Le texte qui suit est la
réponse à deux commentaires déposés à propos du message intitulé SUR LA
PUBLICATION DES INÉDITS DE RENÉ GUÉNON, mis en ligne ci-dessous, le vendredi 20
septembre 2013. (Les commentaires sont reproduits ici en italique).
- Contrairement
à ce que dit l’auteur de la remarque, la mise à disposition de certains inédits
est assez récente." C'est malheureusement bien ce que je dis, il y a
encore des inédits, 60 ans après, délivrés au compte goutte (peut-être pour
maintenir le suspense?), je ne comprends pas.
Les
inédits de RG sont, comme ses textes publiés, soumis aux droits d’auteur. Ils
ne peuvent donc être édités qu’avec l’accord des ayants droit. Pourtant, d’une
façon générale, on constate que certains ne se gênent pas pour contourner la
loi, en publiant dans des pays dans lesquels ces droits tombent après 50 ans
(voir : Recueil, au Canada), ou en mettant en ligne sur Internet, par
exemple, des correspondances de RG à tel ou tel (elles sont inédites, en
livres, à ce jour).
Il
est proprement scandaleux que ceux qui n’ont pas reçu le moindre mandat
éditorial, ou qui n’en bénéficient plus, spolient ainsi les enfants de René
Guénon, par des éditions illégales, en français et en langues étrangères, et
par la mise en ligne sur Internet de nombre de livres, de textes et de
correspondances.
Tous
ces documents sont d’ailleurs plus ou moins fautifs, partiels. Pour les
lettres, on ne sait pas ce que le correspondant de Guénon a bien pu lui écrire,
ce qui peut engendrer bien des difficultés ou mésinterprétations. Par exemple,
le 12 août 1917, Guénon écrit à Noële Maurice-Denis
: « Voilà déjà huit jours que j’ai reçu mon
manuscrit et votre lettre ». De quel manuscrit s’agit-il ? De celui
sur « L’idée de l’Infini » ? De son « Examen des idées de
Leibnitz sur la signification du Calcul infinitésimal » ? D’une autre
étude ? Certains indices contenus dans cette lettre nous orientent
sur une piste ; mais nous aurions bien entendu toute certitude en
connaissant la lettre de Noële Maurice-Denis.
- Et
je ne parle pas de la qualité catastrophique des recueils déjà publiés, que ce
soit par la présentation ou par la simple retranscription des textes.
Nous
sommes tout à fait d’accord. Les recueils posthumes préparés par
Reyor/Clavelle, Maridort et Grossato, ont été faits sans avoir en vue un ordre
d’ensemble cohérent. Ils manquent de sérieux, d’abord dans leur composition,
certains articles n’ayant manifestement pas leur place dans tel ou tel recueil
(par ex : les 4 premiers chapitres d’Initiation et Réalisation
spirituelle).
De
plus, on constate, pour le regretter : des fautes d’orthographe, de
ponctuation ; des mots, phrases et notes oubliés ; des termes ajoutés
ou substitués à ceux écrits initialement par Guénon ; des phrases
répétées ; des erreurs concernant les références des articles publiés,
ainsi qu’une absence totale de provenance des articles dans tel ouvrage, etc.
Et
les responsables de ces publications anarchiques et catastrophiques se sont
glorifiés, en associant leurs noms à celui de René Guénon, en signant des
« Avant-propos » insignifiants, et bien contestables.
Par
exemple, Clavelle (Reyor), avec les Aperçus
sur l’Ésotérisme chrétien. Son
édition a été faite par surprise, “en pirate”, soutenue par Chacornac et
Maridort en 1954. J’ai appris que Michel Vâlsan, mandataire littéraire nommé
par René Guénon, avait dû accepter cette édition à titre transitoire,
puisqu’elle était déjà composée en imprimerie ; mais il ne l’avait
autorisée que pour une seule édition. Celle-ci avait de plus perturbé les possibilités
d’une organisation judicieuse immédiate du matériel restant, car elle avait
empiété sur le domaine du symbolisme, en incluant trois des articles destinés
normalement au volume sur les symboles.
Quelques années après, Maridort et Chacornac reconnurent leurs torts
respectifs dans cette affaire. Cela n’a rien changé au fait que les Aperçus sur l’Ésotérisme chrétien ont été régulièrement
réédités, plus tard avec une nouvelle pagination, et quelques corrections…
La question qui se pose est donc de savoir
comment publier à nouveau ces articles.
- Par ordre chronologique ? Leur
édition sous forme de succession « chronologique » pourrait-elle
permettre d’en comprendre leur véritable « logique » ?
- N’importe comment, comme pour Mélanges et Recueil ?
