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vendredi 1 novembre 2024

TSONG TSEN GAMPO / C-R : Meftah : Clefs pour comprendre l’œuvre d’Ibn Arabi – les Futûhât al-Makkiyah –

 

 


ENSEIGNEMENTS

DU ROI

TSONG TSEN GAMPO

(Extraits)*

 

 


Les enseignements du Roi TSONG TSEN GAMPO, « Gardien du Dharma » et « Manifestation de Tchenrezi » se présentent en quarante chapitres, chacun étant composé de trois sentences.

 

  Présenté par Kunzang Tendzin





Chapitre : Les dix Dharma du rejet des fautes

et de

l’adoption des vertus

 

 

1 – Les trois Dharma qui détournent les moines de la voie

(Concerne surtout les moines mais aussi les « laics ».)

– Si, critiquant le sens du Vinaya, la discipline, nous ne gardons pas les vœux correspondants, voilà le Dharma qui détourne de la voie.

– Si, critiquant le sens des Sutra, nous ne lisons pas pour soi et si nous ne récitons pas pour les autres, voilà le Dharma qui détourne de la voie.

– Si, critiquant le sens de l’Abhidharma, nous n’aspirons pas à la connaissance du sens profond, voilà le Dharma qui détourne de la voie. 

 

2 – Les trois Dharma atteints par les démons

– Si, alors que nous ne mettons pas en pratique le Dharma, nous manifestons de l’orgueil, de la vanité (en se contentant de débattre), voilà le Dharma qui empêche la pratique, qui seule procure la maitrise de l’esprit.

D’après Sakya Pandita : « On reconnait le vrai savant à la maitrise de son esprit dompté ».

– Si, le méditant est distrait par la poursuite de biens (matériels), c’est alors le Dharma entaché par les poursuites du démon.

– Si, le « disciple » est habile dans les apparences, mais qu’au fond de lui-même, il ne demeure pas dans le respect des vœux, c’est alors le Dharma entaché par le démon. 

 

3 – Les trois Dharma dépourvus de sens

– Si, en vue de l’acquisition de la renommée, nous amassons richesses et  jouissances, c’est alors le Dharma dépourvu de sens.

– Si, en vue d’obtenir des richesses, nous trompons autrui, c’est alors le Dharma dépourvu de sens.

– Si, en vue d’obtenir de la nourriture, vous manifestons de l’avidité, alors le Dharma dépourvu de sens.


4 – Les trois Dharma en accord avec les Paroles du Bouddha

– Si, abandonnant la recherche de notre propre esprit, nous recherchons ailleurs que le Bouddha, voilà le Dharma en contradiction avec les Paroles du Bouddha.

– Si, laissant les êtres de côté, nous recherchons l’acquisition des vertus et des mérites  ailleurs (i.e. dans un objet autre), voilà le Dharma en contradiction avec les Paroles du Bouddha.

– Si, délaissant nos parents, nous développons la gratitude envers d’autres personnes, voilà le Dharma en contradiction avec les Paroles du Bouddha.

 

5 – Les trois Dharma dépourvus de risque d’erreur 

Si nous sommes capables de Refuge constant dans le Lama et les trois Joyaux, nous possédons alors le Dharma dépourvu de risque d’erreur.

Si nous sommes capables de rejeter fermement les dix « non-vertus »*, nous possédons alors le Dharma dépourvu de risque d’erreur.

* Les dix « non-vertus » :

- 3 non-vertus du corps : prendre la vie d’un être vivant, prendre ce qui n’a pas été donné, avoir des relations sexuelles inappropriées.

- 4 non-vertus de la parole : mentir, médire, proférer des paroles blessantes ou grossières, des paroles vaines.

- 3 non-vertus de l’esprit : pensées malveillantes, pensées envieuses, pensées fausses.

Si nous sommes capables de servir constamment le Lama avec notre corps, notre parole et notre esprit, nous possédons alors le Dharma dépourvu de risque d’erreur.

