LA SCIENCE DES LETTRES
CHEZ
IBN ARABI ET RENÉ GUÉNON
INTRODUCTION
La science des
lettres, qui est l’un des aspects essentiels de la doctrine soufie, est
développée par le Sheikh al-Akbar Ibn Arabi (1165-1240 JC / 560-638 H)
dans plusieurs de ses écrits (1) en
particulier dans certains chapitres (parmi les 560 chapitres que comprend
l’ouvrage) de son œuvre immense et fondamentale : Les Illuminations de La Mecque (al-futûhât
al-makkiyya) (2). La complexité, la
technicité, la densité et l’étendue littéralement sans limites de cette
science, ne permettent pas d’exposer en détail les lignes principales de cet
océan sans rivage. L’explication de ses principes fondamentaux nécessiterait à elle seule un ouvrage spécial. Pour donner une idée de l’immensité de cette
science, Ibn Arabi signale que l’une de ses sections comporte à elle seule 3540
questions (3)
On notera
d’abord qu’Ibn Arabi ne se pose pas la question classique de l’origine du
langage, produit d'une institution divine ou d'une convention humaine. En
effet, pour lui, tous les noms et mots sont des Noms et des Paroles divines de
toute éternité, comme tous les êtres sont ses Paroles inépuisables (4).
On retrouve
cette même conception chez René Guénon (1886-1951) qui a exposé les lignes
directrices indispensables pour aborder la science des lettres. Il a écrit sur
ce sujet six articles : « La Science des lettres », « Angélologie
de l’alphabet arabe », « La langue des oiseaux », « Les
mystères de la lettre Nûn »,;
« Un hiéroglyphe du pôle », et « Chirologie dans l’ésotérisme
islamique » (5).
Et dans son article « Er-Rûh » (6) (l’Esprit Universel), il a aussi
donné un exemple d’un symbolisme très important concernant les deux premières
lettres de l’alphabet arabe. Dans les titres de ces articles, on décèle déjà
les trois principales catégories des lettres et de leurs sciences.
LES TROIS CATEGORIES DE LETTRES
La première
catégorie : les lettres mentales.
La première
catégorie est celle de la « langue des oiseaux », constituée par
les « lettres mentales (fikriyya) ». C’est la langue
primordiale d’Adam dans le paradis, celle des esprits et des anges, la
« langue syriaque (lugha suryaniyya) » (7) de la
« Terre du Soleil » que redécouvre spontanément l’homme initié
lorsqu’il achève les petits mystères et réintègre le centre de l’état humain.
Le Coran indique que Dieu a appris à Adam
tous les Noms (8)
et Ibn Arabi affirme que ces Noms sont tous les Noms Divins assignés à
l’existentiation des univers, parmi lesquels les univers angéliques (9) ; c’est pourquoi
Adam est devenu lui-même l’instructeur des anges et le lieutenant (khalîfa) de Dieu sur terre. Tout cela
est directement en rapport avec ce que René Guénon a appelé le don des langues, titre du chapitre XXXIX
de son livre Aperçus sur
l’initiation, où il cite Ibn Arabi, et indique que celui qui obtient ce don
est celui qui parvient au centre de l’état humain, c'est-à-dire l’état adamique
primordial.
La deuxième
catégorie : les lettres prononcées.
Les lettres
prononcées vocales (hurûf lafziyya) sont celles engendrées par le
souffle humain. Ibn Arabi insiste souvent sur le fait que l’homme a été créé à
l’image du Très Miséricordieux (al-rahmân). Ce qui implique que les
degrés du souffle de l’homme, lorsqu’il émet les lettres, sont une image
parfaite des théophanies
du souffle du Très Miséricordieux quand Il manifeste les différents
degrés de l’Existence. Tant les théophanies divines que les lettres qui leurs
correspondent sont l’expression des Perfections infinies de l’Essence Divine.
Comme l’a dit
Ibn Arabi, suivant la traduction de notre honorable ami Mr. Gril : « sous
le voile jaloux de la lettre couve le feu de l’amour du soi pour le Soi » (10). Les lettres
dont il est question ici sont évidemment celles des langues sacrées que Dieu a
prononcées dans la prééternité, autrement dit celles des différents livres
sacrés révélés et qui trouvent leur parachèvement dans l’ultime révélation
divine : le Coran et sa langue Arabe (11). Dans le très
long chapitre 198 des futûhât, Ibn Arabi expose les correspondances et
les relations « organiques » qui relient les 28 Noms Divins régissant
la production des 28 lettres de l’alphabet arabe, aux 28 degrés de l’Existence
Universelle, miroir des états multiples de l’Etre, depuis l’Intellect Premier
jusqu’à l’être humain qui les récapitule tous dans son intégralité, et aux 28
mansions lunaires ou parties de la sphère cosmique. Dans notre livre Les clés ontologiques et coraniques du livre
des fuçûç al-hikam d’Ibn
Arabi (12), nous avons montré que ces correspondances
s’appliquent parfaitement aussi à la succession des 28 chapitres des fuçûç (le 28ème représentant
la somme cognitive des 27 précédents), chaque chapitre correspondant à un
prophète et une sourate du Coran.
