LES POITRINES DES HOMMES LIBRES SONT LES TOMBEAUX DES SECRETS صدور الأحرار قبور الأسرار

jeudi 5 mars 2009

SHAYKH AL 'ALÂWÎ (Suite et fin)






Réactions et précisions suite à notre compte-rendu.

(Voire l’article précédent)



La publication du compte rendu de La Voie du Taçawwûf du Sheikh ‘Alâwî paru dans le n° 108 de la revue VLT a suscité certaines critiques à l’endroit des notes et des commentaires du traducteur D. Tournepiche (et conséquemment de notre compte rendu). Outre qu’une partie de ces reproches reposent, nous l’espérons, sur un malentendu reposant sur une mauvaise formulation de notre part (et peut-être sur une partie de phrase manquante), l’essentiel de leurs contenus visait surtout l’absence de réserve et de quelques mises au point attendues dans le CR concernant principalement les notes contenant plusieurs citations de Guénon qui, pour ce lecteur, ainsi assemblées et ajoutées à des commentaires, en arrivent à dire exactement le contraire de l’enseignement du Sheikh ‘Alâwî. Nous devons préciser que (pour la première fois) la Rédaction de VLT, ne fit suivre aucune épreuve habituellement envoyée par l’imprimeur et que les corrections d’usage n’ont pu être effectuées. La note 32, qui s’étend sur trois pages, vient commenter le passage suivant :

« …l’intention pure du murîd, son détachement, le scrupule (wara’) Puissamment déterminé, (…) le cœur exempt de tout caractère blâmable, sans anxiété, (…) insensible à l’infortune : En tout cela est la condition de la réalisation de la perfection (kamal) ».

En effet beaucoup de choses sont évoquées dans cette longue note pour ce qui concerne spécifiquement « la qualification du murîd ». Tenant compte du contexte dans lequel le Sheikh a écrit qui ne correspond pas tout à fait à celui qui est le nôtre actuellement et bien que ce soit justement sur cette évolution de la situation, et en rappel de l’enseignement guénonien, que reposait les remarques de D. T. , Il aurait sans doute été mieux accepté si celui-ci, au préalable, avait distingué les différentes sortes de murîd, puis les différentes possibilités de manifestation du murshîd et enfin, évoqué concernant le taçawwuf, les difficultés liées a présence dans un monde qui lui est délibérément hostile. Compris comme allant de soi, et ainsi sortit de son contexte, puis accolé à des conseils venant d’un enseignement direct relevant d’un autre ordre, « la connaissance théorique de la doctrine et la concentration, le rattachement (…) restant la condition principale et préalable » extrait des Aperçus sur l’initiation, ainsi que les autres citations (qui doivent se lire dans l’attention requise par l’ensemble des chapitres contenus dans cette étude et dans Initiation et Réalisation spirituelle) n’a pas été compris, de même que, n’a pas été acceptée la liberté prise de considérer nos conditions actuelles (conditions d’“acquisition” du noble caractère selon la transmission excluant la possibilité d’un cheminement pas à pas sous la direction d’un véritable murshîd). René Guénon, considérant le rattachement, distinguait les conditions orientales et l’état d’esprit occidental. Il n’est plus explicitement question de cela dans la note 32, (ce qui relève de la voie occidentale étant mis de côté) mais de la possibilité du sulûk sous la direction d’un (véritable) murshîd, à ne pas confondre avec la fonction de moqaddem ou celle d’un sheikh n’ayant pas encore parcouru toutes les stations de la voie jusqu’à terme.

Comme nous n’avons, aucune compétence sur cette question difficile, nous nous contenterons de poser les éléments de la question qui se résument à ceci : Où va le murshîd lorsqu’il disparaît et quelle est alors la nature actuelle de sa guidance ? Conjointement à cette autre : le murshîd disparaît-il pour tout le monde ou seulement pour ceux qui ne sont pas expressément qualifiés ?

Une partie de la réponse est dans la formule traditionnelle disant que lorsque le disciple est prêt, se présente alors le maître (en nous gardant de préciser s’il s’agit du maître physique ou du maître intérieur). La solution à toutes ces questions doit se faire normalement, in shâ’Allâh, dans une recherche active. Pour notre part, nous ne pouvons dire davantage.