- Par thèmes ? Peu avant son décès,
Guénon avait privilégié cette dernière méthode, parlant d’« un ou deux
recueils d’articles sur le symbolisme, et peut-être aussi une suite aux Aperçus sur l’Initiation ». Sur ce dernier point, Initiation et Réalisation spirituelle aurait pu être la suite espérée : encore une publication bâclée,
fautive, etc…
-
Quel intérêt que de passer 10 000 heures à compter les virgules du cours de
philosophie? Il y en a certainement un, mais ce n'est pas ça la priorité.
Qui
fait ce type de travail complètement stupide ? Très rares sont ceux qui ont lu
ce Cours, et je n’en connais aucun qui se soit adonné à ce genre d’imbécillité.
Mais peut-être disposez-vous d’informations que je ne possède pas... Ayez
l’amabilité de m’apporter des renseignements là-dessus ; je vous en remercie à
l’avance.
Ce
qui est sûr, c’est que ceux qui ont lu ce Cours l’ont trouvé tout à fait
conforme aux idées traditionnelles que RG expose dans ses livres et articles
publiés. Il apporte, comme tout texte inédit de RG, des éclairages
complémentaires, ou totalement nouveaux, sur bien des points.
C’est
toujours la même doctrine, toujours le même enseignement. Mais, pour le savoir,
il faut avoir lu ce Cours, et ne pas s’en faire quelque idée définitive à
partir des rares extraits qui ont été publiés, ni préconçue, du fait qu’il
provient, précisément, d’un cours de philosophie, alors qu’il ne s’agit ici que
de la philosophie considérée et interprétée du seul point de vue traditionnel.
J’apporte
quelques précisions complémentaires à ce que j’ai écrit précédemment au sujet
de ce Cours de Philosophie.
Après
l’édition du pitoyable Psychologie, Patrice Brecq a montré à qui il fallait attribuer la
paternité de ce Cours, d’où était tirée la partie publiée par A. Grossato.
Celui-ci n’en connaissait évidemment pas la provenance, pas plus qu’il ne
connaît le Schiller et le Weber cités par Guénon, et que ce brillant
universitaire confond avec deux autres homonymes !
AG
ayant interprété de façon complètement fautive la question de “l’imagination
créatrice” dans ce Cours, PB a jugé utile d’éditer le chapitre correspondant,
qui doit être compris “psychologiquement” ou philosophiquement, et non, comme
l’a fait AG, à partir de ce qui se rapporte à “l’art de la mémoire”, et à
“l’imagination créatrice” selon Corbin.
Les
deux premiers chapitres de “Psychologie” ont été édités pour que les lecteurs
constatent qu’AG avait fait un travail qui ne pouvait que desservir RG. Leur
publication a permis de répondre encore à ceux qui estimaient que Psychologie ne pouvait être de RG, à cause de la présence de
l’expression : “psychologie métaphysique”.
PB
a aussi donné ces précisions : le Cours se présente
« le plus souvent comme un exposé des principales thèses soutenues par
divers philosophes sur telle ou telle question, suivi d’un examen critique qui
permet de pouvoir ensuite dégager plus facilement une conclusion. C’est dans la
partie “critique” et dans la conclusion que la perspective traditionnelle est
affirmée de la façon la plus explicite » (Science sacrée, n° sur RG).
Ce
qui a été illustré par la publication du chapitre sur « Les degrés de la
connaissance » : « Guénon y rappelle la distinction, établie par
Spinoza, des quatre degrés de la connaissance ; puis il relève dans cette
distinction plusieurs défauts ; il termine sa leçon en enseignant qu’il est
préférable de distinguer trois degrés dans la connaissance, résumés dans un
tableau qui n’est pas sans rappeler le premier tableau du chapitre II de L’Homme
et son devenir selon le Vêdânta ;
puis il ajoute enfin plusieurs remarques concernant la métaphysique » (Ibid.).
D’autre
part, si on connaît, d’après Guénon, qu’il n’y a pas d’inconscient
psychologique, « Conscience, subconscience, inconscience » (VLT n°
123) est le seul texte qui contient une argumentation détaillée sur cette
question. De plus, les notes ajoutées éclairent plusieurs notions, comme celles
de “conscience morale” et de “mémoire”. Les deux références données (Kant et
Leibnitz), relatives à des citations faites par Guénon, si elles peuvent
intéresser certains lecteurs, sont surtout des preuves documentaires en la
faveur de Guénon lui-même.
Dans
le n° 127 de VLT : « Définition
et division de la logique », chapitre introductif à la “Logique”, et
« Les principes logiques », chapitre II de la “Logique générale”, et
dans le seul n° 128 de LRT : « La méthode mathématique ». Le n° 129
devait inclure la suite et la fin de ce chapitre. Cet ensemble, qui contient
des données qu’on ne trouve pas ailleurs de façon aussi détaillée, concerne
deux sciences qui « sont, dans tout le
domaine scientifique, ce qui offre le plus de rapports réels avec la
métaphysique ».