Dans cette
perspective, les mots sont formés selon des principes correspondants
rigoureusement à ceux qui régissent la constitution physique et spirituelle des
réalités qu’ils signifient. Ainsi, les règles de la grammaire et la morphologie
de la langue arabe, qui s’appliquent aux lettres et aux mots qui la composent,
particulièrement ceux qui sont Coraniques, sont en parfaite correspondance avec
les réalités essentielles de l’Etre Divin, la structure du cosmos, et tout ce
qui constitue l’être humain ; de sorte qu’à partir des combinaisons des
lettres avec les nombres correspondants, les possesseurs de cette science
peuvent découvrir tous les événements contingents dans le monde existentiel et
humain. Le Cheikh-al-akbar a
découvert l’année de la reprise par les musulmans de Jérusalem aux croisés en
l’an 583 de l’hégire à partir du premier verset de la sourate ‟al-Rûm” (Les Romains, Cor. XXX), et l’année 591 de la victoire de l’armée
almohade sur les chrétiens en Andalousie à partir du premier verset de la
sourate ‟al-fath” (La victoire, Cor. XLVIII) (13).
Pour souligner
la primordialité des lettres prononcées, Ibn Arabi indique que les demeures
astrales sont au nombre de 28, car les lettres sont au nombre de 28, et non
l’inverse comme le croient certains (14) car la
prééternité des lettres prévaut sur toute création.
C’est pourquoi
également, les anges gardiens du monde terrestre, du paradis, et de l’enfer
sont au nombre de 19 comme les lettres de la basmala, le verset qui ouvre chaque sourate
du Coran. Ce nombre
« Ce
n’est pas parce que la création fut faite en 6 jours que 6 est parfait, c’est
parce que 6 est parfait que la genèse du monde s’est faite en 6 jours ».
Notons que 6 est
la valeur du wâw, 28ème et dernière lettre vocale de
l’alphabet arabe ; 6 est le seul nombre parfait dans
les unités, et 28 le seul nombre parfait dans les dizaines (16) ; c’est pourquoi
le wâw est considéré parfois comme un symbole de l’Homme Universel,
ultime aboutissement du souffle du Très Miséricordieux, et qu’il s’identifie
aussi au sceau de la sainteté
Muhammadienne (17).
A propos de la
dimension ésotérique sacrée de la grammaire arabe (18) M. Chodkiewicz
a écrit :
« La
terminologie des grammairiens, sous la sécheresse de son apparence, est riche
d’un symbolisme dont Ibn-Arabi utilise toutes les ressources. Ainsi en va-t-il
de la banale distinction entre consonnes et voyelles. Ces dernières, comme;
l’indique leur nom (harakât :
mouvements) ont pour rôle de « mouvoir » les consonnes inertes ;
elles leurs donnent vie de même que l’insufflation de l’Esprit Divin anime la
forme adamique tirée de l’argile (Cor.
XV : 29) (19).
Mais seule la manifestation, orale ou écrite, de la consonne considérée est
affectée par cette vocalisation : sa réalité essentielle (haqîqa ) est
immuable. La relation entre, par exemple, le dâl final du nom « Zayd »
et les voyelles brèves qui en déterminent la fonction dans le discours est par
conséquent analogue à celle qui existe entre nos propres essences (nos
haeccéités immuables dans l’éternel présent) et les formes successives qui les
manifestent ad extra (grâce au Verbe
Divin). C’est cette analogie qui permet de comprendre le sens d’un vers célèbre
et souvent commenté du Shaykh al-Akbar dont les premier mots sont :
« Nous fûmes des lettres transcendantes (kunna hurûfan ‘aliyya) »
(20).
La troisième
catégorie : les lettres écrites.
Les lettres
écrites sont d’abord considérées dans leurs formes propres, qui sont
elles-mêmes de véritables hiéroglyphes d’un symbolisme riche d’enseignements.
En tant que telles, elles sont liées à l’art calligraphique sacré et à
l’architecture traditionnelle, comme les lettres vocales sont liées à la
musique et à la science du rythme qui joue un rôle important dans les voies
initiatiques.
Mais les lettres inscrites ne sont pas
seulement le pont qui relie ce qui est exprimable et d’ordre humain au
non-exprimable initiatique et métaphysique. Ainsi les lettres inscrites sont à
la base d’un très vaste domaine qu’on peut désigner sous le nom de « théurgie
écrite » (sîmiyâ’). Ce
dont il s'agit ici n’a rien de commun avec les applications inférieures de
cette science, c'est-à-dire les techniques divinatoires ou les procédés
magiques qui mettent en œuvre certaines propriétés des lettres (21) L'un des plus
célèbres auteurs de traités relatifs à ces pratiques, Abû al-‘Abbâs al-Bunî, mentionne dans sa chaîne de transmission
Ibn Arabi, dont il fut sans doute le contemporain plus jeune : cette
filiation ne doit pas nous abuser sur l'écart qui sépare la conception du
premier de celle du second. Pour le sheikh
al-akbar, cette science pratique appelée sîmiyâ’ n'est pas
illusoire, et sous certaines conditions, son usage n'est pas illégitime (22). Mais les
maîtres de la Voie dédaignent d'y recourir – Ibn Arabi lui-même a fait serment
de ne jamais employer le pouvoir des lettres de cette manière (23) –, et seules
leur importent les vérités métaphysiques que la science des lettres permet de
mettre en évidence (24).
