LES POITRINES DES HOMMES LIBRES SONT LES TOMBEAUX DES SECRETS صدور الأحرار قبور الأسرار

mardi 31 mai 2022

30 shawwâl 1443 / 31 mai 2022 – Hamza Benaïssa –








« Le point de vue religieux est merveilleusement adapté à la mentalité de ce qu’on peut appeler ‟l’homme déchu”, c’est-à-dire de celui qui, par incapacité de s’attacher à la vérité pour elle-même et d’une façon purement intellectuelle, éprouve le besoin de ‟consolations” sentimentales, à travers lesquelles il pourra du moins entrevoir cette vérité, indirectement et comme symboliquement, dans la mesure où il en sera susceptible. – À un autre degré plus bas de cette déchéance correspond le point de vue proprement moral, tel qu’il est envisagé surtout par les modernes : c’est là une dégénérescence du point de vue religieux, caractérisée par l’abandon des éléments intellectuels (constitutifs du dogme) au profit exclusif des éléments sentimentaux ; ce caractère du ‟moralisme” est particulièrement net dans le protestantisme, et aussi dans le modernisme, dont les tendances fondamentales sont d’ailleurs les mêmes que celles du protestantisme » (René Guénon, Notes inédites).

 Hamza Benaïssa, Introduction à l’étude de l’influence politique du pouvoir financier, Éditions Fiat Lux, 2016.

 Dans ce petit ouvrage, l’auteur analyse les conditions générales du pouvoir financier actuel avec l’intention d’en marquer nettement la distance prise à l’égard de l’organisation traditionnelle de la période médiévale dans laquelle la caste des marchands trouvait sa fonction légitime et nécessaire à la régulation des échanges. L’intérêt de cette étude doit beaucoup à l’excellente connaissance que H. Benaïssa possède de l’œuvre de René Guénon, ce qui lui permet de dintégrer le long processus de déchéance des institutions traditionnelles durant cette dernière période de notre cycle humain en se référant principalement à la tradition islamique dont il maitrise aussi bien la doctrine que la langue. La désorganisation des classes sociales y est aussi illustrée par de brefs aperçus historiques expliquant par exemple que « l’ascension politique de la caste marchande, à l’ombre de l’absolutisme  royal, a nécessairement pour contrepartie, d’un côté la déchéance de la caste guerrière de ses prérogatives politiques pour être reléguée à la vie lascive et dispendieuse des cours ; de l’autre, la déchéance des classes populaires supportant le poids des impôts institués par la caste marchande (…) ». L’auteur présente clairement la victoire politique de la caste marchande sur la noblesse, stigmatisée comme bouc émissaire, et démontre la contribution du Protestantisme qui, en cristallisant l’individualisme, précipita l'ensemble de la société vers des préoccupations exclusivement matérielles. Les moyens de production concourant à cette évolution ne pouvaient se réaliser efficacement que sur la spéculation financière des richesses acquises au détriment de l’exigence spirituelle garantie jusqu’alors en Occident par les institutions du christianisme ; il fallait donc compléter et  prendre en compte le statut supra-national de la diaspora juive dont le rôle fut capital pour la domination progressive de la finance sur les peuples européens. Personne ne pourra reprocher à l'auteur de citer abondement Jacques Atali, expert tout désigné  des « fondements anti-traditionnels du pouvoir financier » et promoteur du capitalisme mondial. Ainsi, selon ce dernier, la banque juive fut décisive dans la révolution industrielle, et se constitua en un petit groupe « à partir de fournisseurs de cours (…), en Allemagne, en France et en Angleterre, pour financer les infrastructures publiques et les entreprises privées. Les banquiers juifs, depuis deux-milles ans, experts en prêts, en constituent l’avant-garde ». On veut ignorer que l’efficacité perverse de la tendance à l’accumulation spéculative et financière se situe dans le rapport déviant du juif modernisé qui justifiera ses actes par une lecture formelle et tendancieuse des textes de la Thorah, du Talmud et ceux de la Jurisprudence. Benaïssa a le mérite de bien  mettre en avant ce que toutes les idéologies progressistes recouvrent d’un voile épais, à savoir que la déviation religieuse anti-traditionnelle qui se manifeste ouvertement dans le monde juif est accueillie avec d’autant plus d’enthousiasme par les acteurs du monde moderne que ceux-ci, pour exister pleinement et sans entrave, se sont déjà coupés de la spiritualité chrétienne en diffusant l’humanisme et les courants de pensée contre les institutions religieuses. Cette involution est bien décrite, notamment la raison profonde de l’abrogation de l’interdiction de spéculer qui perdura durant toute la période médiévale. À partir de la Renaissance, la diffusion de l’esprit de la Réforme, à l’insu même de ceux qui s'y opposèrent, acheva la rupture avec ce qui restait de la Chrétienté médiévale ; rupture définitivement consommée par la Révolution de 89. L’homme moderne, acculé et sans solution, doit en conséquence subir son sort et devenir la nourriture de ses désirs, du moins, tant qu’il rejettera l’intelligence et la compréhension des causes de sa situation absurde. Aujourd'hui, les représentants de la religion chrétienne, dans le monde occidental, s’accommodent suffisamment des idéologies modernes pour être considérés comme étant du côté de la contre-tradition, ce qui explique par ailleurs leur haine manifeste à l’égard de  l'Islâm (et de la shari’ah) ou de tout autre application sociale ou politique de la tradition. Il faut bien reconnaitre, qu'au sein de l’Église, l’adoption plus ou moins consciente des « lois démocratiques » influe directement sur l’amoindrissement de ce qui reste de ses dogmes. La culture de la consommation garantie par tous les régimes politiques de l'occident moderne contribue substantiellement et sans retenue à la surpuissance tentaculaire du capitalisme. On sait que les « États démocratiques » ont pour fonction d’imposer cette hégémonie ploutocratique en rendant impossible tout arrêt de la progression de l’hydre financière ; à ce titre, l’auteur constate qu’à la fin du XXe siècle « le pouvoir financier international renoue par le biais des néoconservateurs aux USA et des conservateurs en Angleterre avec le libéralisme sauvage, en prétendant que ce serait là, la seule façon possible de résoudre la crise économique et financière ouverte, depuis 1973, par le choc pétrolier provoqué par la quatrième guerre arabo-israélienne ». Aujourd’hui, les tentatives exercées en vue de contrecarrer la domination de la finance consumériste basée sur la « dérégulation des marchés » l’ont finalement renforcé d’avantage encore. Et, de ce point de vue, force est de constater que toute politique sociale d’opposition, tout extrémisme révolutionnaire et in fine toute critique, dans le cadre des « démocraties » du bloc occidental, concourent bon gré mal gré au maintien de cette main mise du pouvoir de la finance. En conclusion, Hamza Bénaïssa souligne l’aveuglement et la soumission des acteurs du FMI et de la Banque mondiale, hypnotisés par leur « statut spéculatif et usuraire ». Ainsi, suspendus à l’oppression de ce pouvoir satanique, notre monde et sa destinée se dirigent fatalement vers son écroulement qui signera l’épuisement de ses possibilités.





