LES POITRINES DES HOMMES LIBRES SONT LES TOMBEAUX DES SECRETS صدور الأحرار قبور الأسرار

lundi 19 mars 2018

Y. B. « LA VOIE DU MILIEU »









Y. B.
Un extrait des
Aperçus sur le « Retournement »



« LA VOIE DU MILIEU »






Selon Ibn Arabî,
 « le secret de l’institution des œuvres d’obligation (fard) et des œuvres de surrérogation (nâfila) se trouve dans la relation que la science (‘Ilm) a avec les dimensions de “hauteur” (tûl) et de “largeur” (ard) » ; « la “largeur” est chose limitée, et la “longueur” n’est qu’ “ombre prolongée” »,
 et Michel Vâlsan précise que l’ « “ombre prolongée” (qui est en rapport avec les œuvres d’obligation) est un des traits caractéristiques de la demeure paradisiaque des “compagnons de la droite” (Cor. 56, 30) lesquels occupent une place inférieure à celle des Premiers = les Rapprochés (Cor. 56, 10-11) » (1). Cette relation entre les œuvres d’obligation (sharîah) et la « droite » indique assez clairement que dans les traditions prophétiques la « Voie du Ciel » est en rapport avec les « influences descendantes » qui sont symbolisées par la « Miséricorde » ; et ce « retournement » est également une caractéristique de la tradition extrême-orientale :
« “L’humanité, c’est la droite ; la Voie, c’est la gauche”, ce qui implique manifestement une infériorité de la droite par rapport à la gauche ; relativement l’une à l’autre, la gauche correspondait alors au yang et la droite au yin » (2) ;
or, c’est cette « humanité » qui est régit par la loi prophétique ; et on pourrait dire que, en Islam, l’Imâm de gauche est Yang et l’Imâm de droite est Yin l’un par rapport à l’autre.
La tradition arabe enseigne que Muhammad se trouva au carrefour de trois voies durant son « voyage nocturne » dont celle de la droite symbolisée par la tradition juive et celle de la gauche par la tradition chrétienne, et, suivant le Cheikh al-akbar, le point de vue moïsiaque est en rapport avec la « Majesté » (Jalâl) et le point de vue christique avec la « Beauté » (Jamâl), ce qui permet d’établir une correspondance entre la « Voie du Ciel » et la Jalâliyah et la « Voie de la Terre » et la Jamâliyah (3). A cet égard, Muhammad représente la « Voie du Milieu » symbolisée par la « Perfection » (Kamâliyah), et sa relation avec la fonction royale (Malik) est confirmée par les indications de Guénon sur le « Roi-Pontife » :
« En tant que le Wang [ou le calife] s’identifie à l’axe vertical, celui-ci est désigné comme la “Voie Royale” (Wang-Tao) ; mais, d’autre part, ce même axe est aussi la “Voie du Ciel” (Tien-Tao) (…) de sorte que, en définitive, la “Voie Royale” est identique à la “Voie du Ciel” » (4).
Du reste, les racines arabes désignant l’anticipation (sabaqa) et la proximité (qurba) sont également en connexion avec le symbolisme  de la « Voie du Milieu ».
Selon certaines autorités islamiques, le « Voyage nocturne » (Mirâj) désigne le voyage initiatique des Rapprochés (al-Muqarabûn) (5), mais ce « voyage » désigne, en réalité, la réintégration spirituelle intégrale, y compris la « modalité corporelle ». À cet égard, le Sceaux des prophètes, Muhammad, achève la voie hénochienne (Idrîs) parcourue dans le sens « ascendant », pourrait-on dire, par Moïse et « descendant » par le Christ (‘Aîsa) ; et c’est également cette voie « polaire » qui distingue les 4 fonctions suprêmes de l’Islam et qui sont représentées par des prophètes qui n’ont pas été atteints par la mort corporelle, c’est-à-dire : « Idris (Hénoch), Ilyâs (Elie), Aïssa (Jésus), et Khidr » qui « sont les Piliers (Awtâd) de la Tradition Pure (ad-Dînu-l-Hanîf) » (6).