Ibn Arabi a
connu de près les praticiens de cette science théurgique et les techniques
auxquelles il fait allusion sont d'une grande précision. Il relève également
des inexactitudes dans les traités de cette science et se demande si l’erreur
n’est pas volontaire pour décourager les indignes.
Plus d’une fois,
Ibn Arabi rappelle que la science des lettres est la science des saints (awliyâ’) ; elle n'est pas
« le
fruit de la réflexion et de la spéculation : c'est un don de Dieu » (25).
Parlant
de la lettre nûn, il écrit :
« il
y a des merveilles que nul ne peut comprendre s’il n'a pas ceint ses reins du
pagne de la soumission et n’a spirituellement réalisé cette mort [initiatique]
après laquelle il n’est plus d'objection ou de curiosité déplacée » (26).
Dans un autre passage, évoquant le
secret des correspondances entre deux groupes de trois lettres, il indique
qu'il lui a été interdit de les dévoiler dans ses écrits mais qu'il est permis
de les exposer à ceux qui en sont dignes (27) ; il affirme
aussi que certains acquièrent la connaissance de certaines applications de
cette science par d'autres voies que celle de la sainteté (wilâya), et s’en inquiète justement, car ils la possèdent pour leur
malheur et non pour leur félicité (28).
LES CINQ AUTRES CATEGORIES DE LETTRES
Notons que le
célèbre soufi Abd al-Karîm al-Jîlî
(m. 832 H / 1428 JC) distingue huit catégories de lettres dont les trois déjà
citées sont les dernières de la liste ; les cinq autres par ordre
descendant sont :
ــ Les
lettres véritables
(hurûf haqîqiyya) qui sont les essences des Noms et des Attributs divins
eux-mêmes,
ــ Les lettres transcendantes (hurûf
‘aliyya) qui sont les haeccéités éternelles, c'est-à-dire les essences des
choses en mode de possibles dans la science divine,
ــ Les lettres spirituelles (hurûf
rûhiyya) qui sont les esprits lumineux par qui Dieu a manifesté
l’existence, comme il a manifesté les mots par les lettres prononcées
ــ Les lettres formelles (hurûf
çûriyya) qui sont les différentes parties du macrocosme et les différents
membres du microcosme.
Souvent, on
indique que le Nom Suprême Allâh الله est
représenté par la forme des doigts de la main : l’auriculaire correspond à
l’alif, l’annulaire au premier lâm, le médium au second lâm, l'index et le pouce au hâ’ (« ouvert »
ou « fermé »). À ce propos, dans son article « La chirologie
dans l’ésotérisme islamique », René Guénon écrit :
« La
chirologie, si étrange que cela puisse sembler à ceux qui n'ont aucune notion
de ces choses , se rattache directement , sous sa forme islamique, à la science
des Noms divins : la disposition des lignes principales trace dans la main
gauche le nombre 18 ١٨]] et dans la
main droite le nombre 81 [٨١], soit au
total 99, le nombre des noms attributifs (çifûtiyyah)
(…) c’est là la raison principale de l’usage de la main comme symbole, si
répandu dans tous les pays islamiques (une autre raison secondaire se référant
au nombre 5, d’où le nom de khoms donné parfois à cette main symbolique).
On peut comprendre par là la signification de cette parole du Sifr Seyidna Ayûb
(Livre de Job, XXXVII, 7) : «
Il a mis un sceau (khâtim) dans la main de tout homme, afin que tous
puissent connaître Son œuvre » ; et nous ajouterons que ceci n'est
pas sans rapport avec le rôle essentiel de la main dans les rites de
bénédiction et de consécration ».
D’autre part,
certains ont vu dans le symbole du Grand Architecte de l’Univers et dans les
outils du Maçon une allusion aux lettres qui constituent le Nom Suprême ALLAH ; on sait en effet qu'on peut
faire correspondre la règle à l’alif, l’équerre aux deux lâm, et le cercle du compas au hâ’
écrit dans sa forme fermée.
ــ Les lettres abstraites (hurûf
ma‘nawiyya) apparaissent dans le mouvement et le repos des choses ; ces
lettres produisent des formes comparables aux formes des lettres écrites. Par
exemple, lorsque l’homme est debout, il prend la forme de la première lettre de
l’alphabet l’alif, et
lorsqu’il est allongé, celle de la deuxième lettre le bâ’, et ainsi de
suite. Jîlî ajoute que celui
qui connaît la méthode adéquate des applications de ces lettres, peut agir sur
l’univers comme il peut le faire avec les lettres écrites (29).
