CHAPITRE V
LES « INFLUENCES
DESCENDANTES »
ET
LA CROIX HORIZONTALE
Maintenant, afin de démontrer que la
« redescente » n’est pas en rapport avec la réalisation descendante,
mais avec les influences descendantes, c’est à la tradition extrême-orientale que nous devons nous référer :
« le
Wang n’est réellement tel que s’il possède le “mandat du Ciel” (Tien-ming),
en vertu duquel il est reconnu légitimement comme son Fils (Tien-tseu) ;
et ce mandat ne peut être reçu que suivant l’axe envisagé dans le sens
descendant, c’est-à-dire en sens inverse et réciproque de celui dans lequel
s’exercera la fonction “médiatrice”, puisque c’est là la direction unique et
invariable suivant laquelle s’exerce l’“Activité du Ciel”. Or ceci suppose,
sinon nécessairement la qualité d’“homme transcendant”, tout au moins celle d’“homme
véritable”, résidant effectivement dans l’“Invariable Milieu”, car c’est en ce
point central seul que l’axe rencontre le domaine de l’état humain ».
Cependant
Guénon donne encore des précisions indiquant que la transmission d’un de ces
hauts-grades correspond au moins virtuellement à la réception du « Mandat
du Ciel » :
« Le
Wang possède alors ce mandat par
transmission (…) et c’est ce qui lui permet, dans l’exercice de sa fonction, de
tenir la place de l’“homme véritable” et même de l’ “homme transcendant”, bien
qu’il n’ait pas réalisé “personnellement” les états correspondants » (1).
Du reste, cette doctrine l’amène à
formuler certaines considérations qui peuvent s’appliquer aux trois derniers
hauts-grades et qui permettent de justifier les propos de Dante sur
l’Empereur :
« si
le Wang est, non pas même un “homme transcendant” comme il doit l’être en
principe, mais seulement un “homme véritable”, parvenu au terme des “petits
mystères”, il est, par la situation “centrale” qu’il occupe dès lors
effectivement, au-delà de la distinction des deux pouvoirs spirituel et temporel ;
on pourrait même dire, en termes de symbolisme “cyclique”, qu’il est “antérieur”
à cette distinction, puisqu’il est réintégré dans l’“état primordial”, où
aucune fonction spéciale n’est encore différenciée mais qui contient en lui les
possibilités correspondant à toutes les fonctions par là même qu’il est la
plénitude intégrale de l’état humain. Dans tous les cas, et même lorsqu’il
n’est plus que symboliquement l’ “Homme Unique”, ce qu’il représente, en
vertu du “mandat du Ciel”, c’est la source même ou le principe commun de ces
deux pouvoirs, principe dont l’autorité spirituelle et la fonction sacerdotale
dérivent directement, et le pouvoir temporel et la fonction royale
indirectement et par leur intermédiaire ; ce principe peut en effet être
dit proprement “céleste”, et de là, par le sacerdoce et la royauté, les
influences spirituelles descendent graduellement, suivant l’axe, d’abord au “monde
intermédiaire”, puis au monde terrestre lui-même » (2).
À la lumière de la
sagesse orientale, le 31è degré correspondant au Brahâtmâ (Adoni-Tsedeq) pourrait apparaître comme
étant le principe « céleste » qui communique le « Mandat du
Ciel » ; le 32è degré correspondant au Kohen-Tsedeq serait ainsi en relation
avec la fonction sacerdotale et le 33è degré correspondant à Melki-Tsedeq représenterait la fonction
royale. Toutefois, en considérant le symbolisme des trois mondes : céleste
(31è), intermédiaire (32è) et terrestre (33è),
c’est bien le 32èdegré qui correspond au « fils du Ciel et de
la Terre », c’est-à-dire au produit engendré par les deux complémentaires
dont l’ensemble forme le triangle inversé qui figure au chapitre II de La Grande Triade.
Ainsi les quatre derniers hauts-grades
de Maçonnerie écossaise devraient quant
à eux correspondre à une transposition symbolique du « Centre du
Monde » des organisations initiatiques occidentales (ibid., figure 3), et à cet égard, nous devons encore revenir sur
certaines indications de Guénon à propos de la « Station
divine » :
« Certaines
écoles d’ésotérisme musulman, qui attribuent à la croix une valeur symbolique
de la plus grande importance, appellent “station divine” (el-maqâmul-ilâhî)
le centre de cette croix, qu’elles désignent comme le lieu où s’unifient tous
les contraires, où se résolvent toutes les oppositions. L’idée qui s’exprime plus
particulièrement ici, c’est donc l’idée d’équilibre, et cette idée ne fait qu’un
avec celle d’harmonie ; ce ne sont pas deux idées différentes, mais seulement
deux aspects d’une même idée. Il est encore un troisième aspect de celle-ci,
plus spécialement lié au point de vue moral (bien que susceptible de recevoir
aussi d’autres significations), et c’est l’idée de justice ; on peut, par-là,
rattacher à ce que nous disons ici la conception platonicienne suivant laquelle
la vertu consiste dans un juste milieu entre deux extrêmes » (3).
