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mercredi 15 juillet 2015

Le mystère Jean Borela









LE LANGAGE SYMBOLIQUE






Dans ses écrits, Philon d’Alexandrie (de l’an 20 av. J. C. jusqu’en l’an 50) utilisa l’analogie symbolique. Le terme symbolon y figure souvent, et il explique que :
« …L’homme Abraham signifie symboliquement l’intelligence active » ;

ou encore, parlant du Tabernacle :
 « Les sept flambeaux ou lampes sont les symboles des astres que les physiciens appellent planète » (De vita Moysi II, 103). 

La cosmologie islamique met (également) Saturne en correspondance avec Abraham (Ibrâhîm) et, du point de vue de l’astrologie traditionnelle, cette planète considérée comme maléfique aujourd’hui*, symbolise en effet, l’ « intelligence active » ; elle représente la compréhension essentielle des choses, et d’une façon générale, ce qui est caché derrière les apparences dont celles-ci tirent toute leur réalité. L’aspect passif ou réflexif de l’intelligence, c'est-à-dire, l’activité mentale combinée avec la mémoire, serait quant à elle plutôt désignée par le couple Mercure-Lune qui signe, dans leur complémentarité, la relation, l’imagination et l’échange. Lorsque Philon parle des sept flambeaux ou des lampes comme symboles des astres, c’est pour bien distinguer les astres des planètes physiques, celles-ci n’étant que les supports corporels de la lumière.
Dans son Quod omnis probus sit , Philon dit : 
« Au Saint Sabbat, les Esséniens vont dans les lieux saints, les synagogues, où ils s’asseyent par rang d’âge, les jeunes au dessous des plus âgés : ils se disposent à écouter dans l’ordre convenable. Ensuite, l’un prends les livres et on les lit ; puis un autre, parmi les plus savants, s’étant avancé, explique tout ce qui n’est pas compréhensible ; c’est qu’en effet, chez eux, la plupart des passages sont médités au moyen des symboles suivant un goût très ancien ».
(Traduction Bréhier)

Ailleurs, Philon explique que les mots sont les symboles de réalités que la raison (Intellect) seule atteint. Pour bien comprendre cela, il est important de ne jamais oublier que l’intelligence du symbole présuppose la capacité intellectuelle d’opérer par transposition analogique ; cependant, celle-ci ne donne pas directement accès à la compréhension de la totalité des significations symboliques qui présuppose encore le sens des proportions. C’est en effet à partir de celui-ci que s’organisent les différentes relations entre tous les sens donnés par le symbole. Cette faculté de synthèse est supérieure à l’activité analogique comme telle, ainsi par exemple, pour concevoir spatialement un volume géométrique, la conscience de la profondeur est indispensable pour intégrer la longueur et la largeur tout en les distinguant nettement. Cette intégration est immédiate comme la perception de la ligne et du plan à partir du centre d’un volume. Pourtant, nombreux sont ceux qui ne vont jamais au delà d’une connaissance limitée à deux dimensions. La réalisation spirituelle est garante de cette connaissance intégrale dont la science du symbole peut être l'un des véhicules**.

* Pour le symbolisme de Saturne et son aspect maléfique (ou « sinistre »), voir le § XXI « Sur la signification des fêtes “carnavalesques” » ; Symboles fondamentaux de la Science sacrée, Éd. Gallimard.
** Le dévoilement des effets du voyage d’Ibn’Arabî est à cet égard un ouvrage tout à fait significatif des possibilités de la transposition analogique opérée au moyen de l’intellect.


Les filets de la mémoire

L’ouvrage de Jean Borella, Le Mystère du Signe, d’où nous avons extrait ces paroles de Philon d’Alexandrie, contient quelques pages plus loin un passage très intéressant dans lequel il est question de la réduction nominaliste. Cette dernière, en effet, consiste à restreindre la conception que l’on a d’une chose au mot qui la désigne et à l’activité pensante (le mental), et de cette dernière, au fonctionnement d’une « chaîne de signification ». Selon Borella, « La solution de cette difficulté est fourni par la distinction scolastique entre l’intention première et l’intention seconde, laquelle, d’ailleurs, ne fait qu’exprimer la “capacité réflexive” de l’esprit humain. L’“intention” (du latin in-tendere = tendre vers) désigne l’acte par lequel l’esprit tend vers un objet. Si nous percevons une table, notre esprit produit un acte mental au moyen duquel il conçoit ce qu’il connaît dans cette perception, acte que l’on appelle un concept. Plus précisément, le concept est la forme de l’acte par lequel nous pensons la table. Il est, disent les scolastiques, le signe formel qui nous fait connaître la table. Autrement dit, en première intention, nous ne pensons pas le concept, nous pensons (par le concept) la table. Toutefois, le concept, pris comme tel, peut très bien devenir un objet pour notre pensée : il suffit que notre esprit, par une intention seconde, réfléchisse à l’acte mental par lequel il connaît la table, c’est à dire qu’il prenne pour objet son intention première. Et c’est d’ailleurs ce que nous avons fait tout au long du présent exposé. Il n’y a d’intention première qu’au regard d’une intention seconde » (p.164).
Ce point de vue sur la capacité réflexive évoquée par l’auteur nous amène au seuil de la méditation védantique*. Cependant, quelque que soient les deux « intentions » que propose la scolastique, l'une comme l'autre restent malgré tout soumises au statut de la mémoire, et de ce fait, ne peuvent fournir aucune méthode véritable pour accéder à la connaissance réelle, c'est à dire la « Connaissance non-duelle », la seule qui puisse avoir raison des conceptions incertaines dénoncées dans l’ouvrage du philosophe chrétien. Nous reviendrons sur ce point, mais voici à présent un extrait, à propos de la mémoire, de l’ouvrage Psychologie** (p.104) :
« Il ne faut pas confondre avec la sensation elle-même ce que l’expérience et la science nous apprennent sur la sensation ; d’autre part, à force d’avoir fait effort, nous finissons par nous souvenir toujours, dés le début de l’effort que nous faisons actuellement, des sensations musculaires que nous avons déjà éprouvées dans des conditions analogues et alors nous croyons que ces deux faits, à savoir la volonté de faire l’effort et l’image des sensations musculaires anciennes, ne font qu’un, alors qu’ils sont seulement contemporain. Nous croyons sentir ce dont nous ne faisons en réalité que nous souvenir ».

