LES POITRINES DES HOMMES LIBRES SONT LES TOMBEAUX DES SECRETS صدور الأحرار قبور الأسرار

mardi 10 août 2021

1moharram 1443 / 10 août 2021 -- « Les trois R » - Doriphorie 2022 -


 

 


  

 

LA MALÉDICTION

DES

« TROIS R »

 

 

 

 

 

« Il serait nécessaire de marquer nettement l’étroite solidarité qui existe entre ces trois idoles de l’esprit moderne : Renaissance, Réforme, Révolution, et de montrer qu’il y a entre elles un enchaînement logique, une continuité qui ne permet pas de les séparer si on veut en comprendre la signification profonde, car elles ne sont que les manifestations successives d’un même esprit de négation (qu’on peut justement qualifier de « satanique », car « satanisme » signifie proprement négation, inversion, destruction). Les trois termes de cette trilogie (appelons-les abréviativement « les trois R » pour en synthétiser la corrélation d’une façon plus saisissante) forment un tout, un bloc qu’il faut accepter ou rejeter intégralement ; et, si on a reconnu la nécessité de combattre ce dont ils sont l’expression historique, il ne faut pas s’arrêter à mi-chemin, mais il faut remonter jusqu’à l’extrémité de cette chaîne, où l’on a plus de chances qu’en aucun autre point de trouver la marque caractéristique des influences plus ou moins obscures qui ont présidé à la soi-disant « évolution » du monde occidental moderne. »

(R. Guénon, « Notes inédites ».)

 

 

 

 Exemple de psychopathologie collective engendrée par l’esprit des « trois R » :

 

« Les dernier secrets du goulag » ; (entretien avec Anne Applebaum)

 

A. A. : « les premiers camps apparaissent en Russie quelques mois après la révolution. Dés l’été 18, Lénine et Trotsky décidèrent de faire interner des « ennemis de classe » dans des « camps de concentration ». En fait ils emploient le terme allemand de konzentrationslager, ou kontslager, qui vient, semble-t-il, de la terminologie employée au début du XXe siècle en Afrique du Sud. La Tcheka (police politique) est chargée d’y enfermer « des représentants importants de la bourgeoisie, des industriels, des marchands, des prêtres contre-révolutionnaires et des officiers anti soviétiques ». Fin 19, on compte déjà 21 camps, un peu plus tard 107. Mais il ne s’agit là que de balbutiements de ce qui sera, finalement, le vrai goulag. Les premiers goulags ne sont que des instruments de répressions politiques. Staline, lui, va assigner à ces kontslager un autre objectif ; transformer ces camps en d’inépuisables réservoirs de main-d’œuvre forcée. 

L’idée lui est venue par un personnage étrange, appelé Nephtali Frenkel, originaire de Haïfa en Palestine. Il est arrêté en 23 pour marché noir puis envoyé au célèbre camp des îles Slovenski, dans la mer blanche. Et figurez-vous qu’il en devient très vite...le commandant. Car il réussit à faire croire à Moscou qu’il est capable de gérer un kontslager comme une entreprise, qu’il peut le transformer en une affaire dynamique et rentable. Comment ? En imposant aux détenus une règle atroce : vous manger en fonction de ce que vous travaillez. Il calcule les rations de nourriture, du pain essentiellement au prorata de la besogne accomplie. Autrement dit, il remplace le knout (fouet que l’on utilisait sous le régime impérial pour flageller les criminels) par la faim. Staline est fasciné par cette méthode qu’il juge infaillible. Du coup, il va placer l’esclavage au cœur de sa politique économique. (...) »

 (Nouvel Observateur, n° 2244.)


 

On pourrait objecter que l’orientation politique de Mme Applebaum discrédite sa « critique des faits » retenue contre le régime soviétique. De notre point de vue, c’est au contraire une position plutôt avantageuse pour en valider la pertinence car pour bien voir les travers d’une politique de droite rien n’est plus fiable que d’avoir recours aux critiques des politiques de gauche. D'ailleurs, en opérant une synthèse des critiques réciproques de ces deux idéologies, on obtient de facto un rapport des plus précis sur l’état de « non-civilisation » du monde moderne (et « post-moderne », il n'y a pas de différence entre les deux), et in fine, sur son absence d’avenir. Toujours de ce point de vue, sous le rapport de la monstruosité psychologique, il serait bien difficile de ne pas admettre une équivalence de la mentalité protestante américaine avec celle de l’esprit marxiste des soviétiques. En outre, l’action combinée et alternative de ces deux forces opposées et irréductibles ne peut, à l’instar du régime socialiste, que renforcer le statut hégémonique du capitalisme mondialisé et il est même possible de conclure que c’est là précisément que réside la fonction de tout ce qui est susceptible de s’y opposer. Notons enfin que le nationalisme et le socialisme sont des héritages directs de la Révolution française. A ce titre, toutes les idéologies composant avec quelque nationalisme que ce soit sont intrinsèquement marqué du sceau des « trois R ».

 

 

 

 

*  *  *

 

 

 LA PREMIÈRE « DORIPHORIE » DU XXIe SIÈCLE

- L’année 2022 –

 


 (Ce texte a déjà été mis en ligne le 27 safar 1439 / 15 novembre 2017 : Doriphorie 22)

 

Dans l’une de ses trois plaquettes* consacrée à la science astrologique, Michel de Socoa (Luc Benoist) avait défini les cycles cosmiques en relation avec les cycles planétaires et les grandes conjonctions dont il avait relevé les différentes positions de la période allant du début de l’ère chrétienne à l’An 2000. Il avait en outre érigé le thème de douze doriphories qu’il définissait comme « des conjonctions de conjonctions particulièrement importantes et traditionnellement d’effets redoutables » et notait à ce sujet que « les années 55, 1351, 1989 sont tout à la fois des années cycliques et des années de doriphories ». Il présentait un tableau des 29 doriphories qui ont jalonnées l’histoire de cette période en précisant que « plus le siècle s’agite relativement au nombre de doriphories qu’il comporte, plus il se caractérise par des transformations et des révolutions ». Les deux dernières grandes doriphories du XXè siècle étaient relevées par De Socoa, respectivement pour Berlin, le 23 avril 1941 à midi (correspondant à la seconde guerre mondiale), et pour Moscou, le 26 décembre 1989, dont il n’eut pas le temps de constater les « effets** ». Depuis, bien qu’aucune conjonction vraiment marquante ne se soit produite, les choses se sont considérablement dégradées et la constance du désordre pourrait bien subir encore d’irréversibles modifications à l’occasion de la prochaine grande conjonction qui aura lieu au mois de février 2022 autour du Signe du Verseau. Dans le thème de cette conjonction reproduit ici, nous pouvons distinguer l’écart qui augmente entre les trois planètes trans-saturniennes ; désormais la conjonction d’au moins deux d’entre elles plus ou moins équivalente à la dernière doriphorie du XXè siècle ne se renouvellera pas avant longtemps (leurs révolutions étant, pour Uranus, de 83 ans ; Neptune, 165 ans et Pluton, 248 ans).