Notons que cette
catégorie de lettres est à la base des rites gestuels religieux et initiatiques
de différentes traditions, comme dans la danse sacrée.
Ainsi, on
indique parfois que les formes des quatre positions de la Prière (çalât) en Islam s'identifient aux formes
des quatre lettres arabes du nom : Ahmad
qui est le nom céleste du prophète Muhammad ; et les formes des quatre
lettres arabes du nom même de Muhammad s'identifient aux formes des quatre
parties du corps humain. A ce sujet, l’auteur de l'ouvrage La profession de foi (30) a écrit :
« La première essence figurée dans
le monde des idées (‘âlam al-Ma’âni) avec la forme des lettres de son
nom, représente l’“espèce” (naw‘) Muhammadienne de l’homme et la « figure »
(al-shakl) Ahmadienne indiquée par “ le Mont Sinaî” et “la Cité Sacrée”
(al-Baladu-l-amîn). Selon ce que vous pouvez voir : le premier mîm
(représente) la tête, et c’est le monde de la souveraineté suprême (‘âlam
al-Malakût al-a’lâ) et du grand intellect (al-‘Aql al-akbar).
La poitrine et les bras sont (figurés par) la lettre hâ, et c’est le
Trône glorieux ; sa valeur numérique dans l’alphabet est huit, qui est le
nombre des Anges Porteurs du trône. Le deuxième mîm (représente) le
ventre, et c’est le Monde du Royaume (‘âlam
al-Mulk). Les cuisses, les jambes et les pieds sont figurés par le dâl, et c’est la composition stable
(faite) par l’Ecriture éternelle ».
Avec son style
clair et précis, René Guénon a récapitulé, en quelques lignes synthétiques, le
sens global de la science des lettres dans son article « La science des
lettres (ilmul-hurûf » (31) :
«
Pour exposer le principe métaphysique de la “science des lettres” (en arabe ‘ilmul-hurûf),
Seyidi Mohyiddin, dans El-Futûhâtul-Mekkiyah,
envisage l’univers comme symbolisé par un livre : c’est le symbole bien
connu du Liber Mundi des Rose-croix,
et aussi du Liber Vitae
apocalyptique. Les caractères de ce livre sont, en principe, tous écrits
simultanément par la « plume divine » (El-Qalamul-ilâhi) ;
ces “lettres transcendantes” sont les essences éternelles ou les idées divines;
et, toute lettre étant en même temps un nombre, on remarquera l’accord de cet
enseignement avec la doctrine pythagoricienne. Ces mêmes “Lettres
transcendantes”, qui sont toutes les créatures, après avoir été condensées
principiellement dans l’omniscience divine, sont par le souffle divin,
descendues aux lignes inférieures, et ont composé et formé l’Univers manifesté.
Un rapprochement s’impose ici avec le rôle que jouent également les lettres
dans la doctrine cosmogonique du Sepher
letsirah ; “la science des lettres” a d’ailleurs une importance à peu
près égale dans la Kabbale hébraïque et dans l’ésotérisme islamique (32).
Partant de ce principe, on comprendra
sans peine qu’une correspondance soit établie entre les lettres et les
différentes parties de l’Univers manifesté, et plus particulièrement de notre
monde ; l’existence des correspondances planétaires et zodiacales est, à
cet égard, assez connue pour qu’il soit inutile d’y insister davantage, et il
suffit de noter que ceci met la “science des lettres” en rapport étroit avec
l’astrologie envisagée comme science “cosmologique”. D’autre part, en vertu de
l’analogie constitutive du « microsme » (el-kawnus-seghir)
avec le “macrocosme” (el-kawnul-kebir), ces mêmes lettres correspondent
aux différentes parties de l’organisme humain ; et, à ce propos, nous
signalerons en passant qu’il existe une application thérapeutique de la
“science des lettres”, chaque lettre étant employée d’une certaine façon pour
guérir les maladies qui affectent spécialement l’organe correspondant.
