LES POITRINES DES HOMMES LIBRES SONT LES TOMBEAUX DES SECRETS صدور الأحرار قبور الأسرار

mercredi 27 mars 2019

Y. B. : Un extrait des APERÇUS SUR LE « RETOURNEMENT » (CHAPITRE XI)











CHAPITRE XI

« L’ARBRE DE LUMIÈRE »






Selon l’Imâm Jazûlî, le Coran possède 6666 versets, et le nombre 6 multiplié par 4 donne celui de la sourate 24 intitulée « La lumière » (al-nûr). Dans une étude intitulée « Le commentaire du verset de la Lumière d’après Ibn Arabî », Denis Gril écrit : « Ibn Arabî fait correspondre les quatre éléments du [verset de la Lumière] : la niche, le verre [ou le cristal], le flambeau et l’huile, et le cinquième, l’arbre, source de la lumière, avec les quatre noms divins opposés deux à deux et le Huwa, le Soi divin ; dans [l’autre] verset (Cor. 57, 3) : “Lui est le premier et le Dernier, l’Extérieur et l’Intérieur, et Il est au sujet de toutes chose Très Savant” ».
En l’occurrence, il s’agit du verset 35 de la sourate « la Lumière » (1) :
« Allâh est la lumière des Cieux et de la Terre. Le symbole de Sa Lumière est une niche [Le Premier] dans laquelle se trouve un flambeau, un flambeau [L’Extérieur] placé dans un cristal [le Dernier] qui est comme un astre brillant ; le flambeau prend son feu d’un arbre béni [Huwa], un olivier qui n’est ni d’Orient ni d’Occident, et dont l’huile [L’Intérieur] est prête à luire quand même le feu ne la touche pas : Lumière sur Lumière ! Allâh guide à sa lumière celui qu’Il veut ! Et Allâh propose aux hommes des symboles, car au sujet de toutes choses Allâh est Très-Savant (2) ».
Nous ne nous attarderons pas sur le contexte de la révélation de cette sourate, (rétablissant la vérité sur ‘Aîchah, « la femme calomniée ») ; nous retiendrons la « Parole du Soi » ou l’« Âme raisonnable » (nafs natiqah) (3) et les quatre témoins : la « Poitrine » (çadr), qui correspond à la Niche (Est) ; le Cœur (qalb), qui correspond au Cristal (Ouest) ; l’ « Esprit » (rûh), qui correspond au Flambeau (Sud), et enfin, le « Secret » (sirr) , qui correspond à l’ « Huile » (Nord) (4). À cet égard, Qâchânî parle de différentes stations en rapport avec le « rapt essentiel » et des localisations du luz dans la tradition hébraïque ; on trouve d’ailleurs des choses tout à fait analogues dans le Tantrisme (5).
« Pour ce qui est d’Agni, il y a encore quelque chose de plus : il est lui-même identifié à l’“Arbre du Monde”, d’où son nom de d’anaspati ou “Seigneur des arbres” ; et cette identification, qui confère à l’“Arbre” axial une nature ignée, l’apparente visiblement au “Buisson ardent”, qui, d’ailleurs, en tant que lieu et support de manifestation de la Divinité, doit être conçu aussi comme ayant une position “centrale”. Nous avons parlé précédemment de la “colonne de feu” ou de la “colonne de fumée” d’Agni comme remplaçant, dans certains cas, l’arbre ou le pilier comme représentation “axiale” (…) A.K. Coomaraswamy cite à ce sujet un passage du Zohar où l’“Arbre de Vie”, qui y est d’ailleurs décrit comme “s’étendant d’en haut vers le bas”, donc comme inversé, est représenté comme un “Arbre de Lumière”, ce qui s’accorde entièrement avec cette même identification ; et nous pouvons y ajouter une autre concordance tirée de la tradition islamique et qui n’est pas moins remarquable. Dans la Sûrat En-Nûr, il est parlé d’un “arbre béni”, c’est-à-dire chargé d’influences spirituelles, qui n’est “ni oriental ni occidental”, ce qui définit nettement sa position comme “centrale” ou “axiale” ; et cet arbre est un olivier dont l’huile entretient la lumière d’une lampe ; cette lumière symbolise la lumière d’Allah, qui en réalité est Allah lui-même, car, ainsi qu’il est dit au début du même verset, “Allah est la Lumière des cieux et de la terre”. Il est évident que, si l’arbre est ici un olivier, c’est à cause du pouvoir éclairant de l’huile qui en est tirée, donc de la nature ignée et lumineuse qui est en lui ; c’est donc bien, ici encore, l’“Arbre de Lumière” dont il vient d’être question. D’autre part, dans l’un au moins des textes hindous qui décrivent l’arbre inversé, celui-ci est expressément identifié à Brahma ; s’il l’est par ailleurs à Agni il n’y a là aucune contradiction, car Agni, dans la tradition védique, n’est qu’un des noms et des aspects de Brahma ; dans le texte coranique, c’est Allah sous l’aspect de la Lumière qui illumine tous les mondes.


