, Le visage de l’éternité, Editions Points, Paris 2013.

 

Nous n’avions pas rédigé de compte-rendu à la sortie en librairie de ce petit livre de notre ami Erik Sablé, aujourd’hui disparu, parce qu’il s’adressait  principalement à la nouvelle génération de personnes intéressée par la spiritualité et ignorante de l’œuvre de Guénon. Cet ouvrage très court est une simple approche générale composée d’une Introduction, de cinq chapitres : L’Infini ; La Connaissance ; l’initiation ; Les pièges de la voie ;  La société traditionnelle et la modernité  et d’une Conclusion. La mise en garde à l’égard des mystifications du monde moderne et des fausses voies à prétention initiatique y sont bien définies. De nombreuses anecdotes traditionnelles viennent agréablement illustrer quelques extraits bien choisis de l’œuvre du métaphysicien. Le propos s’en tient à l’essentiel sans jamais entrer dans les détails complexes de l’existence peu ordinaire qui précéda l’arrivée en Egypte de Guénon ni dans ceux, bien connus des guénoniens, de la vie traditionnelle du shaykh ‘Abd el-Wahîd Yahyâ. Le rapprochement que l’auteur introduit dans le premier chapitre avec le concept moderne de « fractal » a été relevé par Bruno Hapel (Fin de Vie-fin de Cycle - Blog de Bruno Hapel - Une dérive « fractale » ?) ce qui nous dispense d’en faire la critique. Nous relevons également une référence élogieuse à J. P. Laurant à laquelle nous ne pouvons souscrire.










jeudi 24 septembre 2020

L’ETHNOCIDE TIBÉTAIN PAR LE GOUVERNEMENT COMMUNISTE CHINOIS



 

 Selon une estimation chinoise, près de 87 000 Tibétains furent massacrés dans le seul Tibet central. Le soulèvement du 10 mars 1959 eut pour conséquence immédiate la fuite du Dalaï Lama, des membres de son gouvernement et d'environ 80 000 Tibétains vers l'Inde. Comme il se doit, cette estimation (venant des chinois) doit être revue à la hausse.

 



 

 

COLONIALISME CHINOIS

 

« L'oppression se poursuit au Tibet, plus en douceur, par le transfert de millions de Chinois appâtés par de meilleurs salaires ou des promotions. La submersion ethnique ayant présentement lieu est, en fait, la dissolution progressive du peuple tibétain sous l'effet d'un raz-de-marée de peuplement programmé de colons chinois. À Lhassa, la capitale, la population compte 400 000 habitants dont seulement 50 000 sont tibétains ce qui signifie qu'environ 85% sont chinois! La ville sainte est méconnaissable. Les Chinois ont ouvert des clubs de karaoké, des salles de danse, des bars et des restaurants non tibétains qui détruisent complètement l'esprit de la ville. Sur l'autre rive de la rivière qui traverse Lhassa, là où ses habitants aimaient naguère aller se promener, on a ouvert des maisons de jeu et de passe qui sont ouvertes 24 heures sur 24. Dans ce quartier, personne ne se promène la nuit de peur d'être mêlé aux nombreuses bagarres qui se terminent avec un couteau ou un pistolet.  L'habitat traditionnel tibétain et les charmantes ruelles sont remplacés par des immeubles de béton décorés de carrelages pour salles de bains et des avenues sans âmes où les chars peuvent circuler. Seulement en 1990, trois mille demeures ont été rasées dans Lhassa, ce qui oblige maintenant les habitants à emménager dans des demeures de style HLM. Le Potala, véritable palais dominant la ville sainte depuis plus de trois siècles, n'a pas résisté au colonialisme chinois. Résidence du Dalaï-lama jusqu'en 1959, des latrines publiques sont maintenant érigées à quelques dizaines de mètres de son pied La colonisation s'opère également à l'ensemble du pays qui se voit peu à peu investi, dépouillé, dénaturé par la masse des occupants étrangers. Les transferts de population chinoise au Tibet sont comparables à ceux pratiqués en ex-Yougoslavie ou ceux utilisés par l'Allemagne nazie. Cette politique de submersion ethnique décidée par le gouvernement de Pékin apparaît aujourd'hui tragiquement inéluctable.

Le plus choquant dans tout cela est que le gouvernement chinois se vante d'avoir aidé le Tibet en ayant construit des routes, apporté l'hygiène, amené l'éducation obligatoire en chinois et civilisé le peuple tibétain. En fait, ils ont tué une part du patrimoine de l'humanité » (1).

