L’ ADAB DES MAITRES ÇÛFÎ
RISÂLAH AL-ADAB*
Au nom
d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très
Miséricordieux
Louange à Allâh, Seigneur des mondes, le Tout
Miséricordieux, le Maitre du Jour du Jugement, qui a orne les apparences des
gens de la voie [spirituelle] par les adâb
(1) de la Loi (sharīʿa), si bien qu’ils se sont soumis aux prescriptions de Sa
religion, en musulmans, par obéissance a Son ordre et par amour pour Son
essence. Il a embelli leur for intérieur par les adâb de
la réalité (ḥaqîqah), si bien qu’ils se sont soumis a la souveraineté de Sa
Seigneurie (rubûbiyyah) et se sont inclines devant la puissance de Sa volonté,
croyants, en vénération pour la majesté de Sa Divinité (ulûhiyyah).
Gloire a Celui qui a fait des cœurs des Connaissant (2)
des réceptacles du souvenir (dhikr), des cœurs des ascètes des réceptacles de la confiance (tawakkul),
des cœurs des confiants des réceptacles de la satisfaction (riḍâ),
des cœurs des pauvres des réceptacles du contentement (qanâʿa),
et des cœurs des gens du bas-monde des réceptacles de la convoitise.
Nous Le louons, exalte soit-Il, pour les bienfaits qu’Il a
accordé et les faveurs qu’Il a prodigué, une louange a la mesure de Ses
bienfaits et qui rende grâce a Ses dons. Que la bénédiction et la paix soient
sur le détenteur de la générosité et de la largesse, la cause suprême de toute existence,
la joie des yeux, notre maitre et seigneur Muhammad, ainsi que sur sa famille,
ses compagnons et tous ceux qui le suivent.
En réponse à
la question de certains amis et par désir de notre part de lever le voile sut
la réalité des gens de la sincérité, nous présentons à nos frères fuqarâ’ dans cette modeste risalah quelques adâb des aspirants afin qu’ils prennent exemple sur leurs pieux
prédécesseurs (bi-salafihim al-çâlih)
et suivent la voie de leur sage Prophète et sublime Envoyé – çallâ Llâh ‘alayhi wa salam –
conformément à la parole d’Allâh – ta’âlâ
– :
« Et vous avez
dans l’Envoyé d’Allâh un bel
exemple pour ceux qui mettent leur espoir en Allâh et dans le Jour dernier et qui invoquent Allâh souvent. »
(Al-ahzâb, 21.)
En vérité, la communauté [des élus] s’est élevée par
les adâb,
C’est des adâb
que la communauté [des élus] a tiré profit.
Il a été dit : celui qui a été privé de la souveraineté du adâb
Reste éloigné, même s’il s’approche et se rapproche.
Et il a été dit : celui que retiennent les
filiations
N’est libéré que par les adâb.
Le maître
d’al-Junayd, Sayyidî Abû Hafs al-Haddâd – qu’Allâh soit satisfait de lui
– a dit :
« Le taçawwuf est tout entier adab. À chaque instant (waqt) ses adâb, ainsi qu’en chaque lieu ; par conséquent, si le faqîr se revêt de la parure des adâb, Il devient apte à cheminer dans la voie çûfî et à porter (hamala) les secrets de l’élection (âsrâr al-khusûsiyyah) ».
L’imam Al-shâfi‘î
– qu’Allâh soit satisfait de lui – a dit :
« Celui qui observe le adab avec l’instant [donne] une valeur à ce temps-là, et celui qui n’observe pas le adab propre à l’instant [rend] son temps détestable ».
Et Sayyidî
Muhammad al-Bûzîdî – qu’Allâh soit satisfait de lui – a dit :
« Par cet adab, tu prends un raccourcis qui écarte les peurs et les appréhensions et te rend apte à cheminer dans la voie [et à en porter les secrets] ».
Cet adab consiste à suivre l’exemple et le comportement de l’Envoyé d’Allâh – sur lui la Grâce et la Paix – par la mise en pratique des lois (ahkâm) d’Allâh – ta‘âlâ –.