Concernant la métaphysique, il faut dire maintenant que certains cultivent une sorte de « préjugé » qui pourrait résulter d’une mauvaise assimilation de l’œuvre de Guénon car la métaphysique est en réalité
« ce qui est le plus facilement saisissable dans une tradition »,
 et
« nous pouvons rappeler à ce propos ce que nous avons dit plus généralement en d’autres occasions de la difficulté d’assimilation des “sciences traditionnelles”  beaucoup plus grande que celle des enseignements d’ordre purement métaphysique, en raison de leur caractère spécialisé qui les attache indissolublement à telle ou telle forme déterminée, et qui ne permet pas de les transporter telles quelles d’une civilisation à une autre, sous peine de les rendre entièrement inintelligibles, ou bien de n’avoir qu’un résultat tout illusoire, sinon même complètement faux » (7).

Ceci étant dit, présenter la théorie hindoue des trois gunas comme « un système cruciforme de tendances, dont l’application dans l’hindouisme concerne surtout l’ordre cosmologique » tend à réduire la portée universelle de la tradition qui véhicule l’héritage le plus primordial ; Prakriti (la substance universelle)
« possède trois gunas ou qualités constitutives, qui sont en parfait équilibre dans son indifférenciation primordiale ; toute manifestation ou modification de la substance représente une rupture de cet équilibre, et les êtres, dans leurs différents états de manifestation, participent des trois gunas à des degrés divers et, pour ainsi dire, suivant des proportions indéfiniment variées. Ces gunas ne sont donc pas des états, mais des conditions de l’existence universelle, auxquelles sont soumis tous les êtres manifestés, et qu’il faut avoir soin de distinguer des conditions spéciales qui déterminent tel ou tel état ou mode de la manifestation, comme l’espace et le temps, qui conditionnent l’état corporel à l’exclusion des autres. Les trois gunas sont : sattwa, la conformité à l’essence pure de l’Être ou Sat, qui est identifiée à la lumière intelligible ou à la connaissance, et représentée comme une tendance ascendante ; rajas, l’impulsion expansive, selon laquelle l’être se développe dans un certain état et, en quelque sorte, à un niveau déterminé de l’existence ; enfin, tamas, l’obscurité, assimilée à l’ignorance, et représentée comme une tendance descendante » (8).
Ce qui nous importe de souligner ici, c’est que par le « retournement », rajas devient prédominant à l’égard de sattwa et tamas ; prédominance qui est mise en évidence dans le nom des fonctions hindoues qui correspondent à Melchissedech (Dharma-Raja) et aux 4 Awtâd de l’ésotérisme islamique (Mahârajas) (9) ; et cette tendance « rajasique » qui peut être représentée « par une extension dans le sens horizontal, se réfère au monde intermédiaire, qui est ici le “monde de l’homme”, puisque c’est notre degré d’existence que nous prenons comme terme de comparaison, et qui doit être regardé comme comprenant la Terre avec le Purgatoire, c’est-à-dire l’ensemble du monde corporel et du monde psychique » (10).
Maintenant, lorsque Guénon écrit à propos du Bodhisattwa
« qu’un tel être chargé de toutes les influences spirituelles inhérentes à son état transcendant, devient le “véhicule” par lequel ces influences sont dirigées vers notre monde »,
il ne mentionne pas la « réalisation descendante » comme l’affirme Reyor (11), puisque Guénon précise aussitôt :
 « cette “descente” des influences spirituelles est indiquée assez explicitement par le nom d’Avalokitêshwara, et elle est aussi une des significations principales et “bénéfiques” du triangle inversé » (12).