L’autre signification
liée à l’idée de Justice est celle qui nous parait le mieux définir la nature
des « influences descendantes » qui sont véhiculées par les derniers
hauts-gades de la Maçonnerie écossaise :
« Il s’agit ici de la Justice distributive et
proprement équilibrante, dans la “colonne du milieu” de l’arbre séphirothique ;
il faut la distinguer de la Justice opposée à la Miséricorde et identifiée à la
Rigueur, dans la “colonne de gauche”, car ce sont là deux aspects différents
(et d’ailleurs, en hébreu, il y a deux mots pour les désigner : la
première est Tsedaqah, et la seconde est Din). C’est le premier
de ces aspects qui est la Justice au sens le plus strict et le plus complet à
la fois, impliquant essentiellement l’idée d’équilibre ou d’harmonie, et liée
indissolublement à la Paix » (4).
Cette « colonne du milieu »
n’est pas sans évoquer l’« axe vertical » auquel s’identifie le Wang, et l’un comme l’autre peuvent être
représentés par la verticale qui relie le ciel de Saturne au Ciel de la Lune,
lesquels correspondent respectivement au Zénith et au Nadir du « Sceau de Salomon »
appelé aussi « Bouclier de David ». Ainsi, Saturne est en relation
avec Adoni-Tsedeq (31èdegré),
le Soleil avec Kohen-Tsedeq (32èdegré)
et la Lune avec Melki-Tsedeq (33èdegré)
(5).
« Il s’agit ici de la conception traditionnelle
des “trois mondes” (…) à ce point de vue, la royauté correspond au “monde
terrestre”, le sacerdoce au“monde intermédiaire”, et leur principe commun au“monde
céleste” » (6).
En effet,
« la fonction royale est évidemment d’ordre
plus extérieur que la fonction sacerdotale ; du reste, dans leurs rapports
entre eux, le sacerdoce est yang et la royauté yin (…), comme
l’indique d’ailleurs, dans le symbolisme des clefs, la position respectivement
verticale et horizontale de celles qui représentent ces deux fonctions, ainsi
que le fait que la première est d’or, correspondant au Soleil [Kohen-Tsedeq], et la seconde d’argent,
correspondant à la Lune [Melki-Tsedeq] »
(7).
En tant que
symbole de la croix à trois dimensions, on peut dire du « Sceau de
Salomon » :
« Ce qu’il faut
considérer en réalité, c’est, d’une part, le plan de l’équateur et l’axe qui,
joignant les pôles [Saturne et la Lune], est perpendiculaire à ce plan ;
ce sont, d’autre part, les deux lignes joignant respectivement les deux points
solsticiaux [sud (Jupiter) – Nord (Mercure)]et les deux points équinoxiaux [Est
(Venus – Ouest (Mars)] ; nous avons ainsi ce qu’on peut appeler, dans le
premier cas, la croix verticale, et, dans le second, la croix horizontale.
L’ensemble de ces deux croix, qui ont le même centre, forme la croix à trois
dimensions, dont les branches sont orientées suivant les six directions de
l’espace ; celles-ci correspondent aux six points cardinaux, qui,
avec le centre lui-même, forment le septénaire » (8).
Maintenant, si
on ne considère que la croix horizontale du « Sceau de Salomon », on
peut constater que l’Est (Vénus) est à gauche et l’Ouest (Mars) à droite, ce
qui implique que l’orientation est prise en se tournant vers le Sud (Jupiter) (9).