L’Envoyé d’Allâh – sur lui la Grâce et la Paix – a
dit : « Mon seigneur m’a éduqué de la meilleure façon (fahasana) ».
Ceci est le taçawwuf ;
tous les “pôles” (aqtâb) de la voie sont unanimes à ce sujet.
L’Imâm
Junayd (qu’Allâh sanctifie son
secret) a dit :
« Toutes les voies (2) sont sans issue (masdûda) pour tous les êtres de la création, sauf la voie de celui qui suit les traces de l’Envoyé d’Allâh (sur lui la Paix) en suivant sa sunna et en s’y conformant (lazima) en tout point (3).
Et Dhû-n-Nûn
al-Miçrî a dit :
« De tous les signes de l’Amour d’Allâh – ‘aza wajal – c’est l’effort assidu qui
consiste à suivre l’« Aimé d’Allâh »
dans ses nobles caractères, dans ses actes, son autorité et sa sunna ».
Selon
al-Sarî al-Saqatî – qu’Allâh soit
satisfait de lui – :
« Le taçawwuf possède
trois sens (à observer dans les trois attitudes suivantes) : [faire en
sorte] que la lumière de la Connaissance n’éteigne pas (lâ yatfâ’) la
lumière de la crainte révérencielle ; ne pas entretenir des propos sur le sens
caché de la science allant à l’encontre de la clarté (zâhir) du
Livre (4) et de la sunna ; ne pas utiliser les Karâmât
(5) pour déchirer le voile avec lequel Allâh
a recouvert ce qui est prohibé (muhâram) ».
Abû Nasr
Bishr ibn al-Hârit al-Hâfî – qu’Allâh sanctifie son secret – a
dit :
« J’ai vu le Prophète en songe – que la bénédiction et le salut d’Allâh soient sur lui – et il m’a dit : “Bishr, sais-tu par quoi Allâh t’a élevé entre tes pairs” ? J’ai répondu : Non, Ô Envoyé d’Allâh ; il dit : “Par ton observance de ma sunna, par ton service des hommes pieux et par ton amour pour mes Compagnons et pour les Gens de ma Maison. C’est cela qui t’a fait parvenir aux demeures des hommes pieux” ».
Et l’Imâm
Junayd – qu’Allâh soit satisfait de lui
– a dit :
« Notre école (madhabunâ)
est attachée aux fondements (bi-uçûli) du Livre et de la sunna ;
notre science s’accroit avec l’enseignement par les propos (hadîth) de
l’Envoyé d’Allâh – sur lui, la grâce et
la paix – ».
Et Sayyidî
Abû-l-Hasan al-Shâdilî – qu’Allâh soit satisfait de lui – a
dit :
« Il n’y a pas de faveur (karâma)
plus grande que celle de la Foi et la poursuite de la sunna ».
Et il a dit –
qu’Allâh sanctifie son secret – :
« J’ai entendu par
inspiration : si tu veux Ma faveur, obéis-Moi et éloigne-toi de ce que
J’ai interdit ».
Et il a dit
– qu’Allâh embellisse sa personne
– :
« Reviens de la contradiction avec ton Seigneur, tu seras dans l’unité (muwahhidâ) ; agis selon les piliers de la Loi, tu seras brillant et élevé, et allie les deux, tu seras un homme véridique ».
Sayyidnâ
Mawlâyy al-‘Arabî ad-Darqâwî – qu’Allâh sanctifie son secret – a
dit :
« Le taçawwuf est la
préservation des lois de la religion (sharâ’i‘
al-dîn), l’excellence des caractères avec les musulmans et la soumission à
la Volonté d’Allâh, Seigneur des mondes ».
« Seuls, sont vraiment croyants, ceux dont les
cœurs frémissent à la mention d’Allâh ; ceux dont la foi augmente
lorsqu’on leur récite Ses versets ; ils s’abandonnent confiants en leur
Seigneur (6),
Ceux qui s’acquittent de la çalâh, ceux
qui donnent en aumône une partie des biens que Nous leur avons accordés.
Voilà ceux qui, en toute vérité, sont les
croyants ; des degrés élevés leur sont réservés auprès de leur Seigneur,
avec un pardon et une généreuse récompense ».