À vrai dire, comme le Président et Très puissant Souverain Grand Commandeur élève les mains pour invoquer «  le Saint Enoch d’Israël et le Très Haut et Très puissant Dieu d’ Abraham… », la correspondance entre le 33e degré de la Maçonnerie écossaise et la fonction de Melchissedech s’impose plus naturellement que celle envisagée par Michel Vâlsan. Ainsi le 31e degré pourrait être mis en relation avec le symbolisme d’Adoni-Tsedeq, le « Seigneur de Justice » (Brahâtma) ; le 32e degré avec celui de Kohen-Tsedeq, le « Prêtre de Justice » (Mahâtma) ; et le 33e degré avec celui de Melki-Tsedeq, le « Roi de Justice » (Mahânga) ; car 
« Bien que Melki-Tsedeq ne soit alors proprement que le nom du troisième aspect, il est appliqué d’ordinaire par extension à l’ensemble des trois, et, s’il est ainsi employé de préférence aux autres, c’est que la fonction qu’il exprime est la plus proche du monde extérieur, donc celle qui est manifestée le plus immédiatement » (13).
Il est opportun de souligner ici que, dans le domaine qui lui est propre, la Maçonnerie ne présente pas les restrictions que Guénon a formulé à propos de la séparation de l’Empire et de la Papauté :
«  Une telle séparation peut être considérée comme la marque d’une organisation incomplète par en haut, si l’on peut s’exprimer ainsi, puisqu’on n’y voit pas apparaître le principe commun dont procèdent et dépendent régulièrement les deux pouvoirs ; le véritable pouvoir suprême devait donc se trouver ailleurs » (14).


Y. B.

(À suivre)












NOTES

(1) L’Islam et la fonction de René Guénon, p. 63-64. Les « compagnons de la droite » sont « nombreux parmi les premiers et … parmi les derniers » (ET. 1972, p.264) ce qui ne vise manifestement pas l’Élite au sens guénonien du terme. Du reste, le terme qui sert à désigner la  prière  en arabe (aç-çalat) est étymologiquement apparenté au terme muçallî qui (tout en désignant d’un côté le « priant »), en matière hippique, désigne le cheval qui dans une course suit de près le sabîq (de « précédent », le premier – ET. 1962, p. 26), ce qui renvoie au même symbolisme.
(2) La Grande Triade, ch. VII, p. 55. Dans la tradition chrétienne, ce « retournement » peut être mis en relation avec le symbolisme du Christ souffrant et du Christ rayonnant ; et c’est à cette doctrine que fait allusion la « Melencolia » de Dürer dont le « carré magique » est retourné par rapport à celui de Jupiter. Du reste, les attributs de l’Ange et de l’enfant sont « inversés » comme dans la 3ème et la 4ème lame du Tarot (ibid. ch. XV), qui se réfère au nombre 34, et qui est aussi celui des chants  de l’Enfer de Dante. Selon Guénon, le Saint-Esprit est en rapport avec Purusha et le « Ciel » [droite], la Vierge avec Prakriti et la « Terre » [gauche] (ibid. ch. I, p. 18 – Le Christ représente la « Voie du Milieu »). Nous ignorons s’il y a un rapport entre celui-ci et le « fils de la Veuve », mais c’est avec son sein gauche que Marie allaite Saint Bernard, et le symbolisme de  la Femme de l’Apocalypse semble aussi devoir  être mis en rapport  avec la « gauche » ; l’Imâm de gauche à l’époque de Muhammad était Abu Bakr, c'est-à-dire le « Père de la vierge ».
