LES POITRINES DES HOMMES LIBRES SONT LES TOMBEAUX DES SECRETS صدور الأحرار قبور الأسرار

samedi 30 septembre 2017

Taçawwuf













LE TAÇAWWUF EXPLIQUÉ AUX ENFANTS*







Le taçawwuf commence avec le désir de la Connaissance. La volonté de découvrir la Vérité procure l’intention (1) qui mène à l’initiation (mubâya’ah). Pour celui qui désire le rattachement à une tariqah, il sera choisi, le plus souvent à son insu, et introduit dans la voie par l’héritier spirituel de la silsilah en question, mais seulement lorsque l’intention est pure de tout arrière pensée. Les choses se passent toujours ainsi, en dépit des apparences.

Cette intention est le fil secret qui relira le disciple (murîd) à travers toutes les étapes de son cheminement qui commence avec la retenue des sens, se poursuit avec la maîtrise de l’âme (nafs) (2) et l’activité du ‘aql, c'est-à-dire, la raison et la réflexion, l’Intellectualité pure et la méditation. Le but est l’obtention de la Sagesse (3).

L’intention du murîd purifiée, son aspiration et sa volonté (4) doivent être élevées afin que rien ne le détourne d’Allâh. Son attachement à l’enseignement, aux paroles et aux prescriptions de son shaykh est inconditionnel ; ne devant jamais le contredire, ni se sentir digne (et en capacité) de répondre ou d’émettre une opinion sur la voie, il se considère comme un ignorant (5) et se dispose à la soumission totale (taslîm).

En progressant sur la voie, le murîd s’efforce de traverser les stations (maqâmât) et les états (ahwâl) et d’atteindre le détachement dans l’état d’esprit de pauvreté complète (6) pour devenir un véritable foqarah, s’abstenant de tout recours aux causes secondes (asbâb) et abandonnant toute considération gratifiante pour lui-même et ce monde. C’est ainsi qu’il devient un « Voyageur », un sâlik.

Par le combat spirituel (riyâdah mujâhadah), viennent la contemplation et le dévoilement (mushâhadah mukâshafah). Par la connaissance de l’Unité (al-ahadiyyah) (7), de l’« Identité suprême », le sâlik réalise l’état du ‘ârif bi-Llâh et rien ne s’opposant plus à sa volonté, il parvient au terme de la voie (al-wasûl). Cependant, aucune limite ne peut en réalité contenir la voie et lui assigner un terme car le sâlik ayant pris conscience de la Réalité suprême a la possibilité d’appliquer la science de la dualité et du multiple et de retourner vers les créatures. Il est alors un ‘âlim, un héritier (warith), du Prophète (‘a s) ; sa parure est la Rigueur et la Miséricorde car pauvreté et richesse deviennent équivalentes à ses yeux. La manifestation lui apparait enfin pour ce qu’elle est véritablement au regard de la haqiqah.

Telle est la Voie traditionnelle islamique. ‘Abdallâh Badr al-Habashî, dans son Kitâb al-inbâh ‘alâ tariq Allâh, compare la Sagesse que lui a enseigné et transmis le shaykh al-akbar « à la fille d’un roi amoureuse d’un homme de basse condition » (8). Cet Amour-là est immortel en son essence.










COMMENTAIRES





(1) C’est-à-dire, intention et modestie. Il convient de se méfier de l’humilité derrière laquelle se dissimule toujours de l’orgueil. La situation de l’état humain se dispose dans la hiérarchie des états de l’être en raison de ses conditions propres dont les qualités particulières ne peuvent prévaloir sur les autres états ; à fortiori, au regard de la réalisation spirituelle, les conditionnements et qualités d'un être particulier ne peuvent représenter aucune distinction spéciale ni aucune supériorité sur les autres. On peut comprendre par là que l’orgueil et l’humilité sont deux illusions qui retiennent les hommes dans l’ignorance. 



(2) La maitrise des sens est une impossibilité car le désir est inhérent à la nature humaine. L’initié doit manger lorsqu’il ressent la faim, boire lorsqu’il a soif, etc. Dans la mesure de ses capacités, il ne peut que soustraire progressivement sa conscience de l’emprise sensorielle ; c’est en cela que doit consister ce qu’on appelle généralement l’ascèse ou plus exactement la retenue de la nafs par le moyen d’une attention permanente. 



(3) Savoir mettre chaque chose à la place qui lui revient selon son statut et son droit est une conséquence de l’acquisition de la Sagesse. Cela ne doit jamais être perdu de vue, depuis le commencement du cheminement sur la voie, jusqu’à son terme. 



(4) La volonté de rechercher la Connaissance (ou l’« identité suprême ») est ce qui distingue l’initié qui va s’engager dans la tariqah de celui qui se voue à l’adoration (‘ubbâd) tel le simple dévot, l’ermite ou le mystique. Ces derniers ne vont pas au-delà du point de vue religieux, tandis que l’initié, qu’il soit au début de son parcours ou proche de son terme, entre dans le domaine proprement initiatique.