(Al-infâl, 2 - 4.)
Et l’Envoyé
d’Allâh – sur lui, la grâce et la paix – a dit :
« Fuyez ce que je vous ai rendu
illicite et, de ce que je vous ai ordonné, accomplissez-le (fâqû minhu),
selon vos capacités ».
Le Très haut a dit :
« Ô vous les croyants, préservez-vous, ainsi que
vos familles d’un Feu dont les hommes et les pierres seront les aliments. Des
Anges gigantesques et puissants se tiendront autour de ce Feu ; ils ne
désobéissent pas à ce qu’Allâh a ordonné et agissent selon ce qui leur est
commandé ».
(Al-Tahrîm, 6.)
De Abû ‘Abdallâh
bin ‘Abdallâh al-Ansârî – Qu’Allâh soit satisfait
d’eux – :
« Un homme demanda à l’Envoyé
d’Allâh – sur lui, la paix – “J’ai vu [quand] tu as pratiqué la
çalâh [les rites prescrits] et jeuné le Ramadân, rendu licite ce
qui doit l’être et sacralisé ce qui est sacré [et maintenant], si je n’ajoute
rien à cela [dans ma pratique], rentrerais-je au Paradis” ? Il a dit :
oui ».
« Et tu es d’un caractère élevé ».
(Al-qalam, 4.)
« Tu as été doux à leur égard par une miséricorde
d’Allâh. Si tu avais été rude et dur de cœur, ils se seraient séparés de
toi ».
(Âl-‘Imrân, 159.)
Et l’Envoyé
d’Allâh a dit – que la bénédiction et le salut d’Allâh soient
sur lui – :
« Aucun de vous ne croira véritablement
jusqu’à ce qu’il aime pour son frère ce qu’il aime pour lui-même ».
Et il a dit
– que la bénédiction et le salut d’Allâh soient sur lui – :
« Les croyants ayant la foi la
plus complète sont ceux qui ont le meilleur caractère ».
Et il a dit
– que la bénédiction et le salut d’Allâh soient sur lui – :
« Le bel Islam d’une personne
consiste pour elle à laisser de côté ce qui ne la concerne pas ».
Et il a dit
– que la bénédiction et le salut d’Allâh soient sur lui – :
« Le musulman est celui
qui préserve les musulmans contre sa langue et sa main ».
Et Dhû-n-Nûn
al-Miçrî a dit :
« Celui qui désire la modestie
(tawâdu‘), qu’il se tourne vers la Majesté d’Allâh,
laquelle le ramènera à sa juste place, et, il se purifiera ; et celui qui
regarde vers la Puissance d’Allâh voit
sa propre puissance s’anéantir parce que toutes les âmes sont pauvres (faqîra)
devant la crainte (haybbatihi) de la Majesté d’Allâh ».
Ainsi cette définition du terme « taçawwuf », démontre que celui-ci est tout entier adab envers Allâh et Son Envoyé, envers les croyants vertueux et l’ensemble des créatures ; par conséquent, chaque faqîr recherchant Allâh et Son Envoyé se doit d’être attentif à son appartenance à Allâh et se comporter selon les adâb de l’Envoyé d’Allâh – çallâ Allâh ‘alayhi wa salam – en imitant nos salaf vertueux (bi-salafanâ al-sâlih)- qu’Allâh soit satisfait d’eux – afin qu’ils comprennent leur source et s’engagent à le suivre :
I : Ses adâb envers en lui-même
Dans toutes ses actions et dans ses moments de repos, le murîd doit être vertueux pour l’amour (li-wajh) d’Allâh – ta‘âlâ –.
Il se
doit d’être dans un état d’indigence à l’égard de ses sens et être prompt à
accomplir les actes les meilleurs, dormir le moins possible, éviter d’avoir des
désirs sensoriels et d’autres traits de caractère disharmonieux. Il ne doit pas faiblir dans sa quête (initiatique), et (pratiquer)
l’adoration d’Allâh et, autant qu’il est possible, prendre des précautions dans
son dîn (يخفي : c’est à dire qu’il
doit faire preuve de modestie en évitant toute ostentation de ses actes
d’adoration rituelle, cacher ses états), et être aussi respectueux que possible
à l’égard de la shari‘ah, tel
qu’(être en état de) pureté, accomplir les salawât à l'heure prescrite, le hajj et la zakah ...