Àcet
égard,
« on pourra, bien que ces axes soient tous les
deux horizontaux en réalité, dire que l’un d’eux, celui qui joue le rôle actif,
est relativement vertical par rapport à l’autre. C’est ainsi que, par exemple,
si nous regardons ces deux axes comme étant respectivement l’axe solsticial et
l’axe équinoxial (…), nous pourrons dire que l’axe solsticial est relativement
vertical par rapport à l’axe équinoxial, de telle sorte que, dans le plan
horizontal, il joue analogiquement le rôle d’axe polaire (axe Nord-Sud), l’axe
équinoxial jouant alors le rôle d’axe équatorial (axe Est-Ouest). La croix
horizontale reproduit ainsi, dans son plan, des rapports analogues à ceux qui
sont exprimés par la croix verticale ; et, pour revenir ici au symbolisme
métaphysique qui est celui qui nous importe essentiellement, nous pouvons dire
encore que l’intégration de l’état humain, représentée par la croix
horizontale, est, dans l’ordre d’existence auquel elle se réfère, comme une
image de la totalisation même de l’être, représentée par la croix verticale »
(10).
Par ailleurs,
« le pôle terrestre est comme le reflet du pôle
céleste, puisque, en tant qu’il est identifié au centre, il est le point où se
manifeste directement l’ “Activité du Ciel” ; et ces deux pôles sont
joints l’un à l’autre par l’ “Axe du Monde”, suivant la direction duquel
s’exerce cette “Activité du Ciel”. C’est pourquoi des symboles stellaires, qui
appartiennent proprement au pôle céleste, peuvent être rapportés aussi au pôle
terrestre, où ils se réfléchissent, si l’on peut s’exprimer ainsi, par “projection”
dans le domaine correspondant. Dès lors, sauf dans les cas où ces deux pôles
sont expressément marqués par des symboles distincts, il n’y a pas lieu de les
différencier, le même symbolisme ayant ainsi son application à deux degrés
différents d’universalité ; et ceci, qui exprime l’identité virtuelle du
centre de l’état humain avec celui de l’être total, correspond aussi, en même temps,
à ce que nous disions plus haut, que, du point de vue humain, l’“homme véritable” ne peut être
distingué de la “trace” de l’“homme transcendant” » (11).
NOTES
(1) La Grande Triade, ch. XVII. Toutes ces
indications de Guénon sur le wang concerne
aussi la fonction califale de l’ésotérisme islamique. Malheureusement la
confusion entre ce qui est suprême et ce qui est universel, ainsi que celle
entre la réalisation descendante et les influences descendantes, prennent dans
les livres de Charles-André Gilis une place démesurée qui ne rend pas compte de
la véritable portée des doctrines akbariennes. Selon Guénon, « le
troisième œil », c’est-à-dire l’âjnâ
chakra, est ainsi appelé parce que ce centre consacré au monosyllabe Om est
celui qui reçoit du domaine supra-individuel « le commandement (âjnâ) du Guru intérieur » ;
« ce commandement correspond au “mandat céleste” de la tradition
extrême-orientale ; d’autre part, la dénomination d’âjnâ chakra pourrait être rendue exactement
par maqâm el-Amr, indiquant que là
est le reflet direct, dans l’être humain, du “monde” appelé âlam el-amr, de même que, au point de
vue “macrocosmique”, le reflet se situe, dans notre état d’existence, au lieu
central du “Parradis terrestre” » (Études
sur l’Hindouisme, p. 39, n. 2).
« L’“Homme Universel” (en arabe El-Insânul-kâmil)
est l’Adam Qadmôn de la Qabbalah hébraïque ; c’est
aussi le “Roi” (Wang) de la tradition extrême-orientale » (Le
Symbolisme de la Croix, p. 23, n. 1). « En Chine, l’accomplissement
des rites constituant le “ culte du Ciel” était exclusivement réservé à
l’Empereur » tandis que le symbolisme du Chakravarti « se rapporte au symbolisme de la roue » qui
est « d’une façon générale, un symbole du monde : la circonférence
représente la manifestation, qui est produite par l’irradiation du
centre » (Symboles de la Science
Sacrée, ch. XL). Le Wang et le Chakravarti
semblent respectivement correspondre au Califat et à l’Imâm de l’ésotérisme musulman. « Le centre doit d’ailleurs
être conçu comme contenant principiellement la roue tout entière, et c’est
pourquoi Guillaume Postel décrit le centre de l’Éden (qui est
lui-même à la fois le “centre du monde” et son image) comme “la Roue dans le
milieu de la Roue” » (La Grande
Triade, ch. XXXIII, p. 156, n. 6). Et, en connexion avec le « Mandat
du Ciel » maçonnique, Guénon écrit à propos de l’Hermès Trismégistre ou « trois
fois très grand » : « on peut aussi rapprocher de cette
désignation celle de “trois fois puissant”, employée dans les “grades de
perfection” de la Maçonnerie écossaise, et qui implique proprement la
délégation d’un pouvoir devant s’exercer dans les trois mondes » (ibid., ch. XVII, p. 120, n. 4).