Malgré qu’il n’y ait pas lieu en Astrologie traditionnelle de tenir compte des planètes découvertes par les moyens de la technologie moderne, Luc Benoist, dans sa correspondance avec Guénon, lui faisait remarquer qu’elles sont susceptibles de correspondre avec certains aspects du monde moderne, notamment du point de vue de l’astrologie mondiale, ce que Guénon n’a pas démenti (la remarque de Luc Benoist ne concernait que les considérations des trans-saturniennes en astrologie mondiale).

 

Thème monté pour Washington le 28 février 2022 à midi :

 

 

 

 

De Socoa signalait encore que les doriphories qu’il avait retenus « se distribuent sur tous les signes excepté le Verseau et les Poissons ». Ors, c’est précisément autour du premier de ces deux Signes que se regroupent ici toutes les planètes du septénaire traditionnel, depuis le 25ème degré du Capricorne avec la conjonction Vénus-Mars, jusqu’au 13ème degré des Poissons. Cette conjonction inclue la trans-saturnienne Pluton mais elle s’élargit jusqu’au 25ème degré des Poissons si l’on tient compte de Neptune. Quant à la position d’Uranus, à 16° du Taureau, bien que ne s’associant pas à cette grande conjonction, elle reste malgré tout menaçante par le carré qu’elle envoie au Milieu du Ciel conjoint à la Lune, à Mercure et à Saturne. L’Ascendant de ce thème tombe dans le Signe des Gémeaux qui correspond, en astrologie mondiale, aux Etats-Unis. Pour ce qui est des significations du verseau, il convient naturellement de retenir ici qu’elles sont liées aux innovations d’ordre technique que « les progressistes » qualifient de révolutionnaires ; Uranus est donné par les modernes comme le second maître de ce Signe traditionnellement sous la domination de Saturne. Pour ceux qui ne pourront se procurer cette plaquette, voici un résumé du chapitre VI concernant les différentes significations par Signe des doriphories dont De Socoa a relevé les positions :

 « Les doriphories qui intéressent le Cancer correspondent à des évènements particulièrement essentiels dans le domaine traditionnel, à la fois quant aux biens terrestres et quant aux idées fondamentales du groupe humain. Celles du Lion intéressent le pouvoir ; celles de la Vierge sont importantes quant aux liens d’unité intellectuelle comme d’ailleurs celles des Poissons. Celles de la Balance possèdent un caractère de bénéficité et de paix qui correspondent à des époques de stabilisation et d’expansion. Avec le Scorpion, nous revenons aux temps durs de transformation brutale et de corruption dans tous les domaines, tandis que celles du Bélier influencent le despotisme exercé par le fer et par le feu.

Celles qui touchent le Taureau visent le domaine très matériel des biens de ce monde et leur distribution nouvelle. Enfin les doriphories du Capricorne sont parmi les plus déterminantes. Ce sont d’ailleurs deux de celles-ci qui terminent le second millénaire de l’ère chrétienne, et qui semblent présider à une reconstitution totale de la figure du monde ».

 

  

* Les grandes conjonctions ; Éditions traditionnelles, Paris 1981.

** On parle souvent d’ « effets », mais il serait plus juste de parler de « correspondances analogiques » entre le « macrocosme » et le « milieu terrestre » et non d’« effets » à proprement parler.

 

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  Abyssus abyssum invocat

 

 Il est naturel que les planètes de notre système solaire se retrouvent régulièrement rassemblées dans un secteur plus ou moins restreint du zodiaque. D’un point de vue astrologique, ces « conjonctions de conjonctions » annoncent une plus grande intensité durant la période comprise entre le début de l’accroissement de la doriphorie jusqu’au terme de sa décroissance. Il faut bien comprendre que, si une tempête ne peut menacer l’équipage expérimenté d’un bon navire, de même, les turbulences occasionnées par ces conjonctions ne peuvent atteindre l’équilibre d’une civilisation traditionnelle. Il en va autrement dans des temps de crise tel que celle que nous connaissons actuellement qui concerne tous les Etats modernes de la « Démocratie » où domine l’esprit de négation spirituelle. Que dire d’un vieux navire pris au cœur d’une tornade dont on aurait cru bon de scier les mats et d’enrouler les voiles dans la cale ? L’état général de nos sociétés mondialisées ressemble à cette situation critique. On peut être certain que l’anarchie à l’origine des « trois R » évoqués ci-dessus sera la cause des vicissitudes qui vont correspondre au temps cyclique de cette prochaine doriphorie qui, en elle-même, n’est rien de plus ni moins qu’une modalité astronomique rythmant périodiquement notre condition temporelle.

 MR

  






mercredi 14 juillet 2021

Y B : ANNEXE II (suite et fin).

 


NOTE SUR LES « SCEAUX »

 

 

 

Selon Ibn Arabî :

« Le Prophète – qu’Allâh répande sur lui Sa grâce unitive et Sa Paix ! – [sic] a comparé la prophétie à un mur de brique entièrement achevé à l’exception de l’emplacement d’une brique, car il était lui-même cette brique. Là où il n’a vu, comme il l’a dit, qu’une seule brique [labinatan wâhîdatan], le Sceau des saints, qui bénéficie nécessairement de la même vision, voit dans le mur l’emplacement de deux briques, qui sont d’or et d’argent ; et il se voit nécessairement convenir lui-même pour l’emplacement des deux briques manquantes : le Sceau des Saints n’est autre que ces briques, de sorte que le mur est achevé !

La raison pour laquelle il voit deux briques (est la suivante) : extérieurement, il suit la Loi du Sceau des envoyés ; c’est l’emplacement de la brique d’argent qui représente son aspect extérieur et le fait qu’il suit les prescriptions de cette loi. D’autre part, il tire secrètement d’Allâh ce qu’il suit selon la forme apparente, car il voit l’Ordre (divin) [al-Amr] selon ce qu’il est en réalité et il ne peut le voir qu’ainsi : c’est l’emplacement de la brique d’or, à l’intérieur, car il puise à la source même dont l’ange [Gabriel] tire ce qu’il inspire à l’envoyé. Si tu comprends ce à quoi je fais allusion, tu as acquis la ‟science utile” de toute chose ».

