CHAPITRE XI
« L’ARBRE
DE LUMIÈRE »
Selon l’Imâm Jazûlî, le
Coran possède 6666 versets, et le nombre 6 multiplié par 4 donne celui de la
sourate 24 intitulée « La lumière » (al-nûr). Dans une étude
intitulée « Le commentaire du verset de la Lumière d’après Ibn
Arabî », Denis Gril écrit : « Ibn Arabî fait correspondre
les quatre éléments du [verset de la Lumière] : la niche, le verre [ou le
cristal], le flambeau et l’huile, et le cinquième, l’arbre, source de la
lumière, avec les quatre noms divins opposés deux à deux et le Huwa,
le Soi divin ; dans [l’autre] verset (Cor. 57, 3) : “Lui est le
premier et le Dernier, l’Extérieur et l’Intérieur, et Il est au sujet de toutes
chose Très Savant” ».
En l’occurrence, il
s’agit du verset 35 de la sourate « la Lumière » (1) :
« Allâh est la lumière des Cieux et de la Terre.
Le symbole de Sa Lumière est une niche [Le Premier] dans laquelle se trouve un
flambeau, un flambeau [L’Extérieur] placé dans un cristal [le Dernier] qui est
comme un astre brillant ; le flambeau prend son feu d’un arbre béni [Huwa],
un olivier qui n’est ni d’Orient ni d’Occident, et dont l’huile [L’Intérieur]
est prête à luire quand même le feu ne la touche pas : Lumière sur
Lumière ! Allâh guide à sa lumière celui qu’Il
veut ! Et Allâh propose aux hommes des symboles, car au
sujet de toutes choses Allâh est Très-Savant (2) ».
Nous ne nous attarderons pas sur le contexte de
la révélation de cette sourate, (rétablissant la vérité sur ‘Aîchah, « la
femme calomniée ») ; nous retiendrons la « Parole du Soi »
ou l’« Âme raisonnable » (nafs natiqah) (3) et les quatre témoins : la « Poitrine » (çadr),
qui correspond à la Niche (Est) ; le Cœur (qalb), qui correspond au
Cristal (Ouest) ; l’ « Esprit » (rûh), qui correspond au
Flambeau (Sud), et enfin, le « Secret » (sirr) , qui
correspond à l’ « Huile » (Nord) (4). À cet égard, Qâchânî parle de différentes
stations en rapport avec le « rapt essentiel » et des localisations
du luz dans la tradition hébraïque ; on trouve d’ailleurs des
choses tout à fait analogues dans le Tantrisme (5).
« Pour ce qui est d’Agni, il y a
encore quelque chose de plus : il est lui-même identifié à l’“Arbre du Monde”,
d’où son nom de d’anaspati ou “Seigneur des arbres” ; et cette
identification, qui confère à l’“Arbre” axial une nature ignée, l’apparente
visiblement au “Buisson ardent”, qui, d’ailleurs, en tant que lieu et support
de manifestation de la Divinité, doit être conçu aussi comme ayant une position
“centrale”. Nous avons parlé précédemment de la “colonne de feu” ou de la
“colonne de fumée” d’Agni comme remplaçant, dans certains cas,
l’arbre ou le pilier comme représentation “axiale” (…) A.K. Coomaraswamy cite à
ce sujet un passage du Zohar où l’“Arbre de Vie”, qui y est
d’ailleurs décrit comme “s’étendant d’en haut vers le bas”, donc comme inversé,
est représenté comme un “Arbre de Lumière”, ce qui s’accorde entièrement avec
cette même identification ; et nous pouvons y ajouter une autre concordance
tirée de la tradition islamique et qui n’est pas moins remarquable. Dans
la Sûrat En-Nûr, il est parlé d’un “arbre béni”, c’est-à-dire
chargé d’influences spirituelles, qui n’est “ni oriental ni occidental”, ce qui
définit nettement sa position comme “centrale” ou “axiale” ; et cet arbre
est un olivier dont l’huile entretient la lumière d’une lampe ; cette lumière
symbolise la lumière d’Allah, qui en réalité est Allah lui-même,
car, ainsi qu’il est dit au début du même verset, “Allah est la
Lumière des cieux et de la terre”. Il est évident que, si l’arbre est ici un
olivier, c’est à cause du pouvoir éclairant de l’huile qui en est tirée, donc
de la nature ignée et lumineuse qui est en lui ; c’est donc bien, ici encore,
l’“Arbre de Lumière” dont il vient d’être question. D’autre part, dans l’un au
moins des textes hindous qui décrivent l’arbre inversé, celui-ci est
expressément identifié à Brahma ; s’il l’est par ailleurs
à Agni il n’y a là aucune contradiction, car Agni,
dans la tradition védique, n’est qu’un des noms et des aspects de Brahma ;
dans le texte coranique, c’est Allah sous l’aspect de la
Lumière qui illumine tous les mondes.
[En note :]
Cette Lumière est même, d’après la suite du texte, “lumière sur
lumière”, donc une double lumière superposée, ce qui évoque la superposition
des deux arbres dont nous avons parlé plus haut ; on retrouve encore là
“une essence”, celle de la Lumière unique, et “deux natures”, celle d’en haut
et celle d’en bas, ou le non-manifesté et le manifesté, auxquels correspondent
respectivement la lumière cachée dans la nature de l’arbre et la lumière
visible dans la flamme de la lampe, la première étant le “support” essentiel de
la seconde » (6).