Il résulte aussi de ce qui vient d’être
dit que la “science des lettres” doit être envisagée dans des ordres
différents, que l’on peut en somme rapporter aux “trois mondes” : entendue
dans son sens supérieur, c’est la connaissance de toutes choses dans le Principe
même, en tant qu’essences éternelles au-delà de toute manifestation; dans un
sens que l’on peut dire moyen, c’est la cosmogonie, c'est-à-dire la
connaissance de la production ou de la formation du monde manifesté ;
enfin, dans le sens inférieur, c’est la connaissance des vertus des noms et des
nombres, en tant qu’ils expriment la nature de chaque être, connaissance
permettant, à titre d’application, d’exercer par leur moyen, et en raison de
cette correspondance, une action d’ordre “magique” sur les êtres eux-mêmes et
sur les événements qui les concernent. En effet, suivant ce qu’expose Ibn Khaldûn, les formules écrites,
étant composées des mêmes éléments qui constituent la totalité des êtres, ont,
par là, la faculté d’agir sur ceux-ci; c’est aussi pourquoi la connaissance du
nom d’un être, expression de sa nature propre, peut donner un pouvoir sur lui ;
c'est cette application de la “science des lettres” qui est habituellement
désignée par le nom de sîmîâ. Il importe de remarquer que ceci va
beaucoup plus loin qu’un simple procédé “divinatoire” : On peut tout
d’abord, au moyen d’un calcul (hisâb) effectué sur les nombres
correspondant aux lettres et aux noms, arriver à la prévision de certains
événements. On peut aussi, dans certains cas, obtenir par un calcul du même
genre la solution de questions d’ordre doctrinal ; et cette solution se
présente parfois sous une forme symbolique des plus remarquables. Mais ceci ne constitue en quelque sorte
qu’un premier degré, le plus élémentaire de tous, et il est possible d’effectuer
ensuite, sur les résultats de ce calcul, des mutations qui devront avoir pour
effet d’amener une modification correspondante dans les événements eux-mêmes.
Ici encore, il faut d’ailleurs
distinguer des degrés bien différents, comme dans la connaissance elle-même
dont ceci n’est qu’une application et une mise en œuvre : quand cette
action s’exerce seulement dans le monde sensible, ce n’est que le degré le plus
inférieur, et c’est dans ce cas qu’on peut parler proprement de “magie” mais il
est facile de concevoir qu’on a affaire à quelque chose d’un tout autre ordre
quand il s’agit d’une action ayant une répercussion dans les mondes supérieurs.
Dans ce dernier cas on est évidement dans l’ordre “initiatique” au sens le plus
complet de ce mot et seul peut opérer activement dans tous les mondes
celui qui est parvenu au degré du “soufre rouge” (El-Kebrîtul-ahmar),
désignation indiquant une assimilation, qui pourra paraître à certains quelque
peu inattendue, de la “science des lettres” avec l’alchimie. En effet, ces deux
sciences, entendues dans leur sens profond, n’en sont qu’une en réalité ;
et ce qu’elles expriment l’une et l’autre, sous des apparences très
différentes, n’est rien d’autre que le processus même de l’initiation, qui
reproduit d’ailleurs rigoureusement le processus cosmogonique, la réalisation
totale des possibilités d’un être s’effectuant nécessairement en passant par
les mêmes phases que celle de l’Existence universelle ».
Dans son article
« Note sur l’angélologie de l’alphabet arabe », R. Guénon souligne
les relations « organiques » entre les mondes angéliques, les 28
lettres de l’alphabet arabe, et les 22 lettres de l'alphabet hébraïque ; puis
il écrit :
« (…)
le passage de l’alphabet de 22 lettres à l'alphabet de
Exemple d’un
symbolisme de la forme graphique des deux premières lettres de l'alphabet.
Dans son article
« Er-Rûh », R.
Guénon a expliqué ce symbolisme souvent cité par Ibn Arabi :
« Suivant
les données traditionnelles de la ‟science des lettres”, Allah créa le
monde, non par l’alif qui
est la première des lettres, mais par le ba qui est la seconde ; et, en effet, bien que l’unité soit
nécessairement le principe premier de la manifestation, c’est la dualité que
celle-ci présuppose immédiatement, et entre les deux termes de laquelle sera
produite, comme entre les deux pôles complémentaires de cette manifestation,
figurés par les deux extrémités du ba, toute la multiplicité indéfinie
des existences contingentes. C’est donc le ba qui est proprement à
l’origine de la création, et celle-ci s’accomplit par lui et en lui, c'est-à-dire
qu’il en est à la fois le “moyen” et le “ lieu”, suivant les deux sens
qu’a cette lettre quand elle est prise comme la préposition bi. Le ba, dans ce rôle
primordial, représente Er-Rûh, l’“Esprit”,
qu’il faut entendre comme l’Esprit total de l’Existence Universelle, et qui
s’identifie essentiellement à la “Lumière” (En-Nûr) ; il est produit directement
par le “commandement divin” (min amri’ Llah), et , dès qu’il est produit, il est en quelque sorte
l’instrument par lequel ce “commandement” opérera toutes choses, qui seront
ainsi toutes “ordonnées” par rapport à lui (33) ; avant lui, il
n’y a donc qu’el-amr, affirmation
de l’Etre pur et formulation première de la Volonté suprême comme avant la
dualité il n’y a que l’unité, ou avant le ba il n’y a que l’alif. Or l’alif est la lettre “polaire” (qutbâniyah)
(34), dont la forme
même est celle de l’ “axe” suivant lequel s’accomplit l’ “ordre”
divin ; et la pointe supérieure de l’alif, qui est le “secret des
secrets” (sirr el-asrâr),
se reflète dans le point du ba, en tant que ce point est le centre de la
“circonférence première” (ed-dâïrah
el-awwaliyah) qui délimite et enveloppe le domaine de l’Existence
Universelle, circonférence qui d’ailleurs, vue en simultanéité dans toutes les
directions possibles, est en réalité une sphère, la forme primordiale et totale
de laquelle naîtront par différenciation toutes les formes particulières.
