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jeudi 8 novembre 2018

Y. B. : LA « STATION MOHAMMADIENNE ».









Le texte suivant constituera le chapitre II du PDF Aperçus sur le « Retournement ». Nous rappelons que les extraits mis en ligne ne se succèdent pas selon l’ordre de leur rédaction (pour le premier chapitre, voir le « message » du 14/07/2017 libellé : Ibn’Arabî - René Guénon).

  







La description de la hiérarchie de la « Station Mohammadienne » semble évoquer, non pas le Centre suprême qui pourrait y être représenté par le Compagnon ‘Alî, mais le « Cœur du monde » de la tradition islamique qui est un reflet céleste du Centre Suprême (1). En effet, lorsque le cheikh Al-Akbar déclare avoir vu le prophète Mohammad
« dans le monde des vérités subtiles, et dans la dignité de la Majesté, par une intuition du cœur, dans une région mystérieuse » (2),
 il réalise
« l’union de son cœur avec le “soleil spirituel” qui est le véritable “cœur du monde” et qui s’identifie au “séjour d’immortalité” ».
Il s’agit donc du passage « au-delà du Soleil », et à travers lui, le passage
« au Brahma-loka, qui est un domaine essentiellement “extra-cosmiqueˮ; et c’est [cette ouverture centrale] qui est aussi la “porte étroiteˮ qui, dans le symbolisme évangélique, donne pareillement accès au  “Royaume de Dieuˮ » (3). « Le cœur ainsi envisagé est, suivant les enseignements de la tradition hindoue, la “Cité divine” (Brahma-pura) ; et celle-ci est décrite (…) avec des termes semblables à ceux que l’Apocalypse applique à la “Jérusalem Céleste”, qui est bien en effet, elle aussi, une des figurations du “Cœur du Monde” » (4). « Ce lieu, ni le soleil, ni la lune, ni le feu ne l’éclaire : c’est là mon séjour suprême »
déclare le Purusha primordial dans la Baghavad-Gîtâ ;
« et cette ville n’a pas besoin d’être éclairée par le soleil ou par la lune, parce que c’est la gloire de Dieu qui l’éclaire, et que l’Agneau en est la lampe »
est-il dit de la « Jérusalem Céleste » (5). En outre, Guénon se prête à des considérations que nous aurons l’occasion de retrouver plus loin :
« On voit par-là que la “Jérusalem Céleste” n’est pas sans rapports avec la “ville de Brahma” ; et, pour ceux qui connaissent la relation qui unit l’“Agneau” du symbolisme chrétien à l’Agni vêdique, le rapprochement est encore plus significatif (…) Il convient encore de noter, sous le même rapport, que le véhicule d’Agni est un bélier » (6).
Bien qu’il n’y ait aucune parenté linguistique entre les mots Agnus et Ignis (équivalent latin de Agni), Guénon a souligné la similitude phonétique entre ces différents mots qui évoquent
« un certain aspect du feu qui, dans diverses formes traditionnelles se lie assez étroitement à l’idée de l’“Amour” transposé en un sens supérieur »
car on sait que
 « le feu (qui est celui des éléments en lequel sattwa prédomine) est l’agent de la “rénovation de la nature ”
 Et de la “réintégration finale” » (7).
Dans la tradition arabe, l’Amour est en connexion étroite avec la Création, c’est-à-dire la manifestation universelle, et on verra plus loin qu’il peut être considéré comme l’aspect « lunaire » de la voie initiatique, en précisant toutefois que la Lune est alors envisagée comme le « pôle » des sphères célestes dans leur aspect nocturne (8). En outre, les sphères planétaires et stellaires dans le langage de l’astrologie peuvent symboliser les états supérieurs (9) et non pas seulement les « différentes “phases” des Petits Mystères » comme l’affirme C. A. Gilis (10).
D’autre part, selon Ibn Arabî,
« le Confirmateur (as-Siddîq) [Abu Bakr] siégeait à [la] droite auguste [de Mohammad], et le Discriminateur (al-Fârûq) [Umar] à sa gauche sanctissime, le Sceau (al-Khatm) [le Christ – ‘Aîsâ] était accroupi devant lui, l’entretenant de l’histoire de la Femme (…) » (11).
Comme on peut le remarquer, c’est le Sceau parlant au Prophète de l’Islam qui est « retourné » vers lui, et ce « retournement » nous semble confirmé par les « indications subtiles » (isharât) utilisées par Ibn Arabî pour qualifier les « côtés » du Prophètes : la droite « auguste » est désigné par une racine (NFS) qui évoque l’âme et la gauche « universelle », tandis que la gauche « sanctissime » est désignée par une racine (QDS) qui évoque l’Esprit et la droite « universelle » (12). 