On
est donc bien loin d’un cours de philosophie dispensé en lycée ou à
l’université ! Dans ce Cours, les conceptions philosophiques sont en effet
exposées, puis réfutées uniquement à partir du
point de vue traditionnel, et d’idées conformes à la
théorie des états multiples de l’être.
L’édition
de ce Cours serait autrement plus intéressante « que de passer 10 000
heures à compter ses virgules » !
-
Concernant les distinctions que vous faites, livres publiés du vivant de,
correspondances, etc, je le vois d'une autre façon : les travaux recueillis
dans les ouvrages posthumes ont pour la plupart été publiés en revue du vivant
de Guénon, et certains inédits étaient destinés à l'être. Quel est donc leur
point commun : c'est l’œuvre publique.
Je vois que nos points de vue concernant
les recueils posthumes, qui contiennent des articles publiés par Guénon de son
vivant, ne sont pas si différents, puisqu’ils concernent effectivement
« l’œuvre publique ». Toutefois, il ne faut pas oublier que ces
recueils n’ont pas été constitués par Guénon lui-même. Et j’ai fait
précédemment plusieurs critiques à ces ouvrages posthumes. Si bien que seuls les
livres de Guénon, publiés par lui de son vivant, bénéficient d’un véritable
statut « à part ».
Si on veut ajouter à ces livres les
articles publiés par Guénon, et ceux qu’il a voulu éditer, sans y parvenir (par
exemple : « Les dualités cosmiques »), on a effectivement un
ensemble : celui de son œuvre publique.
Que faire alors des articles publiés dans
diverses revues, et de tous les documents inédits ? Quel est le statut de
ces derniers ? Peut-on, doit-on, les publier ? Ces questions
rejoignent vos dernières remarques, que je reprends :
-
Vient ensuite une autre catégorie à part, qui sont les cours de Guénon, pas
vraiment privés, mais pas destinés non plus au public, et pas de la même
teneur. Et enfin les correspondances, privées elles, dont beaucoup sont intéressantes
certes, mais c'est bien l’œuvre publique la priorité n°1. C'est ça, la volonté
de Guénon. Il n'a jamais demandé à ce qu'on publie ses correspondances ou ses
cours de philo, par contre il a bataillé toute sa vie pour voir son œuvre
publiée, bien présentée et disponible.
Pour le Cours de Philosophie, Patrice
Brecq écrivait en 2003, qu’il n’avait « pas lu, à ce jour, d’indications
de Guénon concernant une éventuelle possibilité d’édition de son cours de
philosophie, pas plus, d’ailleurs, que de mentions en interdisant sa
publication. De là, si ce Cours ne devait pas rester inédit, il faudrait, pour
constituer en livre ces leçons de philosophie, partir des originaux, donc de la
source la plus sûre et la mieux établie, puisque l’auteur ne l’a pas fait
lui-même ».
Depuis dix ans, et malgré de patientes
recherches, il n’a toujours pas lu quoi que ce soit de Guénon à ce sujet, pas
plus qu’il n’a trouvé, de la part de Guénon, d’interdiction de publication de
ses autres écrits, ni de sa correspondance.
La seule réserve trouvée est
indirecte : selon l’un se ses correspondants (dans une lettre de ce
dernier à un tiers), Guénon aurait interdit la publication d’un seul texte
(c’est plus exactement un ensemble de textes) mais ce correspondant ne
s’exprime pas très clairement sur ce point, et, surtout, dans sa propre
correspondance avec Guénon, on ne trouve pas de formulation de ladite
interdiction.
Pour la publication des correspondances
(1), bien des bruits circulent, mais on n’a jamais rapporté à ce jour le
moindre témoignage écrit de Guénon sur ce sujet : ni pour, ni contre.
Comme tout auteur, Guénon savait bien que la question de « ses
inédits » se poserait après sa disparition. S’il n’a rien précisé, c’est
qu’en authentique walî (saint ou “rapproché”, ami de Dieu) − on ne sait guère, en Occident,
qu’« Al-walî » est précisément le titre par lequel il est connu en
Égypte, et dans bien des pays musulmans −, il s’en est remis à ce sujet à la
Volonté et à la Sagesse divine.
