Samira Benhaddou : La matraque coloniale, le code de l’indigénat en Algérie ; éd. al-bouraq - 2020.
Il faut remonter à 1827
pour constater le début de la présence française dans ce qui s’appellera plus
tard l’Algérie. En fait de présence, il s’agit déjà d’un
véritable envahissement qui doit son origine aux idéologies de la Révolution
française. Napoléon lui-même, en dépit de son admiration, dit-on, pour l’Islàm,
avait nourri le projet de « créer un royaume qui serait associé à la
France au sein duquel règnerait l’égalité entre les indigènes et les
colons ». Il faut entendre par « indigène » la préfiguration du
sens donné plus tard par l’administration française pour désigner l’algérien
musulman. Quant au colon proprement dit, issu de la matrice révolutionnaire de
l’ « homme nouveau », engagé dans l’avenir d’une juste « conquête
civilisationnelle », porteur de l’étendard « universel » lui
donnant tous les droits, il se trouve partout chez lui surtout quand il arrive
chez les autres. Voilà résumé le fond de l’entreprise coloniale du monde
moderne qui exporta ses ravages dès le dix-huitième siècle conjointement à son
développement industriel que la nouvelle classe bourgeoise entendait imposer de
gré ou de force à tous les peuples au prétexte de leur apporter les bienfaits
des « Lumières ». L’ouvrage
se divise en trois parties. Il contient pour l’essentiel, à partir des origines
de l’Indigénat : la mise en place du « code » de l’Indigénat, son
application, c’est-à-dire l’imposition du « corps administratif » dans
la vie des Arabes au mépris de l’Islâm et de la réaction du peuple avec tous les
mouvements de contestation et la fabrication nationale du pays. En « annexes »,
l’auteur a recueilli des documents administratifs qui dissipent les mensonges
et mettent en relief l’hypocrisie de ceux qui, sous prétexte de « mission
civilisatrice », exploitèrent par la force un peuple traditionnel pour des
intérêts nationalistes exclusivement mercantiles. À la suite de la captivité de l’Emir
Abdel Qâdir, l’administration française imposa une justice pénale d’exception
qui tenta de modifier le droit musulman afin de le rapprocher du droit et du
code civil français. L’intention fut de maintenir les « indigènes »
sous sa domination et de supprimer le pouvoir traditionnel de la juridiction
musulmane. Le gouverneur général de Gueydon déclare en 1874 que le juge
musulman doit s’effacer devant le juge français sous le prétexte que « nous
(les français), sommes les conquérants ». Ainsi, contre toute intelligence
et respect d’autrui, « des campagnes sont organisées pour discréditer les
cadis en les accusant de prévaricateurs (et) de participer à des
attentats. » Un tel
déséquilibre de la pensée et de l’action politique dans l’organisation de la vie
sociale ne peut entrainer à court ou moyen terme que des réactions de
violence. En 1910, René Guénon a écrit : « La civilisation
occidentale moderne ne constitue un progrès réel sur toute autre civilisation
que dans le sens d’un approfondissement de la sottise humaine ; le Progrès
(avec un grand P), ce n’est que le superlatif de l’imbécillité »*. Et
effectivement, la colonisation telle qu’elle s’imposa dés le départ avec ses arrières
pensés, dont certains revendiquent encore aujourd’hui un caractère positif, est
indéfendable sous tous les rapports à l’instar de toute volonté annexionniste. Les
deux chapitres suivants confirment la nature étroite de la mentalité moderne,
son absence d’esprit, sa vanité et sa cupidité, qui caractérisent le pouvoir
dévastateur de la classe moyenne européenne. Face à cette volonté de conquète délibérément anti-spirituelle qui va s’exercer sur les institutions
traditionnelles, l’auteur rappelle comment la première réaction du peuple
débuta au sein des confréries, dans les zaouïas, et représenta une première
menace pour le pouvoir colonial. Le Colonel Azan : « Notre but
doit-être de diminuer la part que les Musulmans accordent à l’étude du
Coran » ; il s’agissait là de contrôler l’activité religieuse et de
placer un « fonctionnaire indigène » dans les lieux où celle-ci est directement
vivifié par l’esprit de l’Islâm. La zaouïa devait donc devenir un centre
d’influence française diffusée sournoisement sur les lieux d’étude des
musulmans mutaçawwufîn.
