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jeudi 16 octobre 2014

LA TARIQAH SHADHILIYYAH DANS LES PAYS OCCUPÉS PAR LES ÉTATS MODERNES.








UNE EXTENSION DE LA TARIQAH SHADHILIYYAH, 
PAR L'UNE DE SES BRANCHES, 
DANS LES PAYS OCCUPÉS PAR LES ÉTATS MODERNES.




Frithjof Schuon – Shaykh ‘Issâ Nûr al-Dîn – (1907-1998).

D’origine protestante et de tempérament mystique, très tôt attiré par la tradition des Peaux-Rouges ainsi que son frère qui deviendra moine trappiste*, F. Schuon Nait à Bâle en 1907. Tout en s’intéressant aux traditions orientales, Il ressent de réelles dispositions pour le culte de la Sainte Vierge. Suite à la lecture des ouvrages de Guénon parus entre les deux guerres, il va correspondre avec ce dernier et, sur sa recommandation, fera le voyage en Algérie pour y rencontrer le shaykh Ahmed al-‘Alâwî à Mostaghanem :
« Je me demande si vous avez déjà réalisé votre projet de partir pour l’Algérie ou si vous allez le réaliser ? (…) Je vous engagerais plutôt à aller à Mostaghanem et à voir le Cheikh Ahmed ben Alioua, à qui vous pourrez vous présenter de ma part »…
Schuon lui ayant répondu, Guénon lui adressera un nouveau courrier directement à Mostaghanem dans lequel il lui précisera :
 « En tout cas la première chose essentielle c’est le rattachement à l’Ordre ; le reste peut venir ensuite, et souvent de façon imprévue ».
Nous sommes alors en 1933 ; un an plus tard, Schuon va connaître « une expérience » ; on rapporte en effet qu’une « Présence » l’accompagna trois jours durant lesquels il eut le sentiment « que le Nom divin s’actualisait en lui avec une résonance et une intensité bouleversante ». Plus tard, il dira que « le Nom divin » avait fondu sur lui « comme l’aigle sur sa proie ». Cet “éveil” se manifesta quelques jours avant la mort du grand murshîd algérien. Il retourna très vite à Mostaghanem et recevra du shaykh Adda Bentounès, le successeur régulier du shaykh Ahmed al-‘Alâwî, l’ « ijaza », c’est à dire le certificat de moqaddem l’autorisant « à répandre le tawhîd et l’Islâm ». De retour en Europe, il fondera alors trois centres : l’un à Amiens en France et deux autres à Bâle et Lausanne en Suisse.
Il prendra rapidement son indépendance à l’égard du successeur du shaykh al-‘Alâwî et se sentira investi dans «  un songe » de la fonction de shaykh.
 Il se sera rendu deux fois au Caire, en 1938 et en août 39, pour rencontrer Guénon, le shaykh ‘Abdel Wahîd Yahya. Deux de ses proches amis et disciples, T. Burchardt et J. L. Michon feront également le voyage pour visiter « le grand çufî ».

En 1980, Schuon partira en Amérique du Nord pour se rapprocher des « Indiens des Plaines » ; il écrira dans une lettre : «  L’âme indienne se trouve ici d’une certaine manière dans l’air […] Étant donné que notre perspective est essentialiste, donc universaliste et primordialiste, il est plausible que nous puissions avoir des rapports de fraternité avec le monde des Peaux-Rouges, lequel intègre la Nature vierge dans la religion ». Pour Schuon, le monde des Peaux-Rouges, peut offrir « dans un univers malsain fait d’artificialité, de laideur et de petitesse une brise rafraîchissante de primordialité et de grandeur ».

The feathered sun (Le Soleil des plumes) est le titre d’un ouvrage paru aux Etats-Unis rassemblant des articles sur l’art et les traditions des indiens, préfacé par Thomas Yellowtail et illustré de peintures exécutées par Schuon lui-même. Dès lors, jusqu’à sa mort en 1998 à Bloomington dans l’Indiana, la production littéraire du maître de cessera d’accroitre une abondante bibliographie.

* Son intérêt pour les indiens Peaux-Rouges était si intense qu’il ira jusqu'à installer un tepee dans l’enceinte de son monastère.


