Denis Gril, Le serviteur de Dieu –
la figure de Mohammad en spiritualité musulmane, Éditions du Cerf.
C’est un ouvrage
important dont l’initiative revient à Francesco Chiabotti (maitre de
conférence) qui a organisé la réédition en un volume de tous les articles et
conférences que D. Gril a consacré au Prophète Mohammad durant ces vingt
dernières années dans différentes revues universitaires hexagonales et
étrangères. Il se compose de onze chapitres conséquents déclinant tous les
thèmes traditionnels relatifs au Prophète de l’Islâm. Il est inutile de nous
étendre sur la qualité du travail de cet auteur qui depuis longtemps représente
le meilleur de ce qui se publie sur le taçawwuf, Ibn ‘Arabî, les
maitres çûfî et l’Islâm. Bien qu’il n’y ait qu’un seul article
inédit, on découvrira ici des textes passés inaperçus en raison de leurs
diffusions limitées à des revues spécialement universitaires quasi
introuvables. Etant donné l’importance du sujet, il aurait été véritablement
excellent de recomposer ces articles dans un ensemble, ce qui aurait eut pour
effet d’effacer la « disparité de ton » dont prévient Gril en Avant-propos,
et peut-être aussi, de nous épargner de trop nombreuses citations
bibliographiques qui en alourdissent la lecture.
R. A. Nicholson, Le soufisme en 101définitions, Les
Éditions i, 2023.
Il s’agit d’une traduction d’un texte anthologique de R. A. Nicholson paru en 1906 dans le « Journal of the Royal Asiatique Society ». Cet orientaliste est à l’origine du mot « soufisme » pour traduire le terme arabe taçawwuf. Il fut aussi le premier à avoir qualifié le point de vue ésotérique et initiatique de l’Islâm par les termes fautifs de « mysticisme » et « mystique ». La moitié de ce petit ouvrage est consacrée à l’introduction du sujet par le directeur de la collection, J. Annestay. Sans rien omettre d’essentiel, ce dernier retrace les états successifs de l’ésotérisme en Islâm depuis le temps de la risalah et des premiers compagnons du Prophète, al-salaf al-çâlih, jusqu’à nos jours. Un complément a été ajouté dans la partie traduction afin de compléter le choix de Nicholson qui ne concerne que les deux premiers siècle de l’Hégire. On sait qu’à l’origine, la spiritualité pure de la Révélation ne se distinguait pas nettement de l’aspect « juridico-religieux » et que la séparation des deux domaines en ésotériques et exotérique se produisit par la suite vers l’époque où le terme arabe « taçawwuf » fit son apparition. Sachant l’imprécision et les connotations souvent confuses véhiculées par le terme de « soufisme », on comprend mal pour quelle raison l’éditeur les a maintenus ici dans les traductions des sentences des maitres çûfî. C’est notre seule remarque qui n’entame en rien l’intérêt de cette parution bienvenue au milieu de la quantité d’ouvrages de qualité médiocre saturant les rayons Islam en librairie.
* * *
Gérard Boulanger, ancien rédacteur en chef de la revue Totalité,
propose la traduction d’un livre de Marco Scatarzi* : Cap sur la
communauté ! (Éditions de La Nouvelle Librairie).
Ceux qui ne se laissent
pas impressionner par la propagande de la droite, ancienne, nouvelle,
catholique et autres, verront dans le point de vue et la volonté de G.
Boulanger (et M. Scatarzi) une caractéristique de certains courants se
réclamant de spiritualité qui, sur le fond, partagent l’incapacité d’effectuer
le « Retournement » propre à la voie initiatique. Les résultats de
cette limitation expliquent notamment les prétentions de Julius Évola dont
Boulanger, qui en a subi l'influence, fut le traducteur ; rien d'étonnant par
conséquent que ce dernier assimile sa démarche à une « quête
spirituelle » conçue hors de la forme traditionnelle qui devrait lui
correspondre. Peu de chose sépare la démarche de Boulanger de l’esprit de la
Réforme consistant à revenir à la « pureté des origines » par les moyens de la
volonté individuelle dont on sait que cela mène inéluctablement vers les
dérives et la contre-tradition. Cette méprise se trahit toujours par une
ou des signatures qui ne laissent subsister aucun doute quant à la nature
parodique des intentions en question, en l’occurrence ici, l'importance du
sentiment nationaliste et le nationalisme identitaire que l’on
voudrait substituer à la communauté traditionnelle.
*Marco Scatarzi est à
l’origine des éditions Passagio al Bosco et « l’espace identitaire »
Casaggi à Florence.
* * *
L’absence de fondement du concept de
laïcité.
Suite à la
séparation des Églises et de l’État, imposée en France le 9 décembre 1905,
l'État prétendument « laïc » n'autorisa plus aucune influence du
« Clergé » sur ses institutions, tout particulièrement sur l’école
publique. Cette décision idéologique, ne possède aucune base solide permettant
d’en valider l’autorité. Par contre, la volonté de couper toute relation
spirituelle avec la tradition chrétienne, sous le prétexte fallacieux de la
« liberté de culte »*, cache surtout une « intention totalitaire » qui
ne cessera de se confirmer avec plus ou moins de force, de propagande et de
contraintes. On sait que l’entreprise coloniale fut chargée d’exporter à
l’extérieur le bien fondé du « Progrès » en majesté et de la
« Civilisation » et, au moyen de cet ensemble, de conquérir par
annexion les peuples orientaux pour les convertir aux acquis de
l’« universelle modernité ». Suite à la Révolution de 89, un État se
voulant moderne présupposait un nationalisme établi porté par un peuple sous
influence et représenté par le jeu d’acteurs politiques. Nous savons
aujourd’hui que ces derniers sont majoritairement intéressés par le profit et
prêts à tout sous couvert d’être les garants d’une constitution parlementaire,
centralisatrice confortant leurs avantages. Nous savons aussi que ce régime dit
« démocratique » est issu de l’idéologie des « Lumières »
et s’inscrit dans le prolongement de la Réforme Protestante. L’Etat républicain
gardera d’ailleurs de celle-ci la sécheresse de son moralisme.