 

6 – Les trois Dharma en accord avec les Paroles du Bouddha

Si, de notre corps, nous gardons les vœux pris lors des Refuges ou des Initiations, nous possédons alors le Dharma en accord avec les Paroles du Bouddha.

Si, de notre parole, nous sommes capables de réciter les mantra et prières, nous possédons alors le Dharma en accord avec les Paroles du Bouddha.

Si nous sommes capables de placer l’esprit dans la concentration de la méditation, nous possédons alors la Dharma en accord avec les Paroles du Bouddha.

 

7 – Les trois Dharma qui nous abaissent

Si nous critiquons avec mépris la tradition des autres, voilà le Dharma qui nous abaisse.

Si nous éprouvons des doutes envers notre propre doctrine, voilà le Dharma qui nous abaisse.

Si nous pratiquons une fausse doctrine, voilà le Dharma qui nous abaisse.


8 – Les trois Dharma qui nous élèvent

Si, pratiquant les dons, nous savons garder les vœux de la discipline, nous possédons alors le Dharma qui nous élève. 

Si, faisant preuve de patience à l’égard des personnes hostiles dans des circonstances difficiles  et que nous développons l’effort, nous possédons alors le Dharma qui nous élève.

Si, plaçant l’esprit dans la méditation, nous connaissons sa nature véritable, nous possédons alors le Dharma qui nous élève.

 

9 – Les trois Dharma qui conduisent au sommet

Si, ayant rejeté l’attachement aux actes, nous contemplons la nature de l’esprit, alors nous possédons le Dharma qui conduit au sommet.

Si, rejetant la dévotion envers les esprits et les divinités nuisibles, nous pratiquons les Divinités, Manifestations des Bouddha, nous possédons alors le Dharma qui conduit au sommet.

Si nous purifions les mauvaises tendances, alors nous possédons le Dharma qui conduit au sommet.

  

10 – Les trois Dharma expliqués aux différentes catégories de disciples


Aux petits esprits, le Dharma enseigné est celui du contrôle de l’esprit.

 

Aux esprits moyens, le Dharma enseigné est celui de la vision et sa compréhension intérieure (vision de la shunyata).

 

Aux esprits excellents, le Dharma enseigné est celui de la Réalité complète du Bouddha, seulement accessible à l’élite.

 



* Cet Enseignement est diffusé dans la branche Sakyapa du Vajrayana du Dharma tibétain.

  


 

 


 

 

 

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Compte-rendu

 

 Meftah : Clefs pour comprendre l’œuvre d’Ibn Arabi – les Futûhât al-Makkiyah – par H. Redouane, aux Editions i.

 Abdelbaqi Meftah, dont l’ouvrage Al-mafâtih al-wujûdiyya wa al-qur‘âniyya li kitâb fuçûs al-hikam traduit par Abdallah Tournepiche a été largement présenté ici-même, revient dans une traduction de H. Redouane composée d’extraits du livre Buhûth hawla kutub wa mafâhîm al-shaykh al-akbar en parti traduits et publiés dans la revue Vers la Tradition. Deux chapitres inédits ont été sélectionnés pour figurer sous ce nouveau titre qui comprends ainsi quatre chapitres abordant, pour les deux premiers : l’« Eloge du shaykh al-akbar » et « De la structure d’ensemble de l’ouvrage al-Futûhât al-Makiyya du shaykh al-akbar Ibn ‘arabî » dont l’intérêt est d’avoir une analyse de la doctrine d’Ibn ‘Arabî pensée en langue arabe (comme pour l’étude que D. Tournepiche avait traduit pour les éditions Arma Artis sous le titre Les clés ontologique et coraniques des fuçûs al-hikam). D’ailleurs, dans cette dernière étude nous retrouvons des sujets déjà abordés par Meftah ; les deux chapitres suivants concernent la rencontre d’Ibn ‘Arabî avec Ibn Rushd. On se souvient que le shaykh al-akbar, alors âgé d’une vingtaine d’année et dont la renommée commençait déjà à se répandre en Andalousie, avait suscité la curiosité intellectuelle du célèbre commentateur d’Aristote qui manifesta le désir de s’entretenir avec lui. L’échange de ces deux savants (situé en 1180) fait l’objet d’une analyse sur leurs points de vue respectifs concernant spécialement la Résurrection des morts dont la divergence doctrinale se conclue par la parole du shaykh al-akbar : « Oui… et non ; entre le oui et non les âmes s’envolent hors de leurs corps ». Claude Addas avait  relaté cette rencontre dans La quête du Souffre Rouge mais sans donner plus de détail. Le troisième chapitre se répartie en différentes questions ayant trait à la Résurrection.