La tariqah al-Mariyamiyyah al-‘Alawiyyah

La nature de l’enseignement de Schuon le shaykh‘Issâ Nûr al-Dîn est rapportée par Martin Lings (un des disciples le plus proche avec Titus Burckhardt), qui a mentionné un extrait de Perspectives spirituelles et Faits humains, en le présentant de la manière suivante : « … un passage d’une importance pratique immense en ce que l’auteur semble parler directement et pour ainsi dire personnellement à chacun de ses lecteurs, adressant à tous une sorte d’avertissement, qui devient pour certains une invitation » ; il s’agit du passage suivant * : « La connaissance ne sauve qu’à condition d’engager tout ce que nous sommes : quand elle est une voie qui laboure et qui transforme, et qui blesse notre nature comme la charrue blesse le sol. (…) La connaissance métaphysique est sacrée. C’est le propre des choses sacrées d’exiger de l’homme tout ce qu’il est » ; Lings commente : «  Schuon insiste ici sur la nécessité d’un engagement total, ce qui est l’un des thèmes dominants de toute son œuvre ; mais en tant que guide d’âmes, il était particulièrement généreux dans l’octroi des moyens par lesquels cet engagement peut-être réalisé, car il connaissait parfaitement la difficulté considérable qu’il y a - spécialement pour qui est né, a été élevé et scolarisé dans l’Occident moderne - à rassembler tous les éléments psychiques épars pour réaliser la perfection d’une sincérité sans faille ».

En 1936, la tarîqah du shaykh ‘Issâ-Shuon est devenue la tarîqah Mariyamiyyah ; c’est alors que Guénon reçoit du Caire un important courrier contenant des questionnements et des critiques de la part de quelques disciples (dont Michel Vâlsan) soucieux de l’orthopraxie du taçawwuf. Voici l’extrait d’une lettre de Guénon à l’un de ses nombreux correspondants relatant un constat plutôt inquiétant à propos de la tarbiyyah très particulière pratiquée par le maître suisse :
« […] A Lausanne, les observances rituéliques ont été réduites au strict minimum, et la plupart ne jeunent même plus pendant le mois de Ramadân […], et je vois que je n’avais que trop raison quand je disais que bientôt ce ne serait plus du tout une tarîqah, mais une vague organisation “ universaliste”, plus ou moins à la manière de celle des disciples de Vîvêkânanda ! ».

Concernant les règles inhérentes aux voies initiatiques de l’Islam :
« […] car, au point de vue technique, l’ignorance de ces gens, à commencer par F. S. [Frithjof Schuon] lui-même est véritablement effrayante ».

Pour les dispenses octroyées à ses disciples ainsi que celles que le shaykh s’octroyait lui-même, Vâlsan citait le hadith suivant :
 « Qui abandonne ma sunnah n’est pas d’entre les miens ! » (Man taraka sunnatî falaysa ninnî).

Enfin, pour ce qui est des libertés et des innovations du shaykh, Guénon rappelle dans l’une de ses lettres que S. ‘Issâ-Schuon, en tant que moqaddem désigné par le représentant régulier de la tarîqah ’Alawiyyah en Algérie,
« se devait de transmettre ce que lui-même avait reçu par son rattachement » ;
C'est-à-dire, les enseignements des shuyûkh de la silsilah al-‘Alawiyyah al-Darqâwiyyah al-Shâdhiliyyah**.


*Éd. Les cahiers du Sud, Paris, 1953, p. 185 et 186.
**Selon la tradition du taçawwuf, elle devrait logiquement être nommé : tarîqah Mariyamiyyah ‘Alawiyyah Darqâwiyyah Shâdhiliyyah et non simplement la Mariyamiyyah, comme elle est désignée habituellement par les disciples de Schuon, laissant ainsi entendre une rupture avec la tariqah Shadhiliyyah. Martin Lings a cependant clairement écrit dans un numéro spécial consacré à Schuon que ce dernier est resté fidèle à l’Islam, jusqu’à sa mort.



Martin Lings – Shaykh Abû Bakr Sirrâj al-Dîn – (1909-2005)

Né dans le Lancashire en 1909 dans une famille Protestante, il partira très tôt avec son père aux Etats-Unis. De retour en Angleterre, il entrera en 1928 à l’université d’Oxford. N’ayant pas trouvé ce qu’il cherchait dans le Christianisme, il décidera de voyager en Inde pour y étudier et approcher l’Hindouisme. En 1938, revenu en Occident, il fera la rencontre de Schuon -‘Issâ Nûr al-Dîn- à Bâle et entrera en Islam. L’année suivante, Lings ira en Egypte pour rendre visite à un ami qui assistait Guénon au Caire. Peu de temps après, son ami décèdera et Lings le remplacera, auprès de Guénon, en tant que secrétaire.
 Il apprend la langue arabe, enseigne à l’université Fu‘ad Premier et s’installe dans le village de Nazlat al-Samân jusqu’en 1952 où il dû quitter le territoire égyptien après les campagnes antibritanniques qui sévirent durant les années de lutte pour l'indépendance.

