AL-BURÛJ
Selon les Fuçus al-Hikam, le façç
du dixième jour de chaque mois revient à Hûd, dans la Sagesse de l’« Unité »
du falak al-manâzil (les 28 Demeures
déterminantes), régit par le Nom al-muqaddîr,
« Celui qui détermine ». Mais le façç
précédant attribué à Yûsuf correspond à la Demeure du neuvième jour, dans la
Sagesse lumineuse de la sphère du falak
al-burûj. Cette Sphère est celle de la Détermination de la mesure (1) ; cette détermination implique
l’indépendance de « ce qui conditionne » ce qui explique que al-ghanî est le Nom correspondant à ce Ciel.
À chaque Signe (burj) réside un Archange possédant les clés de ses trésors (2). Falak al-burûj est le lieu de
manifestation sensible à la périphérie du Trône (al-‘arsh) comme le Ciel des fixes (falak al-kawakib) l’est à l’égard du Piedestal (al-kursî) et à propos de la Sphère des
Tours zodiacales, le shaykh al-akbar nous enseigne (ch. 198 des Futûhât, section 19) :
«
Le Nom ‟L’Indépendant” (al-ghanî) a
disposé cette Sphère, vide de toute trace et ne contenant aucune étoile,
identique dans ses parties, et de forme circulaire. C’est à l’intérieur d’al-Kursî (le Piédestal divin) que
s’effectue son mouvement dont on ne connait ni début ni fin, contrairement aux
Sphères célestes qui lui sont inférieures ; elle est dépourvue
d’extrémité. C’est par son existence que surviennent les jours, les mois, les
années. Cependant, ces divisions temporelles sont déterminées dans cette Sphère
seulement après qu’Allâh ait
manifesté (khalaqa) à l’intérieur les
signes (’âlamât) qui les distinguent.
Cette Sphère ne détermine proprement de ces divisions temporelles qu’un jour
unique, c’est-à-dire qu’une seule révolution déterminée à partir du haut par le
pied (qadam) d’al-kursî (3) ».
NOTES
(1) Il semble que
c’est dans ce sens que l’on doit
comprendre la sourate al-burj
(2) Cf. Abdel-Baqî Meftah : les Clés Ontologiques et Coraniques du livre
des fuçûç al-hikam d’Ibn ‘Arabî ;
Editions Arma artis, 2011.
(3) Ibid. p. 144.
(4) Ibid. p. 145.
* * *
DEUX LETTRES DE RENÉ
GUÉNON
Sur la question du Khalifat et du Khalife :
(Correspondance M. Clavelle, extrait.)
Le
Caire, 7 septembre 1933
Pour l’article sur le Khalifat, je vois bien de quoi il s’agit : c’est un mauvais tour que la France veut jouer à l’Angleterre, laquelle voudrait, elle aussi, et depuis longtemps déjà, avoir un Khalife « de façade » qui ne serait qu’un instrument entre ses mains ; et je m’explique maintenant le voyage d’un certain personnage marocain qui nous avait un peu intrigué il y a quelques mois… En fait, l’une des deux solutions ne vaudrait guère mieux que l’autre étant donné surtout ce qui se passe actuellement en Afrique du Nord (sans parler de la Syrie) ; jamais encore les Français ne s’étaient comportés de pareille façon jusqu’ici ; c’est sans doute l’effet des belles promesses faites pendant la guerre. Quoi qu’il en soit, il est plutôt maladroit de confier le « lancement » de cette idée à des gens aussi grossièrement ignorants que l’auteur de l’article en question. « Puissance sacerdotale », « Souveraineté pontificale », etc… autant d’âneries que de mots… Il est d’ailleurs tout à fait faux que la présence d’un Khalife soit nécessaire au maintien de l’orthodoxie, et il ne l’est pas moins que le Khalife doive remplir telle ou telle condition définie, on préférerait en général qu’il soit d’origine arabe, mais cela même n’est nullement nécessaire, et en fait n’importe qui peut être désigné. Lors du congrès de Jérusalem, certains pensaient mettre en avant la candidature de quelqu’un que je connais très bien, et qui ne remplit aucune des prétendues conditions ; c’est seulement un homme énergique et très instruit des choses de l’Islam, et c’est là l’essentiel ; mais sans connaître l’actuel sultan du Maroc, je crois qu’il y a bien des chances pour qu’il ne possède ni l’une ni l’autre de ces deux qualités. D’autre part, il y a trois modes possibles de désignation d’un Khalife, tout aussi réguliers l’un que l’autre, et qui correspondent proprement aux trois titres respectifs de « Khalifat », d’« Imâm » et d’« Amûrul-Muminîn » ; vous voyez que c’est assez complexe et que personne en Europe n’y connais quoi que ce soit. – Quant à Mustafa Kémal, je comprends bien pourquoi il entrerait dans la combinaison, et vous pourrez être sûr que ses raisons n’ont rien de « spirituel », mais comment lui et ses partisans pourraient-ils bien continuer à se prétendre, je ne dis pas « sunnites », mais simplement « orthodoxes », quand ils se servent, dans les mosquées, d’une traduction du Qoran, ce qui est tout ce qu’il y a de plus rigoureusement interdit. Du reste, des gens qui ont fait du port d’une casquette le symbole de la « civilisation » sont jugés par là même, je ne veux pas dire qu’il y ait là une question de principe (c’est bien moins important qu’ils ne le croient eux-mêmes), mais je prends cela comme un « signe » qui donne assez exactement la mesure de leur « horizon intellectuel ».
