APERÇUS SUR LE
« RETOURNEMENT »
(Extrait)
Dans le Coran,
« la loi du talion » est généralement mise en relation avec l’idée de
« Vie » et cela peut s’expliquer par le passage suivant de
Guénon :
« Remarquons encore en passant (…) que l’on
pourrait, (…) donner une interprétation métaphysique de la parole bien connue
de l’Évangile suivant laquelle le Verbe (ou la “Volonté du Ciel” en action) est
(par rapport à nous) “la Voie, la Vérité et la Vie”. Si nous reprenons (…) notre
représentation “microcosmique” et si nous considérons ses trois axes de
coordonnées, la “Voie” (spécifiée à l’égard de l’être envisagé) sera
représentée (…) par l’axe vertical ; des deux axes horizontaux, l’un
représentera alors la “Vérité”, et l’autre la “Vie”. Tandis que la “Voie” se
rapporte à l’“Homme Universel”, auquel s’identifie le “Soi”, la “Vérité” se
rapporte ici à l’homme intellectuel, et la “Vie” à l’homme corporel (…) ;
de ces deux derniers, qui appartiennent l’un et l’autre au domaine d’un même
état particulier, c’est-à-dire à un même degré de l’existence universelle, le
premier doit ici être assimilé à l’individualité intégrale, dont le second
n’est qu’une modalité » (1).
Ces dernières
considérations peuvent s’appliquer aux deux axes solsticial et équinoxial et, à
propos de l’homme corporel, Guénon fait allusion à la transposition
suivante :
« Ces trois aspects de l’homme (dont les deux
derniers seulement sont “humains” à proprement parler) sont désignés
respectivement dans la tradition hébraïque par les termes d’Adam, d’Aish
et d’Enôsh » (2).
Le terme arabe
qui désigne le talion (qisâs) est
formé de la même racine que celle désignant le récit « tranchant » (qasas) et cette relation peut
s’expliquer par la « revanche d’Abel sur Caïn » dont l’histoire de
Joseph est la première occurrence qui peut être considérée comme
« modèle » de l’ascension spirituelle des législateurs du Kali-Yuga
voilée par la fonction prophétique. Du reste, on peut remarquer que par le
récit de sa vision, Joseph modifie son destin, en apparence du moins, ce qui
s’apparente avec le caractère « sacrificiel » du Verbe (kalâm).
Le nom Joseph
s’écrit avec les mêmes lettres (YWSF) en hébreu comme en arabe et leur valeur
numérique est identique (10 + 6 + 60 + 80 = 156), sans doute un cas unique
parmi les noms sémitiques. Dans la Kabbale, ce nombre 156 est celui d’Adam Alyâ (45 + 111), l’Homme
universel ; d’Ézéchiel (10 + 8 + 7 + 100 + 1 + 30) qui a la vision de la
Merkabah et qui est le pôle de la sphère du Soleil parmi les patriarches
Juifs ; ainsi que de Sion (90 + 10 + 6 + 50) qui représente le « Cœur
du Monde » pour les hébreux (3). Et Yûsuf est
identifié au cœur par Qâchânî (4).
En outre la
valeur numérique du Sâr ha-ôlam, qui
« signifie bien “Prince du Monde” au sens
absolu, c’est-à-dire de tout l’ensemble de la manifestation universelle,
exactement comme l’expression similaire de Melek
ha-ôlam » (5),
vaut 651 et ce
nombre est retourné par rapport à celui de Joseph (156). Or, à cet égard la
valeur numérique du Pôle suprême en Islam, al-Ghawth
(1 000 + 6 + 500) est assez proche de celle du nom de Joseph et on peut
remarquer que son premier songe est en rapport avec la hiérarchie
islamique : le Soleil et la Lune correspondent aux deux Imâms et les onze
étoiles aux sept Abdal et aux 4 Awtad. Enfin l’expression hébraïque Lob Eden (130 + 2 + 70 + 4 + 50) a
également 156 pour nombre, et l’Eden est le plus haut degré paradisiaque, celui
qui correspond à la Demeure du Roi (dâr
al-Malik)*
dans la doctrine akbarienne (6). Sans pouvoir nous
arrêter sur cet aspect ésotérique du patriarche Joseph, précisons que la
majorité des thèmes qui sont abordés dans cette étude sont en relation étroite
avec la sourate qui lui est consacrée dans le Coran.
Y. B.
NOTES
(1) Le Symbolisme de la Croix, ch. XXIII.
(2) Ibid. n. 9.
