CHAPITRE XIV
L’« ACTION DE PRÉSENCE »
Les remarques que
nous avons formulées à propos de Michel Vâlsan n’ont aucune incidence réelle
dans ses travaux sur le Cheikh al-Akbar, mais ceux-ci reflètent principalement
sa fonction de guidance ; et ceux qui lui reconnaissent une fonction
doctrinale autre que celle-là ne le font que pour mieux asseoir leur propre autorité
en se réclamant, par exemple, d’une pseudo « doctrine du Centre
suprême » afin, semble-t-il, de se distinguer des autres disciples de
Michel Vâlsan. Sa véritable fonction relèverait beaucoup plus directement de l’« action de
présence » et à cet égard, René Guénon a recueilli plusieurs
« héritages » dont le plus important ne vient pas du Dâr al-Islâm mais de l’Inde ; et,
en dépit des différences qui le distinguent du Maharshi, leurs « actions
de présence » comportent certaines affinités.
« Ce qu’il nous parait
spécialement important de remarquer, c’est que, en raison de son caractère de
“spontanéité” la réalisation de shri Ramana représente une voie en quelque
sorte exceptionnelle, et aussi que, sans doute à cause de cela même, il semble
exercer surtout ce qu’on pourrait appeler une “action de présence”, car, bien
qu’il réponde toujours volontiers aux questions qui lui sont posées, on ne
saurait dire qu’il donne à proprement parlé un
enseignement régulier. Ses disciples sont d’ailleurs extrêmement divers sous
tous les rapports et il laisse toujours à chacun la plus grande liberté, ce
qui, il faut bien le dire, produit des résultats fort différents aussi suivant
les individus ; mais, somme toute, n’est-il pas inévitable que chacun ne recueille
que les bénéfices qui correspondent à sa propre capacité ? » (1)
Malheureusement,
on ne trouve que fort peu de traces de cet héritage dans les travaux de Michel
Vâlsan, à commencer par cette notion d’« action de présence » à
laquelle est substituée celle, islamique, de taçarruf qui désigne le gouvernement du monde et qui concerne la
connaissance des différentes influences spirituelles par lesquelles
s’effectuent précisément ce gouvernement ésotérique (2).
Envisager
le domaine initiatique à travers des individualités, comme il le fait en ce qui
concerne la trahison de Victor Blanchard (3), est aux
antipodes de l’attitude de René Guénon et, dans ses « Remarques
occasionnelles sur Jeanne d’Arc et Charles VII » (3), ce maître
tient des propos sur le Roi de France (p. 118) et la Pucelle (p. 126) qui nous
paraissent si peu conciliables que c’est à se demander si ce n’est pas lui qui
remet « en cause la Sagesse divine elle-même » afin de se convaincre
du « signe de certaines limitations traditionnelles de la France elle-même
et de toute la civilisation occidentale », mais le problème n’est pas là.
Lorsqu’il envisage les trois hypothèses qui conditionnent le sort de
l’Occident, il ne tient pas compte du fait que celles-ci sont subordonnées à un
« changement de direction » qui doit correspondre à la fin de la
civilisation moderne (4) et
c’est très précisément dans le domaine des sciences traditionnelles dont
procède la doctrine des cycles que la référence à Guénon lui fait le plus
défaut (5).
NOTES
(1) Études sur
l’Hindouisme,
p. 171-172.
(2) Aperçus sur
l’Initiation,
chap. XLVI.
(3) Cf. Études
traditionnelles,
1971, p. 128.
(4) Introduction
générale à l’étude des doctrines hindoues, conclusion.
(5) À
titre de curiosité signalons que la date de la « Melencolia » (1514)
est séparée de 1879 par 365 années (Le
Théosophisme, p. 293 à 301) et elle permet
de retrouver les 4 âges du Christianisme :
Âge
d’or : 237 + 730 = 967
Âge
d’argent : 967 + 547 = 1514
Âge
d’airain : 1514 + 365 = 1879
Âge
de fer : 1879 + 182 = 2061
Et les 4 âges de
notre âge sombre : 1879 + 72 (Âge d’or) = 1951 + 54 (Âge d’argent) =
2005 + 36 (Âge d’airain)= 2041 + 18 (Âge de fer) = 2059. Bien évidemment ces
dates sont symboliques ; c’est-à-dire que leur ordre de réalité ne
correspond pas nécessairement à celui des apparences sensibles.
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[Note additionnelle]
RENÉ GUÉNON :
LE THEOSOPHISME - HISTOIRE D’UNE PSEUDO-RELIGION
(Librairie
Valois, Paris 1928) p. 295, note 3 :
« C’est-à-dire trois cent soixante-cinq
ans, ou plutôt, suivant la chronologie hébraïque, trois cent cinquante cinq
années lunaires (de trois cent cinquante-cinq jours), qui font seulement trois
cent quarante-cinq années solaires environ. Or, de 1534, date du schisme
d’Henri VIII, à 1879, date indiquée dans la prédiction d’Éliphas Lévi dont
allons parler, il y a exactement, en effet, trois cent quarante-cinq ans ; la
concordance est trop remarquable pour ne pas donner à penser que la date de
1879 a dû être calculée sur la base que nous venons d’indiquer. »