Or, en arabe comme
 « en hébreu, la “droite” signifie toujours le Sud [Umar] et la “gauche” le Nord [Abu Bakr], ce qui implique que l’orientation est prise comme dans l’Inde, en se tournant vers l’Est [Muhammad] »
et que le « Sceau » est à l’Ouest. Autrement dit, la droite et la gauche de Mohammad correspondent respectivement à la gauche et à la droite du « spectateur » (Ibn Arabî) (13).
À cet égard, Ibn Arabî donne les précisions suivantes :
 « L’amant ne se comporte avec l’aimée que selon trois modalités :
– soit face à face (muwâjaha), illustrée par le terme “vent d’est” (çabâ) qui implique l’agrément face à face (qubîl) ;
– soit de côté (junûb ou du sud) et il s’agit alors de la droite (yamîn) ;
– soit du nord (shimâl) qui vient du côté du cœur.
Le vent d’orient lui apporte la science de “Dieu créa Adam selon Sa forme” (…) le vent du sud lui accorde la science propre aux compagnons de la droite [cf. Coran 56 / 90]. Ce vent auquel est lié la Paix (salâm) représente la Puissance divine (quwwa ilâhiyya).
Le vent du nord lui confère la réalité même des rapprochés (‘ayn al-muqarabîn). Il s’agit de la station de la Proximité “située” entre Prophétie (nubuwwa) et Véridicité (çiddîqiyya) apanage des singuliers (afrâd) et de al-Khidr qui est un des leurs (…) C’est cette station que le Prophète a signalé à propos du véridique le plus important [Abu Bakr] par le secret (sirr) qui s’imposa dans sa poitrine (çadr) et qui exprime la science des Rapprochés dans le cœur des gnostiques » [c'est-à-dire des « connaissant »] (14).
Ici la Çidiqiyya et la Nubuwa correspondent respectivement à la droite (Sud) et à la gauche (Nord) suivant une application sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir. 

Y. B.



  