M. R.  

 

Suite à cette précision, nous avons reçu, la remarque suivante de D. Tournepiche :

« Cette note 32 a suscité en effet des réactions dentiques de plusieurs côtés qui me conduisent à reconnaître que son contenu peut prêter à confusion. Pourtant, elle ne fait que reprendre, en les articulant dans une intention précise, un ensemble de principes et de règles techniques énoncés par R Guénon au sujet de la voie de réalisation spirituelle. C'est volontairement que j'ai voulu les résumer dans une formule spéciale : la doctrine est le maître véritable de la réalité essentielle. Or j'ai pris soin d'expliquer ensuite dans quel sens la doctrine devait s'entendre ici, de telle sorte qu'aucun malentendu ne subsiste dans l'esprit du lecteur attentif. J'estime par conséquent que les reproches qui m'ont été adressés à ce sujet ne sont pas recevables. Au contraire, ils pourraient peut-être révéler le contraire de ce qu'ils prétendent, à savoir qu'il faut se conformer à une discipline rigoureuse sous la direction d'un sheikh pour assurer son profit spirituel plutôt que de spéculer de façon artificielle comme ils me reprochent de l'avoir fait. En réalité, le fait est que les indications données ici par Sheikh ‘Alawî sur les conditions d'acquisition de la Perfection, quand elles sont reçues dans les conditions de l'occident moderne, doivent être actualisées par l'enseignement providentiel donné par R Guénon afin d'être opératives à quelque degré.

Ce point de vue légitime n'est effectivement pas partagé par tout le monde: il existe en quelque sorte deux écoles (nous renvoyons d'ailleurs nos contradicteurs aux articles publiés par nous dans VLT sur le thème de l'intellect dans l’œuvre de R Guénon, auxquels il faudra présenter d'autres objections que des postures scandalisées de supposés murîd convaincus de représenter l'orthodoxie, parce qu'ils accomplissent quotidiennement les rites de la sharî'a et le dhikr prescrit dans la dévotion à leur maître et l'enseignement normal de leur silsila. Qu'ils sachent qu'ils n'ont nullement l'exclusivité de cet aspect de l'enseignement traditionnel, et que ceux qui considèrent que l'étude de la doctrine reste la base nécessaire à toute réalisation ne l'ignorent nullement).

Il y a donc ceux qui considèrent l’œuvre de R Guénon comme une simple propédeutique à l'entrée dans une voie, et ceux qui considèrent que, bien loin de se réduire à cela, l’œuvre de R Guénon constitue un enseignement opératif spécialement destiné aux occidentaux de notre époque, qui garde son actualité une fois accompli le rattachement à une voie traditionnelle définie. Il y a là un aspect des choses réellement important, et totalement étranger aux spéculations mentales ou pseudo intellectuelles que certains veulent y voir. C'est dans le fond cette perspective qui commande la rédaction de cette note 32. Nous ne vivons plus aujourd’hui à l'époque de Junayd ou de l’Imam Shadhulî, ni même à celle de sheikh 'Alawî, malgré sa proximité dans le temps et dans l'espace et l'importance bien connue de sa tarîqa et de sa rûhâniyya vivante dans l'établissement du taçawwuf en Europe (et c'est bien pour cela que nous avons jugé utile de présenter cette traduction de la qaçîda minhaj al-taçawwuf...), et une adaptation est indispensable pour les européens (il s'agit évidemment d'une règle générale qui suppose toujours des exceptions). Les partisans de l'intégration totale et exclusive dans la forme risquent de se retrouver dans la situation de l'arroseur arrosé à montrer ainsi complaisamment du doigt de soi-disant pseudo intellectuels guénoniens dévoyés.