II : Ses adâb avec ses frères les foqarâ’
Il lui incombe de les
aimer tous, grand et petit, et à leur égard d’avoir
de la compassion pour leur culte (dînihim) ;
qu’il souhaite (fayuhibu) pour eux
(ses frères les fuqarâ’) la proximité
et la dignité comme il le souhaite pour lui-même.
Il ne
doit pas s’abuser de son état (hâl),
ne pas se considérer comme étant privilégié et conserver à l’esprit que le plus
important est de pardonner ; iI ne doit pas être insouciant pour ce qui
les concerne, ni négligeant lorsqu’il s’agit d’assister aux réunions
spirituelles et aux inspirations seigneuriales.
Il doit
éviter le mauvais comportement à l’égard du shaykh, ne pas le précéder en
quittant la réunion du dhikr (ni
sortir) avant qu'il ne soit terminé, qu’il se rapproche de la voie afin
d’atteindre les degrés de perfection qui enseignent les adâb propre à la shari‘ah
et à la ma‘rifah et ne voir (en cela)
pour lui-même aucun avantage, il se doit de faire avancer [ses frères] dans une
œuvre satisfaisante et montrer de l’inimitié envers ceux qui leur sont hostiles,
ne pas négliger de veiller sur eux dans la difficulté (Majesté) et l’aisance (Beauté),
ne rien manifester qui puisse troubler leur cœur et ne pas les oublier dans les
du´a vertueuses, d’ honorer tout
visiteur venant de leur part et donner priorité à leurs besoins avant les siens
propres...
III / Ses adâb envers le shaykh
Il doit être
persuadé que la qualité de son shaykh est parfaite et que sa fonction d’éducation
(tarbiyah) (7) prime sur celle de tout autre (shaykh) de
sorte qu’il ne se tourne vers personne d’autre quel qu’il soit, car dés lors
que le serviteur-murîd aspire vers un autre shaykh, la compagnie (de
son shaykh) sera diminuée et ses paroles par là-même perdront leur effectivité
et il ne sera plus disposé à la transmission de son enseignement décisif. Par
contre, si le shaykh (demeure) son seul maître, sa vertu influente sera pour
lui excellente, l’harmonie s’installera entre le disciple et le shaykh
et la transmission (spirituelle) s’établira
sur la force de l’amour pour le shaykh.
Et parmi les adâb avec le shaykh : s’il est en sa présence, il ne doit pas élever la voix au-dessus de la sienne, il doit éviter de l’appeler par son nom et il ne doit venir en sa présence qu’en état de pureté (en ayant ses ablutions) et ne rien faire qui puisse attrister son cœur ; il doit mettre de côté ses jugements et s’il fait une demande au shaykh, celui-ci n’est pas tenu de lui donner une réponse. Il doit s’attacher à suivre ses instructions et ses ordres et les préférer à toute autre directive. Il ne doit pas se laisser tromper par le simple fait de l’aimer ; il doit être attentif à ce qu'il lui ordonne de faire et lui interdit, et voir tout bien qui lui arrive de la part d’Allâh comme l’influence spirituelle (barakah) de son shaykh.
En somme,
le minimum que le murîd doit observer
comme adâb à l’égard de son shaykh
est plus important que ses obligations à l’égard des puissants de ce bas-monde.
Et
qu’Allâh récompense Ibn Bint Al-Maylaq (8) dans sa poésie (hâ‘iyyah :
poème dont les vers se terminent par la lettre hâ) commençant par « Celui qui a gouté la boisson des élus (al-qawn) le connait » par sa
parole :
Si tu veux
avoir la chance de sa compagnie, suis la voie dont les démarches sont pures.
Sois sincère
dans ton affection ; véridique dans ton amour pour lui,
tiens-toi selon ton rang à la poussière de son seuil et demeure dans son
assemblée.