 L’importance de la vie posthume en Islâm est donnée dans la réponse à la question de l’Ange Jibrîl apparaissant sous les traits d’un jeune homme et demandant au Prophète Mohammad (‘as) : « Qu’est-ce que l’Imân (la Foi) ? C’est, répondit le Prophète : ‟croire en Allâh, en Ses anges, à l’autre vie, aux prophètes et à la Résurrection (ba‘th)” ». L’arabe ba‘th rendu par résurrection signifie suivant les contextes : envoie (l’ « envoie » dans la mission des prophètes), l’idée d’éveiller, de sortir de la torpeur de l’ignorance (d’où aussi l’acception idéologique de « réveil » au sens de renouveau ou de « renaissance » propres aux réformistes). Les Ikwân al-çafâ définissent ce terme par le réveil des corps qui sont morts, et aussi par l’éveil des âmes endormies dans l’insouciance et l’oublie, et qui après la mort, revivent des effets de l’ignorance.

Ce qui fait l’objet de l’étude de Meftah sont les significations telles qu’elles sont donnés par le shaykh al-akbar reposant sur quelques termes concernant la résurrection des morts, termes apparaissant notamment au chapitre 64 des Futûhât, comme : i‘âdah (restitution), ma‘âd (retour à l’existence de ce qui a péri) et mahsûs (tangible ou sensible).

Il existe plusieurs sens au terme ma‘âd. Pour le Kalam et le point de vue dominant en Islâm, celui-ci doit se comprendre comme le retour à l’ « existence » de ce qui a subi la mort. Il semble que l’on doit entendre la destruction du composé humain et de son « corps subtil », puis la « re-manifestation » de l’être dans état individuel dès lors qu’il n’a pas obtenu la Salut. Ce sens général est un équivalent exact du pretya-bhava de la doctrine hindoue. C’est par conséquent l’interprétation et la traduction de ce terme ba‘th associé à mahsûs et ma‘âd, c’est-à-dire l’idée de la « résurrection sensible » et de « retour » qui est susceptible d’erreurs et de dérives.

La résurrection et ses modalités furent longuement débattues par les falâsifah. Meftah introduit le sujet en présentant Ibn Rush (Averroès) déclarant dans sa réponse à l’Imâm Gazâlî que les philosophes anciens ne se sont pas prononcés sur cette question et que les prophètes, après Mûsâ, ont été les premiers à faire mention d’une « résurrection sensible ». Par résurrection sensible il faut sans aucun doute comprendre que ba‘th implique les organes des sens à la différence d’une conception de la résurrection qui ne concernerait que l’enveloppe subtile du défunt dégagée de toute mémoire produite par les organes sensoriels qui ont participé aux actions passées de son existence, ce qui, métaphysiquement, est une impossibilité. Le terme « sensible », qui semble  traduire mahsûs, utilisé par le shaykh al-akbar signifie tangible – avec l’idée « tombant sous le sens » ; c’est avec cette acception spéciale qu’il peut désigner spécialement le mode subtil de la condition individuelle, à savoir son « corps subtil ». Et nous savons avec l’ouvrage de Guénon concernant l’Erreur spirite que le plan subtil, au degré humain, possède des « prolongements » insoupçonnés et indéfinis.