NOTES
(1) 35 est le « retournement » de 53 qui est le nombre de
la sourate L’Étoile dont la clé akbarienne traite de la «Vision »
(al-ru‘yah). Cette valeur numérique (53) évoque aussi le nom
paradisiaque du Prophète (Ahmed = 1 + 8 + 40 + 4) et la désignation
de la catégorie des afrâd (hâmid= 8 + 1 + 40 + 4 « Celui qui
est louangé ») ainsi que la postérité spirituelle (ibn = 1 + 2 + 50) et l’expression métaphysique Huwa lâ Huwa (11+ 31 + 11
« Lui n’est pas Lui »).
(2) Traduction des Commentaires de Qâchânî par M. Vâlsan (ET. 1973,
p. 102). Ce verset illustre ce que nous avons dit au sujet de la droite et de
la gauche en ce qui concerne les Cieux et la Terre et l’Orient et l’Occident.
On peut remarquer que la fin de ce verset est identique à Cor., 57,
3 : wa huwa bikullî sha‘in alîm.
(3) Qâchânî parle de nafs qudsiyah (ibid.,
p.103) ce qui semble être une autre désignation de la nafs nâtiqah que
Mr Gilis a mis en rapport avec l’antar-yâmî des hindous (René
Guénon et l’avènement du troisième sceau, chap. III. En effet :
« Le Principe immuable est (…) ce qui donne
au mouvement son impulsion première, et aussi ce qui ensuite le gouverne et le
dirige, ce qui lui donne sa loi, la conservation de l’ordre du Monde n’étant en
quelque sorte qu’un prolongement de l’acte créateur. Il est, suivant une
expression hindoue, l’“ordonnateur interne” (antar-yâmî), car il dirige
toutes choses de l’intérieur, résidant lui-même au point le plus intérieur de
tous, qui est le Centre » (Symboles de la Science Sacrée, ch. VIII,
p. 71).
(4) Selon M. Vâlsan, « le çadr [Premier]
désigne l’enveloppe subtile la plus extérieure du qalb [Dernier] »,
et la Station du Secret « est située entre celle du Cœur (al-qalb)
et celle de l’Esprit (al-rûh) [extérieur], et il est dit que le sirr [intérieur]
est un point très fin situé dans le cœur dont il constitue en quelque sorte la
quintessence » (ibid., p. 10, notes 7 et 8).
(5) La doctrine islamique des hadarat (Présence divine) est
analogue à celle hindoue des enveloppes (kosha) d’Atmâ. On sait
que le symbolisme du vêtement est en relation avec Métatron (Ibn Arabî : Le livre de l’extinction dans la
contemplation, trad. M. Vâlsan, p. 26, note 4). Selon la tradition arabe, la tunique de Joseph est
celle qui a protégé Abraham du feu dans lequel Nemrod l’avait précipité (cf. Faïka
Croisier : l’Histoire de Joseph d’après un manuscrit oriental ;
Genève, 1989, pp. 22-23). En ce qui concerne le Tantrisme, on pourrait établir
une certaine analogie entre les centres subtils (latâif) évoqués ici et
les différents chakras que traverse Kundalinî, c’est-à-dire
l’aspect de Shakti considéré comme une force cosmique et qui agit dans
l’être humain comme une énergie vitale. Ainsi Sahasrâra qui
est « localisé » à la couronne de la tête et qui correspond au sephirot suprême,
c’est-à-dire Kether dont le nom signifie la
« couronne », pourrait être en relation avec la nafs
natiqah qui, selon le cheikh Muhammad Amîn al-Kurdî al-Shatî
al-Naqshabandî, est située « symboliquement dans la première enceinte (al-bâtinu-l-awwalu)
du cerveau (al-dimâgh) appelé aussi « le chef » (al-raîs) »
(trad. partielle du Tanwîr al-qulûb par M. Vâlsan).
Ensuite, l’ensemble de Hokmah (Sagesse)
et Binah (Intelligence) qui correspond à l’âjnâ chakra dont la
« localisation » se réfère à l’ « Œil de la connaissance »
pourrait être mis en rapport avec le Sirr Hesed (Miséricorde) et Geburah (Justice), qui correspondent à Vishuddha,
seraient en connexion avec l’Esprit (al-Rûh), et Tiphereth, qui
correspond à Anâhata, se réfère au symbolisme du cœur (qalb) ; Netsah et Hod, qui correspondent aux
hanches et à la région ombilicale, sont en connexion avec Manipûra et la « poitrine » (sadr). Certes il y a 7 chakras
et 10 sephirots ; mais il ne
faut oublier que le centre de la Croix est la représentation de l’axe vertical
constitué de deux pôles (Études sur l’Hindouisme, p. 41 à 43).
(6). (Symboles de la Science Sacrée, chap. LI, pp.
309-310). L’arbre inversé de l’ésotérisme islamique semble correspondre à
l’arbre Tûbâ (L’Arbre du Monde, trad.
M. Gloton, p. 13 à 15) ; A. Palacios en signale encore deux autres (L’Eschatologie musulmane, p. 247-249, n.
2).
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