 

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Dans un article publié dans « La France anti-maçonnique : Réflexions à propos  du pouvoir occulte », Guénon a écrit :

« Un autre point qui est à retenir, c’est que les Supérieurs Inconnus, de quelque ordre qu’ils soient, et quel que soit le domaine dans lequel ils veulent agir, ne cherchent jamais à créer des ‟mouvements”, suivant une expression qui est fort à la mode aujourd’hui ; ils créent seulement des ‟états d’esprit”, ce qui est beaucoup plus efficace, mais peut-être un peu moins à la portée de tout le monde. Il est incontestable, encore que certains se déclarent incapables de le comprendre, que la mentalité des individus et des collectivités peut être modifiée par un ensemble systématisé de suggestions appropriées ; au fond, l’éducation elle-même n’est guère autre chose que cela, et il n’y a là-dedans aucun ‟occultisme”. Du reste, on ne saurait douter que cette faculté de suggestion puisse être exercée, à tous les degrés et dans tous les domaines, par des hommes ‟en chair et en os”, lorsqu’on voit, par exemple, une foule entière illusionnée par un simple fakir, qui n’est cependant qu’un initié de l’ordre le plus inférieur (…). Ce pouvoir de suggestion n’est dû, somme toute, qu’au développement de certaines facultés spéciales ; quand il s’applique seulement au domaine social et s’exerce sur l’‟opinion”, il est surtout affaire de psychologie : un ‟état d’esprit” déterminé requiert des conditions favorables pour s’établir, et il faut savoir, ou profiter de ces conditions si elles existent déjà, ou en provoquer soi-même la réalisation. Le socialisme répond à certaines conditions actuelles, et c’est là ce qui fait toutes ses chances de succès ; que les conditions viennent à changer pour une raison ou pour une autre, et le socialisme, qui ne pourra jamais être qu’un simple moyen d’action pour des Supérieurs Inconnus, aura vite fait de se transformer en autre chose dont nous ne pouvons même pas prévoir le caractère. C’est peut-être là qu’est le danger le plus grave, surtout si les Supérieurs Inconnus savent, comme il y a tout lieu de l’admettre, modifier cette mentalité collective qu’on appelle l’‟opinion” ; c’est un travail de ce genre qui s’effectua au cours du XVIIIe siècle et qui aboutit à la Révolution, et, quand celle-ci éclata, les Supérieurs Inconnus n’avaient plus besoin d’intervenir, l’action de leurs agents subalternes était pleinement suffisante ».