(3) Michel Chodkiewicz : Un Océan sans rivage, p. 104. Dans la sunnah que nous avons cité plus haut, l’ouïe est en connexion avec la « droite », qui correspond au point de vue mussawî et aux nomades, et la vue  avec la « gauche », qui correspond au point de vue ‘aissawî et aux sédentaires. La vue a un rapport direct avec l’espace et l’ouïe avec le temps (Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXI) et on peut remarquer que l’espace a un rapport avec les « Stations » (maqâmât) et le temps avec les « Etats » (ahwâl). Cependant, « les Compagnons des Stations » (Ashab al-maqâmât) sont ces nomades (rihâlûn) qui considèrent ce bas-monde  comme un état passager et ils sont en rapport avec la « Voie du Ciel » où prédomine la « droite » ; tandis que les « Compagnons des États » (Ashab al-ahwâl) sont des « sédentaires » (maqîmûn) qui font de l’état humain leur maqâm et sont en rapport avec la « Voie de la terre » où prédomine la « gauche ». Le fait que les sédentaires sont désignés par un terme arabe qui évoque la « Station » et l’espace, et les nomades par un autre qui rappelle l’ « État » et le temps, s’explique par l’indication suivante de Guénon :  « le temps est mis en correspondance avec le Ciel par la notion des cycles, dont la base est essentiellement astronomique, et l’espace avec la Terre en tant que, dans l’ordre des apparences sensibles, la surface terrestre représente proprement l’étendue mesurable » (La Grande Triade, ch. VIII, p. 63). Seulement, toutes les « Stations » ont leur propre « État » qui peut se manifester dans notre bas-monde et la « Lumière » qui illumine tous les maqâmât est le principe commun du Soleil et de la Lune auquel l’être doit s’identifier par la contemplation (L’Islam et la fonction de René Guénon, p.189). L’épithète de Uthmân (Dhû an-Nûrayn) est à mettre en relation avec cette question (Ibid., p. 182 n. 16).
Dans la Kabbale, la Création est considérée comme la Pensée de Dieu, et dans le taçawwuf, comme Sa Vision (ru’yah) ; la Pensée est en rapport avec l’Intellect et le temps (ouïe) et la spéculation peut donc être considérée comme « nomade ». La relation entre la Vision (ru’yah) et le Songe s’explique par la parole prophétique : « Les gens dorment (ignorance) et quand ils meurent (seconde naissance), ils se réveillent » ; en Inde, l’homme est dans l’illusion (maya) et en Islam, dans le Songe éveillé dont il doit prendre conscience.
D’autre part, l’Imâm de gauche est en relation avec le Mulk (monde terrestre) dont le paradis correspondant est celui des Juifs (droite) et l’Imâm de droite est en relation avec le Malakût (monde intermédiaire) dont le paradis correspondant est celui des Chrétiens (gauche) ; (Études Traditionnelles, 1963, p. 93). La différence de perspective s’explique ici par l’analogie « en sens inverse » entre l’état humain et les états supérieurs de l’être.
(4) La Grande Triade, ch. XVII, p. 121. Parmi les « Sceaux », le Cheikh al-akbar durant son investiture représente la Kamâliyah (Voie du Milieu) qui constitue la véritable « clé de voûte » des Futûhât puisque, selon Qunawî, la Walâyah, la Nubuwwah, la Risâlâh et la Khilâfah lui sont subordonnées (ÉT. n° 398, p. 250). La quatrième section des Futûhât est composée de chapitres qui caractérisent les dignités muhammadiennes, ‘aissawie et mussawie, ce qui fait manifestement allusion aux trois voies mentionnées ici. Précisons encore que, au niveau des silsilah, la Qadariyah est en rapport avec la « droite » et la Shadhiliyah avec la « gauche ». D’autre part, le caractère axial de la Akbariyah ne concerne pas directement les chaines initiatiques conventionnelles qui ont été vivifiées par celle-ci et qui sont par rapport à elle ce que les Rosicruciens sont à la Rose-Croix, mais on sait que certains Rose-Croix se dissimulèrent parmi les rosicruciens.
(5) L’Islam et la fonction de René Guénon, p. 59 n. 10 et p. 183 n. 23.
(6) Michel Vâlsan, « Les Hauts Grades de l’Écossisme » ; ÉT. 1953, p. 167. Cette voie peut également être mise en relation avec les cinq prophètes postérieurs à Abraham : Ismaël, Joseph (Yûsuf), Jean Baptiste (Yahyâ) et le Christ, qui, dans le Coran, sont appelés ghulâm, équivalent arabe du golem hébraïque qui est l’anagramme  de gamal, la « Beauté » ; le « mot de passe » du 26e grade de la Maçonnerie Écossaise est en rapport avec le « Troisième Ciel », c’est-à-dire Vénus (Orient) (L’Ésotérisme de Dante, p . 17). Dans l’Hindouisme, cette voie est en relation avec la « condition de Taijasa » (L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XIII ; voir aussi : L’Erreur spirite, p. 116 à 119). On peut remarquer que le symbolisme de la ville de Jérusalem est « central » par rapport aux trois législateurs.
