« La partie
centrale de la figure représente quatre triangles équilatéraux entrelacés
inscrits dans un cercle, et formant douze sommets ou pointes, à chacun desquels
correspond une couleur déterminée. Au premier triangle droit, dont le sommet
est dirigé vers le haut, correspondent les trois couleurs fondamentales
disposées ainsi : le jaune au sommet, le bleu à droite de la base, et le
rouge à gauche. Au second triangle renversé,
disposé symétriquement et de façon inverse par rapport au premier, correspondent
les trois couleurs intermédiaires formées par le mélange des couleurs
fondamentales deux par deux, et distribuées ainsi : le violet, résultant
du rouge et du bleu, au sommet ; l’orangé, résultant du rouge et du jaune,
à gauche ; enfin le vert, résultant du jaune et du bleu, à droite. Aux
deux autres triangles, disposés également de façon symétrique par rapport aux
deux premiers, et dont les sommets occupent les points médians, correspondent
d’autres couleurs intermédiaires, toujours produites par le mélange, deux par
deux, des couleurs immédiatement voisines. Au centre est le blanc, synthèse de
toutes les couleurs : c’est la région de l’Unité principielle. Au dehors
des divers cercles qui constituent l’Archéomètre, est supposé le noir, qui est
l’absence de toute lumière, et par suite de toute couleur : c’est la
région des Ténèbres Extérieures » *.
(T.)
*Extrait
du premier long commentaire de l’Archéomètre figurant à la page 182 du numéro
de l’année 1910 de la revue La Gnose,
(rééditée intégralement en volume par les Editions
de l’Homme Libre, 2009).
Il
y a exactement 104 ans, l’Archéomètre de Saint-Yves d’Alveydre faisait l’objet
d’une présentation dans le n° 9 de La
Gnose (Juillet-Août 1910) par un auteur traditionnel signant T. qui le considère
comme : « le monument le plus admirable, dans le domaine de
l’Esotérisme, qui ait jamais été élevé à la gloire du Verbe Universel »,
et, comme une synthèse capable de ramener « toutes les manifestations
verbales » à leur Principe en mesurant « la place qu’elles occupent
dans l’harmonie Universelle ».
Selon
Saint Yves d’Alveydre, immédiatement cité à la suite de cette brève introduction, il s’agit d’« un rapporteur
qui est cyclique, code cosmogonique des hautes études religieuses,
scientifiques et artistiques ».
L’identité
du mystérieux auteur signant de la lettre T. ainsi que celle du Directeur de La Gnose du nom de Palingénius ne fait
aucun doute pour les familiers de l’œuvre de Guénon. Cependant, ces deux signatures doivent faire l’objet d’une
distinction en raison même de la fonction particulière de Palingénius et de celle clairement établi plus tard, par Guénon lui-même. Dans sa
correspondance, il précisera qu’à l’époque, il recherchait
encore les termes précis pour la composition d’un exposé traditionnel
rigoureux; d’autre part, à la suite d’une assertion de Schuon concernant une
prétendu fonction, il écrira du Caire à Caudron : « (…) je me
demande quelles “fonctions”
pourraient bien m’être retirées par qui que ce soit, puisque je n’en ai jamais accepté
nulle part », ce qui, manifestement, doit s’entendre : sous
le nom de René Guénon*.
* Ce terme de
fonction doit être compris ici dans son acception première de “charge” et non dans le
sens plus général qu’il prendra par la suite, notamment avec M. Vâlsan dans son
Hommage « La fonction de René Guénon et le sort
de l’Occident ». (Études
traditionnelles, 1951).
On
est immédiatement frappé à la lecture de cette présentation par l’autorité qui s’en dégage et par la présence des thèmes essentiels de l’enseignement
intellectuel considérable que nous connaissons aujourd’hui.
« Disons
ici, une fois pour toutes, que rien dans l’Archéomètre n’est arbitraire :
les éléments divers s’y trouvent placés d’une façon rigoureusement
mathématique, et cet instrument plus qu’humain n’a pas été créé pour servir à
faire prédominer un système sur un autre, ni à inventer un système
nouveau ; la synthèse qu’il comporte ne peut être exprimée dans un système
quelconque, qui serait nécessairement une formule fermée. C’est une clef
synthétique permettant de déterminer la valeur intrinsèque de chaque système
philosophique, scientifique ou religieux, et de la rattacher à l’Arbre
universel de la Science ou de la Tradition ».
.