Il
y a encore un autre type de documents inédits : il s’agit des notes qu’il
a rédigées tout au long de sa vie. Elles
sont contenues dans deux ensembles : le Document
I concerne le domaine traditionnel,
et comprend 1120 pages ; le Document
II traite principalement de théologie et de philosophie,
sur 296 pages (notes prises entre 1914 ou 1915 et 1924). Ils
sont constitués, d’une part de la copie de passages extraits de livres et
d’articles, lus par Guénon, et parfois annotés par lui ; d’autre part, de
considérations, observations ou réflexions consignées par Guénon, pouvant
s’étendre sur plusieurs pages. En fonction des sujets qu’il traitait, il les
intégrait telles quelles dans ses propres écrits, signalant sur les manuscrits
qu’elles étaient désormais reprises. Mais nombre de ces notes restent inédites.
Là encore, faut-il les publier ? Comment ? Etc.
Les lecteurs familiers des lettres de
Guénon, et ceux qui connaissent ses autres écrits inédits, notamment son Cours
de Philosophie, savent qu’ils sont tout à fait conformes aux idées
traditionnelles que René Guénon expose dans ses livres et articles publiés.
De là, pour ces lecteurs, il ne fait aucun
doute que tous les écrits de
Guénon relèvent, chacun dans son ordre, d’un enseignement unique. Pour eux, toutes les
subdivisions que certains établissent, avec plus ou moins d’ingéniosité,
disparaissent finalement devant ce principe d’unité.
NOTE
(1) Plusieurs d’entre elles ont été
éditées :
- celle avec Alain Daniélou a
l’avantage de reproduire les lettres autographes de Guénon ; mais elle est
desservie par la reproduction des brouillons des lettres de Daniélou, et par
l’introduction de Grossato (voir à ce sujet le n° 125 de VLT).
- Celle avec Cattiaux est
desservie, là encore, par une introduction calamiteuse.
- Celle avec Evola est
partielle, et ne donne pas copie des lettres autographes de Guénon ;
l’introduction est très « évolienne ».
***
Le texte ci-dessus, avec le précédent (mis
en ligne dans le message daté du 20/ 09/ 2013), ont suscités des réactions et plusieurs questions que nous
reproduisons ici. Nous remercions les personnes qui
nous ont aimablement aidés à y répondre.
QUESTION :
L'œuvre publique telle qu'elle a été établie par
Guénon reste le principal, qu'il s'agisse des ouvrages ou d'articles isolés. Il
n'y a pas de discussion là-dessus et de ce côté, il n'y a pas de nécessité à
établir une “édition critique”, c'est la dernière version du texte validée par
R Guénon qui doit servir de référence, aussi bien pour les livres que pour les
articles.
RÉPONSE :
Pourtant, la nécessité d’établir une “édition
critique” s’impose.
Par exemple : le dernier § des “Doctrines hindoues” (Vers
la Tradition n° 122, pp. 12-13) est écrit ainsi dans le manuscrit
autographe :
« Quoi qu’il en soit, et bien que nous ayons dû
nous en tenir ici à des indications très sommaires, nous pensons que cet exposé
pourra aider à comprendre le véritable esprit de l’Inde et faire entrevoir
l’intérêt qui s’attache à l’étude de ses doctrines, à la condition que cette
étude soit entreprise comme elle doit l’être, c’est-à-dire d’une façon vraiment
directe, en s’efforçant de s’assimiler les idées et les manières de penser, et
non en s’en tenant à des méthodes d’érudition qui ne peuvent donner qu’une
connaissance tout extérieure et superficielle. »
Dans la version publiée dans la Revue Bleue,
la fin du § est ainsi écrite (p. 199) :
« en s’efforçant de s’assimiler les idées et les
manières de penser, et non en s’en tenant à des méthodes d’érudition extérieure
et superficielle. »
Quelle version doit être retenue ?
La dernière, selon la question posée, c’est-à-dire la
version publiée.
Mais est-on sûr que sa formulation a été validée par
René Guénon ?
Comme les deux phrases se lisent correctement en
français, Guénon s’est-il aperçu de cette variante ? En d’autres termes :
est-elle intentionnelle, ou incombe-t-elle au typographe ?
Dans la mesure où il serait présomptueux d’affirmer
que c’est telle version qui doit être retenue, il est nécessaire de
mentionner les deux versions, celle éditée et celle manuscrite, et donc, par là
même, de faire œuvre d’“édition critique”.
Autre exemple, portant sur un seul adjectif.
Guénon publie “L’Ésotérisme islamique” dans les Cahiers
du Sud, en 1935. Il écrit :
« en vertu de cette
même analogie, ces sciences trouvent, par une transposition appropriées, leur
application dans le domaine du “microcosme” aussi bien que dans celui du “macrocosme”,
car le processus initiatique reproduit, dans toutes ses phases, le processus
cosmologique lui-même » (p. 44).
Reprise de cet article en
1947, toujours dans la même revue, avec ajouts.
Cette phrase est
reproduite telle quelle.