(7) Notre intention, ici, n’est évidemment pas de contester la « nécessité » de la métaphysique ; cependant, l’hypothèse d’une « superposition métaphysique » à l’organisation maçonnique est une autre confusion entre la méthode et la doctrine. Selon Michel Vâlsan, « en passant de l’“opératif” au “spéculatif”, la maçonnerie a perdu une part de son influence spirituelle » (ÉT. 1965, p. 161), alors que la « dégénérescence d’une organisation initiatique ne change pourtant rien à sa nature essentielle, et que même la continuité de la transmission suffit pour que, si des circonstances plus favorables se présentaient, une restauration soit toujours possible, cette restauration devant alors nécessairement être conçue comme un retour à l’état “opératif” » ; du reste, « on peut toujours, d’une façon très exacte, appliquer les termes “opératif” et “spéculatif”, à l’égard d’une forme initiatique quelle qu’elle soit, et même si elle ne prend pas un métier comme “support”, en les faisant correspondre respectivement à l’initiation effective et à l’initiation virtuelle ». (Aperçus sur l’Initiation, ch. XIX, p. 196-197).
(8) Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues, p. 231-232. Selon Guénon, le deva-yâna [voie des Dieux] désigne « la Voie qui conduit vers les états supérieurs de l’être, donc vers l’assimilation à l’essence même de la Lumière intelligible » (L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, p. 168). Cette expression de « lumière intelligible » par laquelle il traduit le sanskrit sattwa lui sert à rendre l’arabe an-Nûr : « la Lumière intelligible [an-Nûr] est l’essence (dhât) de l’“Esprit” (Er-Rûh), et celui-ci, lorsqu’il est envisagé au sens universel, s’identifie à la Lumière elle-même ; c’est pourquoi les expressions En-Nûr el-muhammadî et Er-Rûh el-muhammadiyah sont équivalentes, l’une et l’autre désignant la forme principielle et totale de l’ “Homme Universel”, qui est awwalu khalqi’Llâh, “le premier de la création divine” ». (Aperçus sur l’Initiation, ch. XLVII). Guénon met cet enseignement en connexion avec le symbolisme de Metatron (Ibid. ch. XLVII, n. 7).
Par ailleurs, sattwa et tamas correspondent au Zénith et au Nadir représentés par l’« axe » qui symbolise la « croix verticale », tandis que les deux axes solsticial et équinoxial qui symbolisent la « croix horizontale » se rapportent à rajas (Le Symbolisme de la Croix, ch. V).



Du reste, on pourrait établir une correspondance d’une part entre sattwa et tamas, et d’autre part entre al-Fatîr (la Lumière primordiale) et azh-zhul (l’Obscurité) (L’Islam et la fonction de René Guénon, p. 153). Comme la lumière qui procède du Cœur est intelligible, ce point de vue permet de résoudre la dualité contingente entre le Cœur et l’Intellect (Ibid. p. 20-21) ; la subordination de l’Intellect au Coran le fait participer à la nature « incrée » du Livre sacré. 