La deuxième partie de
l’ouvrage est consacrée à l’application du code sur les « indigènes »,
son « corps administratif » même et ses abus. La troisième partie
détaille les différentes formes de contestation, leurs mouvements et enfin, la
chose que l’on peut considérer comme la plus grave, la naissance du
nationalisme, qui est incontestablement le poison irrémédiable que la mentalité
moderne a inoculé – sans aucun effort celui-là – au monde traditionnel, et l’on
peut dire qu’elle l’inocula d’une façon générale, par le biais de toutes les
formes de résistance face aux ambitions du pouvoir occidental de ces deux
derniers siècles. Nous avons abordé dans plusieurs publications de ce blog la
question du mode opératoire de cette idéologie sournoise et mortifère. En
Algérie, comme ailleurs, on y eut recours (avec le marxisme) afin de
revendiquer une identité et construire un outil de combat pour repousser la
puissance de l’envahisseur. Mais gagner l’Indépendance n’est pas une chose si
simple lorsqu’on ignore la nature anti-traditionnelle du monde moderne. L’état
d’esprit de la volonté colonisatrice occidentale et son mode opératoire furent
la plus forte. Séduit par son efficacité, le colonisé n’eut pas immédiatement conscience qu’utiliser une arme
de défense dont la mise en œuvre consistait à combattre l’adversaire sur son propre terrain revenait, à terme, à lui céder
la victoire. Une ruse dont la signature ne fait l’objet d’aucun doute quant à son
origine diabolique. À cet égard, nous
soulignerons la fin de la troisième partie où l’auteur relate le processus qui
s’est élaboré en faveur de la création du mouvement
réformiste : « Le mouvement des oulémas, à l’initiative d’Abd-al Hamîd Ben Bâdis, de tayyib al-Uqbi
et de Bachir al-Ibrahimi, décida d’entreprendre une réforme dans le but
de ‟rétablir” la foi dans la pureté déclarant s’opposer et s’attaquer
à toutes les innovations telle que le culte des saints et le maraboutisme. La
réforme touchait aussi le domaine de la politique puisque dés 1925 Ben Bâdis et
ses amis affirment leur foi dans l’arabisme et dans la personnalité
arabo-musulmane de l’Algérie. La doctrine politique des oulémas s’exprime par
l’attachement aux principes suivants :
umma (nation), cha‘ab (peuple), watan (patrie) qawmiyya (nationalité, nationalisme). » Il en reste quelque chose encore aujourd’hui
dans certaines traductions du Coran où le terme ummah est traduit par « nation ».
Cette étude, bien construite, établie avec des références solides, fait partie des dossiers passés sous silence par l’histoire officielle. S. Benhaddou nous livre le constat paisible d’une conquête peu glorieuse qui, en dépit de toutes les volontés falsificatrices de la « mémoire », restera gravée dans les esprits comme l’une des tentatives ethnocidaires de l’Occident industriel.
* René Guénon, Notes inédites.
*
* *
Et
lorsque Ibrâhîm dit : Seigneur, montre-moi comment tu revivifies les
morts, il lui dit : est-ce que tu ne crois pas (tûmin) ? Il dit : si, mais c’est pour que mon cœur
s’apaise (liyatma‘in) [ou que mon
cœur soit rassuré] ; Il dit : saisi quatre oiseaux et prends en la
forme (c’est-à-dire l’essence) [le terme sacrifice qui apparait dans les
traductions est juste car saisir l’essence d’une chose (ou sa forme) consiste à
la sacrifier] en toi et dispose une part de chacun d’eux sur toutes les
montagnes, puis appelle-les, ils viendront à toi promptement. Sache qu’Allâh
est Puissant et Sage.
(al-baqarah,
260.)
Dans le numéro 44 de la revue La Règle d’Abraham, on peut lire un article dont le titre « Abraham et Brahmâ »
(signé Wajid Grall) est introduit par une note sur le commentaire de
l’Archéomètre paru dans La Gnose :
« Les lettres BRHM figurent dans le trigone de l’élément Eau de
l’Archéomètre : fonctions ‟vivificatrice” et ‟germinative” de Brahmâ et
Abraham » (1), suivi de la traduction de l’ayat 260 de la sourate al-baqarah et d’une traduction partielle
du chapitre 225 des Futûhât al-Mekkiyyah
qu’Ibn ´Arabî a consacré aux « Accroissements » (zawâ‘id).
Ibn ‘Arabî :
« (…) les quatre oiseaux symbolisent les quatre
qualités naturelles [élémentaires] afin de l’informer que l’existence est
d’ordre naturelle dans l’Au-delà, ce qui réfère au « rassemblement »* des corps
naturels.