(2) La Grande Triade, ch. XVII. Guénon fait également
remarquer que « la considération de l’espèce s’applique uniquement dans le
sens horizontal » : la caste « n’existe qu’autant que l’être est
envisagé dans les limites de l’individualité, et que, si elle existe
nécessairement tant qu’il y est contenu, elle ne saurait par contre subsister
pour lui au-delà de ces mêmes limites » (ibid., ch. XIII, p. 97, n. 1). Cependant le kshatrya est le « type » même de l’individu soumis à la
Législation prophétique et d’un point de vue doctrinal, c’est à partir de ce
« type » que devrait être envisagé le « monde le
l’homme » : car le « royaume » de l’individu sur terre
c’est son « destin » qui doit être transcendé par la réalisation
spirituelle. Du reste Guénon fait également remarquer « que l’“homme
transcendant” peut remplir, dans le monde humain, la fonction qui est
proprement celle de l’“homme véritable”, tandis que, d’autre part et
inversement, l’“homme véritable” est en quelque sorte, pour ce même monde,
comme le représentant ou le “substitut” de l’“homme transcendant” » (ibid., ch. XVIII, p. 131).
(3) Symboles de la Science Sacrée, Ch. VIII, p.
70.
(4) Le Roi du Monde, p. 55. Es-Siddiq est l’équivalent arabe de Tsedaqah (qui fait partie des « mots sacrés » du 31ème
degré. D’après Philon, Sydyq était le père des Cabires). Il sert
d’épithète à plusieurs prophètes et fait également allusion à la « Voie du
Milieu ». Il caractérise, entre autres, le patriarche Joseph, Marie et Abu
Bakr qui sont en relation avec la « gauche ». Du temps d’Ibn Arabî,
c’est Abu Madyan qui représentait la fonction de l’Imâm de gauche et c’est par
son intermédiaire que le Cheikh al-Akbar fut vraisemblablement mis en contact
avec le centre suprême auquel son « investiture » pourrait
correspondre au moment où cet Imâm lui déclare à propos de son état (hâl) : « Rattache-toi uniquement
à Allâh, car aucun de ceux que j’ai rencontrén’a autorité sur toi pour ce qui
te concerne : c’est Allâh qui t’a pris en charge (…) » (C. A.
Gilis, Études complémentaires sur le
Califat, p. 102).
(5) On sait que la
Lune est à la fois Janua Cœli et Janua Inferni. Diane et Hécate :
« la Sphère de la Lune détermine la séparation des états supérieurs
(non-individuels) et des états inférieurs (individuels) ; de là le double
rôle de la Lune comme Janua Cæli (…) et Janua Inferni, ce qui
correspond d’une certaine façon à la distinction du dêva-yâna et du pitri-yâna » (L’Homme et son devenir selon le
Védantâ, p. 169, n.1).
(6) Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch. IV, p. 52,
n. 1 ; « …il convient d’ajouter que, depuis que ce principe est
devenu invisible aux hommes, le sacerdoce représente aussi extérieurement le
“monde céleste” ».
(7) La Grande Triade, ch. XVII. Le caractère féminin
du Califat ésotérique est en relation avec l’aspect Yin de la royauté, ce qui témoigne de la parfaite orthodoxie de la
tradition musulmane au regard de la tradition universelle. Mais il faut
reconnaître que Mr Gilis a tendance à renverser le rapport de polarité entre
celle-ci et celle-là, ce qui relève peut-être de sa formation juridique
profane.
(8) Le Symbolisme de la Croix, ch. IV, p.
36-37. Dans la tradition islamique, le Soleil est le pôle d’Idrîs (Hénoch)
occupé par Ibn Arabî lorsqu’il fait la louange d’Adam (Lune), d’Abraham
(Saturne), du Christ (Mercure), de Joseph (Vénus), d’Aaron (Mars), et de Moïse
(Jupiter) ; voir L’Islam et la
fonction de René Guénon, p. 189, n.49. L’expression coranique « Ar-Rahmân s’établit sur le Trône (istawâ ‘alâ-l-Arsh) » évoque l’Equateur
(Khatt al-istiwa) et la « Croix
verticale » : « Le Tout-Miséricordieux se tient en majesté sur
le Trône ; Lui appartient : ce qui est dans les Cieux, ce qui est sur
la Terre, ce qui est entre les deux et ce qui est sous la Terre » (Cor.