Si
l’on considère la forme verticale de l’alif et la forme horizontale du ba, on voit que leur rapport est
celui d’un principe actif et d’un principe passif ; et ceci est conforme
aux données de la science des nombres sur l’unité et la dualité, non seulement
dans l’enseignement pythagoricien, qui est le plus généralement connu à cet
égard, mais aussi dans celui de toutes les traditions. »
Un autre
exemple : le triangle de l’androgyne.
Le continuateur fidèle
de René Guénon, Michel Vâlsan, à partir d’une correspondance avec ce dernier, a
écrit deux articles sur ce sujet : « Un symbole idiographique de
l’Homme Universel », suivi de : « Le triangle de l’androgyne et
le monosyllabe ôm » (35). Cette étude
très intéressante est basée sur un certain symbolisme des six lettres formant
les noms arabes d’Adam et d’Eve (Hawâ), placées sur les six angles
de deux triangles opposés par le sommet, celui de Ĥawâ étant inscrit à l’intérieur de celui d’Adam ; dans cette configuration apparaît le monosyllabe sacré
dans l’Hindouisme : ôm [aum], ainsi que le premier Nom Divin en
islam : ahad (l’Absolu Unique) et le verbe : dâma (perpétuel) ;
il fait apparaître aussi les quatre lettres qui constituent les noms du
Prophète : Muhammad et Ahmad, et celui du prophète-roi David (Dawûd) (36). Cette étude
aboutit à des conclusions concernant la doctrine des états multiples de l’Être
et de l’Homme Universel, et explique la rencontre de l’Inde et sa tradition
issue de la Tradition primordiale avec l’Islam, forme dernière et ultime de
cette même Tradition, ou la conjonction du début et de la fin du cycle. Dans
son article : « Les mystères de la lettres Nûn », R. Guénon a indiqué l'importance
de cette conjonction, à travers le symbolisme de cette lettre (qui est la lettre centrale de l’alphabet arabe) et de
son équivalent en sanscrit.
PROPHÉTOLOGIE ET SCIENCE DES LETTRES
Les lettres
mentales : d’Adam à Salomon.
Dans la
prophétologie akbarienne, toute science est rattachée à un prophète
particulier. Les sciences relatives aux lettres mentales se rattachent, comme
on l’a déjà dit, à Adam ; elles ont trouvé leur plénitude extérieure avec
le prophète Salomon. Ibn Arabi indique que parmi les trois catégories des
lettres, ces lettres mentales produisent, lorsqu’elles sont évoquées par la concentration, les effets les plus directs et les plus
efficaces (37).
C’est une de leurs applications qui permit au ministre de Salomon de mettre à
la disposition du roi en Palestine, en un clin d'œil, le trône de la reine Bilqîs qui se trouvait au Yémen.
Salomon incarnait
« Et
Salomon fut l'héritier de David ; et il dit : O homme ! Nous avons
été instruits du langage des oiseaux et comblé de toutes choses …. » (Cor.
XXVII, 16) (38).
Les lettres
prononcées : de Seth à David et Jésus.
Quant aux sciences relatives à la catégorie des lettres prononcées, elles se rattachent au prophète Seth, fils et héritier d’Adam. Elles remontent donc au début du cycle terrestre de la présente humanité ; elles ont connu leur plein développement avec le Prophète-roi David, comme l'indique ce verset :
« Nous
avons certes accordé, une grâce à David de Notre part, ô montagnes et oiseaux,
psalmodiez avec lui [les louanges d’Allâh] » (Cor. XXXIV, 10).
Les sciences de
ces lettres trouvèrent leur plénitude dans la personne de Jésus-Christ qui est
lui-même, d’après le Coran, le Verbe d’Allâh (kalimatu Allâh) et dont le
corps a été ensemencé dans le sein de Marie par le souffle du Saint-Esprit l’Ange
Gabriel. Par son souffle, il ressuscitait les morts et insufflait la vie aux
oiseaux d'argile. Ainsi Jésus s'identifie au Souffle divin existentiateur des
êtres et des lettres et représente la conjonction parfaite entre la science des
lettres et celle des Saints, lui qui est, pour Ibn Arabi, le « Sceau de la
Sainteté Universelle » (39).