De plus, quand on sait
que, pour les deux éditions de cet article, la correction incomba à André
Préau, le seul qui donnait satisfaction en ce domaine à RG (cf. Vers la Tradition n° 124, pp. 5-6, n. 5), on est en droit de penser qu’on a ici une
expression tout à fait “fiable”.
Enfin, la phrase en
question sera publiée ainsi dans Les Aperçus sur l’Esotérisme islamique, en 1973, p. 25. Doit-on
pourtant la valider ?
Chez RG, on ne trouve
cette expression qu’une seule fois, dans ce seul texte, alors qu’on
rencontre à plusieurs reprises l’expression : « processus
cosmogonique ».
Guénon a-t-il voulu, dans
cet hapax, suggérer quelque intention, quelque signification particulière
? (On
sait d’autre part que cette expression est employée en philosophie et en
théologie...)
Ou ne s’agit-il que d’une
expression fautive ?
Le sens nous
incite à penser que c’est une faute, et qu’il faudrait donc la corriger. Mais
seul le recours au manuscrit de l’article permet d’être décisif, et de savoir
avec certitude ce qu’il faut nécessairement retenir… D’où l’utilité d’établir
une “édition critique”.
De là,
pourquoi René Guénon serait-il le seul auteur traditionnel dont les écrits ne
devraient surtout pas être publiés de façon “critique” ? Je préfèrerais dire :
de façon rigoureuse.
Les éditions
critiques des écrits d’Ibn Arabî rendent tout de même d’indispensables
et appréciables services.
Il en sera
certainement de même pour l’édition des Mawâqif par Alaeddin
el-Bakri, à paraître bientôt, si ce n’est déjà fait.
Les écrits de
tous les Maîtres de toutes les traditions bénéficient de ce type d’éditions ;
quand elles sont en outre faites d’un point de vue traditionnel, que demander
de plus ?
QUESTION :
Peut-on vraiment considérer comme certains
le pensent que les traductions établies par Maridort puissent être défectueuses ?
RÉPONSE :
La question des traductions des articles
parus dans El-Ma’rifah est délicate, puisque, pour plusieurs
d’entre elles, on certifie qu’elles ont été revues par le Cheikh AWY
lui-même.
Qui les a faites ? Il ne semble pas que
Maridort ait pu être l’auteur d’une quelconque traduction, puisqu’il n’était
pas arabisant, au moins du vivant de RG. Il a collaboré à la traduction
complètement fautive des « Etapes divines... », en 1949, dans
les ET. Guénon, et d’autres, se sont rendus compte des fautes et
erreurs, et une “révision” de cette traduction a été faite. Mais elle est
restée d’ordre privé, puisqu’il était trop tard pour tout revoir...
QUESTION :
Vous ne
semblez pas tenir compte de la rivalité entre vâlsaniens et italiens de
la rivista liés à l'ancien groupe de Maridort ?
RÉPONSE :
Si certains
maridortiens sont restés sur leurs positions initiales, d’autres se sont
rapprochés de tel ou tel vâlsanien. Depuis bien des années, l’un de ces
derniers est en relation fraternelle, et régulière, avec le fils de
Ponte/Manara/Musso, c’est-à-dire de celui qui écrivait dans la Rivista pour Maridort, contre Vâlsan.
Ce personnage, signant cette fois Musso, a rédigé un compte rendu très favorable des
Symboles fondamentaux (Rivista, n° 6, janvier-mars 1963), dans
lequel on ne trouve
aucune critique à l’adresse de Michel Vâlsan sur les cinq pages de son texte. L’auteur écrit même
: « Nous félicitons vivement Michel Vâlsan pour le travail minutieux
effectué dans la préparation de ce recueil, qui était attendu depuis bien
longtemps, et qui met à la disposition des lecteurs tous les écrits de Guénon
sur le symbolisme traditionnel non inclus dans ses précédents ouvrages »
(p. 64).
(Toutefois,
trois de ces articles figurent dans les Aperçus
sur l’Esotérisme chrétien, livre qui n’aurait jamais dû être imprimé).
Ce n’est que bien des années plus tard
qu’une décision de justice fera en sorte que le nom de Vâlsan n’apparaisse plus
dans l’ouvrage de Guénon sur le symbolisme, et que le livre : Symboles de la Science sacrée remplace
le précédent recueil. Que s’est-il passé pour qu’on en vienne à vouloir
dissocier à tout prix le nom de Vâlsan de celui de Guénon ? On ne trouve
pas trace d’un tel acharnement contre un autre auteur d’un recueil posthume de
RG…
De nos jours,
il y aurait aussi à prendre en considération les collaborateurs de la revue
italienne Oriente e Occidente, qui
proviennent des deux milieux maridortien et vâlsanien.