[En note :] 
Cette Lumière est même, d’après la suite du texte, “lumière sur lumière”, donc une double lumière superposée, ce qui évoque la superposition des deux arbres dont nous avons parlé plus haut ; on retrouve encore là “une essence”, celle de la Lumière unique, et “deux natures”, celle d’en haut et celle d’en bas, ou le non-manifesté et le manifesté, auxquels correspondent respectivement la lumière cachée dans la nature de l’arbre et la lumière visible dans la flamme de la lampe, la première étant le “support” essentiel de la seconde » (6).

  














NOTES




(1) 35 est le « retournement » de 53 qui est le nombre de la sourate L’Étoile dont la clé akbarienne traite de la «Vision » (al-ru‘yah). Cette valeur numérique (53) évoque aussi le nom paradisiaque du Prophète (Ahmed = 1 + 8 + 40 + 4) et la désignation de la catégorie des afrâd (hâmid= 8 + 1 + 40 + 4 « Celui qui est louangé ») ainsi que la postérité spirituelle (ibn = 1 + 2 + 50) et l’expression métaphysique Huwa lâ Huwa (11+ 31 + 11 « Lui n’est pas Lui »).
(2) Traduction des Commentaires de Qâchânî par M. Vâlsan (ET. 1973, p. 102). Ce verset illustre ce que nous avons dit au sujet de la droite et de la gauche en ce qui concerne les Cieux et la Terre et l’Orient et l’Occident. On peut remarquer que la fin de ce verset est identique à Cor., 57, 3 : wa huwa bikullî sha‘in alîm.
(3) Qâchânî parle de nafs qudsiyah (ibid., p.103) ce qui semble être une autre désignation de la nafs nâtiqah que Mr Gilis a mis en rapport avec l’antar-yâmî des hindous (René Guénon et l’avènement du troisième sceau, chap. III. En effet :
« Le Principe immuable est (…) ce qui donne au mouvement son impulsion première, et aussi ce qui ensuite le gouverne et le dirige, ce qui lui donne sa loi, la conservation de l’ordre du Monde n’étant en quelque sorte qu’un prolongement de l’acte créateur. Il est, suivant une expression hindoue, l’“ordonnateur interne” (antar-yâmî), car il dirige toutes choses de l’intérieur, résidant lui-même au point le plus intérieur de tous, qui est le Centre » (Symboles de la Science Sacrée, ch. VIII, p. 71).
(4) Selon M. Vâlsan, « le çadr [Premier] désigne l’enveloppe subtile la plus extérieure du qalb [Dernier] », et la Station du Secret « est située entre celle du Cœur (al-qalb) et celle de l’Esprit (al-rûh) [extérieur], et il est dit que le sirr [intérieur] est un point très fin situé dans le cœur dont il constitue en quelque sorte la quintessence » (ibid., p. 10, notes 7 et 8).
(5) La doctrine islamique des hadarat (Présence divine) est analogue à celle hindoue des enveloppes (kosha) d’Atmâ. On sait que le symbolisme du vêtement est en relation avec Métatron (Ibn Arabî : Le livre de l’extinction dans la contemplation, trad. M. Vâlsan, p. 26, note 4). Selon la tradition arabe, la tunique de Joseph est celle qui a protégé Abraham du feu dans lequel Nemrod l’avait précipité (cf. Faïka Croisier : l’Histoire de Joseph d’après un manuscrit oriental ; Genève, 1989, pp. 22-23). En ce qui concerne le Tantrisme, on pourrait établir une certaine analogie entre les centres subtils (latâif) évoqués ici et les différents chakras que traverse Kundalinî, c’est-à-dire l’aspect de Shakti considéré comme une force cosmique et qui agit dans l’être humain comme une énergie vitale. Ainsi Sahasrâra qui est « localisé » à la couronne de la tête et qui correspond au sephirot suprême, c’est-à-dire Kether dont le nom signifie la « couronne », pourrait être en relation avec la nafs natiqah qui, selon le cheikh Muhammad Amîn al-Kurdî al-Shatî al-Naqshabandî, est située « symboliquement dans la première enceinte (al-bâtinu-l-awwalu) du cerveau (al-dimâgh) appelé aussi « le chef » (al-raîs) » (trad. partielle du Tanwîr al-qulûb par M. Vâlsan).
Ensuite, l’ensemble de Hokmah (Sagesse) et Binah (Intelligence) qui correspond à l’âjnâ chakra dont la « localisation » se réfère à l’ « Œil de la connaissance » pourrait être mis en rapport avec le Sirr Hesed (Miséricorde) et Geburah (Justice), qui correspondent à Vishuddha, seraient en connexion avec l’Esprit (al-Rûh), et Tiphereth, qui correspond à Anâhata, se réfère au symbolisme du cœur (qalb) ; Netsah et Hod, qui correspondent aux hanches et à la région ombilicale, sont en connexion avec Manipûra et la « poitrine » (sadr). Certes il y a 7 chakras et 10 sephirots ; mais il ne faut oublier que le centre de la Croix est la représentation de l’axe vertical constitué de deux pôles (Études sur l’Hindouisme, p. 41 à 43).
(6). (Symboles de la Science Sacrée, chap. LI, pp. 309-310). L’arbre inversé de l’ésotérisme islamique semble correspondre à l’arbre Tûbâ (L’Arbre du Monde, trad. M. Gloton, p. 13 à 15) ; A. Palacios en signale encore deux autres (L’Eschatologie musulmane, p. 247-249, n. 2).










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