20, 5-6) – cité par C.-A. Gilis in Les
sept Etendards du Califat, p. 16, n. 12). Toutefois, « Le plan de
l’équateur, supposé [symboliquement] horizontal, représente alors (…) le
domaine d’expansion de rajas [qui
symbolise le « monde de l’homme » (mânava-loka)],
tandis que tamas et sattwa tendent respectivement vers les deux
pôles, extrémités de l’axe vertical » (Le
Symbolisme de la Croix, ch. V).
En outre,
« Le trône est, en tant que siège, équivalent en un sens à l’autel,
celui-ci étant le siège d’Agni ; le chariot cosmique est aussi
conduit par Agni, ou par le Soleil, qui a alors pour siège la “caisse”
du chariot ; et, pour ce qui est du rapport de l’ “Axe du Monde” avec
l’antariksha, on peut encore remarquer que, quand l’autel ou le foyer est
placé au-dessous de l’ouverture centrale de la voûte d’un édifice, la “colonne
de fumée” d’Agni qui s’en élève et sort par cette ouverture représente
cet “Axe du Monde” » Symboles de la
Science Sacrée, Ch. XL, p. 251).
(9) L’orientation
vers le sud est « retournée » par rapport à l’orientation vers le
Nord et l’une et l’une et l’autre peuvent être respectivement mises en rapport
avec l’ordre terrestre et l’ordre céleste (Le
Sceau des Saints de M. Chodkiewicz, p.125 n. 2 ; Les Sept Étendards du Califat de C.-A. Gilis, p. 171 n. 7). L.
Barmont ne tient pas compte de cette orientation dans son étude sur la
« Melancolia ». En outre, il place Vénus à l’Occident, ce qui est
inexact et assez révélateur. Le « retournement » est désigné en arabe
par le terme inqilab, qui désigne
également l’axe solsticial. « Le Nord est désigné comme le point le plus
haut (uttara), et c’est d’ailleurs
vers ce point qu’est dirigée la marche ascendante du soleil, tandis que sa
marche descendante est dirigée vers le Sud, qui apparait ainsi comme le point
le plus bas » (Symboles de la
Science Sacrée, ch. XXXV, p. 223). La période ascendante du cycle annuel
« se déroule en allant du Nord (solstice d’hiver) à l’Est, puis de l’Est
au Sud (solstice d’été) » : c’est la « voie des dieux »
symbolisée par la caravane d’hiver de la sourate 106 qui se dirige vers le Yémen
(Sud) ; et la période descendante du cycle annuel « se déroule en
allant du Sud (solstice d’été)à l’Ouest, puis de l’Ouest au Nord (solstice
d’hiver) » : c’est la « voie des hommes » symbolisée par la
caravane d’été qui se dirige vers la Syrie (Nord) et qui représente la modalité
du voyage des Abdals (cf. M. Chodkiewicz ; Un Océan sans rivages, p. 97-98). Par
ailleurs, dans L’Interprète des Désirs,
Ibn Arabî met l’Est en rapport avec l’Iraq (trad. M. Gloton, p. 209) et comme
le symbolisme de la Kaabah est
constitué de trois angles : syrien (Nord), yéménite (Sud) et irakien
(Est), l’angle de la Pierre noire doit alors correspondre à l’Occident,
c’est-à-dire que l’orientation de la Kaabah
est « retournée » par rapport à celle des points cardinaux
« terrestres ». A propos de la Syrie et du Yémen, Guénon a écrit
(sous la signature AWY) : « Il est dit que les Colonnes d’Hénoch, ou
de Seyyidnâ Idrîs, comme il est appelé dans la tradition islamique, ont été
construites par lui en
deux matériaux différents, l’un pouvant résister à l’eau et l’autre au
feu ; sur chacun était gravé l’essentiel de toutes les sciences. Il est
dit qu’elles furent placées respectivement en Syrie et en Ethiopie, et que
celle qui avait résisté aux eaux du Déluge existe encore en Syrie. En fait la
Syrie est ici rapportée au Nord, en connexion avec l’Eau [qui est Yin] et l’Ethiopie au Sud, en connexion
avec le Feu [qui est Yang] : cela
justifie donc pleinement la relation établie entre les colonnes d’Hénoch et
celles du Porche [c’est-à-dire les deux « colonnes placées à l’entrée du
Temple de Jérusalem » – cf. La Grande
Triade, chap. VII, p. 58, n.