Cette notion de « Résurrection sensible » ou « Résurrection des corps » et l’implication du terme ma’âd du chapitre 64 des Futûhât aurait mérité d’avantage de clarté. On peine en effet à comprendre ce qu’Ibn ‘Arabî  veut dire ici en raison semble-t-il du choix de certains termes par le traducteur (p. 77) : « Sache que les gens divergent à propos de la restitution (i‘âda) dont les croyants affirment qu’il s’agit d’une résurrection corporelle. Nous ne nous attarderons pas sur le point de vue de ceux qui considèrent la restitution et l’ultime constitution comme chose [purement] intelligible et immatérielle ; cette position est fausse, car elle procède de l’ignorance (…) ; ils affirment donc le principe intelligible et nient le principe sensible. Notre point de vue rejoint ces contradicteurs quant à l’affirmation d’une constitution spirituelle et intelligible, non pour les mêmes motivations mais parce que la mort de l’homme est en soi sa résurrection ; seulement, il s’agit de la petite résurrection. C’est en ce sens que le prophète – sur lui la grâce et la paix – a dit : ‟La Résurrection n’est rien d’autre que l’union des âmes individuelles à l’Âme universelle ; et tout cela je l’affirme au même titre que les contradicteurs” ». Meftah poursuit : « Le  ‟oui” adressé par Ibn ‘Arabî à Averroès concerne cet aspect de la question ; quant au ‟non”, il se réfère aux contradictions des spéculatifs avec les affirmations de la loi. Le Shaykh poursuit ainsi son propos :

 C’est sur ce point précis que divergent les partisans de la réincarnation, comme les autres (litt. comme ceux qui ne l’affirme pas) ; tous sont de rationalistes, adeptes de la spéculation, qui utilisent, en guise d’argumentation, le sens littéral des versets coraniques et des traditions prophétiques. (…) Aucun d’entre eux n’a établi de crédo sur la question sans parvenir à un aspect véridique. Ils ont partiellement saisi la signification du Législateur mais il leur a manqué cette connaissance détenue par d’autres qui confirme l’aspect sensible (mahsûs) de la résurrection corporelle, de la nature tangible de la Balance, du pont, du Paradis et de l’Enfer. (…) La science divine est ainsi plus étendue et plus accomplie ; la combinaison entre l’intellect et les sens, l’intelligible et le sensible procède d’une plus grande puissance et d’une perfection divine plus accomplie puisqu’ainsi, Dieu conserve sur chaque espèce des possibles, l’Autorité (hukm) de [Son Nom] le connaisseur du non-manifesté comme du manifesté et l’Autorité se Ses Noms : le Manifesté et l’Occulté…) ». N’ayant pas le texte original de Meftah à notre disposition, il est délicat de discerner où se situe la confusion manifeste qu’il est impossible d’attribuer au shaykh al-akbar. Ce concept de « réincarnation » arrive de façon incongrue et ne peut qu’engendrer le trouble qui vient s’ajouter à celui de l’idée « matière » et de « corps matériel » qui sont des conceptions modernes susceptibles d’induire en erreur car, et il est important de le souligner, le concept de « matière » n’existaient pas à l’époque d’Ibn ‘Arabî. Il est certain qu’en utilisant une telle expression, c’est-à-dire,  l’« aspect sensible de la résurrection corporelle » envisagée de cette façon peut rendre perplexe, non seulement sur le texte d’Ibn ‘Arabî lui-même, mais aussi sur le commentaire de Meftah venant à la suite : « (…) Pour résumer la position du Shaykh, la constitution terrestre est naturelle (tabî’yya) et élémentaire (‘unsuriyya) ; sa densité (kathâfa) domine sa subtilité (latâfa). La constitution dans l’Au-delà est semblable à celle d’ici-bas : elle est naturelle, sensible, intelligible et réunit l’âme au corps… ». Il est bien entendu que « semblable » dans ce contexte signifie analogue.