 

 


« L’ancien Tibet, avant l’invasion chinoise, constitue un (...) exemple de société qui a longtemps échappé à l’emprise de la modernité et a donc pu demeurer jusqu’à récemment centré sur le sacré. Dans ce pays, les chants du grand yogî Milarépa étaient connus de toutes les couches de la population, chez les moines comme chez les laïcs. Des bardes errants passaient de villages en villages pour les réciter. Beaucoup de paysans en connaissaient des passages par cœur. Des paroles de sagesse, des mantras, ornaient les murs et les rochers. Lorsqu’on interrogea le maître tibétain Bokar Rinpoché, qui est l’auteur de nombreux ouvrages sur la méditation, pour savoir si «  beaucoup de gens méditaient au Tibet », il répondit qu’un « très grand nombre de personnes méditaient, aussi bien moines que laïcs ». Et il ajouta : « Le développement matériel y était très réduit et les gens ne se préoccupaient pas beaucoup. Ils étaient tournés vers la vie spirituelle. » [...] Ainsi, ce pays était imprégné par le sacré comme le nôtre est imprégné par la publicité, l’étalement de la marchandise. » (2)

 

 

Relativement aux autres ethnocides, tout se passe comme si la maladie du  progressisme mondialisé et anti-spirituel du capitalisme avait infecté le maoïsme tout comme elle avait atteint auparavant le bolchevisme. C’est que ces deux conceptions Est - Ouest de la gestion du capital généré par l’industrie, comme toutes les oppositions radicales, possèdent malgré elles un dénominateur commun, en l’occurrence, celui du même esprit de domination matérielle inhérente à « l’unité négative de l’esprit anti-traditionnel ».

 Dans ce cas comme dans celui jadis de la conquête des Amériques et aujourd’hui du Proche Orient par les dirigeants américains, il s’agit de tuer les représentants vivants d’une forme traditionnelle dont le cœur est la spiritualité ; la spiritualité des Peaux-Rouges, la spiritualité de l’Islam (concernant cette dernière, par le soutien américain et anglais aux Séoud, puis aux salafistes, et enfin par la création de daech suite à l’ethnocide irakien) et, en Extrême-Orient, la spiritualité des représentants du Dharma tantrique tibétain après que leurs agresseurs aient neutralisé l’antique sagesse taoïste.

Il s’agit bien, derrière ces crimes collectifs, ces carnages successifs, d’annihiler  ce qui reste des anciennes civilisations et à travers elles d’atteindre toutes les manifestations de la vie spirituelle. On pourrait encore mentionner l’ethnocide perpétré par les communistes soviétiques lors de leur invasion en Afghanistan qui provoqua la ruine de plusieurs ethnies et les désastreuses conséquences que nous subissons toujours actuellement. Là encore les motifs apparents de la domination matérielle et politique couvrent les mêmes intentions occultes qui se poursuivent aujourd’hui encore, avec les mêmes déterminations, dans le conflit ethnocidaire de l’État sioniste, soi-disant « israélien », à l’encontre d’un peuple qui vivait paisiblement autour de la ville de Jébus (devenue Jérusalem, « Ville de la Paix » lorsqu’Israël décida d’en faire un « Centre spirituel ») et qui est devenue un lieu de violence, de profanation et d’atteinte contre l’authenticité sémite des traditions hébraïque et islamique. Tout cela sous le regard de tous les dirigeants du monde abrutis de propagande.

 Il faut admettre qu’il y a dans l’ensemble de ces actes une constante que l’on peut qualifier tour à tour de nationalistes, moderniste, matérialiste, progressiste, raciste, colonialiste, fasciste, égalitariste, démocratiste ; tous ces maux de la barbarie moderne qui vont si bien ensemble.

Kunzang Tendzin

 







 

LAMA GUENDOUNE RINPOCHÉ

 

En 1959, lorsque les événements se précipitèrent, et que l'occupation militaire du Tibet devint totale, le Lama Guendune était en retraite. Une divinité protectrice lui apparut et lui conseilla de s'en aller vers le sud, l'assurant de sa protection présente et à venir. Sans rien connaître du chemin à suivre, il se mit en route avec deux compagnons et parvint à traverser les lignes chinoises. Il gagna l'Inde sans être inquiété. Guendune Rinpoché arriva en France en août 1975 où il se consacra sans relâche à l'œuvre confiée par le Gyalwa Karmapa : transmettre le Dharma authentique aux Occidentaux. Son activité le conduisit dans la plupart des pays d'Europe. Il fonda le centre de Dhagpo Kagyu Ling en Dordogne qui devint un lieu important de transmission du Dharma. En 1984, il fonda Dhagpo Kundreul Ling en Auvergne avec ses centres de retraite, ses ermitages monastiques et son grand temple. Il décéda le 31 octobre 1997 dans sa chambre à Dhagpo Kundreul Ling en Auvergne.

 


 

Transcendant toute saisie, tout saisi, est la Vue Royale

Sans agir, sans méditation, sans distraction est la Méditation Royale

Ni effort, ni abandon, ni adoption est l’Action Royale

En l’au-delà de tout espoir, de toute peur, le Fruit devient manifeste

Transcendant tout point de référence, sans esprit, la nature de l’Esprit luit

Ne parcourant ni Terres ni Chemins, le fil de la Voie est tenu

Méditant sans objet de méditation, L’Insurpassable Bouddha est obtenu.

 

                                                                 Guendune Rinpoché

 

 

 

 

 


NOTES 

 

(1)Web-Anonyme.

(2) E.Sablé, René Guénon le visage de l’éternité, Ed. Points.