QUESTION :
Je n'ai toujours pas bien
compris l'affaire des autorisations légales que possédaient Maridort et M.
Vâlsan concernant l'œuvre de R. Guénon, et les prérogatives réelles de
l'un ou de l'autre...
RÉPONSE :
Vâlsan tient son mandat
éditorial de René Guénon, par lettre du 5 avril 1945. Plus tard, ce mandat sera
subrogé à celui, plus général de Caudron (il avait en charge la gestion de tous
les biens de RG, notamment les maisons et terrains de Blois). Quand Caudron
abandonnera l’Islam au profit du “faux
instructeur” spirituel Krishna Menon, c’est Moyine Al-Arab, le « tuteur » de la veuve Guénon et de
ses enfants, qui prendra la charge de toutes les fonctions. Pour les questions
d’édition, il privilégiera Maridort, qui pouvait
financer intégralement les éditions de nouveaux livres, dont les Études sur la FM. Moyine
Al-Arab était idéologiquement proche de Krishna Menon.
Plus tard, c’est Ahmed/Jean-Baptiste
Guénon qui autorisera Maridort à éditer des recueils de RG. A la même époque,
Vâlsan recevra les manuscrits de plusieurs articles de RG par l’intermédiaire
de ce fils du Cheikh, qui l’autorisera à les publier dans les ET. Puis ce fils se rétractera
publiquement…Ce n’est que très récemment que les enfants du Cheikh ont dénoncé
les différents mandats éditoriaux et sont devenus les ayants droit.
QUESTION :
Je reste réservé sur les jugements défavorables
portés à l’égard de Maridort.
RÉPONSE :
Il ne s’agit pas de cette question ici, mais des
éditions des livres de RG.
Si certaines lettres de RG, de Vâlsan et de Maridort, étaient enfin publiées, elles donneraient
un tout autre éclairage de la nature véritable des relations ayant existé entre
eux, à tel ou tel moment... Des « disciples » zélés, des deux côtés,
se sont exprimés là-dessus, alimentant les querelles, comme d’autres l’ont fait
entre les « disciples » de Schuon et ceux de Vâlsan. Là encore, il
faudrait prendre en considération les lettres échangées entre les deux Maîtres
pour comprendre réellement la situation.
Au sujet de Maridort, la seule question
qui importe ici, c’est de savoir si les recueils posthumes qu’il a établis
bénéficient d’une cohérence interne, ou non, et si ses travaux ont été faits
correctement, ou non.
Dans cette perspective, Mélanges
est l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire (le titre est suffisamment
significatif).
De plus, certaines références aux articles
repris dans ce recueil sont fautives ; exemples :
- p. 9, n. 1 : oublis de « décembre
1909, janvier 1910, février 1910 » ;
- p. 78, n. : la version publiée ici n’est
pas celle de La Gnose (il aurait d’ailleurs fallu écrire : « avril
et mai 1910 »), mais celle des ET de 1937 ;
- p. 213, n. : il faut ajouter : « et
février », etc.
D’autre part, bien des notes n’ont pas été
reprises, dans la reproduction des articles de La Gnose, mais aussi,
par exemple, celle de RG à « Des modes de la réalisation
spirituelle » de Schuon (qui devrait se trouver p. 33, fin § 1).
Quant à Formes traditionnelles,
on sait désormais que la traduction du ch. « La Kabbale
juive », publiée sous la responsabilité de Maridort, est particulièrement
fautive ; elle a été revue et corrigée dans le n° 124 de VLT.
QUESTION :
Il serait utile de rassembler, une bonne fois pour toutes, les mises au
point où R. Guénon a pris nettement
position sur les conditions de la publication de son œuvre écrite dans un texte
de présentation ad hoc, afin que l'on puisse les avoir toujours à disposition
et s'y référer chaque fois que resurgit la controverse sur la publication de la
correspondance ou du cours de philosophie; et j'ajouterai que ce serait
même, à mon avis, un travail où la “compétence” de Monsieur Brecq trouverait
une bonne occasion de s'exprimer, d’autant que ce ne doit pas être difficile de
rassembler les quelques passages, lesquels, je crois, se trouvent d'ailleurs
dans certaines correspondances. Cela permettrait de savoir en quelques
termes Guénon a précisé qu’« il n'a jamais demandé à ce qu'on publie ses
correspondances ou ses cours de philo ». Je propose que cela soit
rassemblé synthétiquement dans un document public. Cela pourra servir de base
solide, quand il sera question de reprendre la question controversée de
l'opportunité et de l'utilité intellectuelle, si on peut dire, de publier la
correspondance ou le cours de philosophie.
RÉPONSE :
C’est précisément parce
que Patrice Brecq connaît cette question, et les textes de RG qui s’y
rapportent, qu’il est le plus à même de savoir ce qu’il faut faire en
l’occurrence.