*
*
*
Les
significations astrologiques de l’Archéomètre
Au
centre de la figure sont dessinés, sur fond blanc, « synthèse de toutes
les couleurs symbolisant l’Unité principielle », les deux axes de l’“Ampleur”
et de l’“Exaltation” séparant le Ciel, figuré par l’arc de cercle que mesure la
droite verticale, et la Terre, représentée par les quatre traits parallèles
disposés perpendiculairement le long de cette même droite mais descendant sous
l’axe horizontal. La partie supérieure incluse dans le cercle au dessus de la
ligne indiquant astronomiquement l’horizon comprend le Feu et l’Air et la
partie inférieure, sous la ligne d’horizon, comprend la Terre et l’Eau.
Les quatre branches de la Croix, principe
fondamental de tous les éléments constituant la science astrologique, orientent
spatialement les qualités élémentaires. L’Ether est figuré par le centre à
partir duquel se déploient les six directions de l’espace comprenant la Croix
des éléments qui va se manifester dans une cadence en trois mouvements pour
produire les déterminations universelles de chacun des douze Signes.
Le
commentaire de T. se poursuit avec l’énumération et l’explication des qualités
élémentaires attribuées aux quatre triangles dont il vient d’être question, recevant
successivement les trois couleurs fondamentales, les trois couleurs
intermédiaires, les trois couleurs intermédiaires deux à deux etc. :
« Les
quatre triangles (…) sont ceux des quatre éléments : le premier dont le
sommet est en haut, est le triangle de Terre ; le second dont le sommet
est en bas, le triangle d’Eau ; le troisième, dont le sommet est à
gauche ; le triangle de Feu ; et enfin le quatrième, dont le sommet est
à droite, le triangle d’Air.
Les
douze signes du Zodiaque correspondent trois par trois aux quatre éléments pris
dans l’ordre suivant : Feu, Terre, Air, Eau. Ces douze signes sont les
domiciles des sept planètes ; chaque planète a un domicile diurne et un
domicile nocturne, sauf le Soleil et la Lune qui n’ont qu’un seul domicile
chacun. Le Soleil étant considéré comme essentiellement diurne, et la Lune
comme essentiellement nocturne, les planètes diurnes et nocturnes alternent
régulièrement sur le parcours de la circonférence. On voit que les triangles de
Feu et d’Air contiennent toutes les planètes diurnes et que les triangles de
Terre et d’Eau contiennent toutes les planètes nocturnes ; il importe de
remarquer que ces derniers sont justement les deux triangles principaux. »
Les quatre
triplicités de Terre, d’Eau, de Feu, et d’Air qui correspondent aux quatre
triangles équilatéraux décrits par T. résultent d’une mesure de 120° sur le
cercle écliptique séparant trois signes zodiacaux de même nature. Elles sont
illustrées dans le commentaire de La
Gnose par le tableau ci-dessous (mise en couleur selon l'Archéomètre).
Correspondance
des Signes et des planètes avec les couleurs de l’Archéomètre
« Saturne
nocturne, dans le Capricorne, correspond au Jaune ; Saturne diurne, dans le
Verseau, au Jaune-Orangé ; Jupiter diurne, dans le Sagittaire, au Jaune-Vert ;
Jupiter nocturne, dans les Poissons, à l’Orangé ; Mars nocturne, dans le scorpion,
au Vert ; Mars diurne, dans le Bélier correspond au Rouge-Orangé ; Vénus
diurne, dans la Balance, au Bleu-Vert ; Vénus nocturne, dans le Taureau, au
Rouge ; Mercure nocturne, dans les Gémeaux, au Rouge-Violet ; Mercure
diurne, dans la Vierge, au Bleu ; Soleil diurne, dans le Lion, au
Bleu-Violet ; Lune nocturne, dans le Cancer, au Violet.
A
chaque planète, sauf au Soleil et à la Lune, correspondent deux couleurs :
ce sont les couleurs des oxydes des métaux qui correspondent aux mêmes
planètes, chaque métal ayant généralement au moins deux oxydes ; d’ailleurs,
ce sont aussi les couleurs de la plupart des sels des mêmes métaux. Les
correspondances des métaux avec les planètes sont les suivantes :
Soleil…..…Or.
Lune……...Argent.
Saturne…..Plomb
Jupiter……Etain.
Mars……...Fer.
Vénus….....Cuivre.
Mercure…..Vif-argent
».
La
correspondance des couleurs avec les planètes et les Signes dans les
différentes sources traditionnelles de la science astrologique, ne doit pas
être confondue avec celles donnée par l’Archéomètre.
«
Ainsi, on fait généralement correspondre le noir ou le gris à Saturne, le
bleu ou le violet à Jupiter, le rouge à Mars, le jaune ou l’orangé au Soleil,
le vert à Vénus, le blanc à la Lune ; quant à Mercure, on ne peut lui
attribuer aucune couleur particulière. Cette divergence provient de ce que les
couleurs données par l’Archéomètre sont les couleurs des sels tandis que celles qu’on indique habituellement se rapportent
plutôt à l’aspect des métaux
eux-mêmes ».