(9) Le Roi du Monde, p. 53 et 80. La correspondance entre Rajas et les Kshatriyas ne doit pas nécessairement être interprétée de façon systématique car, d’après Guénon, le Kshatriyas « peut être pris pour symboliser l’individualité quelle qu’elle soit (…) tandis que le Brâhmane (…) représente les états supérieurs de l’être » (Études sur l’Hindouisme, p. 14).  Un Brâhmane peut se manifester avec les apparences d’un Kshatrya comme Guénon l’a signalé pour le Christ et là encore on peut s’en reporter à l’enseignement de Lao-Tseu : « La Voie est grande ; le Ciel est grand ; la Terre est grande ; le Roi aussi est grand. Au milieu, il y a donc quatre grandes choses, mais seul le Roi est visible » (La Grande Triade, ch. XVII). En Islam, ce sont la Terre, le Ciel et la voie qui sont visibles ; le Calife est invisible. D’un point de vue initiatique, c’est la connexion entre le gunas Rajas et l’élément Air (vayu) qui est intéressante car l’Air est en relation avec le « Souffle » désigné en arabe par le terme Nafas qui évoque aussi l’âme (Nafs). Selon Ibn Arabî : « lorsque ton âme sera rendue pure et que son miroir sera polie, ne considère pas avec elle le monde pour recevoir en elle l’image de ce qui est dans le monde même pris dans sa totalité, car il n’y a aucune utilité à cela, mais oriente ton âme vers la Dignité Essentielle (el-hadrah edh-dhâtiah) sous le rapport de la science que celle-ci a d’Elle-même. » (Études Traditionnelles, n° 299, p. 129-130). « Il est dit dans la Bhagavad-Gîtâ : “Sur Moi toutes choses sont enfilées comme un rang de perles sur un fil” Il s’agit ici du symbolisme du sûtrâtmâ [le rayon solaire qui relie tous les états de l’être eux et à son centre total] : c’est Âtmâ qui, comme un fil (sûtra), pénètre et relie entre eux tous les mondes, en même temps qu’il est aussi le “souffle” qui, suivant d’autres textes, les soutient et les fait subsister, et sans lequel ils ne pourraient avoir aucune réalité ni exister en aucune façon. » (Symboles de la Science Sacrée, ch. LXI, p. 347).
Dans l’ésotérisme islamique, on dit d’un tel être [l’homme véritable] qu’il « “soutient le monde par sa seule respiration” (…) C’est lui aussi dont l’ “action de présence” maintient et conserve l’existence de ce monde, puisqu’il en est le centre, et que, sans le centre, rien ne saurait avoir une existence effective ; c’est là, au fond, la raison d’être des rites qui, dans toutes les traditions, affirment sous une forme sensible l’intervention de l’homme pour le maintien de l’ordre cosmique, et qui ne sont en somme qu’autant d’expressions plus ou moins particulières de la fonction de “médiation” qui lui appartient essentiellement. » En effet, « celui qui réalise véritablement ce qui est impliqué dans le rite s’assimile les influences célestes et les ramène en quelque sorte en ce monde pour les y conjoindre aux influences terrestres, en lui-même d’abord, et ensuite, par participation et comme par “rayonnement”, dans le milieu cosmique tout entier » (La Grande Triade, ch. XIV). « (…) tous les êtres qui sont capables d’en prendre conscience doivent, chacun à sa place et suivant ses possibilités propres, concourir effectivement à cette réalisation, qui est aussi désignée comme le “plan du Grand Architecte de l’Univers” », et qui est « la réalisation de l’ “ordre”, en tant qu’elle ne fait qu’un avec celle de la manifestation elle-même dans le domaine d’un état d’existence tel que notre monde » ; « ce dont il s’agit pourra se traduire par la constitution d’une organisation traditionnelle complète, sous l’inspiration des organisations initiatiques qui, en constituant la partie ésotérique, seront comme l’“esprit” même de tout l’ensemble de cette organisation sociale » ; c’est ce qui «  est désigné dans la Maçonnerie écossaise comme le “règne du Saint-Empire”, par un souvenir évident de la constitution de l’ancienne “Chrétienté”, considérée comme une application de l’ “art royal” dans une forme traditionnelle particulière »  (Aperçus sur l’Initiation, ch. XLVI). 