La posture du murid scandalisé à laquelle nous faisions allusion plus haut pourrait ainsi révéler quelques idoles tout aussi nuisibles que la spéculation mentale désorientée qu'ils veulent dénoncer, l'argument n'étant pas nouveau. Nombreux aujourd’hui dans les turûq de France et de Navarre, sont ceux qui s'installent paisiblement dans d’autres illusions, confortés par la régularité de leur situation formelle et disciplinaire, ou s’autosuggestionnant sur la réalité de leur abandon spirituel entre les mains de leur sheikh, qu’ils parent éventuellement de qualités plus ou moins hypothétiques, l’hydre de l'âme et du mental se reconstituant continuellement en s'adaptant aux circonstances.

Dans l'ivresse apaisante du dhikr collectif, et la jouissance d'une réelle présence de la baraka, un pharisianisme d'un nouveau genre peut ainsi se développer et prospérer là on l'attend le moins, et il est tout aussi dangereux que l'intellectualisme réel ou supposé visé par les objecteurs de la note 32 signalés par mr Rouge. Mais un autre principe de l'adab des gens de la voie consiste dans la fraternité sincère, qui ne nécessite pas d'adaptation particulière comme celles dont nous parlions plus haut, sur laquelle insiste précisément Sheikh 'Alawî, et qui devrait normalement se traduire par un échange d'idées dépourvu d'arrière-pensées partisanes ou d'esprit de chapelle. Or de ce côté là, étant disposé nous-mêmes à croître en science en profitant de celle de nos compagnons proches ou éloignés, nous dirons que nous sommes franchement déçus que les mystérieux objecteurs de la note 32 aient préféré faire part, en coulisse, de leur point de vue à M. Rouge plutôt qu'à nous-mêmes qui sommes tout de même les premiers concernés...au point que nous nous demandons si la mauvaise opinion qu'ils paraissent avoir de nous n'a pas une source plus lointaine que cette note 32...

Ajoutons, puisqu'il est question de cette note, qu'elle fait partie d'un ensemble qui en comprend 73, et qu'elle accompagne un écrit édifiant de Sheikh 'Alawî et sa traduction, sur lesquels personne jusqu'à présent ne m'a fait de remarque particulière, lesquelles seront toujours bienvenues (même si elles sont défavorables) si elles témoignent d'une intention droite orientée vers le recherche de la vérité et l'accroissement de science. 

 

Wa Allâhu akbar !

 

D.T.

SHAYKH AL-‘ALÂWÎ










SHAYKH AL-‘ALÂWΠ
Minhâj al-taçawwuf 

 La voie du Taçawwuf
Épitre sur la voie soufie
 

 
 

 

 

D. Tournepiche, collaborateur à VLT depuis quelques années, vient de faire paraître aux éditions Albouraq une traduction de la dernière partie d’un ouvrage en vers du Sheikh A. Ibn-Mustaphâ al-‘Alawî ; Al-risâla al-‘alawiyya fî ba’d min al-masâ’il al-shar‘iyya, (Épître sur la voie soufie). Ce texte, ainsi que l’explique le traducteur dans sa présentation, est une synthèse des vérités doctrinales, des règles rituelles, des méthodes et de l’adab qui se doivent d’être comprises et mises en œuvre par le murîd (disciple) ayant reçu l’initiation (pacte initiatique). Nous saluons l’initiative de Tournepiche d’avoir fait publier le texte original en regard de sa traduction, qui ne présente aucune difficulté particulière pour un lecteur francophone ayant les connaissances de base de la grammaire arabe. Afin de bien préciser les intentions du Sheikh ‘Alâwî, le traducteur a reproduit un extrait de la préface que celui-ci rédigea pour son traité al-manh al-quddûssiyya (le don sanctifié) :

« (…) Le sage parmi les soufis a dit : Il y a une grande différence entre celui qui est conduit par [cette vision directe] et celui qui s’en enquiert à son sujet. Les tenants de toute science particulière s’affrontent et disputent entre eux tandis que leurs représentants attitrés s’opposent et se contredisent. Ce n’est pas le cas de cette noble science, pure de divisions et d’altérations ».

