Le
texte ci-dessous, paru en 2009 dans le n°116 de la revue Vers La tradition, fut rédigé par le même auteur qui signait de ses
initiales (Y. B.) l’article, intitulé « L’alchimie humaine et les quatre
éléments » figurant dans les pages
précédentes du même numéro. Il prit le nom de Fulan pour celui-ci dont la
première moitié était à l'origine une ébauche pour
une étude que nous projetions de mettre en ligne sur ce blog. Peu de
temps avant la parution du n°116 de cette revue,
dont nous venions juste de prendre la direction, nous communiquâmes ces quelques
notes à Fulan (accompagnées d’un croquis représentant la « décomposition »
en quatre phases de la calligraphie) qui les a intégrées dans le commentaire de
la calligraphie koufique illustrant la couverture (et reproduite ici ; voir dans « article
plus ancien », en date du 16/05/2014 : « Calligraphie koufique du nom Mohammad » qui contient notre ébauche complétée
selon le commentaire de Fulan).
UN
EXEMPLE DE PERFECTION
DANS
L’ART
DE
LA
CALLIGRAPHIE
ISLAMIQUE
L’illustration
de couverture du présent numéro est une sorte de yantra formé à partir
du nom du Prophète Muhammad inscrit en style koufique. Elle se présente sous la
forme d’un carré dont le côté vaut 19, nombre qui, multiplié par lui-même est
égal à 361, c’est-à-dire les 360° du cercle auxquels s’ajoute l’unité de son
centre, établissant ainsi une relation évidente entre ce carré et la forme
géométrique circulaire qui est celle de la perfection et de la Totalité universelle
qui s’irradie dans les six directions de l’espace. D’ailleurs, le rapport
existant entre l’unité et le dernier nombre de la série décimale est aussi
celui qui mesure le point figurant le centre et la périphérie définissant le
cercle.
En outre, 19 est le nombre des termes Wâhad
et Wujûd qui servent à désigner l’unicité de l’existence (Wahdât
al-wujûd) qui exprime aussi l’immanence des attributs divins par les 7
planètes auxquelles doivent s’ajouter les 12 signes du Zodiaque. C’est
également le nombre des lettres de la formule bismillah er-Rahman er-Rahîm, et
celui des 19 gardiens du Paradis, de ce bas-monde et de l’enfer, comme le
signale une étude intitulée « Quelques aspects de la matrice miraculeuse
des attributs divins (1) »
où Mr. Abdelbâki Meftâh analyse un carré de côté 10 contenant les 99 Noms d’Allâh et celui de Son Prophète, et dont
la somme de la valeur numérique de toutes les lettres est égale à 3394,
réductible par addition à 19, lui-même réductible à 10. On pourrait donc dire
que le nombre 19 constitue la « signature » de la figure que nous allons
considérer maintenant.
À
partir du centre de notre yantra, le nom de Muhammad se déploie quatre
fois, comme les fleuves du « Paradis terrestre » dont la sortie pourrait déterminer
les points cardinaux formant une croix « dynamique », mais on aperçoit aussi
l’ébauche d’un swastika dans les lettres dal figurant aux quatre coins
du carré. Ce swastika peut aussi être réduit à une croix « statique » qui, avec
la croix « dynamique », forme une figure à huit rayons, évoquant les idées de «
justice » et d’« équilibre ».
On
peut d’ailleurs remarquer que la décomposition de la figure nous montre le
tracé géométrique de l’ensemble reproduisant la triple enceinte, à propos de
laquelle Guénon dit que « la division de l’initiation en trois grades est (…)
la plus fréquente et (…) la plus fondamentale ; toutes les autres ne
représentent en somme, par rapport à celle-là, que des subdivisions ou des
développements compliqués », en faisant allusion à des documents maçonniques de
hauts grades qui « décrivent précisément ces grades comme autant d’enceintes
successives tracées autour d’un point central » (2). Il établit
aussi une correspondance avec les « trois mondes » de la tradition hindoue où «
les trois cercles célestes sont parfois représentés comme autant d’enceintes
concentriques entourant le Mêru, c’est-à-dire la Montagne sacrée qui
symbolise le “Pôle” ou l’ “Axe du Monde” ». Or, la dix-neuvième lettre de
l’alphabet arabe, dont le nombre caractérise la figure, est le Qâf,
initiale du « Pôle » (Qutb).