Dans cette traduction du deuxième chapitre des Fuçûç al-Hikam consacré à Seth, Mr Gilis met cette « allusion » en rapport avec le « Dépôt de la science primordiale gardée par le Centre suprême » (Connaissance des Religions, n° 41-42, p. 90-91), ce qui est plus facile à dire qu’à démontrer, car ceux qui pourrait le démontrer n’ont aucun besoin d’avoir recours à ce genre d’affirmations gratuites, courantes chez notre auteur et qui sont totalement dénuées d’intérêt doctrinal.

En réalité, la véritable difficulté que pose ce texte est la suivante : la brique de Mohammad doit-elle être associée ou dissociée des 2 briques d’Ibn Arabî et est-ce que ce dernier ne représente pas lui-même la brique du Prophète ?

D’autre part, l’emplacement du mur sur lequel manquent les 2 briques d’Ibn Arabî est situé entre l’angle Yéménite (Sud) et l’angle Syrien (Nord) de la Kaabah, mais plus près de l’angle syrien précise le Cheikh Al-Akbar, ce qui fait manifestement allusion au Nord-Est, c’est-à-dire au deva-yana. Pour bien comprendre ce dont il s’agit ici, il nous faut, une fois de plus, revenir à l’enseignement de Guénon à propos des briques perforées (swayamâtrinnâ) qui est très proche du symbolisme évoqué ici :

« il s’agit de trois briques ou pierres de forme annulaire, qui, superposées, correspondent aux ‟trois mondes”  (Terre, Atmosphère et Ciel), et qui, avec trois autres briques représentant les ‟Lumières universelles”  (Agni, Vâyu et Aditya), forment l’Axe vertical de l’Univers. De ces trois briques superposées, la plus basse correspond architecturalement au foyer (auquel l’autel lui-même est d’ailleurs identifié, étant également le lieu de la manifestation d’Agni dans le monde terrestre), et la plus haute à l’‟œil” ou ouverture centrale du dôme ; elles forment ainsi, comme le dit Coomaraswamy, à la fois une ‟cheminée” et un ‟chemin” ‟par où Agni s’achemine et nous-mêmes devons nous acheminer vers le Ciel”. En outre, permettant le passage d’un monde à un autre, qui s’effectue nécessairement suivant l’Axe de l’Univers, et cela dans les deux sens opposés, elles sont la voie par laquelle les Dêvas montent et descendent à travers ces mondes, en se servant des trois ‟Lumières universelles” comme d’autant d’échelons, conformément à un symbolisme dont l’exemple le plus connu est celui de l’‟échelle de Jacob”. Ce qui unit ces mondes et leur est en quelque sorte commun, quoique sous des modalités diverses, c’est le ‟Souffle total” (sarva-prâna), auquel correspond ici le vide central des briques superposées [et « Vâyu qui correspond au monde intermédiaire »] (Symboles de la Science sacrée, ch. XLII, p. 333-334) ; c’est aussi, suivant un autre mode d’expression équivalent au fond, le sûtrâtmâ qui, comme nous l’avons déjà expliqué ailleurs, relie tous les états de l’être entre eux et à son centre total, généralement symbolisé par le soleil, de sorte que le sûtrâtmâ lui-même est alors représenté comme un « rayon solaire », et plus précisément comme le « septième rayon » qui passe directement à travers le soleil » (Ibid.).

Ainsi, la brique d’or qui correspond à l’aspect « intérieur » et qui est située sur la partie supérieure du mur pourrait correspondre à Aditya, et la brique d’argent qui correspond à l’aspect « extérieur » et qui est située sur la partie inférieure du même mur serait alors en rapport avec Agni ; et dans cette perspective, Ibn Arabî en tant que Sceau  « intermédiaire » entre Muhammad (brique d’argent) et Aïssa (brique d’or) pourrait très bien être en relation avec Vâyu.

« Pour revenir à la considération de la plus haute des trois briques perforées de l’autel védique, on peut dire que la « porte solaire » se situe à sa face supérieure (qui est le véritable sommet de l’édifice total), et la « porte lunaire » à sa face inférieure, puisque cette brique elle-même représente le Swarga ; d’ailleurs, la sphère lunaire est effectivement décrite comme touchant à la partie supérieure de l’atmosphère ou du monde intermédiaire (Antariksha), qui est ici représenté par la brique médiane. On peut donc dire, dans les termes de la tradition hindoue, que la « porte lunaire » donne accès à l’Indra-loka (puisque Indra est le régent du Swarga) et la « porte solaire » au Brahmaloka ; dans les traditions de l’antiquité occidentale, à l’Indra-loka correspond l’« Élysée » et au Brahma loka l’« Empyrée », le premier étant« intra-cosmique » et le second « extra-cosmique » ; et nous devons ajouter que c’est la « porte solaire » seule qui est proprement la « porte étroite » dont nous avons parlé précédemment, et par laquelle l’être, sortant du Cosmos et étant par là même définitivement affranchi des conditions de toute existence manifestée, passe véritablement « de la mort à l’immortalité »* (Symboles de la Science sacrée, ch. XVIII, p. 336-337).

Ceux qui pourraient s’offusquer de la relation ainsi établie entre la fonction prophétique législative et la « porte lunaire » feraient bien de réfléchir au fait que cette relation a son fondement coranique par le biais du terme nafs qui désigne l’âme, car Allâh dit à Moïse, le fondateur de la religion : « Je t’ai assigné à moi-même  » [*] et la fonction prophétique est elle-même envisagée comme procédant de « nos âmes » : laqad jâ’a-kum rasûlun mîn anfusi-kum (cf. Marie en Islam, p. 22, n. 13 – En sanskrit le pronom personnel (soi-même – nafsî) âtmân dérive du terme qui désigne l’Esprit universel (âtmâ).

Du reste, ces quelques considérations sont aussi en rapport avec la nafs natiqah ; toutes les doctrines traditionnelles montrent que le « mental » dans l’homme est double, suivant qu’on le considère comme tourné vers les choses sensibles, ce qui est le mental pris dans son sens ordinaire et individuel, ou qu’on le  transpose dans un sens supérieur, où il s’identifie à l’hégemôn de Platon ou à l’antar-yâmi de la tradition hindoue.

Signalons encore qu’une expression akbarienne courante comme « ni par l’intellect, ni par la loi » n’implique pas nécessairement une « association » entre ces deux termes et qu’elle pourrait même faire allusion à deux domaines différents qui sont respectivement celui de l’Esprit et celui de l’Âme. Autrement dit, elle pourrait désigner la « non-dualité » ou le « secret » (sirr), c'est-à-dire l’inexprimable.

Enfin il n’est peut-être pas inutile de souligner que la conception islamique de la fonction de « Sceau » implique la considération de la succession et donc, celle corrélative du temps ; ce qui ne concerne manifestement que certains états d’existence.