On résumera ici
ce qu’a écrit M. Chodkiewicz à ce sujet : « Or, comme il l'indique
dans le chapitre 20 des Futûhât, la science des lettres est une science
christique ; l’insistance avec laquelle le Shaykh al-Akbar en dit l'importance, la place qu’il lui donne
dés le début de l'œuvre la présentant comme clef de tout ce qui va suivre, est
sans doute à mettre en rapport avec la fonction eschatologique de Jésus: A
l’approche de sa seconde venue, la science qui lui est propre détient plus que
jamais un privilège particulier de révélation des mystères (…) Parmi les idées
maîtresses de la cosmologie akbarienne : l’idée de la vie universelle ;
et fort de cette certitude fruit d'une perception immédiate de la réalité des
choses et non d'un concept élaboré par une réflexion, Ibn Arabi affirme donc,
dans le chapitre 2 des Futûhât que les lettres, elles aussi, constituent
une “communauté” (umma), qu'elles ont elles aussi leurs envoyés (rusul),
leur Loi ( sharî‘a ), qu’on
distingue parmi elles le “commun” (‘âmma), l’élite, et l’élite de l’élite
comme dans les sociétés humaines. Dans un autre chapitre, les lettres sont
définies comme de nature angélique (40). Quand il
traite de la lettre (dâl) ou du (jim) ou de la prédominance en eux de telle qualité, de tel
tempérament, ce sont des êtres qu'il décrit et non pas des signes abstraits.
Souvent, Ibn
Arabi affirme que l’univers est un livre, un “grand Coran”; réciproquement, le
livre est un univers : parler de l’un, c’est parler de l’autre. Entre ces
deux univers – ou ces deux livres – il y a un intermédiaire : l'homme. Il
s'agit bien sûr de l’insanû al-kâmil, l’homme parfait ou en quête de
perfection. Il est le frère du Coran (41) et il est aussi ‘âlam saghir, “petit monde”
ou microcosme. C’est à lui que s'adresse le discours divin sous cette double
forme. C'est à lui qu'il revient de le déchiffrer, d'être à la fois l’interprète
du Coran et l'interprète du monde créé, celui qui leur donne sens. D’où l’intrication
des deux herméneutiques, celle des lettres du Coran, de ses mots et de ses
versets et celle de l’univers, que souligne le parallélisme entre les 28
lettres arabes et les 28 degrés de la cosmologie akbarienne » (42).
Les lettres
écrites : d'Idrîs à Moïse.
Quels sont les
prophètes auxquels se rattachent les sciences des lettres écrites ? Le premier
est celui qui est désigné par Ibn Arabi par mudâwî-al-kulûm (celui qui guérit
les blessures) ; mais il est aussi le pôle du « royaume des souffles
(‘âlam al-anfâs) » (43), allusion aux mondes des lettres. Les
sciences qui lui sont attribuées sont les sciences cosmologiques, surtout l’alchimie
sous ses différents aspects : physique, psychique et spirituelle, la
médecine selon ces mêmes trois degrés et l’astrologie ; il s'agit ici d’Hermès,
ou plutôt du premier des trois Hermès que distingue la tradition islamique,
celui qui est identifié à Hénoch, c'est à dire le prophète antédiluvien Idrîs. Toutes les sciences qui lui
reviennent se rattachent à sa connaissance des lettres ou en découle. Une
tradition prophétique indique qu'il fut le premier des fils d’Adam à écrire au
moyen du « Calame » (44). Ibn Arabi dit que le premier
influx spirituel du Calame supérieur fut pour lui (45).
Ibn Arabi
affirme aussi qu’Idrîs est le
pôle du Centre Suprême de la hiérarchie des saints. Ce centre est occupé par
les 4 prophètes préservés vivants en ce monde : Idrîs et Jésus respectivement
dans le 4e et le 2e ciel, et Elie et Khidr sur terre (46).
Les lettres écrites et les sciences qui
en découlent connurent leur épanouissement avec Moïse qui reçut la Thorah écrite par la main de Dieu sur
les tables :
« et
nous écrivîmes pour lui sur les tables une exhortation concernant toute chose
et un exposé détaillé de toute chose » (Cor. VII, 145).
L’origine divine
des deux langues sœurs, l’hébreu et l’arabe,
implique des similitudes entre elles : « Les principes de la science
des lettres, écrit M. Chodkiewicz, communs aux traditions sémitiques, et les
convergences entre la kabbale hébraïque et le ‘ilm al-hurûf sont
aisément repérables dans la littérature islamique en général ou dans les Futûhât
en particulier. Ainsi en va-t-il, par exemple, des correspondances entre les
lettres et les éléments (47)
que
l’on trouve déjà, par exemple, dans le “Sepher
Yetsira” et qui semblent d’ailleurs participer d'une notion très
anciennement et très largement répandue (le mot latin elementa désigne chez Lucrèce les lettres de l'alphabet). Un fait
mérite toutefois de retenir l'attention : c’est en cette Espagne où Ibn ‘Arabi
a passé sa jeunesse que, vers 1200, va apparaître le Zohar, un des textes fondamentaux de la kabbale. Quel qu’en soit l’auteur – ou plutôt le rédacteur –
véritable, le Zohar n’est pas un vulgaire pseudépigraphe et consigne un
enseignement initiatique dont Moïse de Léon n’est pas l’inventeur et qui, bien
avant la mise en circulation par lui de ces ouvrages, a de nombreux
représentants dans le monde ibérique. On peut donc se demander, comme l’a fait
R.W.J Austin (48),
si
Ibn ‘Arabi, vivant dans un pays où juifs et musulmans se côtoyaient, a eu
directement accès à cet enseignement au cours de la période andalouse de son
existence. Un dialogue qu’il rapporte entre un “docteur” des “isrâiliyyin”
et lui-même montre qu'il savait que la Thorah commence par la lettre beth comme le Coran par la lettre ba’
qui en est l’équivalent dans l’alphabet arabe (49) (…). Au-delà des
disputes (…) sur la filiation historique de tel ou tel point de doctrine ou le
jeu complexe des influences réciproques, il reste à constater la coïncidence,
dans l'espace et dans le temps de manifestations majeures de l’ésotérisme
islamique et de l’ésotérisme juif, et à méditer sa signification dans l’économie
spirituelle de ce “dernier tiers de la
nuit” qui précède l’aube prochaine du Jour éternel (50) ».