René Guénon
Une autre lettre (de la correspondance avec Vasile Lovinescu) dont on ne publie généralement que des extraits. En raison d’une certaine actualité, la voici dans son intégralité :
Le Caire, 10 novembre 1936.
Cher Monsieur,
Voilà longtemps en effet que je n’avais eu de vos
nouvelles, mais je pensais bien que vous n’étiez sans doute pas encore rentré à
Bucarest. – Quant à M. Avramesco,
il m’a expliqué en effet le changement de
ses intentions, mais il y a longtemps aussi que je n’ai rien reçu de lui.
Au sujet de la communication de Zaharoff,
j’ai cherché de plusieurs côtés à avoir
un renseignement sur le « grand événement astronomique » dont il parlait, mais
personne n’a pu découvrir rien de réellement important dans cet ordre ; je ne
sais donc toujours pas ce qu’il faut penser de cela… – À propos de Zaharoff, vous avez peut-être vu qu’on avait fait courir
récemment le bruit qu’il était mourant et même mort ; ce n’est d’ailleurs pas
la première fois, et tout cela a été ensuite démenti par T. S. F.
Pour ce qui est des histoires de la Grande Pyramide,
vous verrez dans les « Études
Traditionnelles » » de ce mois-ci
mon compte rendu du livre en question ; il paraît que celui-ci a un succès
incroyable et se vend par milliers d’exemplaires, grâce d’ailleurs à une
propagande savamment organisée pour n’être pas encore bien suspecte… Quand vous
aurez lu cela tout d’abord, vous me direz s’il y a à ce sujet des questions sur
lesquelles vous voudriez avoir plus spécialement des éclaircissements. – Il
continue à sortir de tous les côtés des prédictions de l’entrée dans une « ère
nouvelle » pour cette fin d’année ; ce devrait être la « fin de la
grande tribulation », et, avec la tournure des événements actuels, on ne
s’en aperçoit vraiment guère jusqu’ici… Quoi qu’il en soit, mon impression est
bien qu’on veut faire arriver « quelque chose » en entretenant
toutes ces suggestions, qui ne prennent malheureusement que trop bien sur la
mentalité de notre époque…
On dit ici que Gog et Magog sont des peuples qui
vivent sous terre, et qui en sortiront peu avant la « fin des temps » ; chose
assez curieuse, on les regarde tantôt comme des nains et tantôt comme des
géants, et ce n’est pas le seul cas où ces deux idées qui semblent opposées se
trouvent en quelque sorte confondues…
On parle toujours de 7 Pôles
secondaires, bien que, naturellement, leur correspondance ait changé suivant
les périodes. Le « Roy du Ciel » peut avoir été l’un d’eux, car il
est bien entendu que les désignations qui conviennent en premier lieu au Pôle
suprême peuvent s’appliquer aussi à ses représentants par rapport à telle ou
telle forme traditionnelle. – Le Mazdéisme véritable n’existe plus guère que du
côté du Turkestan ; il n’a aucune relation avec les Parsis de l’Inde, qui n’ont
conservé que quelques fragments de leur tradition (c’est tout ce qu’on en
connaît en Europe), et qui sont généralement très ignorants et très « modernisés »
. Il paraît aussi qu’il y a encore des Mazdéens en Perse même, dans certaines parties peu accessibles de la
province de Mazanderan ; je tiens la chose du fils d’un ancien gouverneur
de cette province, qui avait d’ailleurs été fort étonné lui-même quand il avait
fait cette découverte.
Napoléon avait été initié à Malte (en 1798 si je ne me
trompe) à la Maçonnerie et peut-être aussi à quelque chose d’autre ; quand il
vint ici, il adhéra à l’Islam et prit le nom d’Ali, fait qui semble assez peu
connu. Les Loges militaires qui existaient dans la plupart de ses régiments
semblent bien, en Allemagne surtout, avoir joué dans ses conquêtes un rôle
peut-être plus grand que celui des batailles elles-mêmes ; la reddition
des villes se traitait bien souvent entre ces Loges militaires et les Loges locales.