« La ‟Révélation” est reçue, non dans le mental, mais dans le corps de l’être qui est ‟missionné” pour exprimer le Principe » dit Guénon à propos de la descente du Coran. C’est l’aspect charnel du Verbe selon Jean et cet aspect est assimilé par la pratique rituelle de la langue sacrée.

 

 

 

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* Selon Ibn Arabî, la Balance est sous les « étoiles fixes » où se trouve le « Lotus de la limite » du monde manifesté (Sidrât al-muntana) ; Futûhât, ch. 560,  (extraits traduits par M. Vâlsan, op.cit.). Le raf raf pourrait symboliser le « 7ème rayon ».

 [*] La référence coranique signalée dans le texte est fautive (MR).




 



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ÉPILOGUE

 

 

Ces Aperçus sur le « Retournement » furent rédigés en 1996-97. Quelques années plus tard, Y. B. m’a remis un jeu de photocopie de son tapuscrit de 54 pages comprenant l’Annexe et de nombreux graphiques. Dans une correspondance doctrinale datant du 4 avril 2011, celui-ci précise que le texte de ses Aperçus dont il ne possédait aucune version numérique, est pour lui « illisible aujourd’hui » et il ajoutait : « je le reprends thème par thème en articles séparés […] surtout à usage maçonnique ». Ce fut plusieurs de ces thèmes qu’il reprit spécialement en articles pour VLT alors que j’étais responsable de cette revue. Il faut croire que certains maçons n’apprécient guère les écrits de Y. B. ; l’administrateur J. B. P. qui avait récupéré VLT à la mort de Roland Goffin, m’avait menacé de laisser tomber la fabrication de sa revue si je persistais à publier ce genre d’écrit. Sans doute pour d’autres raisons, les articles de Y. B. ne plaisaient pas d’avantage aux vâlsaniens. Que cela plaise ou déplaise, l’intérêt doctrinal susceptible d’être retiré de cette étude nous parait largement suffisant pour justifier sa publication et permettre de toucher les personnes auxquelles l’auteur entendait s’adresser. Je l’ai  donc entièrement numérisé en le découpant en XV chapitres titrés afin de le rendre plus accessible. Depuis le 23 mars 2017, date de la mise en ligne du premier extrait - « À propos de la ‟wahdah al-wujûd” et du concept de ‟réalisation suprême” » - qui constitue le chapitre VIII, la totalité du texte est parue dans La Fin des Temps modernes. J’espère que l’illisibilité reconnue par son auteur est atténuée en partie par la segmentation en chapitres. Le texte est restitué tel que, sans aucun commentaire. Il sera bientôt disponible en pdf à l’adresse suivante :

<findestempsmodernes72@gmail.com>.

 

 

MR

 




mardi 6 juillet 2021

Les troubles de l'année 1789 prévus en 1414

 Cet article fut mis en ligne le 18 mars 2010 sous le titre : « un exemple d’ ‟astromancie” traditionnelle » (111 visites).





La Révolution française prédite en l’année 1414*

 




Pierre d’Ailly (Petrus de Alliaco), né en 1330, surnommé « L'Aigle de la France » et « le marteau des hérétiques », chancelier de l’université de Paris, aumônier de Charles VI, évêque de Cambrai, cardinal, légat du pape, a composé plusieurs traités d’astronomie ou plutôt d’astrologie, où il se propose d’établir la concordance de l’astronomie et de l’histoire. L’un de ces traités a pour épitaphe : « Comme d’après les philosophes, deux vérités ne peuvent jamais se contredire, les vérités astronomiques doivent être toujours d’accord avec la théologie. » On sait que c’était aussi l’opinion de Newton .
Conformément au livre d’Albumazar (1) sur les Grandes conjonctions (2), le cardinal d’Ailly reconnaît, avec tous les astronomes de son temps, l’influence redoutable des grandes révolutions de la planète Saturne : non-seulement ses conjonctions avec Jupiter produisent un refroidissement extrême, mais elles sont fatales aux individus aussi bien qu’aux empires.
Or, en l’année 1414, le cardinal d’Ailly déclare que la huitième de ces grandes conjonctions aura lieu l’an du monde 7040, et qu’après elle, dans l’année 1789 de notre ère, une des grandes périodes de Saturne sera accomplie. « Dés lors, si le monde existe encore en ce temps là (ce que Dieu seul peut savoir), il y aura de nombreux, de grands, d’extraordinaires changements et troubles dans le monde, principalement en ce qui a rapport aux institutions (leges). » (Opp., p . 118h.)
Le cardinal ajoute qu’il ne peut pas préciser combien de temps le monde pourra survivre à cette épouvantable année 1789 ; il croit cependant qu’à la suite l’Antéchrist et son abominable gouvernement ne tarderont pas à paraître. « C’est, dit-il, sinon une certitude, du moins une conjecture très vraisemblable d’après toutes les indications astronomiques. »
Cette prédiction singulière n’est point de celles que l’ambiguïté ou le vague de leurs expressions permettent d’interpréter de différentes manières. Tout lecteur peut la vérifier dans le texte de Pierre d’Ailly, imprimé à Louvain (en 1490, suivant Launoy) avec les œuvres de Gerson (Tractatus de concordiâ astronomicae veritatis cum narratione historica, Opp., p. 117 b. et suiv.).



 * Ce texte parut en 1855 dans Le Magasin Pittoresque  (28 ème année).
(1)  De son nom arabe Abû Ma‘shar, astrologue musulman (voir notice ci-dessous).
(2) De magnis conjonctionibus ; imprimé seulement en 1515, à Venise.








Abū Ma‘shar

 

Ja‘far ibn Muḥammad al-Balkhī  (787– 886), bien connu dans le monde arabe sous le nom d'Abū Ma‘shar, vivait à Bagdad au IXe siècle. Il fut contemporain du philosophe al-Kindi et était muhadhîthun (spécialiste de la science du hadîth). Il s'intéressa tardivement au ‘ilm al-nujûm et devint un astrologue important. Il était aussi connu comme mathématicien et philosophe, ce qui fut le cas de tous les savants astrologues de son époque puisque que l’astrologie et l’astronomie, traditionnellement, ne font qu’une seule science ; ses connaissances intégraient les savoirs des cosmologies persane, grecque et mésopotamienne. Ses écrits furent traduits en latin au XIIe siècle et, par leur large diffusion, eurent une influence sur les savants de la chrétienté médiévale. C’est notamment par l'introduction : Kitab al-mudkhal al-kabīr, une des œuvres les plus importantes avec d’autres nombreux traités d’astrologie tels que ceux de d’Al-Bîrûnî, que furent transmises les sciences cosmologiques au monde européen.











mardi 22 juin 2021

L’ ESPRIT MÉDIÉVAL

 




 

 

 

L’ESPRIT MÉDIÉVAL

&

Les transmissions de la civilisation arabo-islamique

 