3]. D’autre part, partout où se trouve deux colonnes, elles auront en
commun une signification générale “binaire” que ces colonnes soient de Salomon,
d’Hénoch, d’Hercule, etc. (…) On peut également remarquer que la Syrie et
l’Ethiopie dans la tradition précitée, ne s’identifient pas nécessairement avec
les pays actuellement connus
sous ces noms, car elles ont elles-mêmes un sens symbolique et caché : en
tout cas les colonnes d’Hénoch représentent deux centres spirituels et
initiatiques auxquels était confié le dépôt de la connaissance primordiale, en
vue de les préserver au cours des époques successives », et nous
contenterons d’ajouter que le numéro de la sourate qui est à l’origine de cette
note est identique au nombre du vocable Nûn
(=106). Yâ jami‘a-l-amr bayna-l-kâf
wa-n-nûn, invoque Sîdî Bel Ahsân (cf.
Etudes complémentaires sur le Califat, p. 18).
(10)
Le Symbolisme de la Croix, ch. VI, p.
57-58. Suite à ce que nous avons indiqué ci-dessus à la note (8), la considération du plan de l’Equateur fait
manifestement allusion au symbolisme enveloppant (Muhît) du Trône puisque le domaine d’expansion de rajas reproduit géométriquement la croix
horizontale, et nous retrouvons ainsi les deux aspects « intérieur »
et « extérieur »du
symbolisme du Trône que lui reconnait Abd al-Karim al-Jîlî (cf. Traité sur le Nom Allâh d’Ibn ‘Atâ Allâh al-Iskandarî,
trad. M. Gloton (p. 268, Paris 1981). Selon ce maître, certains çûfî affirment que le trône est le corps
universel (al-jism al-kulli),
c’est-à-dire le Corpus Mundi (cf. La Grande Triade, ch. XI) or, il a
bien une analogie entre ces deux symboles puisqu’Ibn Arabî fait dire au
corbeau : « Je suis la forme de la sphère céleste et le lieu de la
Royauté ; par moi, Il s’établit sur le Trône, aussi me donne-t-on le nom
de “lieu où il s’est établi (mustawâ)” »
– cf. le Livre de l’Arbre et des 4 oiseaux,
traduit par D. Gril, p. 69. Un
autre exemple d’analogie remarquable, pour l’objet de notre étude, est celui
qui est indiqué entre le maqâm de la
Forme divine et celui du Califat (qui, respectivement, se rapportent à l’Homme
véritable et à l’Homme transcendant) – cf.
Ibn Arabî : Les dévoilement des
Effets du Voyage, p. 17-18 et aussi Kitâb
et-Tajalliyyah-l-ilâhiyyah : Tajalliyah
XLII et LII.
Par ailleurs, le symbolisme du
« Trône » évoque aussi celui de Salomon qui constitue un des
héritages fondamentaux de la Maçonnerie, mais que Guénon n’a jamais qualifié d’« hébraïque »,
à notre connaissance en tout cas. Dans le Coran, il est question d’un autre
« Trône », celui sur lequel Joseph installe ses parents à ses côtés
et devant lequel se prosternent ses frères (Cor. XII, 100) ; et on peut se
demander si celui-ci n’est pas à la Maçonnerie d’Abraham ce que celui-là est à
la Maçonnerie de Nemrod. Selon Guénon, « Le trône est, en tant que siège,
équivalent en un sens à l’autel, celui-ci étant le siège d’Agni ; le chariot cosmique est aussi
conduit par Agni, ou par le Soleil, qui a alors pour siège la “caisse” du
chariot » (Symboles de la Science
sacrée, ch. XL, p. 251). Le symbolisme du char royal est présent dans
le roman chrétien intitulé Joseph et
Asneth, mais ce qui est tout à fait remarquable, c’est que le chariot et le
« Trône » sont également réunis dans le symbolisme hébraïque de la Merkabah dont Ezékiel a la vision, et
que la valeur numérique de nom d’Ezékiel (10 + 8 + 7 + 100 + 1 + 30) est la
même que celle de Joseph : 156.
Ceci étant dit, le verset coranique sur
le trône de Joseph est le centième de la douzième sourate ; or suivant
Guénon, « le centième grain [du rosaire islamique] devrait être rapporté à
l’“Ange de la Face” (qui est en réalité plus qu’un ange), Metraton ou Er-Rûh »
(Symboles de la Science sacrée, ch. LXI,
p. 354, n. 4) « qui s’identifie essentiellement à la “Lumière” (Er-Rûh) » et qui est placé au
centre du Trône (Al-Arsh) – cf. Aperçus sur l’ésotérisme islamique et le Taoïsme, ch. V.