 


 Illustrations 

 Successivement : Dorge Sempa et le Siddha indien Birwapa (1020 après le nirvana du Bouddha).  

 

 

 


mardi 15 septembre 2020

ARCHIVES -dossiers & notes-

 

195


 


 


 

  

René Guénon sur la question du Khalifat et du Khalife.

Correspondance M. Clavelle,

 

Le Caire, 7 septembre 1933

 

 

« Pour l’article sur le Khalifat, je vois bien de quoi il s’agit : c’est un mauvais tour que la France veut jouer à l’Angleterre, laquelle voudrait, elle aussi, et depuis longtemps déjà, avoir un Khalife « de façade » qui ne serait qu’un instrument entre ses mains ; et je m’explique maintenant le voyage d’un certain personnage marocain qui nous avait un peu intrigué il y a quelques mois… En fait, l’une des deux solutions ne vaudrait guère mieux que l’autre étant donné surtout ce qui se passe actuellement en Afrique du Nord (sans parler de la Syrie) ; jamais encore les Français ne s’étaient comportés de pareille façon jusqu’ici ; c’est sans doute l’effet des belles promesses faites pendant la guerre. Quoi qu’il en soit, il est plutôt maladroit de confier le « lancement » de cette idée à des gens aussi grossièrement ignorants que l’auteur de l’article en question. « Puissance sacerdotale », « Souveraineté pontificale », etc… autant d’âneries que de mots… Il est d’ailleurs tout à fait faux que la présence d’un Khalife soit nécessaire au maintien de l’orthodoxie, et il ne l’est pas moins que le Khalife doive remplir telle ou telle condition définie, on préférerait en général qu’il soit d’origine arabe, mais cela même n’est nullement nécessaire, et en fait n’importe qui peut être désigné. Lors du congrès de Jérusalem, certains pensaient mettre en avant la candidature de quelqu’un que je connais très bien, et qui ne remplit aucune des prétendues conditions ; c’est seulement un homme énergique et très instruit des choses de l’Islam, et c’est là l’essentiel ; mais sans connaître l’actuel sultan du Maroc, je crois qu’il y a bien des chances pour qu’il ne possède ni l’une ni l’autre de ces deux qualités. D’autre part, il y a trois modes possibles de désignation d’un Khalife, tout aussi réguliers l’un que l’autre, et qui correspondent proprement aux trois titres respectifs de « Khalifat », d’« Imâm » et d’« Anûrul-Muminîn » ; vous voyez que c’est assez complexe et que personne en Europe n’y connais quoi que ce soit. – Quant à Mustafa Kémal, je comprends bien pourquoi il entrerait dans la combinaison, et vous pourrez être sûr que ses raisons n’ont rien de « spirituel », mais comment lui et ses partisans pourraient-ils bien continuer à se prétendre, je ne dis pas « sunnites », mais simplement « orthodoxes », quand ils se servent, dans les mosquées, d’une traduction du Qoran, ce qui est tout ce qu’il y a de plus rigoureusement interdit. Du reste, des gens qui ont fait du port d’une casquette le symbole de la « civilisation » sont jugés par là même, je ne veux pas dire qu’il y ait là une question de principe (c’est bien moins important qu’ils ne le croient eux-mêmes), mais je prends cela comme un « signe » qui donne assez exactement la mesure de leur « horizon intellectuel ». »

 

Le Caire, 2 septembre 1932

« Quant à l’Islam politique, mieux vaut n’en pas parler, car ce n’est plus qu’un souvenir historique ; c’est certainement dans ce domaine politique que les idées occidentales, avec la conception des « nationalités », ont fait le plus de ravages, et avec une singulière rapidité. C’est à tel point que maintenant les Égyptiens ne veulent pas venir en aide aux Syriens, ni ceux-ci aux Palestiniens, et ainsi de suite ; et il y en a beaucoup à qui on ne peut même plus arriver à faire comprendre combien ce particularisme est contraire aux intérêts traditionnels. – Cela n’a pas empêché un soi-disant « explorateur » français, qui n’est probablement qu’un vulgaire touriste, de prétendre dans un livre récent que le Khalifat existe toujours en fait, et, mieux encore, qu’il a son siège ici même à El-Azhar. Ce serait à éclater de rire si la réalité, à cet égard, n’était assez triste au fond ; savez-vous qu’au congrès de Jérusalem, en décembre dernier, la question du rétablissement du Khalifat ayant été posée, il a été impossible d’arriver à une entente et à une solution quelconque ? Et savez-vous aussi, en ce qui concerne spécialement El-Azhar, que le recteur, il y a à peu près un an, a refusé de signer une protestation contre les atrocités italiennes en Tripolitaine, sous le prétexte que « c’était là une question politique dans laquelle il n’avait pas à intervenir » ?»

 

« La théorie musulmane du Khalifat unit aussi les deux pouvoirs, au moins dans une certaine mesure, ainsi que la conception extrême-orientale du Wang .»