(5) Celui qui vit dans la compagnie de son shaykh et de ses disciples (foqarah) se doit d’abandonner les opinions qu’il a acquis par les livres et sur les différentes façons d’envisager la spiritualité. Pour bénéficier de l’enseignement dispensé par son maitre (murshîd), son mental doit être exempt de tout concept sur la voie. À cet égard, l’amour d’Allâh et de Son Prophète est la porte d’accès au principe universel du ruh mohammadiyyah et, par intégration des « états multiples de l’être », à la réalisation de l’« Être total ». 



(6) L’état de pauvreté est lié à la conscience que le moi, l’individualité, ne possède en soi aucune réalité. L’attrait pour le monde doit s’évanouir pour libérer le murîd des liens psychiques et des conditionnements. En conséquence, les meilleurs d’entre les foqarah s’abstiennent du recours aux causes secondes (asbâb) pour ne dépendre que du Principe suprême. Les vertus à acquérir sont la patience, l’endurance (al-sabr), la satisfaction dans toutes les situations (al-ridâ), et, dernier point qui demeure la clé de tout le reste : l’abandon à Allâh de toute la personne (tawakkul) par le rejet de toute prétention individuelle. 



 (7) Le moyen efficace pour l’obtention de la Connaissance de l’Unité est le dhikru-Llâh. Le dhikr est l’armature du Silence comme la tente du bédouin est l’armature d’une portion de l’espace dans le désert. Dans la tente, le silence est pour soi, mais en lui-même, il englobe le désert et la tente comme la haqiqah englobe la shari’ah ; « wa dhikru-Llâhi akbar ».



 (8) D. Gril conclut avec raison son compte rendu du Kitâb de Badr al-Habashî en disant que « Le sage véritable est celui qui contemple l’œuvre du Sage sans se laisser limiter par une forme particulière. Sur le plan de l’attitude spirituelle, elle est harmonie, active ou passive selon les êtres, avec la Volonté divine » ; il ajoute enfin : « (…) on voit bien par delà les formes religieuses, à quelle tradition universelle et gnostique se rattache l’enseignement de Shaykh al-akbar Muhyî I-dîn Ibn ‘Arabî ». On ne saurait en effet mieux dire les choses. 

Voir aussi le Traité de l’Orientation la plus complète (Risâlat al-tawajjuh al-atamm) du disciple direct du shaykh al-akbar, Çadr al-Dîn al-Qûnawî, traduit par M. Vâlsan, sous le titre L’Épitre sur l’Orientation parfaite (Études Traditionnelles, n° 398, p. 241-268 - année 1966).

 



* « Quiconque ne recevra point le Royaume de Dieu comme un enfant, n’y entrera point. » (St Luc, XVIII, 17)






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« En vérité, ceux qui te prêtent un serment d'allégeance (yubâyi’ûnaka) ne font que prêter serment à Allâh. La main d’Allâh est au-dessus de leurs mains. Quiconque est parjure se parjure lui-même. Mais quiconque est fidèle à l'engagement pris envers Allâh, Il lui accordera une récompense sublime. (10) »

(Al-Fath)









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Le principe de la « réalisation spirituelle », c’est-à-dire la « réalisation métaphysique », n’est pas à proprement parlé une réalisation, mais plus exactement la « prise de conscience » de notre réelle identité coïncidant avec l’arrêt définitif du pouvoir d’illusion inhérent à la manifestation.

 Pour se réaliser totalement, il faut que l’être échappe à cet enchaînement cyclique et passe de la circonférence au centre, c’est-à-dire au point où l’axe rencontre le plan représentant l’état où cet être se trouve actuellement ; l’intégration de cet état étant tout d’abord effectuée par là même, la totalisation s’opérera ensuite, à partir de ce plan de base, suivant la direction même de l’axe vertical. Il est à remarquer que, tandis qu’il y a continuité entre tous les états envisagés dans leur parcours cyclique, comme nous l’avons expliqué précédemment, le passage au centre implique essentiellement une discontinuité dans le développement de l’être ; il peut, à cet égard, être comparé à ce qu’est, au point de vue mathématique, le « passage à la limite » d’une série indéfinie en variation continue. En effet, la limite, étant par définition une quantité fixe, ne peut, comme telle, être atteinte dans le cours de la variation, même si celle-ci se poursuit indéfiniment ; n’étant pas soumise à cette variation, elle n’appartient pas à la série dont elle est le terme, et il faut sortir de cette série pour y parvenir. De même, il faut sortir de la série indéfinie des états manifestés et de leurs mutations pour atteindre l’« Invariable Milieu », le point fixe et immuable qui commande le mouvement sans y participer, comme la série mathématique tout entière est, dans sa variation, ordonnée par rapport à sa limite, qui lui donne ainsi sa loi, mais est elle-même au delà de cette loi. Pas plus que le passage à la limite, ni que l’intégration qui n’en est d’ailleurs en quelque sorte qu’un cas particulier, la réalisation métaphysique ne peut s’effectuer « par degrés » ; elle est comme une synthèse qui ne peut être précédée d’aucune analyse, en vue de laquelle toute analyse serait d’ailleurs impuissante et de portée rigoureusement nulle.