Les
correspondances symboliques données par l’Archéomètre, selon les triplicités
sont exprimées à partir
« de plusieurs zones concentriques
d’équivalents montrant les rapports respectifs des couleurs, des planètes, des
signes zodiacaux, des notes musicales, des caractères alphabétiques [Watan et hébraïque], et enfin des
nombres ».
Les
commentaires de l’Archéomètre commencent avec le n° 9 de l’année 1910 et se
poursuit jusqu’à la fin de la parution de La
Gnose. Certains considèrent qu’Albéric Thomas (Marnès) serait l’auteur de
ces textes auxquels Palingénius se serait contenté d’intégrer ses notes sur la
tradition hindoue. Cela n’est certainement pas exact, même s’il est
vraisemblable que Thomas, qui se revendiquait ouvertement « disciple »
de Saint-Yves d’Alveydre, ait pu apporter sa collaboration. Quoi qu’il en soit,
il est difficile de conjecturer sur les apports de l’un ou de l’autre, si ce
n’est de constater que la rigueur du style guénonien est bien présente dans
tous les développements signés T. D’ailleurs, au sujet de la Tradition
primordiale mise en relation directe avec l’Hindouisme qui devrait, par
conséquent, constituer la part de Palingénius, on constate la présence de
plusieurs termes qui n’apparaîtront plus ensuite sous la plume de Guénon,
termes que l’on serait tenté d’attribuer naturellement à quelqu’un d’autre, en
l’occurrence, Thomas-Marnès *.
Enfin,
une grande place est accordée à la tradition Juive, en raison notamment de
l’intégration des 22 lettres solaire de son alphabet au faisceau complexe des éléments
significatifs de l’Archéomètre. L’importance de cette tradition diminuera par
la suite au profit de l’ésotérisme islamique, totalement absent des
commentaires.
*Dans une note
de son article, « Le Triangle de L’Androgyne et le monosyllabe “ Om ” »,
Vâlsan écrit à propos de l’Archéomètre : « Cette étude était
signée T., pseudonyme de Marnès, rédacteur en chef de « La Gnose »,
mais naturellement elle avait bénéficié de l’assistance du directeur
Palingénius (René Guénon) dont on reconnait le style aussi bien que les notions
dans la plupart des notes. »
C’est en 1909, peu de temps avant la
publication des commentaires de l’Archéomètre dans La Gnose que Guénon rencontre à Paris ‘Abdul-Hâdi (John Gustaf Aguéli
) qui le rattache à la tariqah Shâdhiliyyah*. les
articles sur le taçawwuf signés Abdul-Hâdi
seront publiés dans la revue à partir de 1911;
fait marquant, car ces derniers représentent la signature d’une orientation,
insoupçonnable dans l’œuvre de Guénon, mais déterminante dans son activité
intellectuelle, qui va dés lors s’exercer durant quarante ans.
De
même que l’ésotérisme de la tradition islamique (dînul-haqq) intègre l’essence de toutes les traditions du
Livre (et pas seulement d’ailleurs) ; de même, l’enseignement délivré par
l’œuvre publique guénonienne intègrera métaphysiquement toutes les
connaissances intellectuelles d’Orient et d’Occident. Dans ce sens, on peut
considérer que l’Archéomètre, comme l’indique son étymologie, intègre déjà à
lui seul, les mesures géométriques permettant
le développement illimité des significations symboliques des toutes les traditions**.
Pourtant,
cette figure complexe n’a pas été retenue par Guénon puisqu’aucune mention, ni
aucune référence directe à l’Archéomètre en tant que fonctionnalité, ne figure dans ses ouvrages. Il peut y
avoir à cela plusieurs raisons, mais nous pouvons retenir le fait que l’utilisation
de cet instrument exige des connaissances assez approfondies dans plusieurs
domaines distincts qui ne sont pas indispensables à priori pour comprendre clairement l’essence des traditions et les
applications de la métaphysique. En effet, le maître des études traditionnelles
prouvera à tous ses lecteurs que l’on peut commencer à lire son œuvre et entrer
progressivement dans le monde de la science sacrée avec peu de connaissance et
un vocabulaire simple ; un état d’esprit libre de toutes les complications
philosophiques et autres disciplines propres au savoir
universitaire étant même préférable.
*Voir Michel
Vâlsan : L’Islam et la Fonction
de René Guénon ; Les Editions de l’Œuvre, Paris 1984. La date du
rattachement de Guénon donnée par Vâlsan est 1912, mais cette différence est
sans importance.
**Pour
l’ésotérisme islamique, il faudrait envisager une extension des significateurs de
l’Archéomètre aux coordonnées de l’astrologie lunaires ; Cf « L’Islam et le Signe zodiacal de la Balance » (message
posté ci-dessous le 23 juin 2013).
(A suivre).