LES POITRINES DES HOMMES LIBRES SONT LES TOMBEAUX DES SECRETS صدور الأحرار قبور الأسرار

mardi 22 mai 2018

Y. B. : APERÇUS SUR LE « RETOURNEMENT » : CHAPITRE V

            





 

CHAPITRE V

LES « INFLUENCES DESCENDANTES »

 ET

 LA CROIX HORIZONTALE

 

 

 

 

 

 

Maintenant, afin de démontrer que la « redescente » n’est pas en rapport avec la réalisation descendante, mais avec les influences descendantes, c’est à la tradition extrême-orientale que nous devons nous référer :

« le Wang n’est réellement tel que s’il possède le “mandat du Ciel” (Tien-ming), en vertu duquel il est reconnu légitimement comme son Fils (Tien-tseu) ; et ce mandat ne peut être reçu que suivant l’axe envisagé dans le sens descendant, c’est-à-dire en sens inverse et réciproque de celui dans lequel s’exercera la fonction “médiatrice”, puisque c’est là la direction unique et invariable suivant laquelle s’exerce l’“Activité du Ciel”. Or ceci suppose, sinon nécessairement la qualité d’“homme transcendant”, tout au moins celle d’“homme véritable”, résidant effectivement dans l’“Invariable Milieu”, car c’est en ce point central seul que l’axe rencontre le domaine de l’état humain ». 

Cependant Guénon donne encore des précisions indiquant que la transmission d’un de ces hauts-grades correspond au moins virtuellement à la réception du « Mandat du Ciel » :

« Le Wang possède alors ce mandat par transmission (…) et c’est ce qui lui permet, dans l’exercice de sa fonction, de tenir la place de l’“homme véritable” et même de l’ “homme transcendant”, bien qu’il n’ait pas réalisé “personnellement” les états correspondants » (1).

Du reste, cette doctrine l’amène à formuler certaines considérations qui peuvent s’appliquer aux trois derniers hauts-grades et qui permettent de justifier les propos de Dante sur l’Empereur : 

« si le Wang est, non pas même un “homme transcendant” comme il doit l’être en principe, mais seulement un “homme véritable”, parvenu au terme des “petits mystères”, il est, par la situation “centrale” qu’il occupe dès lors effectivement, au-delà de la distinction des deux pouvoirs spirituel et temporel ; on pourrait même dire, en termes de symbolisme “cyclique”, qu’il est “antérieur” à cette distinction, puisqu’il est réintégré dans l’“état primordial”, où aucune fonction spéciale n’est encore différenciée mais qui contient en lui les possibilités correspondant à toutes les fonctions par là même qu’il est la plénitude intégrale de l’état humain. Dans tous les cas, et même lorsqu’il n’est plus que symboliquement l’ “Homme Unique”, ce qu’il représente, en vertu du “mandat du Ciel”, c’est la source même ou le principe commun de ces deux pouvoirs, principe dont l’autorité spirituelle et la fonction sacerdotale dérivent directement, et le pouvoir temporel et la fonction royale indirectement et par leur intermédiaire ; ce principe peut en effet être dit proprement “céleste”, et de là, par le sacerdoce et la royauté, les influences spirituelles descendent graduellement, suivant l’axe, d’abord au “monde intermédiaire”, puis au monde terrestre lui-même » (2).

À la lumière de la sagesse orientale, le 31è degré correspondant au Brahâtmâ (Adoni-Tsedeq) pourrait apparaître comme étant le principe « céleste » qui communique le « Mandat du Ciel » ; le 32è degré correspondant au Kohen-Tsedeq serait ainsi en relation avec la fonction sacerdotale et le 33è degré correspondant à Melki-Tsedeq représenterait la fonction royale. Toutefois, en considérant le symbolisme des trois mondes : céleste (31è), intermédiaire (32è) et terrestre (33è), c’est bien le 32èdegré qui correspond au « fils du Ciel et de la Terre », c’est-à-dire au produit engendré par les deux complémentaires dont l’ensemble forme le triangle inversé qui figure au chapitre II de La Grande Triade.