Consacre ta vie entière aux adāb de sa compagnie,
et recueille de sa bouche les perles et les rubis.
Déploie
toutes tes forces et empresse-toi dans ses commandements
vers la concorde, et efforce-toi d’obtenir sa satisfaction.
Prends garde,
de toutes tes forces, de commettre, même par erreur,
ce qu’il n’aime pas, et éloigne-toi de ses interdits.
Aime ceux qui
l’aiment et sois leur soutien,
et attache-toi a l’inimitié de celui qui lui est devenu ennemi.
Sache avec
certitude qu’Allâh est son soutien ;
si tu ne le soutiens pas, Allâh lui suffit.
Place
le cheikh au plus haut de ses degrés,
et
fais de lui une destination de vénération et de sanctification.
Tu
n’agiras pas ainsi si tu soupçonnes
qu’il
soit affecté par un défaut ou une faille.
Abandonne
ta volonté et pour toujours soumets-toi a lui,
et
sois comme un cadavre délaissé entre ses mains.
Anéantis
ton être, n’en vois aucune trace,
laisse-le
l’anéantir une période, puis le rebâtir.
Quand
tu te vois comme une chose, tu es voilé
par
la vision de la chose, vis-à-vis de ce que tu vises.
Ne
te crois jamais dispensé de lui, car
dès
que tu te crois dispensé de lui, son oubli est a craindre.
Si
ta conviction a son sujet n’atteint pas sa finalité,
il
se peut que les premiers signes venant de lui te restent cachés.
Le
but ultime, c’est que tu le voies
sur
la voie de la perfection et qu’Allâh le guide.
Un
signe en est que tu interprètes ce qui
te
paraît obscur pour en dévoiler le caché.
Si
l’homme croit en quelque chose et que ce n’est
pas ce qu’il pense,
il
ne sera pas déçu, car Allâh le gratifie.
Un
pôle ne sert a rien a celui qui a un défaut
dans
sa croyance, ni a celui qui n’est pas son allié,
Sauf
si une faveur préalable a été décrétée pour le serviteur,
et
qu’il revienne ensuite a être parmi ses alliés.
Un
regard de lui, s’il est sincère et plein d’affection,
par la permission de Dieu,
lui suffira.
IV / Ses adâb envers l’Envoyé d’Allâh – çallâ Allâh ‘alayhi wa salam
Il lui incombe
de le vénérer, de le glorifier, de le voir libre de tout défaut et l’estimer
(اعتقاد) comme étant le plus noble des hommes, le Seigneur des fils d’Adam, le
meilleur des êtres, établi dans la plus haute des Demeures auprès d’Allâh et le
plus proche de Lui.
Il doit suivre sa sunna dans ses
paroles et ses actes, se comporter en respectant ses sublimes adâb et
agir selon sa sirat prophétique, l’aimer plus que soi-même,
que ses biens propres, que sa famille et le monde d’ici-bas dans son ensemble,
aimer ses compagnons et sa famille (ahl al-baît), les glorifier et les vénérer, les satisfaire par ce dont ils ont besoin, les préférer à sa propre famille et ses enfants et être
prompt à conseiller toute Sa communauté – çallâ
Allâh ‘alayhi wa salam –
V / Ses adâb avec Allâh – ta‘âlâ –
Il
lui incombe d’être vigilent (murâqaba)
à l’égard d’Allâh qu’il se doit de contempler dans tous ses déplacements et ses
moments de repos, sachant que rien ne peut Lui être caché sur la terre ni au
ciel et doit, de L’adorer suivant Ses commandements, évitant
Ses interdits, se contentant de ce qu’Il décrète pour toutes ses affaires,
se contenter de ce qu’Il lui donne, faisant preuve de compassion envers toutes
Ses créatures en leur étant utile, ne pas contestant pas ce qu’Il a décrété et
destiné à son encontre et que son adoration soit purement pour Son agrément, en
conformité à Son commandement et par amour en Son essence.
L’adâb
visible aux yeux de tous
est le reflet intérieur de l’âme
Il est pour le pauvre un soutien
et pour le riche, une parure et un prestige (10).