Nous avons certaines raisons de penser que la question de l’exotérisme chrétien est « réservée » et que c’est la raison pour laquelle Guénon n’avait aucune inclinaison à l’aborder. Lorsque nous disons qu’elle est « réservée », nous ne voulons pas dire qu’elle l’est pour une « élite », mais qu’elle est en « réserve », pourrait-on dire, dans le temps. Il y a là peut-être quelque chose qui est en relation avec l’ « état mental » de l’Occident et avec la perspective « souffrante » et « rayonnante » du Christianisme. Quoi qu’il en soit, les remarques de Guénon indiquent clairement que la revivification du Christianisme est subordonnée au « destin de la Maçonnerie » et que la conservation vigilante de ses différents héritages est actuellement la méthode initiatique la plus positive de servir le Christ. 
(10) L’Ésotérisme de Dante, ch. VI, p. 49. « Il faut ajouter que le monde terrestre peut être regardé comme représentant ici, par transposition, tout l’ensemble du “cosmos”, et qu’alors le ciel représentera, suivant la même transposition, le domaine “ extra-cosmique” ; à ce point de vue, c’est à l’ordre “spirituel”, entendu dans son acception la plus élevée, que devra s’appliquer la considération du “sens inverse” par rapport, non seulement à l’ordre sensible, mais à l’ordre cosmique tout entier » (Symboles de la Science Sacrée, ch. XXXV, p. 224-225).
(11) Pour un aboutissement de l’œuvre de René Guénon (Éditions Traditionnelles, 1998), p. 168, n. 3.
(12) Initiation et réalisation spirituelle, ch XXXII, n. 1. Toujours à propos du triangle inversé, Guénon écrit : «  le renversement du symbole du soufre signifie la descente des influences spirituelles dans le “monde d'en bas”, c'est-à-dire dans le monde terrestre et humain ; c'est, en d'autres termes, la rosée céleste » (EFMC II, p. 64).
(13) Le Roi du Monde, p. 52-53. La hiérarchie proposée par Michel Vâlsan est inversée par rapport à celle qui est communiquée ici (cf. É.T. 1953, p. 231), seulement les nuances formulées par Guénon sont très claires : « c’est précisément avec cette signification [descendante] que le triangle inversé est pris comme symbole des plus hauts grades de la Maçonnerie écossaise ; dans celle-ci, d’ailleurs, le 30e degré étant regardé comme nec plus ultra, doit logiquement marquer par là même le terme de la “montée”, de sorte que les degrés suivants ne peuvent plus se référer qu’à une “redescente”, par laquelle sont apportées à toute l’organisation initiatique les influences destinées à la “vivifier”(…) » (Initiation et réalisation spirituelle, ch XXXII, n. 1).
(14) Le Roi du Monde, p. 18. « Le sacerdoce selon l’ordre de Melchissedec implique aussi en lui-même la royauté ; c’est ici, précisément, que l’un et l’autre ne peuvent être séparés, puisque Melchissedec est, lui aussi, prêtre et roi à la fois, et qu’ainsi il est réellement la figure du Principe en lequel les deux pouvoirs sont unis, comme le sacrifice qu’il offre avec le pain et le vin est la figure même de l’Eucharistie » («  Le Christ prêtre et roi » É.T. 1962, p. 3). Le pain et le vin sont mentionnés dans le deuxième songe interprété par le patriarche Joseph. On sait que le « vin » correspond à la « science des États » (‘ilm al-ahwâl) ; « le vin que buvaient les Templiers était le même que celui que buvaient les kabbalistes juifs et les soufis musulmans » (Aperçus sur l’ésotérisme chrétien, p. 63) et « en hébreu les mots iaïn, “vin”, et sod, “mystère”, se substituent l’un à l’autre comme ayant le même nombre » (Le Roi du Monde, p. 46), c’est-à-dire 70 qui est aussi la valeur numérique de la lettre arabe ‘ayn qui désigne la « source » (Cor. LVI, 18). « “Avec coupes et aiguières ainsi que verres à breuvages de source”, emblèmes (les premières mentionnées) des “vins” (khamia) de la volonté spirituelle (irâdah), de