Ainsi les quatre derniers hauts-grades de Maçonnerie écossaise devraient quant à eux correspondre à une transposition symbolique du « Centre du Monde » des organisations initiatiques occidentales (ibid., figure 3), et à cet égard, nous devons encore revenir sur certaines indications de Guénon à propos de la « Station divine » :

« Certaines écoles d’ésotérisme musulman, qui attribuent à la croix une valeur symbolique de la plus grande importance, appellent “station divine” (el-maqâmul-ilâhî) le centre de cette croix, qu’elles désignent comme le lieu où s’unifient tous les contraires, où se résolvent toutes les oppositions. L’idée qui s’exprime plus particulièrement ici, c’est donc l’idée d’équilibre, et cette idée ne fait qu’un avec celle d’harmonie ; ce ne sont pas deux idées différentes, mais seulement deux aspects d’une même idée. Il est encore un troisième aspect de celle-ci, plus spécialement lié au point de vue moral (bien que susceptible de recevoir aussi d’autres significations), et c’est l’idée de justice ; on peut, par-là, rattacher à ce que nous disons ici la conception platonicienne suivant laquelle la vertu consiste dans un juste milieu entre deux extrêmes » (3).

L’autre signification liée à l’idée de Justice est celle qui nous parait le mieux définir la nature des « influences descendantes » qui sont véhiculées par les derniers hauts-gades de la Maçonnerie écossaise :

« Il s’agit ici de la Justice distributive et proprement équilibrante, dans la “colonne du milieu” de l’arbre séphirothique ; il faut la distinguer de la Justice opposée à la Miséricorde et identifiée à la Rigueur, dans la “colonne de gauche”, car ce sont là deux aspects différents (et d’ailleurs, en hébreu, il y a deux mots pour les désigner : la première est Tsedaqah, et la seconde est Din). C’est le premier de ces aspects qui est la Justice au sens le plus strict et le plus complet à la fois, impliquant essentiellement l’idée d’équilibre ou d’harmonie, et liée indissolublement à la Paix » (4).





Cette « colonne du milieu » n’est pas sans évoquer l’« axe vertical » auquel s’identifie le Wang, et l’un comme l’autre peuvent être représentés par la verticale qui relie le ciel de Saturne au Ciel de la Lune, lesquels correspondent respectivement au Zénith et au Nadir du « Sceau de Salomon » appelé aussi « Bouclier de David ». Ainsi, Saturne est en relation avec Adoni-Tsedeq (31èdegré), le Soleil avec Kohen-Tsedeq (32èdegré) et la Lune avec Melki-Tsedeq (33èdegré) (5).

« Il s’agit ici de la conception traditionnelle des “trois mondes” (…) à ce point de vue, la royauté correspond au “monde terrestre”, le sacerdoce au“monde intermédiaire”, et leur principe commun au“monde céleste” » (6).

En effet,

« la fonction royale est évidemment d’ordre plus extérieur que la fonction sacerdotale ; du reste, dans leurs rapports entre eux, le sacerdoce est yang et la royauté yin (…), comme l’indique d’ailleurs, dans le symbolisme des clefs, la position respectivement verticale et horizontale de celles qui représentent ces deux fonctions, ainsi que le fait que la première est d’or, correspondant au Soleil [Kohen-Tsedeq], et la seconde d’argent, correspondant à la Lune [Melki-Tsedeq] » (7).