« Son nom est “Le Commandement
d’Allâh” (Amr Allâh). De tous les
êtres existenciés, c’est le plus noble, celui dont le degré est le plus élevé
et la demeure la plus sublime… » (C-A Gilis : L’Esprit universel de l’Islam, ch. II, p. 19). SeyyidnâMîtatrûn est plus qu’un ange puisque « Er-rûh est désigné expressément et
distinctement à côté des anges (el-malâïkah) »
comme dans Cor. XLVIII, 4 et dans la formule rituelle Subbûhun Quddûsun Rabbu-nâ wa Rabbu-l-Malâ‘ikatiwa Rûh qui est
répétée 13 fois durant un rite nocturne comme si l’Ayyât al-Kursî(Cor. II, 255), qui y est inclus se substituait au 14ème (ibid., ch. XIV, p. 82).
Maintenant, Seyyidnâ Mîtatrûn est Ar-Rûh
el-Mohammadiyah et c’est de ce point de vue que devrait être interpréte l’épisode coranique
(XXXVIII, 21-26) concernant David et les 99 brebis (cf. Les Sept Étendards
du Califat, ch. XXX) dont le lien avec le « trône » de Joseph est
souligné par le fait que les deux épisodes se caractérisent par une
« prosternation » (le terme kharra
est cité 12 fois dans le Coran) et semble désigner la timor panicus (cf. Le Roi du
Monde, p. 19).
À vrai dire, l’épisode sur David et les
99 brebis reflète sans
aucun doute les « réserves » d’ordre fonctionnel illustrées par
l’épisode entre Khidr et Moïse qui peut être mis en correspondance avec le
symbolisme de la lettre yâ qui est
absente des lettres constitutives du nom d’Ishâq. À cet égard, l’histoire de
Joseph « scelle » le destin des Juifs et, comme elle se termine par
la « prosternation » de ses frères, la nature de ces
« réserves » coraniques sont à interpréter dans une perspective
cyclique. Quoi qu’il en soit, ces quelques indications très sommaires sont de
celles qui montrent sans aucune ambiguïté ce qui distingue le Coran de la
« Thorah hébraïque qui se rattache proprement au type de la loi des
peuples nomades » (Le Règne de la
Quantité et les Signes des Temps, ch. XXI). On pourrait en dire autant sur
l’épisode coranique sur la noyade de Pharaon qui, par une coïncidence assez
curieuse, est relaté dans une sourate (X) et un verset (90) dont l’addition des
nombres est égale à cent.
Dans la Thorah,
Pharaon ne prononce pas la Shahadah :
il est « maudit » ; seulement, le caractère
« implacable » de la loi hébraïque s’applique exclusivement aux
Juifs, et il nous appartient encore de ne pas les laisser enfermer le genre
humain dans leur malédiction en tenant compte de leur domination au sein de la
tradition occidentale et en éclairant
leur enseignement par le « Sceau » de tous les ésotérismes.
Enfin, signalons
pour terminer, qu’Ibn Arabî établi un rapprochement entre Seyidnâ Dâwûd et le Cheikh Abd al-Qâdir
al-Jîlânî et que cette question concerne le « gouvernement ésotérique »
du monde islamique à propos duquel personne, actuellement en Occident, ne
comprend rien (cf. Etudes complémentaires
sur le Califat, p. 62).
Précisons toutefois pour ceux qui se complaisent à constater la
dégénérescence « extérieure » de l’Orient afin de se convaincre
qu’ils sont bien les derniers représentants de l’élite que l’« action de
présence » orientale n’a jamais été menacée directement par la subversion
comme ce fut le cas en Occident, pour la simple raison qu’elle est et sera
toujours hors de sa portée. Quant à la prétention de ceux qui pensent
autrement, nous nous contenterons de la qualifier de « grossièreté
matérialiste », en précisant aussitôt qu’il ne s’agit, en aucune façon,
d’un propos insultant de notre part.
(11)
La Grande Triade, ch. XXV, p.
165-166. « Le centre de l’être total est le “Saint Palais” de la Kabbale
hébraïque (…), c’est, pourrait-on dire en continuant à employer le symbolisme
spatial, la “septième direction”, qui n’est aucune direction particulière, mais
qui les contient toutes principiellement. C’est aussi (…), le “septième rayon”
du Soleil, celui qui passe par son centre même, et qui, ne faisant à vrai dire
qu’un avec ce centre, ne peut être représenté réellement que par un point unique.
C’est encore la véritable “Voie du Milieu”, dans son acception absolue, car c’est
ce centre seul qui est le “Milieu” dans tous les sens » (La Grande Triade, ch. XXVI, p. 173).