– Son rôle aurait dû être de réaliser une sorte d’unification, ayant même un
lien avec l’Orient (par l’Égypte si la chose avait réussi de ce côté). Il est
difficile de dire exactement quand sa « déviation » a commencé, mais
ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle est devenue définitive lors de son
divorce et de son second mariage [*].
Le rôle d’Henri IV peut s’expliquer très bien par
l’éducation protestante qu’il avait reçue. Quant à Richelieu, qui acheva la
destruction de la féodalité, il est vraisemblable qu’il a été un instrument de
quelque chose qui pourrait bien tenir à la contre-initiation ; je pense au rôle joué auprès de lui par le personnage qu’on
surnomme l’« Éminence grise », et qui semble n’avoir jamais été bien
éclairci… – À propos des Bourbons, savez-vous que les Médicis étaient d’origine
juive ? Ils descendaient, comme le nom l’indique d’ailleurs, d’une famille de
médecins juifs établis à Florence.
Ce que vous avez recueilli au sujet du Mont Kaliman
est vraiment bien curieux encore ; mais que veux dire le nom de « Nedeïa »
? – L’histoire de l’« Oie d’or » est particulièrement significative
en effet ; cela me rappelle d’autres histoire à propos de « trésors
souterrains » : j’ai entendu parler de « sièges d’or »
cachés dans des grottes, tant en France que dans l’Afrique du Nord ; en
Provence, il y a aussi une histoire de « chèvre d’or », et le
symbolisme de la chèvre, dans cette connexion, paraît avoir une assez grande
importance ; mais, pour ce qui est de l’oie, votre interprétation me semble
tout à fait juste. – Les autres choses concernant ces bandits, cette herbe,
etc., sont bien étranges aussi ; et ce qui est le plus étonnant, c’est que
tout cela se soit maintenu jusqu’à une époque si récente. Maintenant, la
question qui se pose devant tout cela est surtout celle-ci : y a-t-il
encore actuellement quelqu’un qui conserve consciemment le dépôt de la
tradition dacique ? Il semble bien que ce serait là la condition essentielle de
la possibilité du « renouveau » que vous envisagez…
Pour ce qui est de votre autre question, je pense que
les avantages de la contemplation supportée par des moyens tels que le dhikr sont bien en effet ceux que vous
dites, et que par conséquent il convient d’en profiter ; la contemplation pure
et simple peut sembler quelque chose de plus direct, mais en fait, quant aux
résultats à en obtenir, c’est plutôt le contraire qui peut avoir lieu dans bien
des cas. – Il ne faut sans doute rien généraliser, car les mêmes moyens ne conviennent
pas également à tout le monde ; mais, presque toujours, il faut observer
tout au moins une certaine « gradation » et procéder en quelque sorte
par étapes. C’est pourquoi je me demande si une contemplation directe de
Parama-Shiva, comme vous le dites, tout en étant possible en principe, peut
être bien « praticable » ; quant au réveil de la Shakti, il va
de soi que ce n’est qu’une méthode parmi les autres, et sans doute une des plus
dangereuses… Mais il n’y a pas que cela qui soit « tantrique » ; ce terme a en
réalité un sens beaucoup plus étendu qu’on ne le pense habituellement, et
aussi, il faut le dire, moins nettement délimité.
Croyez, je vous prie, cher Monsieur, à mes sentiments
les meilleurs.
René Guénon
[*] « En Europe un cas de sacre certainement nul, mais pour
des raisons tout à fait différentes, est celui de Napoléon : il prit la
couronne des mains du Pape et se la posa lui-même sur la tête empêchant ainsi
l’accomplissement du rite. »
(Correspondance
Guénon - AKC)
HOMMAGE
En 2011, Daniel Giraud fait paraitre une
nouvelle traduction du Tao Te King
(Lao Tseu, Tao Te King, Le livre de la Voie et de la Conduite, Paris,
L’Harmattan). Il reconnaissait dans la présentation de l’ouvrage que la langue
chinoise est intraduisible : « De siècle en siècle, de décennies
en décennies, on peut inlassablement traduire et retraduire sans être
satisfait. Aucune traduction ne peut être certaine et définitive ». Dans
une précédente tentative de traduction du I Ching et du Tao Te Ching (Paris, Le
Courrier du Livre, 1987), il avait réuni I King
et Lao-Tseu afin de faire apparaitre l’identité de deux expressions d’une seule
et même Sagesse. En 2003, il publie aux éditons Bartillat une traduction du Yi King
comprenant le texte et son interprétation, en précisant dans
son introduction que le sens variant sans cesse suivant le contexte,
sa préoccupation était de rester le plus fidèle possible au « texte
original sans prendre les mêmes libertés que les universitaires expéditifs qui,
jadis avaient tendance à paraphraser et qui, actuellement réduisent ».