René Guénon considère le règne de Philippe le Bel, et plus tard les traités de Westphalie, comme marquant le terme de la période médiévale dont le franchissement va correspondre à des changements profonds. La malédiction des « trois R » (1) fait son entrée sur la scène européenne. Résumons : dès la Renaissance, avec l’idée du progressisme, s’enchainent trois siècles de décadence spirituelle inaugurée par la Réforme : la perspective de profits exclusivement économiques et matériels se répand en Europe et s’étend par la conquête des terres appartenant à d’autres civilisations ; la tentative d’extermination de certaines de leurs ethnies ; le déclin de la Royauté et enfin, la Révolution. On ne pouvait pas mieux préparer le terrain de l’éclosion industrielle et les conditions nécessaires à sa propagation, accompagnées des fureurs du nationalisme dont les guerres mêlées à des massacres ethniques sans précédent seront le résultat immédiat. De nouveaux émigrants arrivent en Amériques exportant la maladie réformatrice et les « lumières » du progrès tout en procédant à la plus grande extermination ethnique de l’histoire de l’humanité. À partir de la Révolution française, en deux siècles, la catastrophe devient presque immédiatement internationale. La perte définitive des vraies connaissances a laissé progressivement la place à tous les déséquilibres contaminant l’ensemble des sociétés gagnées à une nouvelle idole, la « Démocratie ». L’agitation continuelle, la dégradation de la vie sociale, l’obsession de la réussite individuelle, chacun peut facilement prolonger la liste des fléaux accumulés par le Progrès en majesté.

Le bilan est simplement accablant, et, il faut quand même admettre que les penseurs du monde moderne ne doutent vraiment de rien pour qualifier d’« obscurantistes » les mœurs, lois et coutumes des sociétés qui ont précédé la nôtre. À condition de dissiper les préjugés durablement diffusés dans les mentalités, l’Antiquité et le Moyen-âge apparaissent comme tout autre chose que les conceptions fabriquées (2) par l’histoire officielle. On peut facilement constater que la critique des faits rassemblés pour l’élaboration historique de toute la période médiévale est lacunaire ; on pourrait accuser les intentions orientées des historiens et leurs interprétations partisanes sans beaucoup se tromper, mais le plus simple est de considérer déjà ce qu’ils ont été incapable de voir, ou plutôt n’ont délibérément pas voulu voir, ne serait-ce que dans l’apport de la translatio studiorum (3).

Aristote était déjà connu dans le monde oriental avant la naissance de l’Islâm, notamment chez les Nestoriens et les Jacobites, qui associèrent théologie et philosophie (*). On sait également que les doctrines hindoues, notamment la logique et la métaphysique, ont influencé la philosophie grecque (4) ; pourtant, comme l’a noté l’auteur de La crise du monde moderne, l’importance de l’héritage grec dans la « civilisation européenne » revendiquée par la culture officielle, est surévaluée. La science et la philosophie grecque furent effectivement transmises aux européens

« mais seulement après avoir été étudiées et approfondies dans le Proche-Orient par des traducteurs et des savants arabes, persans et indiens (5) »,

ce qu’en général les penseurs et particulièrement les historiens imprégnés de progressisme et de nationalisme se gardent bien de dire. Cette transmission s’effectua en grande partie à partir du califat de Bagdad dont le but premier était l’éducation (adab) de la communauté musulmane par le Savoir qu’il était recommandé d’aller rechercher, même « jusqu’en Chine », si possible.

« Les deux premiers siècles du khalifat correspondent à l’acculturation philosophique des Arabes, à l’essor de la philosophie de l’Islam et dans l’Islam, bref à l’une des plus riches périodes intellectuelles qu’aient connu l’Orient musulman et l’Orient chrétien (6).

 

C’est par le véhicule de la langue arabe que vont nous parvenir, grâce aux traductions des savants arabes et persans, principalement sous le règne d’Haroun al-Rashîd à Bagdad, la ville la plus importante de l’Orient à cette époque (7). De nombreux textes de différentes origines ont été traduits vers le latin, notamment dans l’Espagne musulmane et chrétienne. Mais, déjà,  

 « Le nom d’Haroun était alors célèbre dans les partie les plus reculées du monde connu. La Tartarie, l’Inde, la Chine envoyaient des ambassadeurs à sa cour. Le puissant Empereur Charlemagne, véritable souverain d’Occident, qui régnait de l’Atlantique jusqu’à l’Elbe, mais ne régnait que sur des barbares, chargea des ambassadeurs de lui porter ses vœux et de solliciter sa protection pour les pèlerins qui se rendaient à Jérusalem. Haroun accorda la protection demandée et renvoya les ambassadeurs avec de magnifiques présents. On voyait parmi eux un éléphant richement orné, animal entièrement inconnu en Europe, des perles, des bijoux, de l’ivoire, de l’encens, des étoffes de soi et enfin une horloge qui marquait et sonnait les heures » (8).

Il y a lieu d’ajouter que Charlemagne, le fondateur du Saint-Empire, reçut également des ambassadeurs d’Haroun al-Rachid, les « clés du Saint-Sépulcre » (9). L’apport de la civilisation arabe au monde européen ne s’arrête pas là. L’influence du savoir traditionnel islamique se fit sentir à Padoue en Italie, en Sicile, à Tolède où Raymond l’archevêque commença la traduction en latin des plus grands auteurs arabes. Le succès de ces nouvelles connaissances, du douzième au treizième siècle, fut considérable ; on connut ainsi Rhazès, Albucasis, Avicenne, Averroès, et, les philosophes grecs : Galien, Hippocrate, Platon, Aristote, Euclide, Archimède, Ptolémée. Plus de trois cents traités de médecine arabe furent également traduits. Quant au domaine des sciences mathématiques,

« (...) ce n’est pas seulement la science grecque qui a été transmise à l’Occident par l’intermédiaire de la civilisation islamique mais aussi la science hindoue. Les Grecs avaient aussi développé la géométrie, et même la science des nombres, laquelle pour eux, était toujours rattachée à la considération des figures géométriques correspondantes (...). Il existe cependant une autre partie des mathématiques appartenant à la science des nombres qui n’est pas connue, comme les autres sous une dénomination grecque dans les langues européennes, pour la raison que les anciens grecs l’ont ignorée. Cette science est l’algèbre, dont la source première est l’Inde et dont l’appellation arabe montre assez bien comment elle a été transmise à l’Occident » (10).