 En effet, C’est en principe toute la différence entre le point de vue de la théologie et celui de la réalisation spirituelle par le dévoilement et la connaissance directe ; l’un dépend de l’activité limitée et discursive de la raison, l’autre s’est définitivement affranchi des conditionnements de la conscience ordinaire. C’est ainsi que la foi en la Révélation de l’Islâm et en son Envoyé, par la ferveur du « Grand Jihad », se transforme en Connaissance. Le texte lui-même se compose de 132 distiques (qui perdent hélas la sonorité de leurs rimes une fois traduits) annotés par de longs et nombreux commentaires que certain jugeront sans doute un peu denses. Cependant, comme il s’agit d’une traduction et par conséquent d’une interprétation, Tournepiche a choisi, en se référant à différentes sources, d’expliciter intellectuellement l’enseignement du Sheikh par des développements surtout profitables aux familiers des œuvres de R. Guénon et M. Vâlsan. Le sheikh ‘Alâwî aborde les aspects essentiels de l’intention spirituelle et de la pratique au sein de la tariquah. Dés les premiers vers, la voie (tarîq) est définie comme « la réalisation effective du lien fondamental qui l’unit à l’Elu », c’est à dire du Prophète Mohammad (‘a s) lui-même. C’est par le sheikh-murshîd que s’établit le rapport vivant à la Loi sacrée et sa Fin ultime qui est Vérité absolue. « Les gens du banc » (ahl al-sâfâ) sont mentionnés, et, ainsi que le commente le traducteur, le Sheikh fait allusion à l’homonymie entre les termes arabes çuffa (banc) et çafâ (être pur) ; le terme taçawwuf (que l’on traduit en général de façon fautive, par mystique) se compose en effet des mêmes lettres çad, fâ et waw. Donc, « La compagnie du sheikh est obligatoire », « L’intention droite » et « l’orientation permanente », « l’accomplissement des rites obligatoires », « l’effort (ijtihâd) » sont envisagés comme la définition même du murîd (le disciple initié) ainsi que la considération de ce dernier à l’égard de son frère dans la voie, que l’on retrouve d’ailleurs  dans toute la spiritualité islamique. La place centrale revient sans aucun doute au murshîd et à l’éducation (adab) dont il est le support incontournable.

Cependant, si l’adab du disciple envers le maître est généralement assez bien compris, il en va différemment des qualités du maître spirituel car celles-ci demeurent inexplicables sinon par cette éducation (adab) reçue de l’irshâd. En effet, ce sont les ressources spirituelles maintenues par l’organisation traditionnelle de la vie sociale qui garantissent l’état d’esprit et le désintéressement dans la préparation et l’approche du disciple et, pour le Sheikh, « L’adab du Maître envers le disciple ». Ce dernier point a son importance car lors de l’initiation, le pacte contracté par le disciple le lie en retour à l’accomplissement spirituel de ce dernier.

Le Sheikh ‘Alâwî écrit que le murshîd

 «  (…) Excelle dans les relations sociales et domestiques. Clément pour les grands comme pour les petits, / S’occupant du riche comme du pauvre. Il donne à tout ce qui possède un droit (dhî haqq) les conseils qui lui reviennent, /avec sévérité comme avec douceur. Il contrôle la purification des cœurs / en leur commandant le dhikr et la discipline spirituelle (al-riyâda). Il les préserve dans leur parcours autant qu’il le peut / jusqu’à ce que son disciple arrive à son seigneur et maître (mawlâhu) ».

Le contenu de ce traité nous conduit vers les difficultés posées par la tendance accélérée vers la dissolution de toutes les formes traditionnelles. Dors et déjà, étant donné que pratiquement plus personne n’est en mesure de souscrire aux qualifications requises qui fondent le point d’appui nécessaire du disciple né en Occident moderne et susceptible de recevoir régulièrement la guidance, comment pourrait-il y avoir une présence opérative des Maîtres qui soit, à l’instar du Sheikh ‘Alâwî, plus qu’une simple « activité de présence » ?

 










lundi 2 mars 2009

À propos des ouvrages posthumes de René Guénon











Extrait d'une lettre de Clavelle (Jean Reyor) datée du 24 Août 1975.



