LES POITRINES DES HOMMES LIBRES SONT LES TOMBEAUX DES SECRETS صدور الأحرار قبور الأسرار

vendredi 14 juillet 2017

Y. B. : APERÇUS SUR LE « RETOURNEMENT » – Le premier chapitre –




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Le texte des « Aperçus sur le “Retournement” » fut rédigé en 1996. Il s’étend sur plus de 50 pages et comprend 153 notes. Afin de le rendre plus accessible, nous l’avons découpé et titré en XV chapitres qui correspondent aux extraits mis en ligne dont la succession n’est pas celle de leur rédaction ; ainsi, l’extrait suivant, que nous avons intitulé « La “Station mohammadienne” et le “Centre suprême” » intègre les trois premières pages du tapuscrit et constituera le premier chapitre du PDF*.
 D’emblée, l’auteur y exprime un point de vue qui se distingue de l’interprétation de Michel Vâlsan et de quelques uns de ses héritiers, mais il s’agit surtout pour Y.B. de démontrer que « la subordination intellectuelle à la Maîtrise de Guénon permet de “rassembler ce qui est épars” et d’aller bien au-delà d’une simple lecture “théorique” des livres traditionnels ». Si l’interprétation vâlsanienne diffère de l’enseignement guénonien en ce qu’elle résulte d’une prise en considération du point de vue religieux, en revanche, l’auteur des « Aperçus » s’en tient strictement à la plénitude métaphysique exprimée par Guénon tout au long de son œuvre et, dès la première note de ce chapitre, il rappelle que pour ce dernier « l’ésotérisme véritable est tout autre chose que la religion extérieure et, s’il a quelques rapports avec celle-ci, ce ne peut être qu’en tant qu’il trouve dans les formes religieuses un mode d’expression symbolique » ; et Guénon ajoute même : « peu importe, d’ailleurs, que ces formes soient celles de telle ou telle religion, puisque ce dont il s’agit est l’unité doctrinale essentielle qui se dissimule derrière leur apparente diversité ». C’est l’importance de cette distinction spirituelle entre l’ésotérisme et le point de vue  religieux ou mystique qui justifie à nos yeux l’ensemble des réflexions offertes par cette étude.

* Ce PDF sera librement disponible lorsque la totalité des chapitres aura été publiés ; voir « LA PRÉSENTATION DES TEMPS MODERNES » posté le 22/05/2018











CHAPITRE I

LA « STATION MOHAMMADIENNE »
ET
LE « CENTRE SUPRÊME »







Idha stawâ-l-hubb saqata-l-adab.