Cette réflexion demeure d’actualité. Les diverses influences qui se sont exercées sur les mentalités depuis le début des années soixante ont réussi à éradiquer en une cinquantaine d’années toutes les références culturelles transmises tant bien que mal par les générations de la première moitié du XXe siècle. Si l'on retient encore aujourd’hui certains faits marquants, l'esprit qui les anima s'est définitivement perdu, ce qui en restait de valable étant abandonné aux vicissitudes de la culture et de la propagande contemporaine. La logique du progressisme interdisant toute transmission, le mouvement carcéral des nouvelles techniques du Web et de l’informatique l’emporte depuis le début du XXIe siècle, d'une part, en assujettissant les pouvoirs politiques sous influence de la finance internationale (cf. compte-rendu ci-dessus) et, d'autre part, en exerçant directement un conditionnement psychique sur les « masses médiatisées ». Le résultat est probant puisque les « suggestions appropriées » émises sur les populations désorientées réussissent à imposer la fatalité de la mondialisation avec toutes les conditions possibles et imaginables, notamment la redéfinition de la condition humaine par les idéologies infra-humaines des anglo-saxons : Reset, Transhumanisme, Gafa, etc.

Le règne de la quantité passe ainsi au stade supérieur de la dictature psychique imposée à la majorité des humains contrainte d’accepter l’hypothèse et la mise en œuvre d’un « homme nouveau » pour résoudre le cercle vicieux des conséquences mortifères de l'industrie et de ses techniques. En poursuivant jusqu’à l’extrême limite les conséquences de ce mouvement hypnotique, l’humanité risque fort de répondre au souhait de quelques sinistres projets et d’être « formatée » comme il convient pour franchir le seuil de la « contre-initiation »*.

 

 


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« Ce que vous dites au sujet de la présence d’êtres ayant en quelque sorte pour fonction de “restaurer l’équilibre” est certainement juste, et j’ajouterai même que, s’il n’y en avait pas constamment, le monde finirait aussitôt. Suivant la tradition islamique, il y a un tel être qui, chaque année, prend sur lui-même les trois quarts des maux qui doivent survenir en ce monde… » (1).

 

 

LE REGARD D’ABD AL-QÂDIR SUR LES HOMMES (extrait) :