*Voir le message ci-dessous du 23/04/2013 : « LE VEDANTASARA DE SADANANDA ( çlokas 11-28 ) ».
**Voir le message ci-dessous du 01/05/2013 : « “PSYCHOLOGIE” extrait du Cours de philosophie de  René Guénon ».

L’objet, dans cet extrait, concerne la perception d’une sensation lors d’une action quelconque telle que, par exemple, ressentir une fatigue à laquelle nous allons nous identifier lors d’une marche en y superposant le concept de la sensation « fatigue » relié avec toute la mémoire qui le constitue actuellement pour nous. En effet, sous le rapport de l’activité réflexive, la perception d’un objet, qu’il soit directement physique ou la perception d’une impression mentale plus subtile est déterminée par une part plus ou moins importante de la mémoire accumulée en quelque sorte en nous même (prarabda karma). Borella poursuit : « Que le concept devienne un objet de pensée n’offre donc aucun mystère, sinon celui de l’esprit lui-même. La capacité réflexive de la pensée, la possibilité qu’elle a de se connaître elle-même définit sa liberté et sa spiritualité. Notre pensée ne se réduit pas à un comportement, à un fonctionnement. Certes, elle agit suivant des règles et des formes qui peuvent être décrites, mais elle est douée d’auto transcendance, sinon la description de son fonctionnement serait impossible. L’“esprit” souffle où il veut et tu ne sais ni d’où il vient ni où il va ».
L’auteur de La crise du symbolisme religieux surévalue nettement l’activité de la pensée et fait une confusion entre la pensée réflexive qui agirait « suivant des règles et des formes qui peuvent être décrites », qui bizarrement, serait « douée d’auto transcendance », et l’« Intuition intellectuelle ». Seul, ce qui ne se laisse pas penser, c’est à dire notre « Totalité », est transcendant. Autrement dit, n’est véritablement transcendant que la réalité métaphysique située à l’arrière-plan de notre existence, ce que le Védântâ désigne par le terme de Cuddha Caitanya (la « Pure Conscience »). Tout ce qui est susceptible d’apparaître dans la relation du sujet à un objet – et la pensée est un objet dès lors qu’elle est susceptible d’être perçue –, se réfère au monde psychique et non au domaine métaphysique ou spirituel qu’il est impossible de connaître au sens ordinaire du terme. « La possibilité réflexive de la pensée » n’est que la possibilité mentale ; celle-ci provient bien de l’esprit, mais n’en est qu’un reflet dégradé. Pour que la « possibilité de se connaître » s’accomplisse réellement, il doit se produire préalablement un dessaisissement de l’être à l’égard de la sphère psychique et une complète résorption de l’effort individuel dont la nature est inséparable de la mémoire psychologique.

Du point de vue de l’être tendant à s’établir dans une réalisation spirituelle, les discussions philosophiques sur la linguistique et autre subtilité entre signe, sens et signifié, faute de rigueur, deviennent très vite des considérations qui, sous de savantes apparences, masquent des intentions vaines et souvent néfastes. En se plaçant sur le terrain de la philosophie et de la théologie, Borella a remis de l’ordre et de la clarté pour les chrétiens et les philosophes qui peuvent maintenant profiter de sa critique de la pensée moderne et de ses études sur le symbolisme. Ses intentions sont légitimes et personne ne peut lui reprocher de les exposer. Cependant, il reste que le domaine de l'initiation et de la métaphysique pure sont autres que ceux de la philosophie et de la voie mystique auquel l'auteur de La crise du symbolisme religieux semble être assez attaché.

* Nous rappelons que celle-ci consiste à prendre conscience des différents niveaux de superposition (adhyasa) des impressions reliées à la mémoire psychologique et chronologique dans le processus de la perception (voir ci-dessous le message posté le 21 /03/2013 : « Introduction à l'étude du VEDANTASARA (Clokas 1-10) et le message suivant ».





(Âl-'Imrân, 66)











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