Auparavant, en 1989, il fait paraitre chez Albin Michel une hagiographie du sage Li Po, Ivre de Tao. Plus tard, en 2012, Hi K’ang, Un Sage taoïste dans une forêt de bambou, aux éditions Acacias ; en 2012, Agir sans agir, Ed. Almora et, même année, même éditeur, Tao et anarchie, ouvrage qui appelle
selon nous quelques réserves *.
Pour plus de précision sur l’auteur en tant
que traducteur des textes chinois, on peut se rapporter à l’article de René
Luong « Autour de Lao Zi »,
publié en 2012 dans le numéro 128 de La
Revue Tradition. Dans ce même numéro est paru le seul compte-rendu que nous
avons rédigé sur la vaste production de Daniel Giraud. Nous le reproduisons
ci-dessous.
LA VOIE DE MONFROID - Fils de la Montagne Froide ; présentation et traduction de Daniel Giraud, Éditions Révolution Intérieure.
«
Lorsque Hong Jen voulu choisir son successeur, il demanda a ses disciples
d'écrire un poème sur la réalité ultime. Les moines préférèrent que leur
supérieur, l'érudit Chen Sieou, s'en charge. Ce qu'il fit en écrivant sur le
mur de la salle de méditation :
“Le corps est l'arbre d'illumination
le cœur est comme le trône d'un clair
miroir
appliquez-vous à bien l'essuyer
constamment
sans permettre que la poussière y
adhère.
Le lendemain le cinquième patriarche
félicita le moine supérieur, mais en aparté, il lui fit remarqué qu'il n'avait
pas réalisé l'éveil. Le jour suivant l'analphabète Houei Neng entendit parler
de cette histoire et demanda à un moine sachant écrire d'inscrire le poème
suivant :
“pas d'arbres à la racine de
l'illumination
ni de trône au miroir du cœur
dès l'origine il n'y a rien du tout
où donc la poussière adhèrerait-elle?”».
Telle
est l'histoire du sixième Patriarche Houen Neng que Daniel Giraud nous remet en
mémoire dans sa « Brève histoire du T’chan »
insérée en présentation de son dernier ouvrage, La Voie de Monfroid. Nous savons depuis longtemps que ce voyageur,
poète et « astrologue » entretient une affinité particulière avec les
maîtres de la tradition chinoise dans leurs enseignements non-duels, c'est à
dire à travers l'« aspect sans aspect ». Son ouvrage sur Li Po - (Albin
Michel), sage déroutant pour ceux qui cherchent compensations et consolations
dans la spiritualité, a été suivi de nombreux poèmes et de traductions tout à
fait inconfortables pour l'esprit littéraire et les mentalités conformistes.
Ce dernier livre en forme de plaquette vient confirmer les intentions lapidaires de ce « Détonnant voyageur » pour qui la Chine actuelle qu’il a traversé jadis a nettement intensifié sa relation avec Tchuang-Tseu, Houeng Neng et tous les grands maîtres du Tch’an. L’ouvrage est décapant et donne l'occasion à son lecteur d’approcher la nature du « laisser-faire ». La forme brute propre à l'expression sans détour de son auteur n'est pas le moindre de ses mérites. Cependant, cette approche livresque peut être trompeuse pour un occidental éduqué par les institutions du monde moderne. Hors des conditions formelles propres aux doctrines extrêmes orientales, le « sans forme » peut facilement se revêtir de toutes les fausses apparences propres à une illusion psychique.
M. R.
* En 1931, André
Préau a rédigé un article pour Le Voile
d’Isis dans lequel il analyse d’un point de vue traditionnel et métaphysique
les interprétations de C. G. Jung sur le taoïsme à propos de La Fleur d’Or. Depuis, l’influence de ce psychanalyste
s’est répandue avec les courants mêlés du new-âge et du « développement
personnel ». La vitalité de ce néo-spiritualisme reposant sur l’illusion que
la non-dualité puisse s’accorder avec le
rejet de toute forme traditionnelle et de toute observance rituelle s’est parfaitement
accommodée de l’éduction
anti-traditionnelle imposée par les protagonistes de la contre culture
américaine. Le caractère dissolvant de ce mouvement nébuleux aux conceptions
subversives et anarchisantes, en s’opposant aux sociétés consuméristes sans
plus de discrimination, a contribué à reconduire les justifications grossières et
parodiques de Jung à l’égard de l’inutilité des rites, des dogmes religieux et
de la « discipline » inhérente aux voies ésotériques.
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