Plus loin, à propos de Mudâwî al-kulûm, nous trouvons encore des imprécisions dues à la traduction où il est question de la « sphère des constellations du zodiaque », c’est-à-dire du falak al-burûj qui est un « Ciel sans étoile » et doit donc se traduire par : la « Sphère des Tours zodiacales » ou « Sphère des Signes zodiacaux ». Il est fait aussi un usage abusif du mot adepte qu’il serait préférable de réserver aux awaliyah ou tout au moins aux shuyûkh ayant atteint un plus haut degré que celui de la « connaissance rationnelle et spéculative » du philosophe, fut-il Averroès lui-même.

Sachant naturellement que toute traduction ne peut donner satisfaction sous tous les rapports, ces quelques remarques n’entament en rien l’intérêt que l’on peut retirer de cet ouvrage.

 

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A propos de la Résurrection des morts * 

 

 « Quant à la ‟résurrection de la chair”, ce n’est, en réalité, qu’une façon fautive de désigner la  ‟résurrection des morts”, qui, ésotériquement (11), peut correspondre à ce que l’être qui réalise en soi l’Homme Universel retrouve, dans sa totalité, les états qui étaient considérés comme passés par rapport à son état actuel, mais qui sont éternellement présents dans la ‟permanente actualité de l’être extra-temporel” » (12)

 

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« (...) c’est ainsi que nous avons vu tout récemment, dans une revue que nous aurons la charité de ne pas nommer, le dogme catholique de la résurrection de la chair » interprété dans un sens réincarnationniste ; et encore c’est un prêtre, sans doute fortement suspect d’hétérodoxie, qui ose soutenir de pareilles affirmations ! Il est vrai que la réincarnation n’a jamais été condamnée explicitement par l’Église Catholique, et certains occultistes le font remarquer à tout propos avec une évidente satisfaction ; mais ils ne paraissent pas se douter que, s’il en est ainsi, c’est tout simplement parce qu’il n’était pas même possible de soupçonner qu’il viendrait un jour où l’on imaginerait une telle folie. Quant à la résurrection de la chair, ce n’est, en réalité, qu’une façon fautive de désigner la résurrection des morts, qui, ésotériquement (11), peut correspondre à ce que l’être qui réalise en soi l’Homme Universel retrouve, dans sa totalité, les états qui étaient considérés comme passés par rapport à son état actuel, mais qui sont éternellement présents dans la permanente actualité de l’être extra-temporel » (12)

 

 (11) Bien entendu, cette interprétation ésotérique n’a rien de commun avec la doctrine catholique actuelle, purement exotérique ; à ce sujet, voir Le Symbolisme de la Croix, 2e année, no 5, p. 149, note 4 [note 41].

 (12) Voir Pages dédiées à Mercure, 2e année, no 1, p. 35, et no 2, p. 66.

* Palingenius, « Les néo-spiritualistes ».

 

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« Nous ajouterons tout de suite que, si le Paradis est une prison pour certains comme nous l’avons dit précédemment, c’est justement parce que l’être qui se trouve dans l’état qu’il représente, c’est-à-dire celui qui est parvenu au salut, est encore enfermé, et même pour une durée indéfinie, dans les limitations qui définissent l’individualité humaine ; cette condition ne saurait être en effet qu’un état de privation pour ceux qui aspirent à être affranchis de ces limitations et que leur degré de développement spirituel en rend effectivement capables dès leur vie terrestre, bien que, naturellement, les autres, dès lors qu’ils n’ont pas actuellement en eux-mêmes la possibilité d’aller plus loin, ne puissent aucunement ressentir cette privation comme telle. On pourrait alors se poser cette question : même si les êtres qui sont dans cet état ne sont pas conscients de ce qu’il a d’imparfait par rapport aux états supérieurs, cette imperfection n’en existe pas moins en réalité ; quel avantage y a-t-il donc à les y maintenir ainsi indéfiniment, puisque c’est là le résultat auquel doivent aboutir normalement les observances traditionnelles de l’ordre exotérique ? La vérité est qu’il y en a un très grand, car, étant fixés par là dans les prolongements de l’état humain tant que cet état même subsistera dans la manifestation, ce qui équivaut à la perpétuité ou à l’indéfinité temporelle, ces êtres ne pourront passer à un autre état individuel, ce qui sans cela serait nécessairement la seule possibilité ouverte devant eux ; mais encore pourquoi cette continuation de l’état humain est-elle, dans ce cas, une condition plus favorable que ne le serait le passage à un autre état ? Il faut ici faire intervenir la considération de la position centrale occupée par l’homme dans le degré d’existence auquel il appartient, tandis que tous les autres êtres ne s’y trouvent que dans une situation plus ou moins périphérique, leur supériorité ou leur infériorité spécifique les uns par rapport aux autres résultant directement de leur plus ou moins grand éloignement du centre, en raison duquel ils participent dans une mesure différente, mais toujours d’une façon seulement partielle, aux possibilités qui ne peuvent s’exprimer complètement que dans et par l’homme. Or, quand un être doit passer à un autre état individuel, rien ne garantit qu’il y retrouvera une position centrale, relativement aux possibilités de cet état, comme celle qu’il occupait dans celui-ci en tant qu’homme, et il y a même au contraire une probabilité incomparablement plus grande pour qu’il y rencontre quelqu’une des innombrables conditions périphériques comparables à ce que sont dans notre monde celles des animaux ou même des végétaux ; on peut comprendre immédiatement combien il en serait gravement désavantagé, surtout au point de vue des possibilités de développement spirituel, et cela même si ce nouvel état, envisagé dans son ensemble, constituait, comme il est normal de le supposer, un degré d’existence supérieur au nôtre. »