 

(voir La Grande Triade, ch. XVII).» Guénon, Le Roi du Monde

 


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« l’ésotérisme est essentiellement autre chose que la religion », et il « ne peut aucunement être dérivé de la religion ; là même où il la prend pour support, en tant que moyen d’expression et de réalisation, il ne fait pas autre chose que de la relier effectivement à son principe, et il représente en réalité, par rapport à elle, la Tradition antérieure à toutes les formes extérieures particulières, religieuses ou autres »

Aperçus sur l’Initiation, chap. III, p. 27 et ch. X, p. 74-75

 

 A R ; Y. Bragard p. 21 (pdf)

 

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Le Prophète (‘as) a dit :

« Il viendra des années de tromperies. Le véridique sera considéré comme un menteur tandis que les menteurs seront écoutés. L’homme honnête sera déconsidéré tandis que le malfaisant sera bien en vue. Et l’ignorant (al-ruwaybidah)* parlera beaucoup. On demanda : — qu’est ce que al-ruwaybidah ? ».

Il répondit : « il s’agit de l’homme ignorant qui parlera à propos de choses dont il n’a aucune science ».

(Al-silsilah sahihah, 1887)

(الرويبضة)*

 


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La réponse de l’Emir Abd El Kader à Monseigneur Pavy, qui le remerciait de son intervention en faveur des chrétiens de Damas en 1860:


« Ce que nous avons fait de bien avec les Chrétiens, nous nous devions de le faire, par fidélité à la foi musulmane et pour respecter les droits de l’humanité (huqûq al-insâniyya). Car toutes les créatures sont la famille de Dieu, et les plus aimés de Dieu sont ceux les plus utiles à sa famille. Toutes les religions apportées par les prophètes depuis Adam jusqu’à Muhammad reposent sur deux principes : l’exaltation du Dieu très haut et la compassion pour ses créatures. En dehors de ces deux principes, il n’y a que des ramifications sur lesquelles les divergences sont sans importance.

Et la loi de Mohammad est parmi les doctrines, celle qui montre le plus d’attachement et donne le plus d’importance au respect de la compassion et de la miséricorde, et à tout ce qui assure la cohésion sociale et nous préserve de la dissension.

Mais ceux qui appartiennent à la religion de Mohamed l’ont dévoyée. C’est pourquoi Dieu les a égarés. La sanction a été de même nature que la faute ».

 

(L’Emir Abd El Kader: Témoin et Visionnaire, P. Lory, D. Rivet, H. Teissier, Ibis Presse, Paris 2004)

 

 

 

 

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lundi 10 août 2020

Y. B. : Un extrait des APERÇUS SUR LE « RETOURNEMENT » (CHAPITRE XV)

 





CHAPITRE XV

 

L’AXE ÉQUINOXIAL ET LA « VOIE ROYALE »

 

 

 

 

 

La détermination de l’axe équinoxial (Est-Ouest) est fondamentale pour interpréter les doctrines cycliques des traditions du Kali-Yuga, comme le démontre la prédominance de cet axe par rapport à l’axe solsticial (Nord-Sud) dans la hiérarchie de la « Station mohammadienne » dont la description communiquée par le Cheikh al-Akbar paraît fournir toutes les clés d’interprétation des Futûhât.

Dans le symbolisme « solaire », « la figure du na sanskrit correspond au Soleil levant [Est] et celle du nûn arabe Au Soleil couchant [Ouest] » ; et selon la tradition arabe, « le corps d’Adam allait de l’Orient à l’Occident » (1), ce qui correspond aussi à l’orientation du corps d’Hiram dans la « Chambre du Milieu » de la loge maçonnique (2). Dans la tradition hébraïque, les deux Messies sont appelés fils de David et fils de Joseph, et ces deux noms correspondent respectivement à ceux des pôles islamiques du Ciel de Mars (Occident) et du Ciel de Vénus (Orient) qui sont aussi en rapport avec les traditions Judaïque et Chinoise.

En ce qui concerne le symbolisme des oiseaux, le corbeau est désigné, en arabe comme en hébreu, par la racine GHRB qui désigne aussi l’occident (Maghreb). Dans le Coran, c’est un corbeau qui enseigne à Caïn la manière d’ensevelir les morts (V, 31) après avoir tué Abel « sur la montagne Nûd » (‘ala jabali Nûd) qui, suivant la tradition hébraïque, est située à l’orient d’Eden (3). D’autre part, le symbolisme de la colombe est en rapport avec la planète Vénus (Orient) et l’épisode de l’arche de Noé concernant la colombe et le corbeau semble également faire allusion à l’axe équinoxial : la terre d’Abel est à l’occident, la demeure du corbeau qui ne revient pas sur l’arche (4).

Toutefois le point de vue du Cheikh al-Akbar est sensiblement différent : dans le Livres de l’Arbre et des quatre oiseaux, le symbolisme « occidental » du Phénix (al-anqâ al-Mughrib) confère  à l’occident une signification « polaire » et on peut remarquer que c’est le point cardinal qui est investi par le messie à la station mohammadienne et vers lequel le prophète de l’Islam est tourné. Dans cette orientation, on peut se demander quelle économie doivent remplir les organisations initiatiques occidentales.