L’inversion est le rapport d’analogie qui existe entre l’état humain et les états supra-humain, et il ne constitue pas une caractéristique du Centre suprême comme pourrait le laisser penser une note de Michel Vâlsan sur la « Station Mohammadienne » qui semble traduire son indépendance doctrinale à l’égard de l’autorité de René Guénon (1).
Du reste, la conception vâlsanienne du Centre suprême ne correspond pas à celle à laquelle Guénon nous a familiarisé car, dans la note précitée, Michel Vâlsan envisage la hiérarchie suprême de l’Islam par l’intermédiaire du Qutb et des deux Imâms alors qu’il n’est pas fait mention de ces deux derniers dans le Roi du Monde où le Qutb est seulement envisagé dans sa relation de subordination à l’égard de Métatron (p. 32). Par ailleurs, Michel Vâlsan conçoit l’investiture au Centre suprême comme une « visite » ou une « cérémonie » postérieure à ce qu’il considère comme devant être une « initiation » à la réalisation descendante  (2) ; seulement, en ce qui concerne l’initiation, Guénon a écrit :
« Le seul cas où cette condition [c’est-à-dire l’initiation] n’existe pas est celui de la réalisation descendante, parce que celle-ci présuppose que la réalisation ascendante a été accomplie jusqu’à son terme ultime » (3).
D’autre part, il n’y a aucune relation « organique », si l’on peut dire, entre la réalisation descendante et le Centre suprême puisque le degré spirituel de ce dernier correspond à l’ « état primordial » et au terme des « petits mystères » : c’est-à-dire au
« point central où s’établit la communication directe du monde terrestre avec les états supérieurs et, à travers ceux-ci avec le principe suprême » (4).
Enfin, cette relation entre la réalisation descendante et le Centre suprême incline C. A. Gilis à faire de celui-ci un centre secondaire par rapport à celui de l’Islam (5) et bien qu’il le fasse en conformité avec une indication de Michel Vâlsan, il se met en contradiction formelle avec ce dernier lorsqu’il écrit que les trois Sceaux « correspondent à trois fonctions uniques qui relèvent directement, non de la forme islamique au sens strict, mais du Centre initiatique suprême » (6) puisque, suivant l’indication de son Cheikh, l’investiture suprême du Cheikh al-akbar est antérieure à son investiture en tant que Sceau (7) ; mais, lorsque son disciple zélé déclare : « c’est l’exercice de ce pouvoir [?], appartenant en propre au Centre Suprême de notre monde et déterminant pour l’ensemble de l’univers traditionnel, les “confirmations” et les “abrogations” rendues nécessaires par les circonstances [?], qui a précisément pris fin avec l’Islam, seule forme traditionnelle qui se présente de manière explicite comme la dernière Révélation divine et seule appelée à demeurer extérieurement jusqu’au terme du présent cycle » (8), n’est-ce pas là une manière de témoigner de son incapacité d’envisager l’ésotérisme au-delà de son aspect contingent et formel ? Selon M. Vâlsan, la notion de Sceau est « typiquement islamique ». Quant à la forme extérieure de la tradition islamique, c'est-à-dire sa « religion », elle sera dégénérée, comme les autres formes religieuses, puisque l’un des aspects de la fonction du Mahdî consistera précisément à la revivifier.
À vrai dire la note de Michel Vâlsan sur le Centre suprême repose sur le fait que, dans la hiérarchie de la « Station Mohammadienne », Abû Bakr siège à la droite de Mohammad et ‘Umar à sa gauche alors que ces deux Compagnons étaient respectivement l’Imâm de gauche et l’Imâm de droite à l’époque du Prophète de l’Islam. Seulement, suivant une tradition prophétique (Sunnah) :
« Le Prophète ayant voulu envoyer quelqu’un pour une affaire importante, alors qu’Abû Bakr était à sa droite et ‘Umar à sa gauche, ‘Alî lui avait demandé : “Qu’est-ce qui t’empêche d’envoyer l’un de ceux-ci ?” Et le Prophète avait répondu : “Je ne saurais me passer d’eux, car ils sont pour la religion comme l’ouïe et la vue pour la tête ” » (9).
Comme cette scène se déroule dans l’état humain, Mr Gilis justifie cette nouvelle inversion des Compagnons de la manière suivante : « Transposée au degré de la hiérarchie du Centre du monde, la fonction d’Abu Bakr correspond au Sacerdoce et à la “droite” du Prophète, et celle d’ ‘Umar à la Royauté et à sa “gauche » ”(10). Seulement, comme l’Imâm de gauche est plus élevé en degré que l’Imâm de droite et que c’est le premier qui succède au Pôle [de la tradition islamique], cette interprétation pourrait laisser croire que la fonction sacerdotale est subordonnée à la fonction royale dans l’esprit de l’auteur.
Maintenant il faut dire que c’est bien évidemment la « supériorité » de l’Imâm de gauche sur l’Imâm de droite qui constitue la véritable « inversion » dans la hiérarchie islamique par rapport à la tradition universelle puisque, dans celle-ci, la « droite » est en rapport avec la fonction sacerdotale, l’ « Esprit », la « Voie du Ciel » et le Dêva-yâna, et la « gauche » avec la fonction royale, l’« âme », la « Voie de la terre » et le Pitri Yâna (11).
À propos de la crucifixion de Saint Pierre la tête en bas, Michel Vâlsan fait remarquer que « pour pouvoir réaliser la restauration de l’état primordial il faut inverser l’orientation humaine actuelle, ce qui nécessitera initialement une inversion dans l’ordre des “formes” qui par leur rôle symbolique doivent finalement favoriser le rétablissement des réalités informelles mêmes » (12). L’inversion à laquelle il est fait allusion ici correspond, en réalité, au « retournement » dont Guénon a exposé les principes généraux dans La Grande Triade (ch. XXII et XXIV) et qui constitue la véritable « clé » pour comprendre les distinctions qui caractérisent les doctrines sapientales et prophétiques, ainsi que le point de vue de la « manifestation » et celui de la « création », comme le symbolise, du reste, la figure de la lettre arabe nûn qui est « retournée » par rapport à la lettre sanskrite na (13).