 

En tant que symbole de la croix à trois dimensions, on peut dire du « Sceau de Salomon » :

« Ce qu’il faut considérer en réalité, c’est, d’une part, le plan de l’équateur et l’axe qui, joignant les pôles [Saturne et la Lune], est perpendiculaire à ce plan ; ce sont, d’autre part, les deux lignes joignant respectivement les deux points solsticiaux [sud (Jupiter) – Nord (Mercure)]et les deux points équinoxiaux [Est (Venus – Ouest (Mars)] ; nous avons ainsi ce qu’on peut appeler, dans le premier cas, la croix verticale, et, dans le second, la croix horizontale. L’ensemble de ces deux croix, qui ont le même centre, forme la croix à trois dimensions, dont les branches sont orientées suivant les six directions de l’espace ; celles-ci correspondent aux six points cardinaux, qui, avec le centre lui-même, forment le septénaire » (8).

 

Maintenant, si on ne considère que la croix horizontale du « Sceau de Salomon », on peut constater que l’Est (Vénus) est à gauche et l’Ouest (Mars) à droite, ce qui implique que l’orientation est prise en se tournant vers le Sud (Jupiter) (9).

Àcet égard,

« on pourra, bien que ces axes soient tous les deux horizontaux en réalité, dire que l’un d’eux, celui qui joue le rôle actif, est relativement vertical par rapport à l’autre. C’est ainsi que, par exemple, si nous regardons ces deux axes comme étant respectivement l’axe solsticial et l’axe équinoxial (…), nous pourrons dire que l’axe solsticial est relativement vertical par rapport à l’axe équinoxial, de telle sorte que, dans le plan horizontal, il joue analogiquement le rôle d’axe polaire (axe Nord-Sud), l’axe équinoxial jouant alors le rôle d’axe équatorial (axe Est-Ouest). La croix horizontale reproduit ainsi, dans son plan, des rapports analogues à ceux qui sont exprimés par la croix verticale ; et, pour revenir ici au symbolisme métaphysique qui est celui qui nous importe essentiellement, nous pouvons dire encore que l’intégration de l’état humain, représentée par la croix horizontale, est, dans l’ordre d’existence auquel elle se réfère, comme une image de la totalisation même de l’être, représentée par la croix verticale » (10).

Par ailleurs,

« le pôle terrestre est comme le reflet du pôle céleste, puisque, en tant qu’il est identifié au centre, il est le point où se manifeste directement l’ “Activité du Ciel” ; et ces deux pôles sont joints l’un à l’autre par l’ “Axe du Monde”, suivant la direction duquel s’exerce cette “Activité du Ciel”. C’est pourquoi des symboles stellaires, qui appartiennent proprement au pôle céleste, peuvent être rapportés aussi au pôle terrestre, où ils se réfléchissent, si l’on peut s’exprimer ainsi, par “projection” dans le domaine correspondant. Dès lors, sauf dans les cas où ces deux pôles sont expressément marqués par des symboles distincts, il n’y a pas lieu de les différencier, le même symbolisme ayant ainsi son application à deux degrés différents d’universalité ; et ceci, qui exprime l’identité virtuelle du centre de l’état humain avec celui de l’être total, correspond aussi, en même temps, à ce que nous disions plus haut, que, du point de vue humain, l’“homme véritable” ne peut être distingué de la “trace” de l’“homme transcendant” » (11).

 

 

 



 


NOTES

 


 

(1) La Grande Triade, ch. XVII. Toutes ces indications de Guénon sur le wang concerne aussi la fonction califale de l’ésotérisme islamique. Malheureusement la confusion entre ce qui est suprême et ce qui est universel, ainsi que celle entre la réalisation descendante et les influences descendantes, prennent dans les livres de Charles-André Gilis une place démesurée qui ne rend pas compte de la véritable portée des doctrines akbariennes. Selon Guénon, « le troisième œil », c’est-à-dire l’âjnâ chakra, est ainsi appelé parce que ce centre consacré au monosyllabe Om est celui qui reçoit du domaine supra-individuel « le commandement (âjnâ) du Guru intérieur » ; « ce commandement correspond au “mandat céleste” de la tradition extrême-orientale ; d’autre part, la dénomination d’âjnâ chakra pourrait être rendue exactement par maqâm el-Amr, indiquant que là est le reflet direct, dans l’être humain, du “monde” appelé âlam el-amr, de même que, au point de vue “macrocosmique”, le reflet se situe, dans notre état d’existence, au lieu central du “Parradis terrestre” » (Études sur l’Hindouisme, p. 39, n. 2).