C’est par l’application des données concernant l’axe équinoxial que Guénon a pu écrire les principes du redressement par l’élite occidentale et son orientation intellectuelle en montrant l’unité des formes traditionnelles à la lumière du sacerdoce de Melchissedech qui doit favoriser la jonction informelle dans le domaine ésotérique des différentes méthodes initiatiques susceptibles de s’adapter à la « Voie royale » par laquelle s’effectuera le « passage » dans le cycle à venir.

 À cet égard, la Maçonnerie présente certaines affinités avec la Shadhuliyyah par son côté « tantrique » qui repose sur le souffle universel par lequel la parole Sacrée est véhiculée : « Le Vêda est Brahmâ ; il est sorti de lui comme un souffle » (5). 

Le Tantrisme a joué en Asie un rôle de « jonction » auquel Guénon a fait de discrètes allusions : « Les points de contact du Lamaïsme avec le Chamanisme qui procède de la tradition hyperboréenne “ne s’expliquent pas par les influences que le Bouddhisme a subies en Mongolie et dans le thibet de la part des théories qui y prévalent ; il s’agit exclusivement de traits déjà attestés dans le Tantrisme indien, et qui, de ce pays, sont allés se combiner aux idées du Lamaïsme” » (6). Guénon fait remarquer que « les éléments shivaistes qui tiennent une si grande place dans le Bouddhisme thibétain, désigné communément sous le nom assez peu correct de “Lamaïsme”, devraient être recherché  « dans l’étude des relations du Bouddhisme, même originel, avec le Tantrisme » (7).

 

Dans les deux exemples précités, le Bouddhisme apparait comme la couverture extérieure de quelque chose de beaucoup plus central qui a pris le Tantrisme comme support. Or, le mot tantra lui-même se prête à une interprétation du plus haut intérêt. D’après J. Emmanuelli, la deuxième syllabe de ce mot T R, par laquelle est désigné le mont Sinaï (Tûr Sinîn) dans le Coran et symbolise le cerveau selon Qâchânî, évoque en sanskrit la hauteur et le Nord ; elle sert aussi à désigner l’Étoile Polaire Târâ (8).

On retrouve quelque chose de très semblable avec la première syllabe, tan, qui signifie étendre de manière générale et dont les deux lettres sont en relation archéométrique avec le Soleil (la IXe et XIVe lames du Tarot). Ces deux consonnes servent à former le nom de la déesse cananéenne de la Phénicie septentrionale, Anat, la « Dame de la Montagne » du Nord (Safron en hébreu) dont elle chasse l’usurpateur ; et la déesse égyptienne du tissage, Neith, était désignée par les hiéroglyphes N et T qui servaient aussi à représenter le Nord où elle figurait sur certains sarcophages en face de Serqet (Sud). On sait que cette déesse était identifiée par les Grecs avec Athéna (TN) qui « est dite issue du cerveau de Jupiter comme Târâ est dite se situer “au-dessus” de la tête de Shiva  [zénith] et être le “vrai visage de Kâlî” qui se tient devant lui [Nord] » (9). D’autre part, le temple de Neith se trouvait à Saïs, dans la ville d’On (l’Héliopolis égyptienne) et cette ville qui était sous la protection de la Grande Ourse est celle où Solon recueillit les traditions de l’Atlantide. C’est de cette déesse que la compagne judéo-chrétienne de Joseph tire son nom (Asnet) et il est vraisemblable que leurs relations « tantriques » représentent au sein de la tradition abrahamanique « la jonction du courant venu de l’Occident, après la disparition de l’Atlantide, avec un autre courant descendu du Nord et procédant directement de la Tradition primordiale, jonction dont devait résulter la constitution des différentes formes traditionnelles propres à la dernière partie du Manvantara » (10). Nous ne pouvons envisager cette question dans son ensemble car cela nous mènerait trop loin, mais il faut souligner ici l’usage d’un symbolisme féminin pour figurer cette « jonction » ce qui indique que celle-ci s’est opérée dans la « Voie Royale » ce qui permettrait aussi d’expliquer la raison pour laquelle l’hermétisme était un enseignement transmis par le sacerdoce (Thot) ; et que Isis, pour l’Égypte, et Déméter, pour les « mystères d’Eleusis », étaient les déesses de l’initiation. D’une façon plus générale, c’est la « Voie de la Terre » qui nécessiterait un exposé doctrinal et, à cet égard, d’un point de vue guénonien, on pourrait dire qu’il faudrait retrouver l’adaptation islamique de l’architecture spirituelle de la tradition hindoue en adoptant le point de vue chinois qui est symbolisé par le point entre le nûn et le na (11). D’un point de vue islamique, il s’agirait de faire un interprétation du Coran à travers la sourate 12 (le terme hanîf et ses dérivées est cité 12 fois dans le Coran) (12) et une lecture « chadhulite » des doctrines akbariennes, comme le fit Abdul Hâdî, qui transmit la barakah du Cheikh Elish Abd-er-Rahmân à René Guénon, et dont la maîtrise est l’objet de critiques universitaires basée sur des considérations d’ordre scripturaire qui ne tiennent pas compte des « moyens d’investigation » traditionnels (Ahmed Balyâ est un nom du Khidr, et la Risâlat al-Ahadiyya est un traité sur la « gauche ») (13). D’un point de vue plus général, il s’agirait de rétablir doctrinalement la connexion entre la « Voie du Milieu » et la « Voie de la Terre », ce qui, pour l’individualité, devrait se traduire par la jonction entre la « Volonté » et le « Destin ».