Y. B.

(À suivre)









NOTES





(1) l’Islam et la Fonction de René Guénon, (Éd. de l’Œuvre, Paris, 1984, p.181, note 11). Rappelons que la fonction de René Guénon n’est subordonnée à aucune tradition quelle qu’elle soit. C’est par un scrupule de convenance à l’égard de Michel Vâlsan, dont la maîtrise spirituelle n’est pas en cause, que nous parlons d’« indépendance ». Cette maîtrise se caractérise par une conception religieuse de la voie initiatique qui serait complémentaire de l’orientation intellectuelle préconisée par Guénon si cette conception n’était envisagée de façon quelque peu exclusive comme l’illustre d’ailleurs la réduction du symbolisme de l’arche, qui représente la « forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle actuel », à la Shari‘ah (ibid. p. 124 et 140), c’est-à-dire à la « législation basée essentiellement sur la religion » (Autorité spirituelle et pouvoir temporel, chap. VII, p. 84, n. 2). Plus loin, Guénon précise que la tradition judaïque est « la source et le point de départ de tout ce qui peut porter le nom de “religion” dans son sens le plus précis puisque l’Islamisme s’y rattache aussi bien que le Christianisme » (ibid., p. 102, n.11) ; et, on connait l’importance attribuée à Moïse (cité 136 fois dans le Coran) pour l’institution du culte islamique durant le « voyage céleste » de Mohammad). À cet égard, nous dirons avec Guénon : « Pour notre part, nous ne pensons pas qu’il faille se placer à un tel point de vue, car l’ésotérisme véritable est tout autre chose que la religion extérieure, et, s’il a quelques rapports avec celle-ci, ce ne peut être qu’en tant qu’il trouve dans les formes religieuses un mode d’expression symbolique ; peu importe, d’ailleurs, que ces formes soient celles de telle ou telle religion, puisque ce dont il s’agit est l’unité doctrinale essentielle qui se dissimule derrière leur apparente diversité » (L’Ésotérisme de Dante, p. 9).
(2) Ibid. p. 179. Les guillemets sont de Michel Vâlsan. La notion de qutb n’est pas coranique, parce que la source d’inspiration du « Livre Sacré » des musulmans dépasse non seulement le cadre des formes religieuses, mais englobe tout notre Manvantara. En effet, la manifestation corporelle de Mohammad est précédée d’une période de 78 000 ans qui concerne son aspect « intérieur » symbolisé par le Coran et qui se réfère au Manvantara précédent puisque le nôtre totalise 64 000 ans. Autrement dit, l’inspiration coranique correspond à l’ère du Satyavrata dont le « nom signifie littéralement “voué à la Vérité”, et cette idée de la “Vérité” se retrouve dans la désignation de Satya-Yuga, le premier des quatre âges en lesquels se divise le Manvantara. On peut aussi remarquer la similitude du mot Satya avec le nom de Saturne, considéré précisément dans l’antiquité occidentale comme le régent de l’ “Âge d’or” ; et, dans la tradition hindoue, la sphère de Saturne est appelé Satya-loka » (Symboles de la Science Sacrée, chap. XXII, p. 150, n. 4) qui correspond à Abraham dans l’ésotérisme islamique et auquel Mohammad se rattache par sa filiation charnelle et spirituelle en tant que hanîf (l’Islam et la Fonction de René Guénon, p.130-132).
(3) Initiation et réalisation spirituelle, p. 177, note 1.
(4) Le Roi du monde, p. 31 : « suivant la tradition extrême-orientale, l’“Invariable Milieu” est le point où se manifeste l’ “Activité du Ciel” » (note de l’auteur à propos du Brahâtma qui peut « parler à Dieu face à face »).
(5) (Études complémentaires sur le Califat, p. 106, n. 15), Rappelons que « l’Agarttha est un centre spirituel établi dans le monde terrestre, par une organisation chargée de conserver intégralement le dépôt de tradition sacrée qui “a recueilli, l’héritage de l’antique “dynastie solaire” (Sûrya-vansha) qui résidait jadis à Ayodhyâ, et qui faisait remonter son origine à Vaivaswata, le Manu du cycle actuel », c’est-à-dire, « “L’Intelligence cosmique” qui réfléchit la Lumière spirituelle pure et formule la Loi (Dharma) propre aux conditions de notre monde où de notre cycle d’existence » (Le Roi du Monde, p 13-14 ). Bien que sa localisation soit secondaire quand on ne la recherche pas par des moyens extérieures, « cette “Terre Sainte”, défendue par des “gardiens” qui la cachent aux regards profanes tout en assurant pourtant certaines relations extérieures, est en effet invisible, inaccessible, mais seulement pour ceux qui ne possèdent pas les qualifications requises pour y pénétrer » (Ibid. p. 96).
(6) René Guénon et l’avènement du troisième Sceau, p. 42. 
(7) l’Islam et la Fonction de René Guénon, p. 179.
(8) Le Coran et la fonction d’Hermès (Paris 1984, p. 20). Lorsque le Cheikh Al-Akbar se trouvait à Tunis, une tablette du « trésor » de la Kaaba lui fut apportée et il « demanda à Allâh de la remettre à sa place » en invoquant le prétexte de convenance (adab) à l’égard du Mahdî auquel ce « trésor » est réservé (cf. C.-A. Gilis : La Doctrine du Pèlerinage, p. 47-48). A vrai dire, on peut se demander si la « fascination aveugle » que cette tablette pouvait susciter n’est pas en relation avec l’« abrogation des mystères » décrétée en 1877 par le Centre suprême et que Mr Gilis ignore superbement. Ailleurs, cet auteur écrit que « le califat de Dawûd marque symboliquement la fin de la manifestation extérieure du Centre Suprême » (Les Sept Etendards du Califat) alors que, selon M. Ossendowski, l’Agarttha « est devenu souterrain “il y a plus de six mille an” et il se trouve que cette date correspond, avec une approximation très suffisante, au début du Kali-Yuga ou “âge noire” » précise le Cheikh Abd el-Wâhid (Le Roi du Monde, p. 67).
(9) Cité dans La Professions de Foi, attribuée à Ibn ‘Arabî, traduction Deladrière, Ed. Sindbad, 1985).
(10) La Prière du jour du Vendredi ; p. 20, n. 22 (Paris, 1994). Guénon a démontré qu’il y a une correspondance entre la vue et les sédentaires d’une part et d’autre part entre l’ouïe et les nomades (Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXI).
(11) Les Symboles de la science Sacrée, chap. XVII ; La Grande triade, chap. VII.
(12) L’Islam et la fonction de René Guénon, p. 71.
(13) (Initiation et Réalisation spirituelle, p. 232-233). En dehors de la racine arabe QLB qui désigne le « Cœur » et le « Retournement », cet aspect doctrinal, en Islam, est en relation avec le Nom divin Al-Latîf.
Dans l’ordre des faculté individuelles, l’audition est « fixée » dans le « Livre Sacré » et, dans les traditions prophétiques, elle est accessible à toutes les « castes » par la récitation de la « Parole » dont le terme arabe Kalâm est constitué  de lettres qui servent à désigner la « Perfection » (Kamâl) et la Royauté (Malik) ; ce qui, d’un point de vue initiatique, est en rapport avec la « possession » des éléments supra-sensible véhiculés par la « Parole sacrée » dont Guénon a souligné le caractère royal (Études sur l’Hindouisme, p. 196). Du reste, la législation prophétique est analogue non pas au Mânava-dharma mais au Dharma-Shâstra ou « Livre de la loi » qui, en Inde concerne les Kshatryas (Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporel, ch. VIII,p. 102, n. 1).