« L’“Homme Universel” (en arabe El-Insânul-kâmil) est l’Adam Qadmôn de la Qabbalah hébraïque ; c’est aussi le “Roi” (Wang) de la tradition extrême-orientale » (Le Symbolisme de la Croix, p. 23, n. 1). « En Chine, l’accomplissement des rites constituant le “ culte du Ciel” était exclusivement réservé à l’Empereur » tandis que le symbolisme du Chakravarti « se rapporte au symbolisme de la roue » qui est « d’une façon générale, un symbole du monde : la circonférence représente la manifestation, qui est produite par l’irradiation du centre » (Symboles de la Science Sacrée, ch. XL). Le Wang et le Chakravarti semblent respectivement correspondre au Califat et à l’Imâm de l’ésotérisme musulman. « Le centre doit d’ailleurs être conçu comme contenant principiellement la roue tout entière, et c’est pourquoi Guillaume Postel décrit le centre de l’Éden (qui est lui-même à la fois le “centre du monde” et son image) comme “la Roue dans le milieu de la Roue” » (La Grande Triade, ch. XXXIII, p. 156, n. 6). Et, en connexion avec le « Mandat du Ciel » maçonnique, Guénon écrit à propos de l’Hermès Trismégistre ou « trois fois très grand » : « on peut aussi rapprocher de cette désignation celle de “trois fois puissant”, employée dans les “grades de perfection” de la Maçonnerie écossaise, et qui implique proprement la délégation d’un pouvoir devant s’exercer dans les trois mondes » (ibid., ch. XVII, p. 120, n. 4).

(2) La Grande Triade, ch. XVII. Guénon fait également remarquer que « la considération de l’espèce s’applique uniquement dans le sens horizontal » : la caste « n’existe qu’autant que l’être est envisagé dans les limites de l’individualité, et que, si elle existe nécessairement tant qu’il y est contenu, elle ne saurait par contre subsister pour lui au-delà de ces mêmes limites » (ibid., ch. XIII, p. 97, n. 1). Cependant le kshatrya est le « type » même de l’individu soumis à la Législation prophétique et d’un point de vue doctrinal, c’est à partir de ce « type » que devrait être envisagé le « monde le l’homme » : car le « royaume » de l’individu sur terre c’est son « destin » qui doit être transcendé par la réalisation spirituelle. Du reste Guénon fait également remarquer « que l’“homme transcendant” peut remplir, dans le monde humain, la fonction qui est proprement celle de l’“homme véritable”, tandis que, d’autre part et inversement, l’“homme véritable” est en quelque sorte, pour ce même monde, comme le représentant ou le “substitut” de l’“homme transcendant” » (ibid., ch. XVIII, p. 131).

(3) Symboles de la Science Sacrée, Ch. VIII, p. 70.

(4) Le Roi du Monde, p. 55. Es-Siddiq est l’équivalent arabe de Tsedaqah (qui fait partie des « mots sacrés » du 31ème degré. D’après Philon, Sydyq était le père des Cabires). Il sert d’épithète à plusieurs prophètes et fait également allusion à la « Voie du Milieu ». Il caractérise, entre autres, le patriarche Joseph, Marie et Abu Bakr qui sont en relation avec la « gauche ». Du temps d’Ibn Arabî, c’est Abu Madyan qui représentait la fonction de l’Imâm de gauche et c’est par son intermédiaire que le Cheikh al-Akbar fut vraisemblablement mis en contact avec le centre suprême auquel son « investiture » pourrait correspondre au moment où cet Imâm lui déclare à propos de son état (hâl) : « Rattache-toi uniquement à Allâh, car aucun de ceux que j’ai rencontrén’a autorité sur toi pour ce qui te concerne : c’est Allâh qui t’a pris en charge  (…) » (C. A. Gilis, Études complémentaires sur le Califat, p. 102).