Il n’y a pas de Maître « plus grand » que le cheikh Abd-el-Wahîd pour interpréter les doctrines akbariennes et cela en raison d’une affinité de nature entre lui et Ibn Arabî, qui se traduit d’un point de vue cyclique par le lien qui les unit à la fonction messianique. Si cette étude pouvait seulement avoir démontré que la subordination intellectuelle à la Maitrise de Guénon permet de « rassembler ce qui est épars » et d’aller bien au-delà d’une simple lecture « théorique » des livres traditionnels, nous aurions atteint notre objectif, car nous ne revendiquons pour nous même aucune « fonction » de quelque nature que ce soit.

 

 

 

 

 

NOTES

 

 

 

 

 

(1) L’Islam et la fonction de René Guénon, p. 124 et 172 n. 117

(2) En ce qui concerne la disposition du corps d’Hiram, on peut remarquer que les pieds qui correspondent à l’Est sont en rapport avec la « Terre » (gauche) et que la tête qui correspond à l’Ouest est en rapport avec le « Ciel » (droite), ce qui implique que l’orientation est prise en se tournant vers le Sud, ou plus exactement que celui-ci est Yang : « le Nord étant ici le côté obscur [Yin], celui que n’éclaire pas la lumière du Soleil » (Aperçus sur l’ésotérisme chrétien, p.77 et n. 1 de l’édition de 54 ; cf. aussi La Gnose, n° de décembre 1911, p. 309à 314). L’expression arabe « qadam sidqin » (pied sûr) semble également être en relation avec cette orientation, d’autant que la racine QDM évoque l’Orient (Est), (C-A. Gilis : Marie en Islam, p. 57-58). À cet égard, Ismaîl est appelé bani qadim (fils de l’Orient) et il ne peut en aucune façon être identifié avec un courant occidental (La doctrine initiatique du Pèlerinage, p. 87).

Toujours à propos d’Hiram, « Il y a lieu de remarquer, à cet égard, que, en tout point de la circonférence et pour ce point, la direction de la tangente peut être regardée comme l’horizontale, et, par conséquent, celle du rayon qui lui est perpendiculaire comme la verticale, de sorte que tout rayon est en quelque façon un axe virtuel. Le haut et le bas peuvent donc être considérés comme correspondant toujours à cette direction du rayon, envisagée dans les deux sens opposés ; mais, tandis que, dans l’ordre des apparences sensibles, le bas est vers le centre (qui est alors le centre de la terre) (en note : Cf. L’Ésotérisme de Dante, ch. VIII)… il faut ici faire l’application du “sens inverse” et considérer le centre comme étant en réalité le point le plus haut (en note : Ce “retournement” résulte d’ailleurs du fait que, dans le premier cas, l’homme est placé à l’extérieur de la circonférence (représentant alors la surface terrestre), tandis que, dans le second [Hiram et Adam, cf. notre note 23], il est à son intérieur) ; et ainsi, de quelque point de la circonférence qu’on parte, ce point le plus haut demeure toujours le même. On doit donc se représenter l’Homme, assimilé au rayon de la roue, comme ayant les pieds sur la circonférence et la tête touchant le centre ; et en effet, dans le “microcosme”, on peut dire que sous tous les rapports, les pieds sont en correspondance avec la Terre et la tête avec le Ciel » (La Grande Triade, fin du ch. XXIII).

