SULAMÎ : FEMMES
SOUFIES
suivi de
LA SAINTETE FEMININE
DANS L'HAGIOGRAPHIE ISLAMIQUE
par Michel CHODKIEWICZ
éditions ENTRELACS (collection HIKMA)
Cet ouvrage est une traduction par A. Andreucci du Dhikr
an-niswa al-muta’abbidât d’Abû ‛Abd al-Rahmân al-Sulamî. Sa publication
prolonge en quelque sorte l’intention d’Abdallâh Penot avec L’entourage
féminin du Prophète. Dans son introduction, le traducteur présente le
traité de Sulamî accompagné d’une mise au point concernant le rapport
hiérarchique entre l’homme et la femme et la complémentarité de leur statut
dans l’expression traditionnelle des relations sociales « calquées sur ce
modèle idéal qu’elles tentent de reproduire afin de se conformer à l’ordre
divin des choses, ordre dans lequel chaque chose a la place qui lui
convient ». A. Andreucci ne se limite pas à rappeler la fonction féminine
telle qu’elle s’est définie du temps du Prophète Muhammad et de ses nobles
compagnons, il achève sa présentation avec un aperçu sur le Taçawwuf dans
lequel il expose les conditions de la transmission spirituelle et la manière
dont celle-ci s’est naturellement modifiée à travers les générations
successives depuis les premiers temps de l’Islam. Il aura fallu effectivement
attendre quelques siècles avant que la réalité appelée aujourd’hui taçawwuf (soufisme) se
constitue en organisation initiatique « pour être les dignes représentants
des maître du passé. » Après une présentation des différentes voies
ésotériques, le traducteur retrace la vie de Sulamî en restituant la portée de
son enseignement dans le contexte du quatrième siècle après l'Hégire. Outre ses
qualités de maître spirituel, ce qui distingue Sulamî, est une connaissance
profonde du Hadith au point qu'il reproduira toujours dans ses ouvrages
la “chaine de transmission” des paroles attribuées aux Sheykh du passé
conformément aux règles traditionnelles constitutives de la Science du
hadith qui permet de valider la fiabilité des paroles du Prophète. A
l’instar du Sheykh al-Akbar, cet éminent sûfî fréquenta plusieurs
maîtres, ce qui à l'époque était courant; l'un d'eux, Abû l-Qâsim al-Nasrâbâdhî
affirma la sainteté du martyr Mansûr Hallâj et fut persécuté en conséquence.
Une fois devenu murshîd, Sulamî dirigea dans la voie de nombreux
disciples dont certains furent ensuite considérés comme des maîtres importants
dans l’histoire du soufisme. L'un d'eux, le malâmatî Abû Sa'îd b.
Abû l-Khayr nous est aujourd’hui connu par la biographie de M. Ebn E. Monawwar,
(traduite en français en 1974 par M. Achena)*.
Pour bien comprendre les Malâmatiyya (les gens
de la «Voie du Blâme ») caractérisant Sulamî, on ne peut que recommander la
lecture de son ouvrage, Risâlat al-malâmatiyya, traduit par Roger
Deladrière**. Le courant spirituel de ces hommes d’exception, originaires de
Nîshâpûr dans le Khorassân, se différencie de la voie iraquienne des sûfîs
par des attitudes qui s’opposent à la plupart de leurs pratiques, « A
commencer, nous rapporte Deladrière, par la règle de ne pas se distinguer
extérieurement des autres musulmans : pas de vêtement spécial, ni de
« froc blanc » (sûf), ni « tunique rapiécée »
(murraqqa‛a), qui pourraient attirer l’attention sur soi et montrer que l’on
est un moine vivant dans le siècle. Pas de dévotions surérogatoires et
excessives, ce qui serait de l’ostentation si elles sont faites en public. Une
extrême réserve à l’égard des séances de « sama‛a » et de
l’extase provoquée. Une méfiance non moins grande pour ce qui concerne les
expériences intérieures (aḥwâl) et les signes miraculeux (karâmât)
qui, pour eux, ne prouvent rien (…) ».
Le tempérament spirituel des malâmiyya ( ou
malâmatiyya ) porté au plus haut degré par Sulamî est évoqué dans un
extrait des Futûhât al-makkiyah du Sheykh al-Akbar, en conclusion de
l’étude de M. Chodkiewicz, insérée dans l’ouvrage. En détaillant par ailleurs
quelques exemples de renommée de la sainteté (walâya) de femmes
musulmanes jusque dans le monde latin, ce dernier, avec l’autorité qui lui est
unanimement reconnue, démontre une fois de plus, l’existence historique de
relations intellectuelles entre l’Islam et le Christianisme. L’évocation de la
sainteté dans le monde chrétien et de Marie, son modèle, vient compléter
l’introduction du traducteur.
Le texte même de Sulamî recense, de façon très
condensée, quatre vingt deux exemples de sainte (Awliyâ) ; il
s’agit le plus souvent de propos rapportés et d’anecdotes. La simplicité est ce
qu’il y a de plus remarquable dans l’éveil spirituel de ces Awliyâ et
Sulamî, en accord avec Ibn ‘Arabî, montre bien qu’à ce degré spirituel, l’être
régnant au-delà des conditions de l’existence, intègre la femme au seul rang
qui puisse la rendre égale à l’homme; s’établissant définitivement dans un
« non état », si l’on peut dire, la Walâya lui permet par là-même de réaliser
sa véritable liberté.
*Les
Etapes mystiques du shaykh Abu Sa'id (Asrâr at- tawhîd fî maqâmat
sheykh Abû Sa'îd), éditions Desclée de Brouwer, Unesco1974.
** La Lucidité Implacable
- Epitre des Hommes du Blâme, éditions Arléa, Paris 91.