(5) On sait que la Lune est à la fois Janua Cœli et Janua Inferni. Diane et Hécate : « la Sphère de la Lune détermine la séparation des états supérieurs (non-individuels) et des états inférieurs (individuels) ; de là le double rôle de la Lune comme Janua Cæli (…) et Janua Inferni, ce qui correspond d’une certaine façon à la distinction du dêva-yâna et du pitri-yâna » (L’Homme et son devenir selon le Védantâ, p. 169, n.1).

(6) Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch. IV, p. 52, n. 1 ; « …il convient d’ajouter que, depuis que ce principe est devenu invisible aux hommes, le sacerdoce représente aussi extérieurement le “monde céleste” ».

(7) La Grande Triade, ch. XVII. Le caractère féminin du Califat ésotérique est en relation avec l’aspect Yin de la royauté, ce qui témoigne de la parfaite orthodoxie de la tradition musulmane au regard de la tradition universelle. Mais il faut reconnaître que Mr Gilis a tendance à renverser le rapport de polarité entre celle-ci et celle-là, ce qui relève peut-être de sa formation juridique profane.

(8) Le Symbolisme de la Croix, ch. IV, p. 36-37. Dans la tradition islamique, le Soleil est le pôle d’Idrîs (Hénoch) occupé par Ibn Arabî lorsqu’il fait la louange d’Adam (Lune), d’Abraham (Saturne), du Christ (Mercure), de Joseph (Vénus), d’Aaron (Mars), et de Moïse (Jupiter) ; voir L’Islam et la fonction de René Guénon, p. 189, n.49. L’expression coranique « Ar-Rahmân s’établit sur le Trône (istawâ ‘alâ-l-Arsh) » évoque l’Equateur (Khatt al-istiwa) et la « Croix verticale » : « Le Tout-Miséricordieux se tient en majesté sur le Trône ; Lui appartient : ce qui est dans les Cieux, ce qui est sur la Terre, ce qui est entre les deux et ce qui est sous la Terre » (Cor. 20, 5-6) – cité par C.-A. Gilis in Les sept Etendards du Califat, p. 16, n. 12). Toutefois, « Le plan de l’équateur, supposé [symboliquement] horizontal, représente alors (…) le domaine d’expansion de rajas [qui symbolise le « monde de l’homme » (mânava-loka)], tandis que tamas et sattwa tendent respectivement vers les deux pôles, extrémités de l’axe vertical » (Le Symbolisme de la Croix, ch. V).

En outre, « Le trône est, en tant que siège, équivalent en un sens à l’autel, celui-ci étant le siège d’Agni ; le chariot cosmique est aussi conduit par Agni, ou par le Soleil, qui a alors pour siège la “caisse” du chariot ; et, pour ce qui est du rapport de l’ “Axe du Monde” avec l’antariksha, on peut encore remarquer que, quand l’autel ou le foyer est placé au-dessous de l’ouverture centrale de la voûte d’un édifice, la “colonne de fumée” d’Agni qui s’en élève et sort par cette ouverture représente cet “Axe du Monde” » Symboles de la Science Sacrée, Ch. XL, p. 251).