Ailleurs, Guénon donne encore les précisions suivantes : « (…) si l’on part d’un point quelconque de la surface d’une sphère, le bas y est toujours la direction allant vers le centre de cette sphère ; mais on a remarqué que cette direction ne s’arrête pas au centre, qu’elle se continue de là vers le point opposé de la surface, puis au-delà de la sphère elle-même, et on a cru pouvoir dire que la descente devait se poursuivre de même, d’où on a voulu conclure qu’il n’y avait pas seulement une “descente vers la matière” , c'est-à-dire en ce qui concerne notre monde,  vers ce qu’il y avait de plus grossier dans l’ordre corporel, mais aussi une “descente vers l’esprit”, si bien que, s’il fallait admettre une telle conception, l’esprit aurait lui-même un aspect “maléfique”. En réalité, les choses doivent être envisagées d’une tout autre façon : c’est le centre qui, dans une telle figuration, est le point le plus bas, et, au-delà de l’Enfer en continuant à suivre la même direction suivant laquelle se descente s’était effectuée tout d’abord, ou du moins ce qui parait géométriquement être la même direction, puisque la montagne du Paradis terrestre est situé, dans son symbolisme spatial, aux antipodes de Jérusalem.(Notes de l’auteur : Voir L’Ésotérisme de Dante, chap. VIII ; Nous faisons cette réserve parce que le passage même par le centre ou le point le plus bas implique en réalité un “redressement” (représenté chez Dante par la façon dont il contourne le corps de Lucifer), c’est-à-dire un changement de direction, ou, plus précisément encore, un changement de direction du sens “qualitatif” dans laquelle cette direction est parcourue). Du reste, il suffit de réfléchir un instant pour se rendre compte qu’autrement la représentation ne saurait être cohérente, car elle ne s’accorderait nullement avec le symbolisme de la pesanteur, dont la considération est particulièrement importante ici (…) » ; «  Lucifer symbolise l’“attrait inverse” de la nature, c’est-à-dire la tendance à l’individualisation, avec toutes les limitations qui lui sont inhérentes ; son séjour est (…) le centre de ces forces attractives et compressives qui, dans le monde terrestre, sont représentées par la pesanteur ; et celle-ci, qui attire les corps vers le bas (lequel est en tout lieu le centre de la terre), est véritablement une manifestation de tamas (...) tandis que dans cette application, sattwa représente “les forces d’expansion et de dilatation” » (cf. L’Ésotérisme de Dante, chapitre VIII, p.71) ; « (…) Ce qui est vrai seulement, c’est que le point d’arrêt de la descente ne se situe pas dans l’ordre corporel, car il y a très réellement de l’“infra-corporel” dans les prolongements de notre monde ; mais cet “infra-corporel”, c’est le domaine psychique inférieur, qui non seulement ne saurait être assimilé à quoi que ce soit de spirituel mais qui est même précisément ce qu’il y a de plus éloigné de toute spiritualité (…) ». (Symboles de la Science Sacrée, ch. LXI, p. 348-349)

En ce qui concerne Dante, plutôt que de s’interroger sur les influences extérieures dont il pu bénéficier, il serait peut-être plus opportun de se pencher sur la « communication directe » (L’Ésotérisme de Dante, chapitre V, p. 44) et se demander pourquoi il a une « vision » analogue à celle d’Ibn Arabî, car il est bien évident que les relations entre les initiés du Temple et les initiés musulmans étaient subordonnées à cette « même influence spirituelle » suprême qui présida au « testament du moyen-âge ». À propos du voyage de Dante, Michel Vâlsan a écrit : « René Guénon dit, dans l’Ésotérisme de Dante, ch. V, que l’Isrâ’ est une descente aux régions infernales ; de fait, d’après les textes des hadîths qui en parlent, ce voyage correspond par certains de ses épisodes aux thèmes initiatiques de l’Enfer de Dante, mais son trajet ne comporte pas dans lesdits textes une descente proprement dite vers l’intérieur de la Terre avec une sortie du côté opposée » (l’Islam e la fonction de René Guénon, p. 58, n. 9). Seulement, Michel Vâlsan ne se réfère pas au chapitre VI du même ouvrage où Guénon précise noir sur blanc, à propos de la « descente aux enfers » : « Il faut bien remarquer, d’ailleurs, qu’il ne peut être question pour l’être de retourner effectivement à des états par lesquels il est déjà passé ; il ne peut explorer ces états qu’indirectement, en prenant conscience des traces qu’ils ont laissées dans les régions les plus obscures de l’état humain lui-même ; et c’est pourquoi les Enfers sont représentés symboliquement comme situés à l’intérieur de la Terre » (p. 46, souligné par nous). Du reste, la « descente aux Enfers » d’Ibn Arabî semble correspondre au moment ou son père récite la sourate Yâ Sîn qui prend forme pour le libérer d’un «  coma », ce qui signifie que son illumination initiale est antérieure à l’âge de 14 ans (Claude Addas : Ibn Arabî, pp. 37-38).

(3) Cf. L’Islam et la fonction de René Guénon, p. 172, fin de la note 115.

(4) Suivant Tamos, « le principe masculin représenté par Mars correspond plus spécialement au Règne Animal (Abel) tandis que le principe féminin représentée par Vénus correspond alors au Règne Végétal (Caïn) » (cf. La Gnose, janvier 1910, p. 3). Selon Guénon, « le végétal procède de la nature des Asuras, c’est-à-dire des états inférieurs par rapport à l’état humain, tandis que les corps célestes représentent naturellement les Dévas, c’est-à-dire les états supérieurs. Ajoutons aussi à cet égard, que le développement de l’“essence végétative” dans l’Eden, c’est le développement   des germes des cycles antécédents, ce qui répond encore au même symbolisme » (Le Symbolisme de la Croix, p. 132, n. 7). 

           (5) Ibid. p. 128.

(6) Citation de Bleichsteiner in Études sur l’Hindouisme, p. 205.

(7) Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues, p. 181.

