LES POITRINES DES HOMMES LIBRES SONT LES TOMBEAUX DES SECRETS صدور الأحرار قبور الأسرار

dimanche 25 juin 2023

7 dhû al-hijjah 1443 / 24 juin 2023 : C-R : D. Gril ; R. A. Nicholson / Le concept de laïcité.

 




 

 

 

Denis Gril, Le serviteur de Dieu – la figure de Mohammad en spiritualité musulmane, Éditions du Cerf.

C’est un ouvrage important dont l’initiative revient à Francesco Chiabotti (maitre de conférence) qui a organisé la réédition en un volume de tous les articles et conférences que D. Gril a consacré au Prophète Mohammad durant ces vingt dernières années dans différentes revues universitaires hexagonales et étrangères. Il se compose de onze chapitres conséquents déclinant tous les thèmes traditionnels relatifs au Prophète de l’Islâm. Il est inutile de nous étendre sur la qualité du travail de cet auteur qui depuis longtemps représente le meilleur de ce qui se publie sur le taçawwuf, Ibn ‘Arabî, les maitres çûfî et l’Islâm. Bien qu’il n’y ait qu’un seul article inédit, on découvrira ici des textes passés inaperçus en raison de leurs diffusions limitées à des revues spécialement universitaires quasi introuvables. Etant donné l’importance du sujet, il aurait été véritablement excellent de recomposer ces articles dans un ensemble, ce qui aurait eut pour effet d’effacer la « disparité de ton » dont prévient Gril en Avant-propos, et peut-être aussi, de nous épargner de trop nombreuses citations bibliographiques qui en alourdissent la lecture.

 

R. A. Nicholson, Le soufisme en 101définitions,  Les Éditions i, 2023.

Il s’agit d’une traduction d’un texte anthologique de R. A. Nicholson paru en 1906 dans le « Journal of the Royal Asiatique Society ». Cet orientaliste est à l’origine du mot « soufisme » pour traduire le terme arabe taçawwuf. Il fut aussi le premier à avoir qualifié le point de vue ésotérique et initiatique de l’Islâm par les termes fautifs de « mysticisme » et « mystique ». La moitié de ce petit ouvrage est consacrée à l’introduction du sujet par le directeur de la collection, J. Annestay. Sans rien omettre d’essentiel, ce dernier retrace les états successifs de l’ésotérisme en Islâm depuis le temps de la risalah et des premiers compagnons du Prophète, al-salaf al-çâlih, jusqu’à nos jours. Un complément a été ajouté dans la partie traduction afin de compléter le choix de Nicholson qui ne concerne que les deux premiers siècle de l’Hégire. On sait qu’à l’origine, la spiritualité pure de la Révélation ne se distinguait pas nettement de l’aspect «  juridico-religieux » et que la séparation des deux domaines en ésotériques et exotérique se produisit par la suite vers l’époque où le terme arabe « taçawwuf » fit son apparition. Sachant l’imprécision et les connotations souvent confuses véhiculées par le terme de « soufisme », on comprend mal pour quelle raison l’éditeur les a maintenus ici dans les traductions des sentences des maitres çûfî. C’est notre seule remarque qui n’entame en rien l’intérêt de cette parution bienvenue au milieu de la quantité d’ouvrages de qualité médiocre saturant les rayons Islam en librairie.

 

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Gérard Boulanger, ancien rédacteur en chef de la revue Totalité, propose la traduction d’un livre de Marco Scatarzi*Cap sur la communauté ! (Éditions de La Nouvelle Librairie).

Ceux qui ne se laissent pas impressionner par la propagande de la droite, ancienne, nouvelle, catholique et autres, verront dans le point de vue et la volonté de G. Boulanger (et M. Scatarzi) une caractéristique de certains courants se réclamant de spiritualité qui, sur le fond, partagent l’incapacité d’effectuer le « Retournement » propre à la voie initiatique. Les résultats de cette limitation expliquent notamment les prétentions de Julius Évola dont Boulanger, qui en a subi l'influence, fut le traducteur ; rien d'étonnant par conséquent que ce dernier assimile sa démarche à une « quête spirituelle  » conçue hors de la forme traditionnelle qui devrait lui correspondre. Peu de chose sépare la démarche de Boulanger de l’esprit de la Réforme consistant à revenir à la « pureté des origines » par les moyens de la volonté individuelle dont on sait que cela mène inéluctablement vers les dérives et la contre-tradition. Cette méprise se trahit toujours par une ou des signatures qui ne laissent subsister aucun doute quant à la nature parodique des intentions en question, en l’occurrence ici, l'importance du sentiment nationaliste et le nationalisme identitaire que l’on voudrait substituer à la communauté traditionnelle.

*Marco Scatarzi est à l’origine des éditions Passagio al Bosco et « l’espace identitaire » Casaggi  à Florence.

 

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L’absence de fondement du concept de laïcité.