Quant à sa “compétence”, il reste le mieux placé
pour savoir où elle doit s’exprimer…
De mon côté, je renvoie à
ce que j’ai écrit précédemment sur ce blog :
- pour le Cours de Philosophie, Patrice Brecq écrivait
en 2003, qu’il n’avait « pas lu, à ce jour, d’indications de Guénon
concernant une éventuelle possibilité d’édition de son cours de philosophie,
pas plus, d’ailleurs, que de mentions en interdisant sa publication »… Si
quelqu’un a des informations venant de RG à ce sujet, qu’il le dise !
- pour la publication des correspondances, on n’a jamais
rapporté à ce jour le moindre témoignage écrit de Guénon sur ce sujet : ni
pour, ni contre… Là encore : si quelqu’un…
- Pour la question des conditions de la publication de
son œuvre écrite, que ceux qui s’y intéressent apportent leurs projets ;
nous verrons alors ce que valent ces derniers.
En conclusion :
Au lieu de prendre prétexte de la présence
de fautes, erreurs, oublis, etc., pour publier in extenso articles et livres de RG sur certains sites ou blogs,
leurs responsables devraient se limiter à recenser lesdites fautes, erreurs, et
les signaler sur leurs sites. Ils
éviteraient ainsi de se mettre en situation irrégulière à l’égard des éditeurs
et des ayants droit, et rendraient de réels services
aux lecteurs des écrits de RG. Leurs corrections s’étendraient naturellement à
tous les écrits publiés.
Il sera toujours temps de s’occuper, plus
tard, des articles publiés, mais non repris actuellement dans les ouvrages
posthumes.
***
Extrait d’une lettre de Guénon à
Lovinescu, envoyée du Caire et datée du 16 décembre 1934 :
« Maintenant,
il y a quelque chose que je ne comprends pas bien : Vous dites que M.
Grassiany parle de se mettre au travail avant Noël ; comment cela
serait-il possible ? Il faut qu’il demande d’abord l’autorisation
de l’éditeur français, puis, après entente sur les conditions, qu’une
convention soit signée entre eux, puisque ni vous ni moi n’avons qualité pour
le faire, si bien que tout ce que je peux vous écrire est, en droit, sans
aucune valeur ; mon éditeur me demandera simplement une approbation. Ensuite,
la convention spécifiera, comme toujours, que le manuscrit de la traduction
devra être communiqué avant d’être donné à l’impression ; tout cela doit
forcément demander un certain temps, mais il est nécessaire que les choses
soient faites régulièrement, pour vous aussi bien que pour moi et pour les
éditeurs ».
Tant que les droits d’auteur ne tombent
pas dans le domaine public, ce qui doit être respecté pour une traduction doit
l’être a fortiori pour une réédition.
Concernant la publication des inédits ou de la correspondance, la moindre des politesses
est de solliciter une autorisation des “ayants droits”, ces derniers
étant en mesure, selon la régularité du droit d'édition, d’exiger un contrat.
* *
*
Note additionnelle
(mise en ligne en avril 2016)
On
craignait le pire et le pire est arrivé.
Ces questions-réponses ont été postées lorsque
l’association informelle, constituée en vue d’une future « Fondation René
Guénon » par une personne qui s’était chargé de réunir des
« guénoniens » venus de divers horizons, était dans une situation
critique.
Cette association rassemblait plusieurs
sensibilités regroupées dans divers courants. L’un d’eux, constitué d’une
minorité d’universitaires et de J. P. Laurant, émettait des conceptions sur la
manière de présenter l’œuvre de Guénon, dont le projet d’insérer, pour chaque
ouvrage réédité, une sorte de préface en guise de présentation sous le prétexte
de « contextualiser » la pensée du métaphysicien et faciliter ainsi sa
diffusion dans le milieu universitaire. Les protagonistes des autres courants,
nettement majoritaires, composés de musulmans (certains
« valsaniens »), de maçons et de chrétiens, s’y opposaient catégoriquement.
Pour notre part, qu’une telle intention puisse être imaginée une seule seconde
relevait de l’imposture. Quelques indécis n’avaient aucune opinion sur la
question (et se trouvaient sans doute là surtout pour récolter le bénéfice des
documents qui circulaient). Le seul projet qui fut spontanément accepté par
tous consistait dans la volonté de réimprimer la totalité des ouvrages pour le seul
compte de Gallimard.
On procéda au vote et la majorité
s’exprima nettement pour qu’il ne soit plus jamais question d’une préface
quelconque dans les ouvrages en réédition. Mais, cette perspective déplaisait à
l’organisateur qui prévoyait lui-même, en dépit de son incompétence, de rédiger
la présentation du R Q S T.