(8) Propos sur le Tantra, p 15-16. On retrouve quelque chose de similaire dans le nom du dieu Thor dont le marteau (Mioelner) est une « pierre de foudre » bien que suivant une autre version, il s’agirait d’un marteau métallique forgé par les nains qui se rattachent au même ordre d’entité que les kabires. «  (…) la foudre est associée à l’idée de “paternité divine”, association qui se retrouve tout aussi nettement dans l’antiquité occidentale puisque la foudre y est le principal attribut de Zeus Pater ou Jupiter, le “père des dieux et des hommes” qui foudroie  d’ailleurs les titans et les géants comme Thor et Parashu Râma détruisent les équivalents de ceux-ci avec leurs armes de pierre »…  « Les foudres de Jupiter sont forgées par Vulcain, ce qui établit un rapport entre le “feu céleste” et le “feu souterrain” (…) Notons aussi, à propos du feu, que le char de Thor était trainé par deux béliers, et que, dans l’Inde, le bélier est le véhicule d’Agni » (Symbole de la Science sacrée, chap. XXV, P. 172, et n. 2). 

(9) Propos sur le Tantra, p 15. La « Déesse de la Montagne » c’est Pârvati (Symbole de la Science sacrée, chap. XLVIII, p. 292), la Shakti de Shiva qui est aussi appelé Durgâ, c’est-à-dire « celle qu’on approche difficilement » (L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XXIII, p. 197, n. 4).

(10) Formes traditionnelles et cycles cosmiques, p. 50.

(11) À cet égard, on peut s’en remettre au témoignage de B. G. Tilak : « …nous avons les sept domaines terrestres (…), les sept montagnes (…), les sept rayons ou chevaux du soleil (…), les sept hotris (…), les sept régions (dislah) et les sept Adityas (…), les sept dhitis ou dévotions (…) …. ; tandis que dans la littérature sanskrite postérieure, nous avons les sept cieux, les sept terres, les sept montagnes, les sept océans et les sept mondes inférieurs… » (L’origine polaire de la tradition védique, p. 237).

(12) On pourrait dire que les « Veilleurs du Ciel » Hérodiens deviennent  les « Gardiens de la Terre Sainte » avec Seyyidnâ Yûsuf.

(13) Balyâ peut se lire bi-l-yâ (par le cf. Muhâhadat al-Âbrâr wa Musâmaratal al-Akhyâr, t. I p. 129) et c’est précisément par le que commencent les « vers attribués à Seyyidnâ al-Khadir » et où le « pôle des Afrad » s’identifie au Maitre du Monde (cf. l’édition libanaise du Dalâ’il al-Khayrât de l’Imâm Jazûlî, p. 157). C’est dans l’édition tunisienne du même ouvrage que figure la Rawda de Médine et l’allusion aux 6 666 versets du Coran.

Bâlya, en sanskrit, « désigne littéralement un état comparable à celui d’un enfant (bâla) : c’est un stade de “non-expansion”, si l’on peut ainsi parler, où toutes les puissances de l’être sont pour ainsi dire concentrées en un point, réalisant par leur unification une simplicité indifférenciée, apparemment semblable à la potentialité embryonnaire. C’est aussi, en un sens un peu différent, mais qui complète le précédent (car il y a là à la fois résorption et plénitude), le retour à l’“état primordial” dont parlent toutes les traditions, et sur lequel insistent plus spécialement le Taoïsme et l’ésotérisme islamique » (HSDV, p. 196). Seulement, bâlya correspond à Lakshmî, la shakti de Vishnu qui est aussi en rapport avec la Beauté, l’un des piliers du Temple maçonnique : « “les trois principaux piliers du Temple”  sont  “Sagesse force et Beauté” » (ibid. p. 198, n. 4). 

Ne serait-ce pas rendre justice à Siyyidinâ Khidr, le représentant de la « Voie du Milieu » en Islam, que de lui reconnaître l’enseignement de la science du sanskrit puisée dans la « Science de chez nous » (min ayna – nâ) ?

Sakha Ibn Sahâh semble également faire allusion à Khidr (Ibn Arabi : Le livre de l’Arbre et des quatre oiseaux, p. 22) : car le Rocher (as-sakhrat) est celui où Moïse rencontre Khidr (Cor. 18, 63). Celui-ci est situé entre la station d’Abraham (Saturne) et celle d’Adam (Lune) et il semble représenter le centre de la croix à trois dimensions (Futûhât I, p. 10). Dans le Tarjuman al-Ashwâq, les rochers (sakhayât) sont associés au Dôme du Milieu (qubbah al Wusta) (cf. L’interprète des désirs, p. 97) et ce dernier désigne probablement le Dôme Arin (Futûhât I, p. 38 et IV, p. 82) qui émerge d’une source (Kitâb al Isra, p. 3) et dont le symbolisme n’est pas sans rappeler l’« île verte » (Erin) qui était appliqué à l’Irlande et « antérieurement à une autre terre beaucoup plus septentrionale » (Le Roi du Monde, p. 80). Quoiqu’il en soit, le symbolisme du dôme (qubbah) est « céleste » et non pas « terrestre » (Symboles de la Science Sacrée, ch. XLVIII, p. 291).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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