« le sacerdoce est yang et la royauté yin »
RépondreSupprimerD’après ce qui précède, il semble que ce serait plutôt l’inverse, non ?
Yûsuf B. cite un extrait de la note 15 du ch. XVII, « Le Wang ou le Roi-Pontife » (La Grande Triade).
RépondreSupprimerVoici la note en entier :
« On pourrait se demander pourquoi nous ne disons pas plutôt « Pontife-Roi », ce qui semblerait sans doute plus logique à première vue, puisque la fonction « pontificale » ou sacerdotale est supérieure par sa nature à la fonction royale, et qu’on marquerait ainsi sa prééminence en la désignant la première ; si nous préférons cependant dire « Roi-Pontife », c’est que, en énonçant la fonction royale avant la fonction sacerdotale (ce qu’on fait d’ailleurs aussi communément et sans même y penser quand on parle des « Rois-Mages »), nous suivons l’ordre traditionnel dont nous avons parlé à propos du terme yin-yang, et qui consiste à exprimer l’« extérieur » avant l’« intérieur », car la fonction royale est évidemment d’ordre plus extérieur que la fonction sacerdotale ; du reste, dans leurs rapports entre eux, le sacerdoce est yang et la royauté yin, comme Ananda K. Coomaraswamy l’a fort bien montré dans son ouvrage Spiritual Authority and Temporal Power in the Indian Theory of Government, et comme l’indique d’ailleurs, dans le symbolisme des clefs, la position respectivement verticale et horizontale de celles qui représentent ces deux fonctions, ainsi que le fait que la première est d’or, correspondant au Soleil, et la seconde d’argent, correspondant à la Lune. »
Je vois, c'est plus clair ainsi, en effet. Très intéressant.
RépondreSupprimerMerci de votre réponse.
De rien. Il faut reconnaitre que ces "Aperçus ..." de YB ne sont pas d'une lecture facile.
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SupprimerOui, son point de vue est assez difficile à atteindre mais c'est précisément cette difficulté qui est très stimulante intellectuellement…
On peut se demander par exemple comment saisir sa pensée au sujet de Michel Vâlsan.
Il faudrait lire davantage qu’un seul article d' Y.B. (je voulais citer la page, mais je ne parviens pas à la retrouver) pour se faire une idée de l’ensemble, mais est-il correct de dire qu’il lui reproche une approche trop exclusivement de forme islamique (option 2) au détriment de l’option 3, ou c’est moi qui interprète ?
C’est délicat de répondre à la place de Yûsuf B. À vrai dire je ne sais rien de plus concernant ses intentions à l’égard de Michel Vâlsan que ce qu’il a écrit lui-même dans ses « Aperçus… » et dans l’article l’ « Alchimie humaine… ». Je ne l’ai jamais entendu dire du mal de Vâlsan (qu’il avait suivi durant un certain temps avant de s’éloigner). Pour YB, Vâlsan s’écartait de Guénon sur certains aspects doctrinaux et restait trop dépendant de l’exotérisme islamique, mais il ne lui reprochait absolument pas « une approche trop exclusivement de forme islamique ».
Supprimer(Désolé de répondre si tardivement, je viens seulement de découvrir votre commentaire.)
Layla Marie (impossible de commenter avec mon identifiant...)
RépondreSupprimer« Tempus fugit » !
Merci de votre réponse, j’avais oublié, mais surtout mal exprimé ma question. Je voulais dire au sujet de la 'pensée' de Michel Vâlsan, car il ne s’agissait pas pour moi d’impliquer leurs individualités dans une sorte d’opposition stérile, mais bien plutôt de comprendre les subtilités de leurs positions respectives. (si c’était possible...)
La « pensée » (de Vàlsan) correspond à son point de vue et c’est à l’égard de celui-ci que Yûsuf B a pris ses distances ; distance par rapport au shaykh Mustafa en tant que maître « guénonien » et surtout distance par rapport à ses disciples.
SupprimerLes critiques doctrinales qui apparaissent dans les « Aperçus sur le ‘Retournement’ » (et les autres articles) sont un sujet sensible et ne sont guère acceptées par les valsaniens, ce qui peut se comprendre.
Pourtant, les arguments que YB met en avant sur ces questions sensibles et sur tous les autres aspects sont selon moi importants et méritent d’être entendu, d’autant que c’est par des extraits de Guénon qu’ils sont essentiellement constitués.
C’est pour cette raison que j’ai mis en ligne l’ensemble des écrits de Yûsuf afin qu’ils ne tombent pas dans l’oubli (au risque de déplaire à certains).