Il y a dans la doctrine islamique un point intéressant et important en connexion avec ce qui vient d’être dit : le « chemin droit » (Eç-çirâtul-mustaqîm) dont il est parlé dans la fâtihah (littéralement « ouverture ») ou première sûrat du Qorân n’est pas autre chose que l’axe vertical pris dans son sens ascendant, car sa « rectitude » (identique au Te de Lao-tseu) doit, d’après la racine même du mot qui la désigne (qâm, « se lever »), être envisagée suivant la direction verticale. On peut dès lors comprendre facilement la signification du dernier verset, dans lequel ce « chemin droit » est défini comme « chemin de ceux sur qui Tu répands Ta grâce, non de ceux sur qui est Ta colère ni de ceux qui sont dans l’erreur » (çirâta elladhîna anamta alayhim, ghayri el-maghdûbi alayhim wa lâ ed-dâllîn). Ceux sur qui est la « grâce » divine (1), ce sont ceux qui reçoivent directement l’influence de l’« Activité du Ciel », et qui sont conduits par elle aux états supérieurs et à la réalisation totale, leur être étant en conformité avec le Vouloir universel. D’autre part, la « colère » étant en opposition directe avec la « grâce » son action doit s’exercer aussi suivant l’axe vertical, mais avec l’effet inverse, le faisant parcourir dans le sens descendant, vers les états inférieurs (12) : c’est la voie « infernale » s’opposant à la voie « céleste », et ces deux voies sont les deux moitiés inférieure et supérieure de l’axe vertical, à partir du niveau correspondant à l’état humain. Enfin, ceux qui sont dans l’« erreur », au sens propre et étymologique de ce mot, ce sont ceux qui, comme c’est le cas de l’immense majorité des hommes, attirés et retenus par la multiplicité, errent indéfiniment dans les cycles de la manifestation, représentés par les spires du serpent enroulé autour de l’« Arbre du Milieu » (13).

Rappelons encore, à ce propos, que le sens propre du mot Islâm est « soumission à la Volonté divine » (14) ; c’est pourquoi il est dit, dans certains enseignements ésotériques, que tout être est muslim, en ce sens qu’il n’en est évidemment aucun qui puisse se soustraire à cette Volonté, et que, par conséquent, chacun occupe nécessairement la place qui lui est assignée dans l’ensemble de l’Univers. La distinction des êtres en « fidèles » (mûminîn) et « infidèles » (kuffâr) (15) consiste donc seulement en ce que les premiers se conforment consciemment et volontairement à l’ordre universel, tandis que, parmi les seconds, il en est qui n’obéissent à la loi que contre leur gré, et d’autres qui sont dans l’ignorance pure et simple. Nous retrouvons ainsi les trois catégories d’êtres que nous venons d’avoir à envisager ; les « fidèles » sont ceux qui suivent le « chemin droit », qui est le lieu de la « paix », et leur conformité au Vouloir universel fait d’eux les véritables collaborateurs du « plan divin »*.





Notes :



(1) Cette « grâce » est l’« effusion de rosée » qui, dans la Qabbalah hébraïque, est mise en rapport direct avec l’« Arbre de Vie » (voir Le Roi du Monde, ch. III).

(2) Cette descente directe de l’être suivant l’axe vertical est représentée notamment par la « chute des anges » ; ceci, quand il s’agit des êtres humains, ne peut évidemment correspondre qu’à un cas exceptionnel, et un tel être est dit Waliyush-Shaytân, parce qu’il est en quelque sorte l’inverse du « saint » ou Waliyur-Rahman.

(3) Ces trois catégories d’êtres pourraient être désignées respectivement comme les « élus », les « rejetés » et les « égarés » ; il y a lieu de remarquer qu’elles correspondent exactement aux trois gunas : la première à sattwa, la seconde à tamas, et la troisième à rajas. – Certains commentateurs exotériques du Qorân ont prétendu que les « rejetés » étaient les Juifs et que les « égarés » étaient les Chrétiens ; mais c’est là une interprétation étroite, fort contestable même au point de vue exotérique, et qui, en tout cas, n’a évidemment rien d’une explication selon la haqîqah. – Au sujet de la première des trois catégories dont il s’agit ici, nous devons signaler que l’« Élu » (El-Mustafâ) est, dans l’Islam, une désignation appliquée au Prophète et, au point de vue ésotérique, à l’« Homme Universel ».

(4) Voir Le Roi du Monde, ch. VI ; nous avons signalé alors l’étroite parenté de ce mot avec ceux qui désignent le « salut » et la «  paix » (Es-salâm).

(5) Cette distinction ne concerne pas seulement les hommes, car elle est appliquée aussi aux Jinns par la tradition islamique.



Les principales figures illustrant le Symbolisme de la Croix.


* Symbolisme de la Croix (chapitre XXV).









 





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