Sîdî
Muhî-l-dîn ibn al-´Arabî a dit, dans la cinquième qaçidah sur Abû Madyan al-Ghawth - Allâh sanctifie son secret
- :
Ô toi qui cherches les plaisirs de la proximité comme un
but,
Si tu veux que tout le bien en toi soit visible,
Le conseiller (11) est digne de
confiance, alors écoute le récit :
Il n’y a de
plaisir dans la vie que dans la compagnie des fuqarâ’,
Ce sont eux
les sultans, les maîtres et les émirs.
Des gens qui se sont contentés de peu dans leurs
vêtements
Et dans leur
nourriture, le monde (al-dunyâ) ne traverse
même pas leur esprit, leurs poitrines sont vides des obsessions qui l’agite.
Accompagne-les et sois
poli dans leurs assemblées,
Et abandonne ton
intérêt derrière toi, même s’ils t’ont mis en avant.
Chemine sur leur voie si
tu veux les suivre,
Abandonne tes prétentions
et prends garde de les contredire
Dans ce qu’ils veulent, et
vise leurs profits.
Profite du temps et sois
toujours présent avec eux,
Et sache que la
satisfaction est réservée a ceux qui y assistent.
Sois satisfait d’eux, car
c’est par eux que tu atteindras [le but],
S’ils te confirment, établis-toi,
et s’ils t’anéantissent, annihile-toi,
S’ils t’affament, aie
faim, et s’ils te nourrissent, mange,
Garde le silence sauf si
l’on t’interroge, tu dis alors :
« Je n’ai pas de
connaissance », et voile-toi par l’ignorance.
Ne sois pas critique envers
les défauts des gens,
Même s’ils apparaissent
manifestement dans l’existence,
Regarde avec un œil de
perfection, ne reproche rien à personne,
Et ne vois le défaut qu’en
toi-même, certain que
Le défaut est évident,
mais qu’il est resté caché.
Tu obtiendras ainsi ce que
tu espères de adab,
Rabaisse (ذَلَّل dhalal **) ton âme devant
eux sans aucune hésitation,
Mais tout cela est une remise
en place (dhal) introduisant un adab,
Baisse ta tête et demande
pardon sans raison,
Et tiens-toi debout sur
le pied de l’équité en t’excusant.
Si tu veux sentir de leur
part un éclat de la voie,
Évite tout ce qu’ils
détestent dans tes actes,
Persévère dans les bonnes
actions de ton âme,
Et si un défaut apparaît
en toi, reconnais-le et présente
Tes excuses pour ce qui
provient de toi.
Flatte-les (tamalaq)
et dis : « Soignez-moi par votre réconciliation,
Avec le baume du pardon,
guérissez ma blessure,
Je suis le fautif,
accordez-moi votre pur conseil, »
Et dis : « Votre
serviteur, celui qui mérite le plus votre pardon.
Pardonnez donc, et soyez
doux, yâ Fuqarâʾ. »
Ne les crains pas, si tu
as fauté ; leur aspiration
Est plus élevée et plus
noble pour que leur compagnie te nuise,
Ils ne sont pas des tyrans
dont la force te ferait du mal.
Ils sont plus dignes de
bienveillance, telle est leur nature,
N’aie donc ni de crainte de leur part, ni de mal.
Si tu veux cheminer par
leur aide sur une voie de guidance,
Sois assidu dans ce qu’ils
te demandent,
Dans la lumière de ton
jour, et prends garde de dire « demain ».
Et persévère a chanter
les louanges des frères,
Extérieures et
intérieures, et détourne le regard s’ils trébuchent,
Dis-leur la vérité,
n’emploie pas la bassesse,
Car ils sont gens de véracité,
des maîtres et des chefs,
Et pardonne à tout homme
parmi eux qui t’a offensé.
Observe le shaykh dans
ses états spirituels, il se peut
Qu’on voit sur toi
l’effet de sa bienveillance.