Certains affirment en effet : ‟ les corps ne seront points
rassemblés, mais ce sont les âmes qui seront rassemblées par la mort vers l’âme universelle, dépouillées de leurs
constitutions naturelles.” Il a ainsi informé Ibrâhîm que la réalité est
différente de ce que ceux-là prétendent. »
* la résurrection comprend un déploiement (nashr) et un rassemblement hashr).
Ce qui ressort de la
traduction de ce chapitre n’est pas très clair relativement à ce qu’enseigne
Guénon sur l’expression fautive de la « Résurrection des corps » (ou
de la Chair) due à une mauvaise compréhension de la « Résurrection des
morts ».
René Guénon :
« Quant à la ‟résurrection de la chair”, ce n’est, en réalité, qu’une façon fautive de désigner
la ‟résurrection des morts”,
qui, ésotériquement (11), peut correspondre à ce que l’être qui réalise en soi l’Homme
Universel retrouve, dans sa totalité, les états qui étaient considérés comme
passés par rapport à son état actuel, mais qui sont éternellement présents dans
la ‟permanente actualité de l’être extra-temporel” » (12)*
(11) Bien entendu, cette interprétation
ésotérique n’a rien de commun avec la doctrine catholique actuelle, purement exotérique ; à ce sujet, voir Le Symbolisme de la Croix,
2e année, no 5, p. 149, note 4 [note 41].
(12) Voir Pages
dédiées à Mercure, 2e année, no 1, p. 35,
et no 2, p. 66.
* Palingenius, « Les
néo-spiritualistes ».
La « Résurrection
des corps » serait alors à distinguer de la « Résurrection de la
chair » ? Il semble plutôt que le shaykh al-Akbar fait une subtile
distinction qu’il serait peut-être plus facile de comprendre si l’on se
réfèrait aux « essences élémentaires subtiles » désignées par les tanmatras de la doctrine hindoue.
D’autres correspondance données par Ibn ‘Arabî sont mentionnées dans cette traduction
partielle. L’intérêt de l’article de Grall est qu’il se poursuit avec d’autres textes
dont le Sicle du sanctuaire de Moïse
de Léon, des textes hindous, un extrait de la glose du Zohar et La théogonie d’Hésiode.
Note
(1) Commentaire de
l’Archéomètre de Juillet 1911 (2e
année, n°7) : « L’interprétation que nous avons donnée du nom d’Abraham (184), exprimant les finalités des
âmes dans le trigone des Eaux Vives, comme ce que nous avions dit précédemment
au sujet du nom de Brahmâ, se déduit immédiatement de sa formation dans
ce trigone, par l’union des trois zodiacales précédées de la planétaire
lunaire, et auxquelles est jointe la lettre du centre, A, placée en initiale
dans la forme hébraïque (involution), et en terminaison dans la forme sanscrite
(évolution). Ce nom désigne la Puissance
qui préside à la seconde naissance (initiation baptismale ou régénération par
les Eaux, celle de l’âme par la Foi, par
la Grâce (188), le Père des Croyants (189). En lisant en sens inverse le nom aBRaHaM, il
devient MaHâ-RaBa, la Grande Maîtrise ;
c’est aussi MaHâ-BaRa, la grande création par la Parole, et son résultat,
l’Acte, le poème divin. En hébreu comme en sanscrit, la racine BRA exprime
l’idée de création (191) : ces trois lettres forment le
second mot de la Genèse, ברא, répétition de la première
moitié du premier mot, בראשית, sur la formation
archéométrique duquel nous aurons à revenir encore.
(184) Ceci marque la différence entre les
finalités qui correspondent aux deux trigones principaux de
l’Archéomètre : dans le trigone inférieur, la seule finalité des âmes est
d’attendre dans l’Embryogénie cosmique une nouvelle embryogénie individuelle. Retourner
dans les Limbes des Eaux Vives de la Grâce, c’est s’endormir dans le sein d’Abraham,
car le nom d’aBRaHaM (ou BRaHMâ) désigne le Patriarche des Limbes,
d’où descendent et où remontent les âmes organiques, origines des Eaux Vives. »
(191) Et aussi
d’extension ou d’expansion : la racine verbale brih, en sanskrit, signifie s’étendre.
(188) La Foi (Πίστις) caractérise le degré atteint par la seconde
naissance, celui des Psychiques, comme la Connaissance (Γνῶσις) caractérise
celui qui est atteint par la troisième, la naissance spirituelle, c’est-à-dire
celui des Pneumatiques.
(189) En
hébreu, arabe, persan, etc., le nom aBRaHaM ou iBRaHiM a toujours cette
signification.
* * *