la connaissance (al-ma’rifah), de l’amour (al-mahabbah), du désir passionnel (al-ichq) et de la saveur éprouvée (adh-dhawq), ainsi qu’emblèmes (les verres) des “eaux” correspondant aux formes de sagesse et de science transcendante (miyâ-hu-l-hikam wa-l-‘ulûm) » commente Qâchânî (cf. la traduction de M. Vâlsân ; Études traditionnelles, 1972, p. 260). « Les premières mentionnées » symbolisent différents degrés de l’aspiration spirituelle, et rappelons que Guénon a insisté sur le fait que n’importe quel état pouvait constituer le point de départ de la réalisation spirituelle. La voie du fard, c’est l’aspiration universelle de la « conscience organique », qui régit le corps humain, à se libérer de sa modalité subtile et corporelle ; c’est l’aspiration du plus « bas » ou du plus « extérieur » à atteindre par identification le plus « haut » ou le plus « intérieur ». En outre le symbole du « Vin » peut apparaître comme un conditionnement de la Connaissance par l’Amour, bien que celui-ci n’exclut pas la forcément la Connaissance par la Vérité. En l’occurrence, il ne s’agit pas à proprement parler de la « Connaissance de l’Amour » car celle-ci peut conduire à l’égarement, mais de l’Amour de la Connaissance, c’est-à-dire une disposition de l’être particulièrement adapté à la nature des kshatryas. Maintenant, ca qu’il importe de souligner ici, c’est que ce verset concerne les Muqarabûn, c’est-à-dire les disciples de la « Voie du Milieu ». Un traducteur traditionnaliste du Coran donne à ce mot la signification de « précurseur » et, à vrai dire, il ya là quelque chose de très profond si on l’interprète d’un point de vue « cyclique », ce qui n’est assurément pas le cas du traducteur en question. Notons encore que le terme M‘ayn (dérivé de ‘ayn – pluriel uyûmcf. Cor. XV, 45) est constitué des mêmes lettres que N‘aym qui désigne les délices et le  5ème  paradis. Un autre terme très proche de ceux-ci est celui qui désigne les Bestiaux (al-an‘âmcf. Cor. XVI, 66 pour le contexte de cette note). Tout le symbolisme évoqué à propos de ces termes peut être mis en relation avec celui de la planète Mars, car na‘âmâ désigne aussi le vent d’Ouest.
Chez les chrétiens, le « pain s’identifie à la “chair” du Verbe manifesté, il peut être intéressant de signaler encore que le mot arabe lahm, qui est le même que l’hébreu lehem, a précisément la signification de “chair” au lieu de celle de “pain” » (Le Roi du Monde, p. 77, n. 2) ; et ailleurs, Guénon écrit : « Dans la tradition islamique, les deux “nuits” dont nous avons parlé sont représentées respectivement par laylatul-qadr et laylatul-mirâj, correspondant à un double mouvement “descendant” et “ascendant” ; la seconde est l’ascension nocturne du Prophète, c’est-à-dire un retour au Principe à travers les différents “cieux” qui sont les états supérieurs de l’être ; quant à la première, c’est la nuit où s’accomplit la descente du Qorân, et cette “nuit”, suivant le commentaire de Mohyiddin ibn Arabi, s’identifie au corps même du Prophète. Ce qui est particulièrement à remarquer ici, c’est que la “révélation” est reçue, non dans le mental, mais dans le corps de l’être qui est “missionné” pour exprimer le Principe : Et Verbum caro factum est, dit aussi l’Évangile (caro et non pas meus), et c’est là, très exactement, une autre expression, sous la forme propre à la tradition chrétienne, de ce que représente laylatul-qadr dans la tradition islamique » (Initiation et réalisation spirituelle, ch. XXXI, p. 250, n. 1). Enfin Joseph et les deux compagnons de prison préfigurent le Christ et les deux larrons qui symbolisent respectivement l’ « arbre de Vie » et la dualité de l’ « arbre de science » (du Bien et du Mal) (cf . Le Symbolisme de la Croix, ch. IX, p. 82).









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