 Suite à la séparation des Églises et de l’État, imposée en France le 9 décembre 1905, l'État prétendument « laïc » n'autorisa plus aucune influence du « Clergé » sur ses institutions, tout particulièrement sur l’école publique. Cette décision idéologique, ne possède aucune base solide permettant d’en valider l’autorité. Par contre, la volonté de couper toute relation spirituelle avec la tradition chrétienne, sous le prétexte fallacieux de la « liberté de culte »*, cache surtout une « intention totalitaire » qui ne cessera de se confirmer avec plus ou moins de force, de propagande et de contraintes. On sait que l’entreprise coloniale fut chargée d’exporter à l’extérieur le bien fondé du « Progrès » en majesté et de la « Civilisation » et, au moyen de cet ensemble,  de conquérir par annexion les peuples orientaux pour les convertir aux acquis de l’« universelle modernité ». Suite à la Révolution de 89, un État se voulant moderne présupposait un nationalisme établi porté par un peuple sous influence et représenté par le jeu d’acteurs politiques. Nous savons aujourd’hui que ces derniers sont majoritairement intéressés par le profit et prêts à tout sous couvert d’être les garants d’une constitution parlementaire, centralisatrice confortant leurs avantages. Nous savons aussi que ce régime dit « démocratique » est issu de l’idéologie des « Lumières » et s’inscrit dans le prolongement de la Réforme Protestante. L’Etat républicain gardera d’ailleurs de celle-ci la sécheresse de son moralisme.

 Mais la psychologie et surtout la logique nous enseigne que ce qui est à l’origine de cette volonté caractérielle de l’État (nation), c’est-à-dire l’avènement d’un homme nouveau et son cortège de folie destructrice et de dénaturation sociale, n’est qu’un « concept réactionnel », sans fondement stable, soumis perpétuellement à de la réforme mentale, ne pouvant que réagir et n’étant capable au fond que de s’essouffler dans les vaines agitations provoqués par les remous des vagues idéologiques. D’où son besoin constant de nouveautés et de modes. C’est bien là, au fond, tout ce qui constitue et motive cette volonté destinée à subir les limites de son esprit d’opposition qui détermina son mouvement originel. Lui attribuer la possibilité d’une alternative exigerait de sa part d’être en capacité d’exprimer ou de manifester un principe indépendant et souverain définissant le phénomène même de la révolte ; cela exigerait une ontologie de la révolte. Or, en réalité, cette volonté d’ « être en opposition » et d’agir en « réaction à », qui provoqua la Révolution de 89 et ses redoutables conséquences, est intrinsèquement dépourvue d’« être permanent », elle est dénuée de tout principe et logiquement tributaire de tout ce à quoi elle s’oppose, et de fait, dépendante en tout ce qu’elle est de son passé, c’est-à-dire, qu’elle est condamnée à se déterminer exclusivement par le refus de ce qui fonde sa propre « présence civilisationnelle », en l’occurrence judéo-chrétienne, enrichie comme on voudrait nous le faire oublier, par l’héritage médiéval de la translatio studiorum  arabo-musulmane.

Cependant, l’arrogance de la mentalité moderne semble ignorer qu’il existe une réalité des faits que rien ne peut effacer, une mémoire qui n’est pas seulement individuelle et collective mais qui, déterminante et souveraine, demeure inscrite au-delà de nous même, présidant bon gré mal gré à toutes nos décisions, et cela jusque dans nos pires fluctuations existentielles ; une mémoire qui perdure nécessairement et contre laquelle les falsifications de l’histoire, officielle ou non, demeureront à jamais impuissantes...

Puisqu’il semble plutôt compromis pour les défenseurs de l’État laïc d’avancer de véritables arguments en faveur du statut de leur « pseudo religion » athéiste** (car il n’est question dans tout ça que de croyance), qu’ils nous disent plutôt : Nous voulons, par la force et la terreur, abolir toutes les manifestations religieuses (et/ou traditionnelles) de la spiritualité, et même toute spiritualité et, afin d’atteindre notre but, nous internerons si besoin est tout ceux qui s’opposeraient à notre volonté !

  Force est de reconnaître que la teneur de ce discours aurait le mérite d’être plus clair.

 

 

 

 Sur la notion de « liberté » :

« (…) la conscience ne peut saisir qu’une croyance à la liberté, et non la liberté elle-même, qui n’est pas de l’ordre des phénomènes mentaux ; (…) c’est perdre son temps que de chercher à argumenter psychologiquement pour ou contre la liberté ; cette question, parce qu’elle est au fond une question de ‟ nature”, n’est pas et ne peut pas être une question psychologique, et on devrait bien renoncer à vouloir la traiter comme telle. »


(R. Guénon : extrait du compte-rendu de livre (Revue Philosophique - Mai-juin 1921-) : Nel mondo dello spirit. — (Dans le monde de l’esprit.) 1 vol. in-8o, 252 pages, Società Editrice « Unitas », Milan et Rome, 1919.)

 

** Religieux  et « pseudo-religieux »:

« Le point de vue religieux est merveilleusement adapté à la mentalité de ce qu’on peut appeler « l’homme déchu », c’est-à-dire de celui qui, par incapacité de s’attacher à la vérité pour elle-même et d’une façon purement intellectuelle, éprouve le besoin de « consolations » sentimentales, à travers lesquelles il pourra du moins entrevoir cette vérité, indirectement et comme symboliquement, dans la mesure où il en sera susceptible. – À un autre degré plus bas de cette déchéance correspond le point de vue proprement moral, tel qu’il est envisagé surtout par les modernes : c’est là une dégénérescence du point de vue religieux, caractérisée par l’abandon des éléments intellectuels (constitutifs du dogme) au profit exclusif des éléments sentimentaux ; ce caractère du « moralisme » est particulièrement net dans le protestantisme, et aussi dans le modernisme, dont les tendances fondamentales sont d’ailleurs les mêmes que celles du protestantisme. »

 

 (R. Guénon ; Notes inédites)

 

 



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