 

* Ch. X : « Salut et Délivrance » (paru dans Études Traditionnelles, janvier-février 1950) ;  « Recueil posthume » - Annexe aux Livres et divers : Aperçus sur l’initiation -, éditions Œuvre de René Guénon.

 

 

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ÉTUDES TRADITIONNELLESnuméro spécial consacré à RENÉ GUÉNONJuil.- nov. 1951, Nos 293-295

Cette publication est le premier hommage rendu au « maitre » des études traditionnelles après sa mort. Nous en retenons seulement trois contributions :


- RENÉ GUÉNON PRÉCURSEUR 

Tous ceux qui ont connu René Guénon et qui, par leur compréhension attentive et fervente, ont gagné de l’entendre converser et parler, tous ceux-là possèdent mieux que les autres, le rare et précieux privilège de pouvoir retrouver, en relisant son œuvre, tous les aspects d’une pensée qui fut et qui demeure constamment rattachée à l’« essence inaltérable de ces principes suprêmes immuablement contenus comme il l’écrit lui-même, « dans la permanente actualité de l’intellect divin ».  Il suffit, en effet, d’ouvrir l’un de ses livres et d’y lire au hasard, pour se rendre compte à quel point René Guénon avait le sens de l’harmonie universelle et totale, de cette harmonie qui reflète dans la multiple diversité du monde et de la vie l’éternelle présence de l’immobile unité. Ainsi placé au vrai « Centre du Monde », au cœur vivant de toute initiation valable, René Guénon, avec une fermeté de pensée, une solidité de doctrine, une clarté d’expression et une rare puissance de  logique et de pénétration, a consacré sa vie à nous faciliter l’accès à tous les temples où se  conserve encore dans l’univers entier, la lumière de l’Esprit et de la Connaissance.

Or, pour accéder à cette Connaissance transcendante et divine, René Guénon ne cesse de répéter, et c’est là un de points essentiels qui donne à son message sa valeur effective, qu’elle ne peut être obtenue que par un effort strictement personnel. Les instructeurs, les mots et les écrits peuvent nous guider sans doute, nous servir de « support », mais, rigoureusement incommunicable, la Connaissance initiatique et suprême ne peut être atteinte seulement que par soi-même. Pour le parfait initié, la véritable sagesse ne consiste donc pas à cultiver l’illusoire vanité du savoir profane, d’encombrer sa mémoire d’idées plus ou moins fausses cueillies au champ d’autrui, mais à développer cette puissance de connaissance intérieure contre laquelle nulle force brutale ne saurait prévaloir. Cette puissance est supérieure à l’action et à tout ce qui passe. Etrangère au temps, elle est la conscience vivante de l’infrangible et sereine unité et la garant de notre éternité. 