(3) Toutes
les correspondances kabbalistiques citées proviennent de G. Ruchet : Considération ésotériques sur les 12 fils de
Jacob (Joseph), Paris, 1992. Nous n’insiterons pas sur le caractère
parodique de cette étude qui participe à une volonté de
« renversement » de la Kabbale amorcée par G. Scholem et poursuivie
par Moshe Idel (cf. Le Golem, Paris
1992) sous l’égide de l’Université hébraïque de Jérusalem ; renversement
auquel la tradition hébraïque est tout particulièrement prédisposée puisque
c’est elle qui a « ordonné » la Chute.
(4)
Les Sept Étendards du Califat, p. 293, n. 26.
Toujours selon Qâchânî, Adam symbolise l’âme raisonnable (nâfs nâtiqah) universelle (al-kulliyât)
qui est le « cœur du monde » (qalb
al-‘âlam) (cf. P. Lory :Les Commentaires ésotériques du Coran,
Paris, 1980, p. 57- 59, 69, 72-73 ).
(5)
Comptes-Rendus, p. 208.
(6)
Cf. Asin Palacios :
L’Eschatologie musulmane dans la Divine
Comédie (Paris, 1992), p. 245 et 251. Al-Ghawth
c’est le Sceau des Califes (Khâtm
al-Khulafâ) que le sheikh Al-Akbar rencontre à Tunis (Futûhât I, p. 81). Sa fonction est permanente et il constitue avec
le sceau des engendrés et les trois sceaux conventionnels un ensemble de 5
degrés hiérarchiques : le Pôle suprême symbolisé par la lettre Alîf du nom d’Adam et les 4 awtad symbolisés par la lettre Dâl du père de l’humanité. La lettre mîm a pour valeur 40 qui est le nombre
de nujabâ (ou anjâb ; cf. Aperçus sur
l’Ésotérisme islamique et le Taoïsme, p. 66), qui n'« agissent que pour
le compte d’autrui » (cf. L’Islam et
la fonction de René Guénon, p. 187, n. 38). Ce nombre correspond aussi à celui
des compagnons du cheikh Abu-l-Hassan ash-Shadhulî qui symbolise également une
fonction permanente : « les trésors des quarante (khizânat al-arba‘in – cf. Hizb Cheikh Abî-l-Hasan). En effet,
dans son essence profonde, la Shadhuliyyah est à la lettre mîm ce que le Pôle suprême est à la lettre alîf occultée dans le yâ du
mîm.
La lettre yâ est représentée par une spirale
symbolisant la « Voie du Milieu » qui est au-delà de la « droite » et de la
« gauche » figurée par les deux points diacritiques qui représentent
les dualités cosmiques (hâ mîm) et
les deux mondes de la non-manifestation (hâ)
et de la manifestation (wâw) – Yâ Huwa est un vocable (Ô Soi) dont la
valeur numérique (10 + 1 + 5 + 6) est identique à celle du « nom
caractéristique » de Muhammad qui est Habîb
(8 + 2 + 10 + 2) Allâh,
c’est-à-dire-le « Bien-Aimé d’Allâh »
(cf. C-A Gilis : Marie en Islam, p. 68, n. 4 ; p.
87, n. 31 et p. 95, n. 19). Zacharie, en hébreu comme en arabe, se lit
« invocation du yâ » : il
s’agit de l’invocation de la nature primordiale qui gémit
« organiquement » de son éloignement spirituel. La relation entre la
lettre yâ et l’amour est figuré par
la lettre Vattan correspondante qui représente une coupe, symbole du cœur, en
forme de cornes de bélier, évoquant le feu qui embrase l’Orient et l’Occident
de la « Voie de la Terre » dont l’initié prend possession sans jamais
la souiller car elle est toujours « Vierge ». Yâ huwa est constitué de lettres qui se retrouvent dans le terme Yûh, le nom de l’ange qui gouverne le IVe Ciel, celui d’Idrîs (cf . Henri Corbin : Corps spirituel et Terre céleste, p. 172, n. 13 et p. 183) et qui
peut aussi être figuré par la spirale et les deux points souscrits du yâ car il semblerait être en
correspondance avec l’Étoile Polaire symbolisée dans la Maçonnerie par la
lettre G ou la lettre Iod, équivalent
hébraïque du yâ arabe, et qui «
pour le maçon opératif [représente] le siège effectif du Soleil Central Caché
de l’Univers Iah » (Symboles de la Science sacrée, ch. XVII,
p. 122). Dans cette perspective, alîf pourrait
correspondre à Saturne (Adoni Tsedeq),
yâ au Soleil (Kohen Tsedeq) et nûn à la
Lune (Melki Tsedeq).
* C‘est de Hadrat al-Malik que provient l’Ange qui
inspire Ibn Arabî à la rédaction des Futûhât
al-Makkiyya (Éd. Boulaq, p. 51, ligne 24). [Note rajoutée par l'auteur]
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