De retour au Royaume-Uni, il poursuivra des études sur la culture et la littérature post coloniale et obtiendra un doctorat à l'Université de Londres spécialisée dans l'étude de l'Asie, de l'Afrique, du Proche et Moyen Orient (SOAS). A cette époque, il publiera Book of certainly, qui est la traduction d'un ouvrage qu'il rédigea en arabe* lors d'un long séjour en Egypte.

Il publiera ensuite sa thèse de doctorat sur le maître çûfî algérien Ahmad al-Alawî**, travaillera ensuite pour le British Museum puis, plus tard, à la British Library où il approfondira ses connaissances des manuscrits orientaux.

A partir de cette période, il produira de nombreux ouvrages dont nous retiendrons : Muhammad, his life based on the earliest sources, 1983 ; La onzième heure, Croyances anciennes Superstitions modernes***etc.

Rattaché depuis 1938 à la Tariqah ‘Alawiyyah Darqâwiyyah Shadiliyyah, Abû Bakr Sirrâj al-Dîn-Lings succède en 1998 à ‘Issâ Nûr al-Dîn Ahmed-Schuon et dirige les murîd de la tarîqah (devenu la Mariyamiyyah).
Etabli dans le Kent, il continuera de voyager, et chaque année, partira pour La Meckke accomplir une Umra, jusqu'à sa mort en 2005.

*Kitâb al-yaqîn, al-madhhâb al-sûfî fî-l-imân wa-l-kachf wa-l-‘irfân. Ce Kitab est paru en français (dans une traduction moyenne) sous le titre : Le Livre de la Certitude (La doctrine soufie de la Foi, de la Vision et de la Gnose), aux Éditions Tasnîm, en 2009.
**Un saint soufi du XXième siècle, le cheikh Ahmed al-‘alawî, Le Seuil, 1990.
*** Édition originale, George Allen& Unwin Ltd, London ; traduit en français par Jean louis Michon sous le titre Le Prophète Mohammad, sa vie d’après les sources les plus anciennes Éd du Seuil, 1986 ; cette « Risalah » est la plus complète et la mieux traduite de toutes celles qui sont actuellement disponibles en lange européenne ; La Onzième Heure, La crise spirituelle du monde moderne à la lumière de la Tradition et des prophètes, l’Age d’homme, coll. Delphica, 2001 ; Croyances anciennes Superstitions modernes, Ed. Pardès 1987.





Sayyed Hossein Nasr a été désigné pour succéder au shaykh Abû Bakr Sirrâj al-Dîn.



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Michel Vâlsan – Shaykh Mustafâ ‘Abd al-‘Azîz – (1907-1974)
Né en Roumanie en 1907, Michel Vâlsan, alors diplomate, immigre en France dans les années trente. Tout comme Schuon, suite à la lecture des ouvrages de Guénon disponibles dans les années 20, il correspond avec le maître des études traditionnelles auquel il restera fidèle jusqu’à sa mort. C’est ainsi que Vâlsan entre en Islam et, sur les recommandations de Guénon, se rattache au taçawwuf en intégrant la tarîqah de S. ‘Issâ-Schuon qui le désignera par la suite moqaddem pour les disciples de Paris. Les conséquences de l’indépendance revendiquée par Schuon à l’égard de la tarîqah ’Alawiyyah de Mostaghanem et les modalités spéciales de son enseignement vont amener, en 1950, le futur shaykh Mustafâ, sous la caution de Guénon*, à prendre son indépendance vis-à-vis de la Mariyamiyyah du shaykh‘Issâ Nûr al-Dîn Schuon.
L’enseignement du shaykh Mustafâ a consisté pour l’essentiel à transmettre l’identité doctrinale des écrits d’Ibn al-‘Arabî, par des traductions annotées selon les principes métaphysiques exposés par Guénon, et de l’appliquer aux méthodes de la tariqah ‘Alâwiyyah Darqâwiyyah Shâdhiliyyah. Les rites du maqâm tunisien de l’Imâm Shadhilî furent ensuite intégrés aux pratiques de la tarîqah. Le shaykh Mustafâ Vâlsan établiera une zâwîyah pour ses disciples dans la banlieue parisienne.
 En sa qualité de traducteur des écrits d'Ibn ‘Arabî, il deviendra un contributeur de la revue Etudes traditionnelles dont la direction éditoriale lui revient en 1961. Depuis, ses nombreuses traductions des écrits du shaykh al-akbar demeurent une référence incontournable.
Le shaykh Mustafâ ‘Abd al-‘Âziz meurt accidentellement en 1974 sans nommer de successeur**.