(9) L’orientation vers le sud est « retournée » par rapport à l’orientation vers le Nord et l’une et l’une et l’autre peuvent être respectivement mises en rapport avec l’ordre terrestre et l’ordre céleste (Le Sceau des Saints de M. Chodkiewicz, p.125 n. 2 ; Les Sept Étendards du Califat de C.-A. Gilis, p. 171 n. 7). L. Barmont ne tient pas compte de cette orientation dans son étude sur la « Melancolia ». En outre, il place Vénus à l’Occident, ce qui est inexact et assez révélateur. Le « retournement » est désigné en arabe par le terme inqilab, qui désigne également l’axe solsticial. « Le Nord est désigné comme le point le plus haut (uttara), et c’est d’ailleurs vers ce point qu’est dirigée la marche ascendante du soleil, tandis que sa marche descendante est dirigée vers le Sud, qui apparait ainsi comme le point le plus bas » (Symboles de la Science Sacrée, ch. XXXV, p. 223). La période ascendante du cycle annuel « se déroule en allant du Nord (solstice d’hiver) à l’Est, puis de l’Est au Sud (solstice d’été) » : c’est la « voie des dieux » symbolisée par la caravane d’hiver de la sourate 106 qui se dirige vers le Yémen (Sud) ; et la période descendante du cycle annuel « se déroule en allant du Sud (solstice d’été)à l’Ouest, puis de l’Ouest au Nord (solstice d’hiver) » : c’est la « voie des hommes » symbolisée par la caravane d’été qui se dirige vers la Syrie (Nord) et qui représente la modalité du voyage des Abdals (cf. M. Chodkiewicz ; Un Océan sans rivages, p. 97-98). Par ailleurs, dans L’Interprète des Désirs, Ibn Arabî met l’Est en rapport avec l’Iraq (trad. M. Gloton, p. 209) et comme le symbolisme de la Kaabah est constitué de trois angles : syrien (Nord), yéménite (Sud) et irakien (Est), l’angle de la Pierre noire doit alors correspondre à l’Occident, c’est-à-dire que l’orientation de la Kaabah est « retournée » par rapport à celle des points cardinaux « terrestres ». A propos de la Syrie et du Yémen, Guénon a écrit (sous la signature AWY) : « Il est dit que les Colonnes d’Hénoch, ou de Seyyidnâ Idrîs, comme il est appelé dans la tradition islamique, ont été construites par lui en deux matériaux différents, l’un pouvant résister à l’eau et l’autre au feu ; sur chacun était gravé l’essentiel de toutes les sciences. Il est dit qu’elles furent placées respectivement en Syrie et en Ethiopie, et que celle qui avait résisté aux eaux du Déluge existe encore en Syrie. En fait la Syrie est ici rapportée au Nord, en connexion avec l’Eau [qui est Yin] et l’Ethiopie au Sud, en connexion avec le Feu [qui est Yang] : cela justifie donc pleinement la relation établie entre les colonnes d’Hénoch et celles du Porche [c’est-à-dire les deux « colonnes placées à l’entrée du Temple de Jérusalem » – cf. La Grande Triade, chap. VII, p. 58, n. 3]. D’autre part, partout où se trouve deux colonnes, elles auront en commun une signification générale “binaire” que ces colonnes soient de Salomon, d’Hénoch, d’Hercule, etc. (…) On peut également remarquer que la Syrie et l’Ethiopie dans la tradition précitée, ne s’identifient pas nécessairement avec les pays actuellement connus sous ces noms, car elles ont elles-mêmes un sens symbolique et caché : en tout cas les colonnes d’Hénoch représentent deux centres spirituels et initiatiques auxquels était confié le dépôt de la connaissance primordiale, en vue de les préserver au cours des époques successives », et nous contenterons d’ajouter que le numéro de la sourate qui est à l’origine de cette note est identique au nombre du vocable Nûn (=106). Yâ jami‘a-l-amr bayna-l-kâf wa-n-nûn, invoque Sîdî Bel Ahsân (cf. Etudes complémentaires sur le Califat, p. 18).