«
Loin de s’exclure, les deux explications s’harmonisent parfaitement, et l’on
pourrait même dire qu’elles coïncident en un certain sens, car, s’il s’agit
d’initiation réelle, ses degrés correspondent à autant d’états de l’être, et ce
sont ces états qui, dans toutes les traditions, sont décrits comme autant de
mondes différents, car il doit être bien entendu que la “localisation” n’a
qu’un caractère purement symbolique. Nous avons déjà expliqué, à propos de
Dante, que les cieux sont proprement des “hiérarchies spirituelles”,
c’est-à-dire des degrés d’initiation ; et il va de soi qu’ils se rapportent en
même temps aux degrés de l’existence universelle, car, (…) en vertu de
l’analogie constitutive du Macrocosme et du Microcosme, le processus
initiatique reproduit rigoureusement le processus cosmogonique (3) ».
Du
reste, les huit lettres mîm, stylisées en forme de carrés dans l’arabe koufique,
plus le centre, pourraient représenter les neuf cieux (en fait, il y a dix
carrés, si on compte celui de l’encadrement [1+2+3+4]) ou les neuf salles du Ming-tang,
mais aussi la projection plane d’une construction pyramidale.
En
effet, à la périphérie de la figure, on retrouve douze éléments de lettres qui
symbolisent les signes du Zodiaque; ce qui nous renvoie aussi au symbolisme de
la « Jérusalem céleste ». Or, Guénon dit que les formes circulaire et carrée «
se rapportent respectivement au symbolisme du Paradis terrestre et à celui de
la Jérusalem céleste (…) en effet, il y a toujours analogie et correspondance
entre le commencement et la fin d’un cycle quelconque, mais à la fin, le cercle
est remplacé par le carré et ceci indique la réalisation de ce que les
hermétistes désignaient symboliquement comme la “quadrature du cercle” », ce
qui nous semble indiqué par le nombre 19 multiplié par lui-même.
« Dans le premier cas, le centre de la figure
serait alors la source de la doctrine, tandis que, dans le second, il en serait
plus proprement le réservoir, l’autorité spirituelle ayant surtout ici un rôle
de conservation ; mais naturellement, le symbolisme de la “fontaine
d’enseignement” s’applique à l’un et l’autre cas (4) », et à
cet égard, on peut noter qu’il y a quatre noms de quatre lettres (MHMD), et que
la seizième lettre de l’alphabet arabe est le ‘ayn, qui est aussi un
terme désignant les mots « essence », « source » et « oeil ».
Dans
le même article, Guénon dit encore que « la forme circulaire doit représenter
le point de départ d’une tradition, ce qui est bien le cas en ce qui concerne
l’Atlantide [relativement tout au moins, puisqu’elle est bien postérieure à la
tradition primordiale], et la forme carrée son point d’aboutissement » ; et de
ce point de vue, le centre de la figure pourrait représenter le ghawth (Adam,
selon Guénon), et les quatre awtâd de la dînulhanifiyya (5).
En
raison de sa forme carrée, on pourrait dire que cette calligraphie symbolise la
« projection » terrestre du « Centre du Monde », cœur de la wahdât al-wujûd dont
les lettres forment le « tissu ».
Les lettres mîm extérieures sont
décalées, l’une par rapport à l’autre, comme pour souligner l’éloignement du «
centre » qui désigne ici les « ténèbres supérieures » ou l’Unité (Ahadiyyah)
qui, en tant que principe de la manifestation, est non-manifestée ; le reste de
la figure représentant la dualité du yin-yang.
Du reste, on pourrait considérer que cette
calligraphie montre deux voies : l’une qui est « polaire » et continue en
suivant le tracé noir, et l’autre qui est « solaire » et discontinue en suivant
le tracé blanc (l’espace blanc dans les carrés noirs pourrait aussi représenter
l’existence enveloppée par le non-manifesté).
Enfin,
on pourrait encore envisager deux « rotations » de la figure : l’une qui est
solaire, centripète et compressive, correspondant au Mercure, et l’autre qui
est « polaire », centrifuge et expansive, correspondant au Soufre 5 ; car vu de
loin, le centre des mîm (dans la figure décomposée) donne l’impression
d’ébaucher le mouvement d’une hélice.
C’est
aussi la respiration de l’ « Homme Universel », car on pourrait y voir une
représentation symbolique de la Nûr al-muhammadî (lumières noire
et blanche).