Demande-lui sa
supplication, tu profiteras de sa supplication,
Tu atteindras ce que tu
espères par sa bénédiction,
Ais une bonne opinion de
lui et reconnais le droit de sa sacralité,
Sois sérieux et lève-toi
à son service,
Peut-etre sera-t-il
satisfait, et prends garde qu’on te voit irrité.
Garde son testament, augmente
ta sollicitude envers lui,
Réponds-lui s’il appelle,
aussitôt,
Baisse ta voix dans la
conversation confidentielle pour lui obéir,
Car sa satisfaction est
la satisfaction du Créateur et Son obéissance,
Il sera satisfait de toi,
alors prends garde de délaisser cela.
Sois avec celui dont l’âme
est conciliante
En ce temps, car l’âme est
désespérée
D’eux, et leur sort parmi
les gens est bas,
Et sache que la voie de
la communauté des élus est en voie
d’extinction
Et l’état de ceux qui la
revendiquent aujourd’hui est comme tu vois.
Il est de mon droit, du
fait qu’ils me sont familiers,
De persister dans la
tristesse a cause de leur séparation,
De mon éloignement d’eux
après leur compagnie,
Quand les verrai-je ? Et
comment pourrai-je les voir ?
Ou par mon oreille
entendre un récit a leur sujet.
Mon éloignement m’empêche
de leur convenir,
Je viens de parmi eux,
alors blâme-moi ; Moi, je ne les blâme pas,
Seigneur, accorde-moi une
droiture pour que je les fréquente,
Mais qui pour me soutenir ?
Et comment quelqu’un comme moi pourrait-il les concurrencer
Sur des sources ou je
n’ai pas l’habitude de trouver de trouble ?
Leurs mérites sont trop
grands pour être décrits,
Leurs apparences
témoignent de leurs intérieurs,
Leurs gloires dans ce
bas-monde sont dans l’obéissance a Dieu,
Je les aime, je les
ménage, je les privilégie en
Me sacrifiant, surtout
pour certains d’entre eux.
Une communauté [d’élus] placée
a la tète des créatures par les obéissances,
Celui qui s’assied avec
eux acquiert les ādāb,
Et celui qui s’en éloigne,
son lot est la malchance,
Une communauté [d’élus]
noble de caractère, ou qu’ils s’assoient,
Le lieu garde le parfum
de leurs traces.
Attache-toi a eux, ne t’en
éloigne point, et aime-les encore davantage.
Et si tu t’éloignes d’eux,
pleure de regret,
Une troupe par qui le
chevalier est couvert de noblesse.
Le taçawwuf offre
un aperçu de leurs vertus,
J’ai été charmé par la
vue de leur belle harmonie.
Par eux, j’ai traîné la
traîne de ma fierté dans la voie de l’amour,
Lorsqu’ils m’ont agréé
comme leur simple serviteur dans la voie de l’amour.
Leur droit est que dans
leur amour je ne les oublierai pas,
Ils
sont mes proches et mes bien-aimés,
Fiers,
parmi ceux qui traînent les traînes de la gloire.
Dans la poésie, j’ai
déchiré mon cœur en morceaux dans la voie de l’amour,
Et par leur intercession,
j’ai imploré le Seigneur, en convoitant,
Qu’Allâh me pardonne, a moi et a tous les musulmans,
Que mon lien avec eux
demeure toujours, pour l’amour d’Allâh,
Et que nos fautes en Lui soit pardonnées et
expiées.
Ô vous tous que notre
assemblée a réunis,
Par votre intercession, je
demande à Allâh qu’Il nous efface les péchés,
Et je prie pour celui qui
a mis en quintils la belle norme [du poème],
Puis l’adoration sur
l’Élu, notre Seigneur
Muḥammad, le meilleur de
ceux qui ont respecté leur engagement.
Nous demandons a Allâh le Très-Haut, Seigneur du Trône immense, de nous accorder à nous et à tous les fuqarâʾ ce qu’Il aime et agrée (en matière) de adāb, de faire que toutes nos œuvres soient pures (khâlaçah) pour Sa noble et généreuse Face. Que l’adoration d’Allâh soit sur notre maitre Muḥammad, sur sa famille, ses compagnons et tous ceux qui l’aiment.