[Notes complémentaires]





À propos de la note 5 du chapitre I. 


Il est opportun de rappeler la suite du texte cité par YB (Le Roi du  Monde, chap. « Les trois fonctions suprêmes ») : « “Quand il sort du temple, dit M. Ossendowski, le Roi du Monde rayonne de la Lumière divine”. La Bible hébraïque dit exactement la même chose de Moïse lorsqu’il descendait du Sinaï, et il est à remarquer, au sujet de ce rapprochement, que la tradition islamique regarde Moïse comme ayant été le “Pôle” (El-Qutb) de son époque ; ne serait-ce pas pour cette raison, d’ailleurs, que la Kabbale dit qu’il fut instruit par Metatron lui-même ? Encore conviendrait-il de distinguer ici entre le centre spirituel principal de notre monde et les centres secondaires qui peuvent lui être subordonnés, et qui le représentent seulement par rapport à des traditions particulières, adaptées plus spécialement à des peuples déterminés. Sans nous étendre sur ce point, nous ferons remarquer que la fonction de “législateur” (en arabe rasûl), qui est celle de Moïse, suppose nécessairement une délégation du pouvoir que désigne le nom de Manu ; et, d’autre part, une des significations contenues dans ce nom de Manu indique précisément la réflexion de la Lumière divine ». 


















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