Aussi, faut-il saluer en René Guénon un précurseur, dans le monde occidental, de cette renaissance des forces spirituelles dont il a tant besoin pour se régénérer, pour se purifier de toutes les erreurs qu’accumule dans les âmes, cet infernal artisan de désordre, de nausée et de désespérance qui est le matérialisme de la pensée moderne.

Nous savons toute l’énorme influence qu’a l’œuvre guénonienne pour contribuer à former cette élite intellectuelle nouvelle dont l’action peut encore assumer le salut de l’homme et la libération du monde menacé.

 « Il n’y a donc pas lieu de désespérer, écrit René Guénon. Et, n’y eût-il même aucun espoir d’aboutir à un résultat sensible avant que le monde moderne ne sombre dans quelque catastrophe, ce ne serait pas encore une raison valable pour ne pas entreprendre une œuvre dont la portée réelle s’étend bien au delà de l’époque actuelle. Ceux qui seraient tentés de céder au découragement doivent penser que rien de ce qui est accompli dans cet ordre ne peut jamais être perdu, que le désordre, l’erreur et l’obscurité ne peuvent l’emporter qu’en apparence et d’une façon toute momentanée, que tous les déséquilibres partiels et transitoires doivent nécessairement concourir au grand équilibre total, et que rien ne saurait prévaloir finalement contre la puissance de la vérité ; leur devise doit être celle qu’avaient adoptée autrefois certaines organisations initiatiques de l’Occident :

« Vincit Omnia Veritas ».

 

Mario Meunier 

 

 

- Luc Benoist : PERSPECTIVES GÉNÉRALES

Après avoir rendu compte de l’œuvre par un résumé de chacun de ses ouvrages, Benoist conclue : « (…) Sans doute est-il difficile de dire quel sera le destin historique de René Guénon. Il suivra sans doute dans son aspect formel le destin de la langue et de la culture dont cette langue fut l’expression. Mais ce qui est certain, c’est que nulle œuvre humaine ne s’est assurée en elle-même une garantie plus sûre de survie, par son attachement intégral à ce qui est la Vérité ».

 

- Michel Vâlsan : LA FONCTION DE RENÉ GUÉNON ET LE SORT DE L’OCCIDENT

Il est beaucoup question de « fonction », de l’état et du déclin du christianisme et de la « constitution de l’élite ». Au sujet des « réflexions » concernant les possibilités de la constitution de l’élite, Vâlsan leur reconnait, au terme de son long développement, « un caractère trop hypothétique et abstrait », mais néanmoins il était important, précise-t-il, de les avoir formulé pour tenter de « circonscrire d’une façon très générale la signification » que pouvait avoir « la cessation, à ce moment, de la fonction personnelle de Guénon ». En effet, les indications de Guénon données par correspondance à Vâlsan ont joué pour lui un rôle décisif, notamment pour ce qui concerne la prise d’indépendance de sa tariqah à l’égard du groupe shuonnien. Cependant, si elles cessèrent avec sa disparition, l’œuvre de Guénon restait. À propos de cette correspondance, le fait qu’elle soit maintenue « sous le boisseau », laisse supposer qu’elle ne doit pas revêtir une grande importance et sans doute aucune information autres que celles qui ont permis à Vâlsan de développer les éléments présents dans cet hommage et dans son autre articles qui semble lui faire suite, « L’Islâm et la fonction de René Guénon » (publié dans Études Traditionnelles, janv.-fev.1953). 

Il faut reconnaitre que cinquante années plus tard, si le « sort de l’Occident » s’est encore irrémédiablement enfoncé dans la « barbarie », voire la démence, beaucoup de choses imprévisibles au début des années cinquante se sont modifiées de telle sorte qu’aujourd’hui, les conditions de la présence des vérités traditionnelles et surtout leur accès initiatique en Occident, n’ont plus grand chose à voir avec celles qui prévalaient à l’époque de Guénon.

 

 

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