Avec les mathématiques et l’algèbre s’est imposé l’usage des chiffres indiens connus chez nous comme « chiffres arabes » (11). La somme de toutes ces connaissances va constituer un apport intellectuel décisif au cœur des sociétés chrétiennes européennes. Celles-ci vont lui devoir principalement, outre la philosophie d’Aristote accompagnée des commentaires d’Ibn Rush (Averroès), les traités d’Alchimie (al-kimiyah), l’astronomie et l’astrologie (le ´ilm al-nujûm qui désigne en arabe l’une et l’autre de ces deux sciences qui n’en font qu’une en réalité), la physique et les sciences naturelles auxquelles il faut ajouter l’architecture. Pour ce qui concerne la médecine, les musulmans y ont excellé durant tout le Moyen-âge, et leurs ouvrages furent pris en compte par les cercles médicaux de la Renaissance jusqu’au XVIIème siècle.

« Pour les sciences naturelles, nous savons que certaines d’entre elles ont été transmises à l’Europe de façon complète, et ce qu’est devenue la chimie (dont l’origine est l’alchimie), en a même gardé le nom arabe, de même qu’un grand nombre de corps célestes et de termes techniques qui se sont maintenus dans les conceptions modernes de l’astronomie » (12).

La plupart des connaissances concernant les contrées éloignées d’Asie ou d’Afrique ont été acquises par des explorateurs arabes qui visitèrent ces régions. Les récits d’Ibn Battûta, par exemple, sont restés dans toutes les mémoires. On pourrait voir également chez Ibn Khaldûn les premiers travaux d’ethnologie, de sociologie et d’histoire.

Afin de réfuter définitivement la récupération idéologique de quelques nationalistes chrétiens, dès la parution de l’ouvrage de Guggenheim (Aristote au Mont St. Michel), il est nécessaire de préciser que la philosophie connue sous le nom de scolastique est distinguée en musulmane, juive et chrétienne, et que c’est par les arabes qu’elles furent transmises aux élites latines. Même si des personnalités isolées purent connaître Aristote auparavant, à l’instar des Nestoriens et des Jacobites, cela ne modifie en rien la réalité factuelle de la transmission des connaissances qui ne se limitèrent pas comme le voudraient ces pseudos-chrétiens réactionnaires à la seule philosophie d’Aristote. D’ailleurs, il n’y eut pas que la philosophie et la science,

« […] en ce qui concerne la littérature et la poésie, bien des idées provenant des écrivains et des poètes musulmans, ont été utilisées dans la littérature européenne et que même certains écrivains occidentaux sont allés jusqu’à l’imitation pure et simple de leurs œuvres. De même, on peut relever des traces de l’influence islamique en architecture, et cela d’une façon toute particulière au Moyen Age ; ainsi, la croisée d’ogive dont le caractère s’est affirmé à ce point qu’elle à donné son nom à un style architectural, a incontestablement son origine dans l’architecture islamique, bien que de nombreuses théories fantaisistes aient été inventées pour dissimuler cette vérité. Ces théories sont contredites par l’existence d’une tradition chez les constructeurs eux-mêmes affirmant constamment la transmission de leurs connaissances à partir du Proche-Orient.

Ces connaissances revêtaient un caractère secret et donnaient à leur art un sens symbolique ; elles avaient des relations très étroites avec la science des nombres et leur origine première a toujours été rapportée à ceux qui bâtirent le Temple de Salomon » (13).

On sait que dans le domaine particulier de la « littérature », Don Miguel Asin Palacios, un orientaliste espagnol du siècle dernier, a étudié l’œuvre de Dante et a mis en évidence les influences musulmanes en démontrant que

 « des symboles et des expressions employés par ce grand poète l’avaient été auparavant par le plus grand des maîtres çûfî, Sidi Mohyid-dîn Ibn-Arabî » (14).

Il y aurait encore bien d’autres transmissions à mentionner, notamment les échanges qui eurent lieu avec les Templiers durant les Croisades, mais il faut également considérer ce qui est également passé sous silence par les universitaires, à savoir : la transmission et l’inspiration des idées qui ont donné naissance à « l’idéal chevaleresque » qui furent partagées autant par le monde chrétien que musulman.

 

Dès le début du XIe siècle, lorsque débutèrent les croisades bourguignonnes en Espagne, les chevaliers chrétiens entrèrent en contact avec la chevalerie musulmane. Les premières chansons de geste célébrèrent la Vaillance et la chevalerie des « ennemis sarrasins » ; on reconnaissait que des vertus comme la loyauté, la générosité et l’esprit de justice n’étaient pas le monopole des chrétiens et on savait que leurs adversaires musulmans manifestaient les mêmes qualités de noblesse. C’est d’ailleurs un arabe qui déclara « plus haut un peuple place la femme, plus haut il se place lui-même » ; La spiritualité de l’Islâm, diffusée par l’enthousiasme des premiers musulmans gagna de nombreux peuples de l’Inde à l’Occident. Ils insufflèrent la connaissance et la sagesse coranique qui se manifestent fondamentalement avec l’idée de la « Miséricorde » et de l’Amour divin, la « rahmah ». C’est ainsi que l’Amour courtois qui est à la base de l’éducation chevaleresque repose sur «  les vertus de l’Amour (muhabbah) et de Générosité (karamâh) qui impliquent l’éducation et le noble comportement (adab) que la Chevalerie (futuwwah) manifestera par l’ « idéal amoureux » (15). Abû Bakr Ibn Dawûd, un théologien zâhirite, considérant qu’Allâh transcende l’amour humain, voyait comme idéal licite l’amour pur ou « platonique » comme support pour l’élévation spirituelle sur la « voie d’Allâh » :

« La nature du ‟pur amour” (hobb ´odhri) qui d’après la légende aurait été conçu et pratiqué pour la première fois par les poètes de la tribu arabe des Banû al-‘Odhrah (Fils de la virginité) ».

 Un siècle plus tard,

« c’est dans l’Espagne mauresque que nous retrouvons le  ‟pur amour”, surtout chez Alî Ibn Hazm, auteur du célèbre […] « Collier de la Colombe » […] ».

On trouve, en effet, dans cette œuvre, de nombreux termes arabes correspondants à la terminologie provençale, ainsi le terme

« washi n’est autre que le « Iosengier » (médisant, calomniateur), familier à tous les provençalisants » […].

 « Même en Espagne il n’y eut pas de frontière close entre Chrétiens et Musulmans ; entre beaucoup d’émirs sarrazins et de rois espagnols existaient des liens d’amitiés.

Le roi et “empereur” Alphonse de Castille ne faisait guère de distinction entre sujets chrétiens et musulmans ; il aimait à se dire “roi des hommes des deux religions”. De cet Alphonse de Castille les troubadours disaient qu’il avait “conquis la joie” ; la signification courtoise en était que ce roi-chevalier avait atteint le terme de “science du bonheur”, de la “gaie science” ou du “gai savoir” (gay saber), suprême degré de sagesse chevaleresque dont “joven”, la jeunesse du cœur, et “joye”, la joie de l’esprit, étaient des attributs perpétuels.