(10) Le Symbolisme de la Croix, ch. VI, p. 57-58. Suite à ce que nous avons indiqué ci-dessus à la note (8), la considération du plan de l’Equateur fait manifestement allusion au symbolisme enveloppant (Muhît) du Trône puisque le domaine d’expansion de rajas reproduit géométriquement la croix horizontale, et nous retrouvons ainsi les deux aspects « intérieur » et « extérieur »du symbolisme du Trône que lui reconnait Abd al-Karim al-Jîlî (cf. Traité sur le Nom Allâh d’Ibn ‘Atâ Allâh al-Iskandarî, trad. M. Gloton (p. 268, Paris 1981). Selon ce maître, certains çûfî affirment que le trône est le corps universel (al-jism al-kulli), c’est-à-dire le Corpus Mundi (cf. La Grande Triade, ch. XI) or, il a bien une analogie entre ces deux symboles puisqu’Ibn Arabî fait dire au corbeau : «  Je suis la forme de la sphère céleste et le lieu de la Royauté ; par moi, Il s’établit sur le Trône, aussi me donne-t-on le nom de “lieu où il s’est établi (mustawâ)” » – cf. le Livre de l’Arbre et des 4 oiseaux, traduit par D. Gril, p. 69. Un autre exemple d’analogie remarquable, pour l’objet de notre étude, est celui qui est indiqué entre le maqâm de la Forme divine et celui du Califat (qui, respectivement, se rapportent à l’Homme véritable et à l’Homme transcendant) – cf. Ibn Arabî : Les dévoilement des Effets du Voyage, p. 17-18 et aussi Kitâb et-Tajalliyyah-l-ilâhiyyah : Tajalliyah XLII et LII.

Par ailleurs, le symbolisme du « Trône » évoque aussi celui de Salomon qui constitue un des héritages fondamentaux de la Maçonnerie, mais que Guénon n’a jamais qualifié d’« hébraïque », à notre connaissance en tout cas. Dans le Coran, il est question d’un autre « Trône », celui sur lequel Joseph installe ses parents à ses côtés et devant lequel se prosternent ses frères (Cor. XII, 100) ; et on peut se demander si celui-ci n’est pas à la Maçonnerie d’Abraham ce que celui-là est à la Maçonnerie de Nemrod. Selon Guénon, « Le trône est, en tant que siège, équivalent en un sens à l’autel, celui-ci étant le siège d’Agni ; le chariot cosmique est aussi conduit par Agni, ou par le Soleil, qui a alors pour siège la “caisse” du chariot » (Symboles de la Science sacrée, ch. XL, p. 251). Le symbolisme du char royal est présent dans le roman chrétien intitulé Joseph et Asneth, mais ce qui est tout à fait remarquable, c’est que le chariot et le « Trône » sont également réunis dans le symbolisme hébraïque de la Merkabah dont Ezékiel a la vision, et que la valeur numérique de nom d’Ezékiel (10 + 8 + 7 + 100 + 1 + 30) est la même que celle de Joseph : 156.

Ceci étant dit, le verset coranique sur le trône de Joseph est le centième de la douzième sourate ; or suivant Guénon, « le centième grain [du rosaire islamique] devrait être rapporté à l’“Ange de la Face” (qui est en réalité plus qu’un ange), Metraton ou Er-Rûh » (Symboles de la Science sacrée, ch. LXI, p. 354, n. 4) « qui s’identifie essentiellement à la “Lumière” (Er-Rûh) » et qui est placé au centre du Trône (Al-Arsh) – cf. Aperçus sur l’ésotérisme islamique  et le Taoïsme, ch. V.

« Son nom est “Le Commandement d’Allâh” (Amr Allâh). De tous les êtres existenciés, c’est le plus noble, celui dont le degré est le plus élevé et la demeure la plus sublime… » (C-A Gilis : L’Esprit universel de l’Islam, ch. II, p. 19). SeyyidnâMîtatrûn est plus qu’un ange puisque « Er-rûh est désigné expressément et distinctement à côté des anges (el-malâïkah) » comme dans Cor. XLVIII, 4 et dans la formule rituelle Subbûhun Quddûsun Rabbu-nâ wa Rabbu-l-Malâ‘ikatiwa Rûh qui est répétée 13 fois durant un rite nocturne comme si l’Ayyât al-Kursî(Cor. II, 255), qui y est inclus se substituait au 14ème (ibid., ch. XIV, p. 82).