        Connu de quelques guénoniens, lextrait suivant a le mérite de décrire certaines des conditions qui ont déterminé la publication des ouvrages posthumes de Guénon. À lire avec les réserves d’usage pour ce qui concerne les opinions personnelles de lauteur.


 « […] J’ai déploré longuement et publiquement en 20 pages du “Symbolisme” (janv.-févr.1965) la publication des 2 volumes de Guénon sur la Maçonnerie, publication due à la sottise congénitale et définitive de Roger Maridort, bien que d’autres aient aussi leur responsabilité en cette affaire. Tu n’as peut-être pas su les détails des faits relatifs aux ouvrages posthumes de Guénon.
Dès la mort de Guénon, à un moment où la tutelle des enfants n’était pas encore établie et où il n’y avait personne qui eut qualité juridique pour traiter avec les éditeurs, les Chacornac s’autorisant d’une lettre adressée à moi par Guénon au sujet des publications à faire après sa mort, me chargèrent de préparer plusieurs volumes destinés à paraître assez rapidement afin de procurer des droits d’auteur à la veuve et aux enfants.
Je prépare d’abord “Initiation et Réalisation spirituelle” qui parut dès 1952, puis “Aperçus sur l’ésotérisme chrétien”. Mais au moment où on allait donner le bon à tirer de ce dernier ouvrage les Chacornac recevaient une lettre de Caudron annonçant qu’il était mandaté par la tutelle des enfants Guénon pour s’occuper des affaires d’édition et demandant qu’on suspende toute publication en attendant sa venue à Paris – Caudron vint accompagné de Vâlsan qu’il présenta comme son substitut et à qui on remit les épreuve des “Aperçus sur l’ésotérisme chrétien” – En ayant pris connaissance, Vâlsan me demanda aussitôt de retirer ou de modifier mon avant-propos qu’il estimait scandaleux pour la mémoire du musulman Guénon puisque je rappelais, par ses propres textes, qu’il avait reconnu la divinité du Christ – Je refuse de changer quoique ce soit à mon texte et je dis à Vâlsan : “vous avez le pouvoir de supprimer cet avant-propos mais je vous préviens que, dans ce cas, il paraîtra ailleurs avec des explications sur les motifs de sa suppression”. Ainsi coincé Vâlsan donna le bon à tirer sans changer une virgule à mon texte. Mais pendant que s’était préparée l’impression des “Aperçus sur l’ésotérisme chrétien”, j’avais commencé un 3ième et gros volume sur la Maçonnerie, tout différent de celui qui a été finalement publié dix ans plus tard, car j’y avais fait large part au symbolisme. Il me restait à écrire une introduction assez importante. Comme les publications passaient aux mains de Vâlsan, je n’ai jamais écrit cette introduction.
Huit ans près les“ Aperçus sur l’ésotérisme chrétien”, Vâlsan fit paraître les “Symboles fondamentaux”. A ce moment je pensais qu’il n’y aurait plus de recueil sur la Maçonnerie puisque tout ce qui concernait le symbolisme maçonnique se trouvait dans les “Symboles fondamentaux” qui d’ailleurs reprenaient aussi certains articles déjà parus dans les “Aperçus sur l’ésotérisme chrétien” (recueil “provisoire” disait Vâlsan). La tactique de Vâlsan était claire : il n’y aurait pas de recueil de Guénon sur la Maçonnerie et les “Aperçus sur l’ésotérisme chrétien” seraient retirés du commerce ou, du moins ne seraient pas réédités.
Mais peu après la publication des “Symboles fondamentaux”, Vâlsan était  dessaisi de son mandat, celui-ci étant confié à Maridort. Celui-ci arrive aussitôt chez moi en me demandant de préparer d’urgence un volume ou deux d’articles et de comptes-rendus sur la Maçonnerie. Je lui dis que la situation avait grandement changé depuis 1945 puisque tout ce qui concernait le symbolisme maçonnique était déjà publié en volume et qu’il me paraissait impossible de réaliser ce recueil à moins de le faire précéder d’une introduction cette fois très importante. Il fallait penser que ce recueil pourrait être acheté par des gens qui n’auraient rien lu d’autre auparavant de Guénon. Ceux-ci ne pourraient