Le gendre de ce roi de Castille était Alphonse d’Aragon, lui-même troubadour, que les chevaliers provençaux appelaient leur “confrère en courtoisie”.

[…]

Après son retour de Syrie, Guillaume d’Aquitaine se rendait à plusieurs reprises en Espagne pour assister ses deux beaux-frères espagnols, poussant jusqu’à Cordoue, centre du nouveau genre de chanson lyrique andalouse et résidence d’Ibn Qûzman, l’illustre maître de ce genre. Après ces séjours en Espagne, Guillaume brusquement changea le style et la structure de ses poèmes, conformes désormais aux poésies courtoises d’Ibn-Qûzman. (16)

Selon F. Vreede, il faut encore prendre en compte l’Hermétisme,  en raison de certaines allusions à l’Alchimie chez Guillaume de Poitier, duc d’Aquitaine. Quant à Marie,

« Comtesse de Champagne, grande dame et petite souveraine de Cours d’amour, [elle] était la fille de l’illustre Eléonore (Aliénor) qui successivement fut reine de France et reine d’Angleterre, qui était elle-même la fille de Guillaume [X] d’Aquitaine, et qui par la tradition courtoise de son père se propagea dans la France du Nord (17) ».

Les arabes ont les premiers intégrés les sciences hermétiques (18). Ils exprimaient l’analogie du microcosme et du macrocosme avec cette parole : ‟le monde est un grand homme et l’homme un petit monde ” (al-‘âlam insân kabir wa al-insân ‘âlam çaghir).  De cette idée, le principe de réalisation exprimé dans un hadîth très souvent mentionné par Ibn ‘Arabî, « man ‘arafa nafsahu arafa rabbah* », devient la réalité spirituelle de la « sagesse chevaleresque se transcendant en ‟sainteté” » :

« […] cette “philosophie des chevaliers” montrait un double aspect, spéculatif et réalisateur : elle comportait un enseignement préparatoire et théorique, de caractère “ cosmologique”, et, y correspondant, une discipline pratique de caractère “alchimique”, comparable aux “techniques de réalisation intérieure” orientale. Les chevaliers arabes appelaient cette discipline “al-kimia es-saâdah” (l’alchimie de la félicité) : c’était la même discipline que l’“art royal” des chevaliers chrétiens, ayant pour but le développement complet de la personnalité humaine » (19).

Il est remarquable que l’on retrouve ce même esprit chevaleresque dans l’Europe chrétienne durant toute la période médiévale :

« La Chrétienté était identique à la civilisation occidentale, fondée alors sur des bases essentiellement traditionnelles, comme l’est toute civilisation normale, et qui allait atteindre son apogée au XIIIe siècle ; la perte de ce caractère traditionnel devait nécessairement suivre la rupture de l’unité même de la Chrétienté. Cette rupture, qui fut accomplie dans le domaine religieux par la Réforme, le fut dans le domaine politique par l’instauration des nationalités, précédée de la destruction du régime féodal ; et l’on peut dire, à ce dernier point de vue, que celui qui porta les premiers coups à l’édifice grandiose de la Chrétienté médiévale fut Philippe le Bel, celui-là même qui, par une coïncidence qui n’a assurément rien de fortuit, détruisit l’Ordre du Temple, s’attaquant par là directement à l’œuvre même de saint Bernard » (20).

 

On connaît la suite de l’histoire de France et des autres pays européens. À la Renaissance, le contenu spirituel des connaissances transmises  par la tradition arabo-islamique (21) échappera aux héritiers humanistes de la tradition chrétienne et on s’empressera d’oublier l’essence spirituelle que doit animer toute connaissance dans une civilisation digne de ce nom. Le Christianisme déclinera rapidement et le Savoir va progressivement s’amoindrir jusqu’à se réduire à son plus bas niveau pour servir la volonté de puissance et la folie ethnocidaire de l’homme moderne (22). Sur ce dernier aspect, on peut évaluer à leurs justes mesures les faits humains retenus par l’histoire officielle.

 

* « Qui se connaît connaît son Seigneur. »

 

 

 

 


 


 

 



 

NOTES

 

 

 

Traduction du hadîth :

 

« Abû Huraîrah (radî Allâh ‘anhu) a rapporté : ‟L’Envoyé d’Allâh (çalla ‘alayhi wa salâm) a dit : - Celui qui connait une des sciences permettant d’obtenir l’agrément (wajhi) d’Allâh (‘aza wa jal) et qui ne l’intègre que pour tirer profit de ce bas-monde ne sentira pas le goût du Paradis au jour de la Résurrection -” ».

 

 

 (1) Renaissance, Réforme, Révolution : « Il serait nécessaire de marquer nettement l’étroite solidarité qui existe entre ces trois idoles de l’esprit moderne : Renaissance, Réforme, Révolution, et de montrer qu’il y a entre elles un enchaînement logique, une continuité qui ne permet pas de les séparer si on veut en comprendre la signification profonde, car elles ne sont que les manifestations successives d’un même esprit de négation (qu’on peut justement qualifier de « satanique », car « satanisme » signifie proprement négation, inversion, destruction). Les trois termes de cette trilogie (appelons-les abréviativement « les trois R » pour en synthétiser la corrélation d’une façon plus saisissante) forment un tout, un bloc qu’il faut accepter ou rejeter intégralement ; et, si on a reconnu la nécessité de combattre ce dont ils sont l’expression historique, il ne faut pas s’arrêter à mi-chemin, mais il faut remonter jusqu’à l’extrémité de cette chaîne, où l’on a plus de chances qu’en aucun autre point de trouver la marque caractéristique des influences plus ou moins obscures qui ont présidé à la soi-disant « évolution » du monde occidental moderne » (Guénon, Notes inédites).

 (2) « Fabriqué » est un terme utilisé sans vergogne par certains animateurs d’une émission de France-Culture : « fabrique de l’histoire » ; ce qui sous-entend, fabrique de l’idéologie, fabrique de la politique, fabrique de la propagande et naturellement fabrique de la culture. La terminologie est chose bien instructive : une radio fabriquée pour une « pensées fabriquée ». 

(3) Cf. Alain de Libéra, La Philosophie médiévale ; PUF.