« L’explication du devenir du monde par l’effet des théophanies ne se limite pas chez Abd el-Kader à une simple doctrine. Quelques passages des Mawâqif nous montrent qu’il observait le monde avec les yeux d’un homme qui contemple Dieu en toute chose. Interrogé sur la raison pour laquelle les musulmans à son époque s’empressaient d’imiter les occidentaux en toutes choses, il répond que la plupart de ses contemporains, sauf l’élite des serviteurs de Dieu, agissent ainsi parce qu’ils pensent que Dieu a apporté son secours aux incroyants contre les musulmans. Or il n’en est rien. La défaite du musulman vient de ce que s’étant détourné de la Loi de son prophète, il se trouve soumis au nom divin al-Khâdhil « Celui qui abandonne », qui projette dans son cœur la peur de l’incroyant et provoque le triomphe de ce dernier. Les rois et les grands du monde musulman s’imaginent que les infidèles l’ont emporté sur eux par tout ce qui les caractérise et les distingue des musulmans et se mettent à imiter l’Occident, en particulier dans le domaine de l’État. Comme chacun cherche à gagner les faveurs de celui qui est au-dessus de lui, « ce poison se répand parmi les sujets à tous les niveaux chez ceux dont la foi est faible et d’autant plus que la foi s’affaiblit, comme on dit : “les hommes suivent la religion de leurs rois” ». On commence par imiter l’autre dans ses coutumes vestimentaires, dans sa manière de boire et de manger, de se déplacer « jusqu’à ce que ce mimétisme et cette imitation du plus fort gagnent la croyance et la religion, si toutefois le plus fort a une religion ». Abd el-Kader vise par ces propos les milieux dirigeants, ottomans en particulier, dont l’occidentalisation des mœurs s’accompagnait d’une perte des valeurs essentielles de l’islam. Mais, nous dit Abd el-Kader, celui qui lui pose cette question, sans doute un proche compagnon, ne se satisfait pas de cette réponse qui se situe sur un plan légal et psychologique, même si elle fait déjà intervenir l’action d’un nom divin, et lui demande une explication sur un plan supérieur. Il explique alors ce fait par « la cause de la variation des états du monde et celle des théophanies des noms divins car la divinité exige en elle-même la variation des états que ce soit vers le bien ou le mal, le bénéfique ou le plus bénéfique, le nuisible ou le plus nuisible. Les Noms divins exercent leur action et leur effet sur les créatures, sans interruption, selon ce qu’exige ce qui a été déterminé dans la “Mère du Livre” (Umm al-kitâb) pour tout être créé ». Les créatures, non seulement soumises aux statuts des Noms divins, sont aussi l’indication des noms qui exerce leur effet sur elles et sur leurs lieux de manifestation. Il n’y a pas d’autre explication à chercher pour tout ce qui survient dans le monde. Au-delà, on ne peut que citer ce verset, comme le fait également Ibn ‘Arabî, en renvoyant à Dieu la raison des choses : « Il a donné à chaque chose sa création » (Coran 20 : 50) ».

 « Cette explication métaphysique des événements terrestres et plus précisément de l’actualité confère à Abd el-Kader une grande liberté de pensée et lui fait porter un jugement sans complaisance sur ses contemporains. Elle permet également de comprendre l’étonnante mansuétude qu’il a toujours montrée durant les différentes étapes de sa vie à l’égard de ses ennemis et de tous ceux qui n’ont cessé de le trahir ou de l’espionner, comme s’il éprouvait une profonde compassion pour tous les êtres que le voile de l’individualité, de la cupidité et de l’ignorance empêchait de voir ce qu’il contemplait lui-même et qui, dans une large mesure, explique, sans pour autant les justifier, la mesquinerie et les crimes des hommes. » (2)

Denis Gril

 

 

 

              NOTES

 

 

(1) René Guénon, Lettre à Goffredo Pistoni du 26 mars 1950.

(2) Denis Gril,  La théophanie des noms divins, d’Ibn ‘Arabî à Abd el-Kader (le regard d’Abd el-Kader sur les hommes, cf. le mawqif 364, vol. II, p. 492-493).

 

 

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Traduction de la sourate « l’Accumulation » (al-takâthur) :

 « 1 / Vous vous préoccupez d’accumuler ; 2 /jusqu’à ce que vous visitiez les tombes. 3 / Mais non ! Quelques jours vous saurez ; 4 / une fois encore : quelques jours vous saurez ; 5 / Ah, si vous pouviez savoir de science certaine : 6 / vous verriez la fournaise  7 / Puis vous la verriez avec l’œil de la certitude ; 8 / puis on vous interrogera, ce jour-là, sur les plaisirs éphémères. »

 

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* « La ‟contre-initiation”, elle, n’est certes pas une simple contrefaçon tout illusoire, mais au contraire quelque chose de très réel dans son ordre, comme l’action qu’elle exerce effectivement ne le montre que trop ; du moins, elle n’est une contrefaçon qu’en ce sens qu’elle imite nécessairement l’initiation à la façon d’une ombre inversée, bien que sa véritable intention ne soit pas de l’imiter, mais de s’y opposer. Cette prétention, d’ailleurs, est forcément vaine, car le domaine métaphysique et spirituel lui est absolument interdit, étant précisément au delà de toutes les oppositions ; tout ce qu’elle peut faire est de l’ignorer ou de le nier, et elle ne peut en aucun cas aller au delà du ‟monde intermédiaire”, c’est-à-dire du  domaine psychique, qui est du reste, sous tous les rapports, le champ d’influence privilégié de ‟Satan” dans l’ordre humain et même dans l’ordre cosmique ; mais l’intention n’en existe pas moins, avec le parti pris qu’elle implique d’aller proprement au rebours de l’initiation » (R. G., RQST, ch. XXXVI).

 

 

  

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