rien comprendre aux articles qui restaient à publier si on n’expliquait pas d’abord dans une préface ce qu’était la Maçonnerie pour Guénon, ce qu’il entendait par initiation. Il fallait donner un bref historique de la Maçonnerie et quelques notions de symbolisme. Il était possible de faire cette préface en utilisant principalement des citations de Guénon tirées des ouvrages déjà parus mais il y aurait tout de même une participation personnelle du préfacier. J’étais disposé à entreprendre ce travail qui, à première estime représentait au moins 50 à 60 pages, mais que c’était une chose pour laquelle il ne m’était pas possible de fixer un délai rapproché. Ce n’était d’ailleurs qu’en faisant le travail que je me rendrais compte de l’étendue qu’il faudrait lui donner. Je me réservais – puisque je prendrais aussi la responsabilité du recueil – de choisir les articles et comptes-rendus qui y figureraient (je pensais ne rien prendre de la “Gnose” et très peu de la “France anti-maçonnique”)*. Maridort s’écria que ce n’était pas cela qu’il me demandait, mais simplement de faire un classement des articles, y compris tous ceux signés “Palingenius” et le “Sphinx”* et prendre tous les comptes-rendus. J’essayais de lui faire comprendre l’absurdité de cette entreprise et, comme je sentais bien qu’il avait une arrière-pensée, je finis par lui dire : “Tu as peur que je fasse de la pensée de Guénon une présentation que tu qualifierais de tendancieuse”. Il avoua que c’était bien cela – à quoi je répondis : Tu as bien tord ; car c’est toi qui est le maître de la publication. S’il se trouve dans mon texte quelque chose qui ne te conviens pas, tu ne le publies pas. Il ne sera publié qu’un texte sur lequel nous serons tombés d’accord”. Mais mon bonhomme ne se sentait pas rassuré pour autant, me croyant capable de machiavélisme. Il resta sur ses positions. Je lui dis que dans ce cas la chose ne m’intéressait pas, que dans ces conditions n’importe qui pouvait faire un classement en quelques jours, lui tout le premier. Comme le bruit avait couru parmi les lecteurs des E. T. que c’était moi qui devait préparer ce recueil, dès sa publication je fis paraître l’article de janvier-février 1965 dans le “Symbolisme” pour dégager ma responsabilité dans cette entreprise absurde. Voilà pour l’anecdote.
Quant au fond de la question, c.à.d. les positions contradictoires de Guénon concernant la Maçonnerie, j’ai essayé de les expliquer dans ce même article du “Symbolisme”.
En deux mots, je crois qu’on peut dire ceci : il y a ou presque parfaite continuité entre Palingenius et Guénon lorsqu’il s’agit d’exposés de doctrines orientales : Guénon y transmet ce qu’il a lui-même reçu. Il n’en va pas de même lorsque Guénon traite des organisations occidentales et notamment de la Maçonnerie. Là il est réduit à ses propres moyens (s’il a reçu quelque chose de l’ancienne Maçonnerie – l’histoire des Maîtres à tous grades – ce fut certainement après l’époque de la “Gnose”) et l’approfondissement de ses connaissances l’a amené à changer ses positions totalement.
A vrai dire, dans une phrase assez énigmatique (“ceux de nous – qui sont morts depuis longtemps”) il a lui-même laissé entendre en 1933 que le Guénon de la maturité ne se voulait plus solidaire de Palingenius et du Sphinx.
Je ne crois pas devoir m’excuser de ces explications un peu longuettes : il me semble bon qu’après moi il y ait quelqu’un qui sache avec précision comment certaines choses se sont passées… et où se trouvaient les responsabilités ».







*Clavelle écrit : la “Gnose” ; la “France anti-maçonnique” ; le “Sphinx”.


Pour un aperçus sur quelques problèmes posés par la réédition de l’œuvre complète de Guénon (avant que celle-ci ne tombe dans le domaine public en 2022), voir les deux messages postés plus haut, le 20 septembre 2013 et le 13 octobre 2013 : « La publication des inédits de Guénon ».
  









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