*Voir plus haut.
** Un ouvrage posthume regroupant ses principaux articles a été publié aux Éditions de l'Œuvre sous le titre : L'Islam et la fonction de René Guénon, Paris, 1984. Ses nombreuses traductions parues dans la revue des E.T. ainsi que ses inédits et sa correspondance avec Guénon, n’ont pas été repris en volume à ce jour.





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« Immigration » des turûq dans l’Occident moderne.

Le contexte religieux en Europe s’est considérablement modifié depuis les années 70 ; les dirigeants successifs des Etats européens, dont l’objectif avéré depuis la Révolution de 1789 est la destruction de l’ « Ordre traditionnel », n’avaient sans doute pas prévu que l’immigration conséquente à la décolonisation importerait pacifiquement une forme traditionnelle avec laquelle les athées et les chrétiens devraient ensuite partager leur territoire. La présence grandissante de l’Islam en Europe et dans le monde a modifié les conditions permettant de répondre à la nécessité de l’ésotérisme par les nouvelles possibilités initiatiques du taçawwuf. Les disciples de Schuon et de Vâlsan, qui furent en quelque sorte des pionniers, peuvent désormais bénéficier d’une pratique plus accessible des rites islamiques et profiter de la proximité d’autres turûq venues directement des pays musulmans. Il est important de souligner que cet apport de la présence (baraka) des maîtres spirituels constituant les silsilah de ces confréries est un bienfait spirituel appréciable pour les peuples occidentaux, en dépit de ce que peuvent penser certains nationalistes chrétiens qui s’insurgent contre la progression de l’Islam en terre chrétienne. Pourtant, ces gens-là ne peuvent ignorer que leur situation est la conséquence d’un déséquilibre dont leurs proches ancêtres sont pleinement responsables et dont il va leur falloir, à terme, rendre compte, car comme le rappelait Guénon, il est des lois qui veulent que, quiconque sacrifie à un dieu, devienne bon gré mal gré, la nourriture de ce dieu*... 

Les Enseignements des Evangiles sont à ce sujet d’une salvatrice prévention : 


 « Aucun serviteur ne peut servir deux maîtres car : Ou bien il haïra l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et ne tiendra pas compte de l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent (Mammon) ».
(Saint Luc ; 16, 13)

Ou encore :

« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi ! Celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi ! Celui qui ne prend pas sa croix pour venir à ma suite n'est pas digne de moi ! »
(Saint Matthieu ; 10, 37)


Le Coran ne dit pas autre chose :



« Dis : Si vos pères, vos fils, vos frères, vos épouses, votre parenté, les biens que vous avez acquis, un commerce dont vous craignez le déclin et des demeures qui vous sont agréables vous sont plus chers qu’Allâh et Son Envoyé et que le combat dans la voie d’Allâh, attendez-vous à l’échéance de l’Ordre divin ; Allâh ne guide pas les peuples pervers. »
(C. IX, 24)


*Sans nous attarder sur le sort du monde occidental, nous évoquerons brièvement l’influence grandissante de la contre tradition, laquelle, pour le Catholicisme Romain a frappé de manière sournoise avec le Concile Vatican II en supprimant la langue liturgique et en falsifiant les rites ; l’influence délétère du Protestantisme et des sectes évangélistes répandues un peu partout dans la monde et, plus proche de nous, le nationalisme des chrétiens intégristes qui gagne les esprits par le regroupement politique et la manipulation idéologique ; non moins redoutable pour la tradition Hébraïque, les divers courants pseudo-religieux et racistes du nationalisme sioniste, très actifs par leurs “groupes de pression”; et enfin, le formalisme islamique, avec le Wahhabisme, le Salafisme et leurs extensions intégristes-terroristes alimentées par le financement des pays pétroliers.
Il est intéressant de noter que cet ensemble de contrefaçons parle un langage intelligible aux masses intoxiquées par la sphère médiatique, le caractère orthodoxe des religions n’intéressant qu’un nombre de plus en plus réduit de personne. Les musulmans (nous entendons les musulmans véritables pratiquant l’Islâm selon l’orthodoxie des écoles juridiques et qui savent par ailleurs se préserver de ce qui ne les regarde pas) échappent encore pour une grande part à cet amoindrissement intellectuel. Il est certain qu’ils seront protégés tant que le taçawwuf et la spiritualité islamique se maintiendront.














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