À PROPOS DU
CHEMINEMENT
DANS LES VOIES SPIRITUELLES ISLAMIQUES
EN OCCIDENT
MODERNE
Les deux textes ci-dessous, extraits
d’une correspondance privée (que par discrétion nous garderons anonyme), répondent à un conseil demandé de la part d’un musulman d’origine européenne
entré depuis peu dans la branche d’une tariqah
moyen-orientale implantée en France. Ce dernier accumula suffisamment de
déceptions pour s’interroger sur ses intentions et la légitimité de ses doutes.
Les aspects particuliers touchant le pouvoir intérressé de certaines
personnes ont été écartés afin de ne garder que les points essentiels sous
jacents à la question. Les remises en cause du questionnant ne touchaient en
aucune façon la régularité, la légitimité et la probité du shaykh muschîd de la branche de cette tariqah.
« J’ai
malheureusement de bonnes raisons de penser que vos inquiétudes sont tout à
fait fondées. Le choix que vous avez fait de vous tenir à l’écart me parait
donc fort sage.
La
régularité de la silsila d’un shaykh
satisfait à une condition en quelque sorte “juridique” de l’exercice de la mashyikha. Elle n’est en aucune façon
une condition suffisante. D’innombrable shuyûkh
d’une régularité indiscutable – et dont les intentions peuvent être bonnes – ne
sont pas néanmoins qualifiées pour exercer une fonction magistrale effective.
Il est exceptionnel qu’un shaykh
(fût-il parfaitement apte à ce rôle) ait une aire de compétence très étendue et
à fortiori universelle. Bien des dégâts risquent de se produire lorsqu’il
outrepasse les limites assignées à sa fonction et cela même si, là encore, ses
intentions sont louables. J’ai pu constater, en Europe et en Amérique, les
graves conséquences des interventions de shuyûkh
dont le mandat n’était valide que dans leur territoire d’origine ou – car le
mandat n’est pas nécessairement territorial – dans une communauté déterminée.
Sorti de son domaine de compétence spirituelle, un shaykh commet fréquemment de
graves erreurs, aussi bien dans le domaine de l’enseignement qu’il dispense,
des pratiques qu’il institue que dans la désignation de ses représentants.
A
ce sujet, une remarque ; nul ne peut se dire le représentant de la tariqa
naqshbandiyya (ou d’une autre) mais, tout au plus, le représentant d’une
des multiples branches de cette tariqa.
Cela dit, reste que – selon
une parole du shaykh al-akbar – « C’est par Dieu qu’on connait les maîtres
et non par les maîtres qu’on connait Dieu » : ce qui signifie qu’une
ardente orientation du cœur vers Allâh
n’est jamais déçue. »
***
« Dans
votre situation présente, il est évident que tout ce que vous pouvez faire pour
étendre et approfondir votre formation doctrinale est une bonne chose – étant
entendu que je parle ici d’une formation doctrinale proprement et
exclusivement islamique dans ses références et dans son langage. Cela implique
donc, outre l’indispensable acquisition de la langue arabe, une familiarité
avec les divers aspects de la culture islamique dont l’enseignement des maîtres
spirituels n’est pas séparable (tafsîr,
hadîth, kalâm, fiqh). Il ne s’agit pas, bien entendu, de devenir un
spécialiste en toutes les matières mais de compenser autant que possible, par
un effort intellectuel, l’absence de tout ce qui, dans les sociétés musulmanes
traditionnelles transmettait – par osmose en quelque sorte – les savoirs nécessaires
au murîd.
Il
va de soi que, puisque vous êtes naqshbandî, une attention particulière à
l’enseignement des shuyûkh de la
Naqshbandiyya s’impose à vous. Je pense, à titre d’exemple, aux commentaires
généralement très brefs mais très pénétrants de versets coraniques ou de hadith-s qu’on trouve dans les propos
du shaykh ’Ubaydallâh Ahrar.
L’histoire
de la Naqshbandiyya témoigne d’autre part du rôle important qu’y jouent les
interventions de la ruhâniyya des
maîtres défunts. Encore faut-il se rendre disponible, notamment par le pratique
de la râbita*, laquelle peut,
légitimement et efficacement, avoir pour objet n’importe lequel des maîtres de
la silsila – et, par exemple, établir
un lien entre le murîd et le cœur
lumineux du shaykh Bahâ al-dîn Naqshband ».
*La
râbita est une pratique propre à la
Naqshbandiyyah nécessitant le rattachement effectif avec la shaykh murshîd ou l’un de ses représentants
mandatés.
Après s’être mis à l’écart des réunions et des hadrah durant un certain temps, le
questionnant prit le rattachement avec le shaykh représentant la branche d’une
autre tariqah ; les modalités de cette
nouvelle voie correspondant mieux à ses déterminations propres.
Certains pensent qu’une distinction
s’impose entre le cheminement des musulmans d’origine, issus d’un pays aux
normes encore traditionnelles, et celui des occidentaux venu à la spiritualité
islamique par l’étude de l’œuvre guénonienne. Sans doute qu’à l’époque du
shaykh Mustafâ Vâlsan, cette distinction s’imposait naturellement par la force
des choses. Il en va différemment aujourd’hui pour les raisons expliquées dans
le "message" précèdent (du 16 oct. 2014) ; « Une extension de la tariqah Shadhiliyyah, par l'une de ses branches, dans les pays occupés par les Etats modernes ». Il est possible d’affirmer avec
certitude que les difficultés, lorsqu’elles se présentent, peuvent être
résolues avec une orientation désintéressée et sans faille. Il y a certes des
obstacles à surmonter lorsque l’on s’engage dans une tariqah avec pour seul bagage une connaissance seulement théorique,
mais, comprendre le sens profond de ce que l’on pratique, en terme
d’efficacité, est une arme qui peut avoir raison de tout.