 Maintenant, Seyyidnâ Mîtatrûn est Ar-Rûh el-Mohammadiyah et c’est de ce point de vue que devrait être interpréte l’épisode coranique (XXXVIII, 21-26) concernant David et les 99 brebis (cf. Les Sept Étendards du Califat, ch. XXX) dont le lien avec le « trône » de Joseph est souligné par le fait que les deux épisodes se caractérisent par une « prosternation » (le terme kharra est cité 12 fois dans le Coran) et semble désigner la timor panicus (cf. Le Roi du Monde, p. 19).

À vrai dire, l’épisode sur David et les 99 brebis reflète sans aucun doute les « réserves » d’ordre fonctionnel illustrées par l’épisode entre Khidr et Moïse qui peut être mis en correspondance avec le symbolisme de la lettre qui est absente des lettres constitutives du nom d’Ishâq. À cet égard, l’histoire de Joseph « scelle » le destin des Juifs et, comme elle se termine par la « prosternation » de ses frères, la nature de ces « réserves » coraniques sont à interpréter dans une perspective cyclique. Quoi qu’il en soit, ces quelques indications très sommaires sont de celles qui montrent sans aucune ambiguïté ce qui distingue le Coran de la « Thorah hébraïque qui se rattache proprement au type de la loi des peuples nomades » (Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXI). On pourrait en dire autant sur l’épisode coranique sur la noyade de Pharaon qui, par une coïncidence assez curieuse, est relaté dans une sourate (X) et un verset (90) dont l’addition des nombres est égale à cent.

Dans la Thorah, Pharaon ne prononce pas la Shahadah : il est « maudit » ; seulement, le caractère « implacable » de la loi hébraïque s’applique exclusivement aux Juifs, et il nous appartient encore de ne pas les laisser enfermer le genre humain dans leur malédiction en tenant compte de leur domination au sein de la tradition occidentale et en éclairant leur enseignement par le « Sceau » de tous les ésotérismes.

Enfin, signalons pour terminer, qu’Ibn Arabî établi un rapprochement entre Seyidnâ Dâwûd et le Cheikh Abd al-Qâdir al-Jîlânî et que cette question concerne le « gouvernement ésotérique » du monde islamique à propos duquel personne, actuellement en Occident, ne comprend rien (cf. Etudes complémentaires sur le Califat, p. 62). Précisons toutefois pour ceux qui se complaisent à constater la dégénérescence « extérieure » de l’Orient afin de se convaincre qu’ils sont bien les derniers représentants de l’élite que l’« action de présence » orientale n’a jamais été menacée directement par la subversion comme ce fut le cas en Occident, pour la simple raison qu’elle est et sera toujours hors de sa portée. Quant à la prétention de ceux qui pensent autrement, nous nous contenterons de la qualifier de « grossièreté matérialiste », en précisant aussitôt qu’il ne s’agit, en aucune façon, d’un propos insultant de notre part.

(11) La Grande Triade, ch. XXV, p. 165-166. « Le centre de l’être total est le “Saint Palais” de la Kabbale hébraïque (…), c’est, pourrait-on dire en continuant à employer le symbolisme spatial, la “septième direction”, qui n’est aucune direction particulière, mais qui les contient toutes principiellement. C’est aussi (…), le “septième rayon” du Soleil, celui qui passe par son centre même, et qui, ne faisant à vrai dire qu’un avec ce centre, ne peut être représenté réellement que par un point unique. C’est encore la véritable “Voie du Milieu”, dans son acception absolue, car c’est ce centre seul qui est le “Milieu” dans tous les sens » (La Grande Triade, ch. XXVI, p. 173).

 

 

 

 

 




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