* * *
NOTES DES TRADUCTEURS
* Ce texte anonyme (attribué au shaykh Sîdî Muhammad ‘Abd al-Latîf Belqâ’îd, disparu en 2025), fut édité par la zâwiyah de la tariqah shadiliyyah darqawiyyah hibriyyah belqâ’idiyyah siégeant à Oran. La première partie a été mise en ligne sous le titre « l’Adab selon l’enseignement des maitres çûfî » sur ce blog le 16 mai 2014. La suite du traité comprenant l’application des adâb et la conclusion accompagné d’un poème du shaykh al-akbar particulièrement difficile à rendre en français a enfin été traduite par une personne qui tient à garder l’anonymat et que nous remercions vivement.
(1) Adâb : plur. de adab.
(2) Les Connaissants par Allâh (ʿârif-billâh),
ceux ayant atteint le degré de Connaissance par intuition directe (d’origine
divine, -ʿilm-ladunnî).
(3) Au sens de détenir.
(4) Comme, par
exemple, les méditations, retraites, ascèses et autres pratiques venant d’une
décision individuelle.
(5) C’est-à-dire, par ses paroles, ses
actes, et ses états.
(6) le Qorân.
(7) Pouvoirs psychiques permettant de percevoir
directement certaines réalités cachées derrière les apparences des êtres et des
phénomènes.
(8) Ils
abandonnent leur individualité (yatawakkaluna) pour leur Seigneur.
(9) Murabbî :
le shaykh éducateur.
(10) Savant
égyptien shâfî‘ite (1331-1395) et çûfî shâdhilî.
(11) poème
d’Ibn al-banna, çûfî shadhilite de
Saragosse.
(12) Vers issus d’un poème intitule al-mabâḥith al-aṣliyya fî alsulûk (les études fondamentales
sur le cheminement spirituel) d’Ibn al-Bannâ, un çûfî shâdhilî andalou de Saragosse. Ce poème a été commenté par plusieurs
savants, notamment Ibn ʿAjîba et Aḥmad Zarrûq.
(13)
Le quintil est
un poème avec des strophes de cinq vers. Il n’impose pas de formes fixes en
termes de mètre ou de rimes. Ici, Ibn al-ʿArabî rajoute trois vers introductifs
de sa propre composition aux deux derniers vers composés par Sîdî Abû Madyan (les
vers sans retrait dans le texte).
(14)
Sîdî Abû Madyan.
**ذَلُ (dhal) signifie être bas, vil, de condition obscure, chétif, méprisé et ذَلَّل (dhallal) : abaisser, avilir, rendre méprisable, d’où le terme « humilier » choisi par la plupart des traducteurs. Nous savons que l’épreuve, au sens initiatique, n’a pas exactement le même sens que les mots épreuve et éprouver employés couramment, bien qu’à l’origine, le terme prouver a la signification d’« établir la vérité » (lat. probare, mettre à l'épreuve, d’où approuver, prouver). Lorsque que l’on rapporte dans le taçawwuf qu’un shaykh « humilie » ou force son disciple à s’humilier sur un trait de son caractère ou sur la trop grande importance qu’il accorde à son individualité, on peut considérer qu’il l’éprouve, ou mieux qu’il le purifie, car c’est de cela qu’il s’agit, à la différence de l’exigence mystique dans laquelle il peut être question de rabaisser l’individu afin qu’il devienne humble, c’est-à-dire de faire en sorte qu’il modifie la nature de son individualité. La fonction du maître spirituel, du murabbî, est tout autre ; elle consiste à faire apparaitre l’ « identité individuelle » comme nulle : « Il ne s’agit pas de contester que l’humilité puisse être considérée comme une vertu au point de vue exotérique et plus spécialement religieux (lequel comprend, bien entendu, celui des mystiques) ; mais, au point de vue initiatique, ni l’humilité ni l’orgueil qui en est corrélatif ne peuvent plus avoir de sens pour celui qui a dépassé le domaine des oppositions (…) ». (René Guénon, Annexes aux livres, Aperçus sur l’initiation, note 13 du ch. XXXI « la jonction des extrêmes » ; Ed. Kalki.)