NOTES





(1) « (…) la tradition islamique regarde Moïse comme ayant été le “Pôle” (El-Qutb) de son époque ; ne serait-ce pas pour cette raison, d’ailleurs, que la Kabbale dit qu’il fut instruit par Metatron lui-même ? Encore conviendrait-il de distinguer ici entre le centre spirituel principal de notre monde et les centres secondaires qui peuvent lui être subordonnés, et qui le représentent seulement par rapport à des traditions particulières, adaptées plus spécialement à des peuples déterminés. Sans nous étendre sur ce point, nous ferons remarquer que la fonction de “législateur” (en arabe rasûl), qui est celle de Moïse, suppose nécessairement une délégation du pouvoir que désigne le nom de Manu ; et, d’autre part, une des significations contenues dans ce nom de Manu indique précisément la réflexion de la Lumière divine » (Le Roi du Monde, ch. IV, p. 32-33).
(2) L’Islam et la fonction de René Guénon, p. 180.
(3) Symboles de la Science Sacrée, XLI, p. 254-255
(4) Ibid. ch. LXXIV, p. 429-430
(5) L’homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. III, p. 46.
(6) Ibid.
(7) L’Ésotérisme de Dante, p. 69, n. 2 et p. 71-72.
(8) La « Majesté » correspond au symbolisme de la Lune (nuit) et la « Cité divine » serait plutôt en relation avec Idrîs.
(9) Autorité spirituelle et pouvoir temporel, p. 100.
(10) Les sept étendards du Califat, p.173, n. 16.
(11) L’Islam et la fonction de René Guénon, p. 181.
(12) Futuhât I, p. 3 (éd. Bulaq).
(13) La Grande Triade (1946), ch. VII, p. 58 n.1 et 3. Curieusement M. Vâlsan ne mentionne pas l’allusion suivant laquelle c’est à ce maqâm que se produisit le désaveu de Moïse à l’égard de Khidr (Fut. I, p. 3). Moïse et Khidr sont respectivement mis en relation avec la Nubuwwa (Prophétie) et la Walâya par Qâshânî (cf. C. A. Gilis : L’esprit universel de l’Islam, p. 56). Comme ces deux catégories spirituelles correspondent respectivement à l’Est et à l’Ouest selon Ibn Arabî (cf. M. Chodkiewicz : le Sceau des Saints, p. 149), cette orientation peut alors être mise en relation avec les positions de Mohammad et d’‘Aîsâ dans la hiérarchie de la « Station Mohammadienne ».
Cette orientation est identique à celle de la « loge » maçonnique qui représente le « Pôle terrestre » des organisations initiatiques occidentales. L’analogie des positions du Prophète de l’Islam et du « Vénérable » semble indiquée par la valeur numérique des initiales du « mot de passe » MBN (40 + 2 + 50) qui est identique à celle du nom Muhammad (40 + 8 + 40 + 4) soit 92 (9 + 2 = 11, le nombre de l’union du Ciel et de la Terre). Cette analogie peut s’expliquer par le fait que le « Pôle céleste » de la tradition islamique est l’« état primordial » des traditions prophétiques (voir supra la note 13 du ch. I).  En outre, Mohammad est Al-Amîn (l’Islam et la Fonction de René Guénon, p. 164, n. 103) tout comme le patriarche Joseph (Cor, 12, 54) qui est le onzième fils de Jacob et qui est le pôle de la planète Vénus correspondant à l’Est parmi les points cardinaux. Joseph est aussi, en quelque sorte, l’ouvrier de la onzième heure de la parabole évangélique.
Le « sens interne » ou la faculté mentale (manas) est aussi la onzième faculté (indriyas ou prâna dans un sens secondaire). Sa nature tient à la fois des cinq facultés élémentaires subtiles (tanmâtras) et des cinq organes sensoriels (bhûtas) (cf. l’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. VIII, p. 76) et le « sens interne » est directement unis à la conscience (ahankâra) à laquelle semble correspondre adh-dhâkira, « celle qui se souvient », dans l’ésotérisme musulman (C. A. Gilis : les Sept Etendards du Califat, p. 294, n. 26). Buddhi ou l’Intellect pur, manas ou le sens interne et ahankâra ou la conscience individualisée, sont les « trois sentinelles » et correspondent respectivement à Jacob, Joseph et Benjamin, tandis que les « dix portes » sont les autres frères de Joseph par lesquels, du reste, ils pénétrèrent en Égypte (Cor. 12, 67) d’une manière qui ressemble à un rite initiatique. L’Égypte (Misr) est cité cinq fois dans le Coran et semble correspondre au Ming-Tang. Enfin, la prosternation du soleil, de la Lune et des onze étoiles permet d’identifier Joseph au symbolisme zodiacal de la Balance qui correspond à Hiram (Hermès) dans le symbolisme maçonnique. Le trône de Yûsuf (Cor. 12, 100) est celui de la mashi’ah, et la balance celle du calife. À cet égard, Yûsuf représente l’aspect intérieur de Mohammad, et, c’est à cela que fait allusion l’investiture d’Ibn Arabî.
(14) Ibn Arabî : L’interprète des désirs (Paris, 1996) trad. M. Gloton, p. 313-314. Cet ouvrage concerne la voie de la « gauche ».








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