(4) « Après Aristote, les traces d’une influence hindoue dans la philosophie grecque deviennent de plus en plus rares, sinon tout à fait nulles, parce que cette philosophie se renferme dans un domaine de plus en plus limité et contingent, de plus en plus éloigné de toute intellectualité véritable, et que ce domaine est, pour la plus grande partie, celui de la morale, se rapportant à des préoccupations qui ont toujours été complètement étrangères aux Orientaux. Ce n’est que chez les néo-platoniciens qu’on verra reparaître des influences orientales, et c’est même là qu’on rencontrera pour la première fois chez les Grecs certaines idées métaphysiques, comme celle de l’Infini. Jusque là, en effet, les Grecs n’avaient eu que la notion de l’indéfini, et, trait éminemment caractéristique de leur mentalité, fini et parfait étaient pour eux des termes synonymes ; pour les Orientaux, tout au contraire, c’est l’Infini qui est identique à la Perfection. Telle est la différence profonde qui existe entre une pensée philosophique, au sens européen du mot, et une pensée métaphysique (...) » (R. Guénon, Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues, ch. IV). 

 (5) R. Guénon, Apercus sur l’ésotérisme islamique et le Taoïsme ; chap. VIII, « Influence de la civilisation islamique en Occident ».

(6) La Philosophie médiévale, p. 70, ibid. Notons que la philosophie n’est pas à elle seule toute la richesse « intellectuelle qu’ai connue l’Orient musulman… ».

(7) « Qu’ils soient chrétiens ou musulmans c’est en arabe que les philosophes et les penseurs s’expriment à la fin du IX e siècle apr. J.-C. / IIIe siècle H. Ce changement de langue correspond à une nouvelle étape de la translation des études. La philosophie pratiquée par les nestoriens et les jacobites dans l’horizon de la théologie chrétienne passe désormais dans la sphère politique culturelle des khalifes musulmans. Le changement de terrain social de la philosophie correspond à un changement de fonction idéologique et à une extension du corpus philosophique lui-même : on lit plus de textes avec les khalifes qu’on ne le faisait dans les monastères ou les écoles chrétiennes, et, surtout, on lit d’autres textes. Aristote, l’Aristote logicien des syriaques cède la place à un Aristote intégral et plus qu’intégral : proliférant, apocryphe, pseudépigraphe.  Les péripatéticiens – Alexandre d’Aphrodise – et les néo-platoniciens – Plotin, Porphyre, Proclus – réapparaissent au jour ; bref la quasi-totalité des grands auteurs de l’Antiquité tardive passe dans les mains des Arabes. La reconstitution du volume de production et de discussion philosophiques du VIe siècle, quatre siècles plus tard, suppose un mouvement de traduction sans exemple dans l’histoire de l’humanité. C’est grâce à la volonté politique du pouvoir abbâsside qu’il se réalise en quelques décennies » (Ibid. p. 72).

8) Il s’agissait d’une « horloge à eau ». On rapporte qu’à la cour de Charlemagne, lorsqu’elle tomba en panne, personne ne fut capable d’en comprendre le mécanisme pour la réparer  (Extrait de La Civilisation des Arabes, Gustave Le Bon).

(9) On sait que le « pouvoir des clés » est une notion spécifiquement hermétique. C’est sans doute là que furent inaugurés les liens entre l’hermétisme chrétien et l’hermétisme islamique (Cf. Aperçus sur l’Initiation, chap. XLI).

(10) AEIT, chap. VIII, opus cite.

« Après Aristote, les traces d’une influence hindoue dans la philosophie grecque deviennent de plus en plus rares, sinon tout à fait nulles, parce que cette philosophie se renferme dans un domaine de plus en plus limité et contingent, de plus en plus éloigné de toute intellectualité véritable, et que ce domaine est, pour la plus grande partie, celui de la morale, se rapportant à des préoccupations qui ont toujours été complètement étrangères aux Orientaux. Ce n’est que chez les néo-platoniciens qu’on verra reparaître des influences orientales, et c’est même là qu’on rencontrera pour la première fois chez les Grecs certaines idées métaphysiques, comme celle de l’Infini » (Guénon, ch. IV, IGEDH).

(11) « (...) les nombres 3, 4, et 5, dont les figures géométriques correspondantes sont le triangle, le carré et le cercle. En effet, les Arabes, qui ont transmis leur numérotation au monde occidental, figurent le chiffre cinq par un cercle », (Denys Roman : René Guénon et le Destin de la Franc-Maconnerie, ch. I  « Pythagorisme et Maçonnerie »).

(12) « Influence de la civilisation islamique en Occident », ibid.

(13) Ibid.

(14) Ibid.

(15) Cf. L’IDÉAL CHEVALERESQUE ET COURTOIS DANS LA LITTERATURE FRANCAISE DU MOYEN ÂGE, LEÇON INAUGURALE ; Frans Vreede, professeur de langue française à la faculté des lettres de l’université à Djakarta. Ed. J. B. Wolters – Djakarta, Groningue – 1954. (On peut lire l’intervention de F. Vreede dans René Guénon et l’actualité de la pensée traditionnelle - Actes du colloque international de Cerisy-la-salle :13-20 juillet 1973 – qui est certainement la plus intéressante, et la moins bien comprise, si l’on s’en tient à la table ronde qui lui fait suite - en l’absence de Vreede-).

(16) Ibid.

(17) Ibid.

(18) Les sciences hermétiques qui seront dévoyées à partir de la Renaissance et surtout du XXVIIIème siècle par les spirites et les occultistes qui sont à l’origine  des courants psychiques résiduels, tels que l’anthroposophisme contemporain et toutes les dérives du « new-âge ».

« Il faut noter tout d’abord que ce mot  ‟hermétisme” indique qu’il s’agit d’une tradition d’origine égyptienne, revêtue par la suite d’une forme hellénisée, sans doute à l’époque alexandrine, et transmise sous cette forme, au moyen âge, à la fois au monde islamique et au monde chrétien, et, ajouterons-nous, au second en grande partie par l’intermédiaire du premier (*), comme le prouvent les nombreux termes arabes ou arabisés adoptés par les hermétistes européens, à commencer par le mot même d’ ‟alchimie” (el-kimyâ)  » (Ibid. Guénon, A I, ÉT, § XLI).

  (*) Ceci est encore à rapprocher de ce que nous avons dit des rapports qu’eut le Rosicrucianisme, à son origine même, avec l’ésotérisme islamique [note] ». 

(19) Ibid.

(20) Guénon, Saint Bernard, Éditions Traditionnelles.

(21) Tout le monde aujourd’hui peut accéder à l’histoire de cette « transmission des connaissances » et connaître la diversité des conditions par lesquelles elles nous sont parvenues. Il y a là-dessus des faits historiques incontestables (voir l’ouvrage d’Alain de Libera ; La philosophie médiévale, opus cite).

 (22) Aujourd’hui, comme à l’aube du XXe siècle, nous subissons les conséquences que l’Occident moderne a déclenché à partir d’une exploitation exclusivement matérielle et commerciale de l’ensemble de ce savoir transmis par la civilisation arabo-islamique. Si l’homme moderne peut s’enorgueillir de son progrès technique, c’est au prix de son intellectualité, de son intelligence et de sa mémoire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

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