Il y a une constante chez les gens de pouvoir :
se débarrasser de ceux qui en savent plus pour ne pas être soumis à leurs
compétences et avoir ainsi les coudées franches. C’est exactement ce que fit
l’organisateur en question qui n’agissait que pour le compte de ses ambitions
intéressées. Les avis divergents n’ayant pour lui aucune valeur, le résultat
du vote fut considéré comme nul et non avenu. Un conflit sourd s’installa.
La tension monta d’un cran et finit par éclater assez vulgairement dans des
échanges de mails où l’on en arriva à des menaces de violence physique. C’est à
ce moment là que nous avons décidé de ne plus participer à cette mascarade.
Après avoir mis en ligne les deux
messages « Sur la publication des inédits de René Guénon » (du 20/09
et 13/10 de l’année 2013), n’ayant plus de nouvelles, nous pensions que notre « commissionnaire
en chef » serait peut-être gagné par le doute et se raviserait au profit
d’une attitude conforme à l’intellectualité guénonienne. C’était sous-estimer
l’emprise que J. P. Laurant avait sur son entourage aux vaniteuses prétentions.
Qui
est J. P. Laurant ?
Dès 1971, Luc Benoist avait cerné les
contours de cette personnalité dans un compte rendu* paru dans les Études traditionnelles (rubrique
« Les Revues »), en faisant remarquer que cet universitaire utilisait
les moyens d’approche de « la plus dérisoire des écoles de critique
historique » ; il s’agit de celle de Taine, « heureusement en
défaveur ». Il évoquait « l’incapacité intellectuelle de Laurant »
à comprendre les enjeux véritables de l’enseignement métaphysique de Guénon qui
caractérisera toute sa carrière jalonnée de prises de positions assez ridicules
sur de prétendus lacunes historiques et autres considérations relevant de la
mentalité moderne. Jugements tout autant dérisoires que la méthode appliquée.
Benoist faisait remarquer « Que la pénétration intellectuelle de Laurant
(…) ne dépasse pas une intuition (sans doute bergsonnienne) dont il consent à
doter son sujet », et que sa dialectique « basée sur les preuves
écrites a l’air d’ignorer que le papier supporte l’erreur comme la vérité, et
surtout est aussi lacunaire que la chance et la hasard » ; car, en
effet, « (…) la vérité ne commence pas d’être au moment où elle commence d’être connue, qu’elle soit ou non formulée,
trois stades de la connaissance du vrai que M. Laurant confond dans une
démarche pragmatique, au total mépris ou à la regrettable méconnaissance du point de vue initiatique et traditionnel, qui lui
parait sans doute une superstition périmée ». Il concluait, à propos de René Guénon et de
son enseignement, avec cette question que nous continuons de nous poser avec
encore plus de force aujourd’hui : « Alors pourquoi s’en occupe
t-il ? ».
***
Il y a heureusement des universitaires
plus honorables que ceux dont nous venons de relater les agissements. Ils sont
rares. Cependant, en raison des contraintes méthodologiques imposées actuellement
dans ce milieu, force est de constater que les aspects formels de leurs études
subissent toujours, d’une façon ou d’une autre, quelques altérations
dommageables. Guénon a su préserver toute son œuvre de ces fâcheuses
restrictions intellectuelles. C’est ce que ne supportent pas certains agents aux
intentions douteuses cachés derrière le prestige illusoire de cette institution
en charge des idéologies dominantes. Ils resteront, quoiqu’il arrive, toujours secrètement
hostiles à la métaphysique pure et à l’orthodoxie traditionnelle.
Le choix éditorial des éditions
Gallimard change radicalement le « statut moral » des bénéficiaires
de l’œuvre de Guénon. Si ces derniers demeurent les seuls « ayants-droits »
au regard de la loi française, le « Droit intellectuel » de René Guénon
étant bafoué, dorénavant, nous considérons que toute publication réalisée
conformément à l’application des principes éditoriaux** effectués par
l’auteur de son vivant devient ipso facto légitime***.
*
Le cr concernait un article de M. Jean-Pierre Laurant intitulé : Le problème de René Guénon ou Quelques
questions posées par le rapport de sa vie et son œuvre.
**
Le seul principe à retenir ici est que Guénon n’a jamais fait appel à la
rédaction d’une présentation ou d’une préface quelconque pour introduire ses
livres. Et, aujourd’hui comme hier, il n’y a aucune raison intellectuelle qui
puisse justifier l’annexion de ses ouvrages par une personnalité, un courant
religieux ou une instante universitaire.
***
Voir le message « Des “chevaliers ” décidément pas très catholiques »
sur le blog : Œuvre de René Guénon (novembre
2015).