Mais la
psychologie et surtout la logique nous enseigne que ce qui est à l’origine de
cette volonté caractérielle de l’État (nation), c’est-à-dire l’avènement d’un
homme nouveau et son cortège de folie destructrice et de dénaturation sociale,
n’est qu’un « concept réactionnel », sans fondement stable, soumis
perpétuellement à de la réforme mentale, ne pouvant que réagir et n’étant
capable au fond que de s’essouffler dans les vaines agitations provoqués par
les remous des vagues idéologiques. D’où son besoin constant de nouveautés et
de modes. C’est bien là, au fond, tout ce qui constitue et motive cette volonté
destinée à subir les limites de son esprit d’opposition qui détermina son
mouvement originel. Lui attribuer la possibilité d’une alternative exigerait de
sa part d’être en capacité d’exprimer ou de manifester un principe indépendant
et souverain définissant le phénomène même de la révolte ; cela exigerait une
ontologie de la révolte. Or, en réalité, cette volonté d’ « être en
opposition » et d’agir en « réaction à », qui provoqua la
Révolution de 89 et ses redoutables conséquences, est intrinsèquement dépourvue
d’« être permanent », elle est dénuée de tout principe et logiquement
tributaire de tout ce à quoi elle s’oppose, et de fait, dépendante en tout ce
qu’elle est de son passé, c’est-à-dire, qu’elle est condamnée à se déterminer
exclusivement par le refus de ce qui fonde sa propre « présence
civilisationnelle », en l’occurrence judéo-chrétienne, enrichie comme on
voudrait nous le faire oublier, par l’héritage médiéval de la translatio
studiorum arabo-musulmane.
Cependant, l’arrogance
de la mentalité moderne semble ignorer qu’il existe une réalité des faits que
rien ne peut effacer, une mémoire qui n’est pas seulement individuelle et
collective mais qui, déterminante et souveraine, demeure inscrite au-delà de nous
même, présidant bon gré mal gré à toutes nos décisions, et cela jusque dans nos
pires fluctuations existentielles ; une mémoire qui perdure nécessairement et
contre laquelle les falsifications de l’histoire, officielle ou non,
demeureront à jamais impuissantes...
Puisqu’il semble plutôt compromis pour les défenseurs de l’État laïc d’avancer de véritables arguments en faveur du statut de leur « pseudo religion » athéiste** (car il n’est question dans tout ça que de croyance), qu’ils nous disent plutôt : Nous voulons, par la force et la terreur, abolir toutes les manifestations religieuses (et/ou traditionnelles) de la spiritualité, et même toute spiritualité et, afin d’atteindre notre but, nous internerons si besoin est tout ceux qui s’opposeraient à notre volonté !
Force est de
reconnaître que la teneur de ce discours aurait le mérite d’être plus clair.
* Sur la notion de
« liberté » :
« (…) la conscience ne peut saisir qu’une croyance à la liberté, et non la liberté elle-même, qui n’est pas de l’ordre des phénomènes mentaux ; (…) c’est perdre son temps que de chercher à argumenter psychologiquement pour ou contre la liberté ; cette question, parce qu’elle est au fond une question de ‟ nature”, n’est pas et ne peut pas être une question psychologique, et on devrait bien renoncer à vouloir la traiter comme telle. »
(R. Guénon : extrait du compte-rendu de livre (Revue
Philosophique - Mai-juin 1921-) : Nel mondo dello spirit.
— (Dans le monde de l’esprit.) 1 vol. in-8o, 252 pages, Società
Editrice « Unitas », Milan et Rome, 1919.)
** Religieux et
« pseudo-religieux »:
« Le point de vue religieux est
merveilleusement adapté à la mentalité de ce qu’on peut appeler « l’homme
déchu », c’est-à-dire de celui qui, par incapacité de s’attacher à la
vérité pour elle-même et d’une façon purement intellectuelle, éprouve le besoin
de « consolations » sentimentales, à travers lesquelles il pourra du moins
entrevoir cette vérité, indirectement et comme symboliquement, dans la mesure
où il en sera susceptible. – À un autre degré plus bas de cette déchéance
correspond le point de vue proprement moral, tel qu’il est envisagé surtout par
les modernes : c’est là une dégénérescence du point de vue religieux,
caractérisée par l’abandon des éléments intellectuels (constitutifs du dogme)
au profit exclusif des éléments sentimentaux ; ce caractère du
« moralisme » est particulièrement net dans le protestantisme, et
aussi dans le modernisme, dont les tendances fondamentales sont d’ailleurs les
mêmes que celles du protestantisme. »
(R. Guénon ; Notes inédites)
*
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Quelle est la source exacte de cette citation « Nous voulons, par la force et la terreur, abolir toutes les manifestations religieuses (et/ou traditionnelles) de la spiritualité, et même toute spiritualité et, afin d’atteindre notre but, nous internerons si besoin est tout ceux qui s’opposeraient à notre volonté ! » ?
RépondreSupprimerMerci pour votre remarque. Ce n'est pas une citation ; les guillemets ont été mis par erreur (je les ai retiré).
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