En
effet, « la Lumière intelligible est l’essence (dhât) de l’ “esprit” (Er-Rûh),
et celui-ci, lorsqu’il est envisagé au sens universel, s’identifie à la Lumière
elle-même ; c’est pourquoi les expressions An-Nûr al-muhammadî et Ar-Rûh
el muhammadiyah sont équivalentes, l’une et l’autre désignant la forme
principielle et totale de l’ “Homme Universel”, qui est awwalu khalqi’Llah,
“le premier de la création divine”. C’est là le véritable “Coeur du Monde”,
dont l’expansion produit la manifestation de tous les êtres, tandis que sa
contraction les ramène finalement à leur Principe ; et ainsi il est à la fois
“le premier et le dernier” (el-awwal wa el-akher) par rapport à la
création, comme Allah Lui-même est le “Premier et le Dernier” au sens
absolu. “Coeur des coeurs et Esprit des esprits” (Qalbul-qulûbi wa
Rûhul-arwâh), c’est en son sein que se différencient les “esprits”
particuliers, les anges (al-malaâïkah) et les “esprits séparés” (el-arwâh
al-mujarradah), qui sont ainsi formés de la Lumière primordiale comme de
leur unique essence, sans mélange des éléments représentant les conditions
déterminantes des degrés inférieurs de l’existence (7) ».
FULAN
NOTES
(1).
Voir la revue Horizons maghrébins, numéro de janvier 1999.
(2). Symboles de
la Science sacrée ch. X. Bien que la figure présente une forme carrée, son
aspect rectiligne pourrait aussi faire penser au « pavé mosaïque » de la
maçonnerie, sous forme de labyrinthe ; et à une sorte d‘illustration de
l’expression Darkness visible, dont M. Bachelet a donné une étude qui en
développe le symbolisme (La Lettre G n°6 et 7).
(3)
ibid.
(4). ibid.
À cet égard, on peut noter que la manière dont la lettre mîm du centre
est stylisée pourrait donner l’impression que le point suscrit du centre permet
de lire une lettre fâ : fahamd, c’est-à-dire « alors, louange! ».
La décomposition en fah (88) et Mad (44) pourrait aussi donner
des indications intéressantes (66 multiplié par 2) : en arabe, le mot
« cœur » (qalb) a pour
valeur numérique 132.
(5). Il s‘agit
de seyidna El Khidr, qui présente une relation avec l’eau (nord), seyidna
‘Aissa, qui présente une relation avec l’air (est), seyidna Ilyâs,
qui présente une relation avec le feu (sud), et seyidna Idris (Hénoch),
que l’on peut situer à l’ouest (Atlantide).
(6). La
Grande Triade ch. IX.
(7) .Aperçus
sur l‘Initiation p. 295-296. Guénon ajoute en note, « Tout ceci a également
un rapport avec le rôle de Metatron dans la Kabbale hébraïque ». Nous n‘insisterons
pas ici sur la relation de ce dernier avec le « mot sacré » de l’ancienne Maçonnerie
opérative, mais il n‘est pas difficile de comprendre ce que Guénon avait en vue
en parlant de la transmission du Nom divin.
***
La
Source des origines de la Sagesse
Ahmed
al-Boussiri 622 H.
(Reproduction
du tableau des 99 Noms divins et deux extraits de l’article d’Abdebaqî Meftah
cité par Fulan)
« (…) Cette matrice à 10×10
éléments, où la simple répétition de 8 parmi eux – que l’on pourrait qualifier
d’équinomes (à savoir : 1100×2 ; 298×2 ; 156×2 ; 68×2 ;
66×2 ; 62×2 ; 48×2 ; 20×2) – ramène en fait le nombre d’éléments
distincts de 100 à 92. Ce nombre 92 qui est précisément associé [par sa valeur
numérique] au nom du Prophète Mohammad (‘alayhi
salam) qui scelle la matrice (…). »
« La Miséricorde divine “rahmâ”* est l’origine et la finalité de
toutes les créatures et elle englobe la Trône divin qui “contient tous les
degrés d’existence”. Le symbole de la source de cette Miséricorde sur la terre
est la kaâba et elle se manifeste surtout dans sa première et sa dernière
ligne : toutes deux commencent et se terminent par les Noms de la
Miséricorde et de l’Indulgence. »
* En arabe dans le texte.
Cet article est disponible en format PDF : findestempsmodernes72@gmail.com