À propos de la
lettre bâ’, signalons que R. Guénon a lui aussi souligné sa position
dans les trois livres sacrés :
« C’est aussi pourquoi le ba ou son équivalent est la lettre
initiale des Livres Sacrés : La Thorah
commence par Bereshith,
le Qorân par Bismi’Llah et,
bien qu’on n’ait pas actuellement le texte de l’Evangile dans une langue
sacrée, on peut du moins remarquer que le premier mot de l’Évangile de saint
Jean, en hébreu, serait aussi Bereshit » (51).
Les paroles totalisatrices chez le Sceau
des prophètes.
Du point de vue islamique, qui est celui d’Ibn Arabi, la synthèse totalisatrice des trois catégories des lettres et des sciences dérivées trouve son ultime perfection chez le Sceau des prophètes et sa langue arabe coranique, celle de l’Homme universel (al-insân al-kâmil) Mohammad. Il s’est désigné lui-même comme détenteur de cette totalité, en disant :
« J’ai
reçu les paroles totalisatrices (jawâmi‘ al-kalim) »,
ce qu'on pourrait traduire dans ce
contexte très précis par : « j'ai reçu le pouvoir de réunir les mots
(ou les paroles) » (52) ;
ce qui est en connexion directe avec le
sens de cet autre hadîth :
« celui
qui me voit, celui-là voit le Vrai Réel (53) (man ra’ânî
faqad ra’â al-haqq) » (54).
Commentant ce hadîth, R. Guénon a écrit :
« c’est
là, en effet, le mystère de la manifestation “prophétique” ; et l’on sait
que, suivant la tradition hébraïque également, Métatron est l'agent des
“théophanies” et le principe même de la prophétie (55), ce qui, exprimé
en langage islamique, revient à dire qu'il n'est autre qu’Er-Rûh el-mohammadiyah,
en qui tous les prophètes et les envoyés divins ne sont qu’un, et qui a, dans
le “monde d’en bas”, son expression ultime dans celui qui est leur ‟sceau” (khâtim
el anbiâï wa’al-mursalîn), c'est-à-dire qui les réunit en une synthèse
finale qui est le reflet de leur unité principielle dans le ‟monde d’en haut”
(où il est awal khalqi’llah :
ce qui est dernier dans l'ordre manifesté étant analogiquement le premier dans
l'ordre principiel), et qui est aussi le ‟Seigneur des premiers et des derniers”
(seyid el-awwalîna wa’l-akhirîn). C’est
par là, et par là seulement, que peuvent réellement être compris, dans leur
sens profond, tous les noms et les titres du Prophète, qui sont en définitive,
ceux même de l’‟Homme universel” (El-Insân
el-kâmil), totalisant finalement en lui tous les degrés de l’Existence,
comme il les contenait tous en lui dès l'origine (…) » (56).
La science
totalisatrice Mohammadienne a été transmise à travers les différentes chaînes
initiatiques ininterrompues de la voie soufie. La science des lettres est une
de ses modalités que détenaient spécialement, au début de l’Islam, les Imâms de la famille du prophète, surtout
le premier d’entre eux Seyyidinâ ‘Alî (57), le gendre et
cousin du prophète, puis les cinquième et sixième Imâms, Mohammed al-Bakir
et son fils Ja‘âfar Sadiq (m.
148 H / 765 JC), le maître du célèbre alchimiste Jâbir ibn Hayyân.
Les lettres, fondement du royaume de la
Sainteté (wilâya).
La relation
entre la prophétologie et la science des lettres en implique une autre avec le
royaume de la sainteté.
Dans plusieurs
de ses écrits, Ibn Arabi indique que chaque saint est l’héritier d'un prophète :
«
Si tu es un walî, dit-il, tu es donc l’héritier
d'un prophète, et rien ne parvient à toi si ce n'est en proportion de ta part
de cet héritage ; et si tu as hérité une science de Musâ (Moise) ou de
’Isâ (Jésus), ou de tout autre prophète venu entre eux, tu n’as en vérité
hérité que d’une science Mohammadienne » (58).
D’autre part, il
indique que le nombre des saints, toute catégories confondues, est en
permanence au moins égal à celui des prophètes qui se sont succédés au cours du
cycle humain, soit – conformément à un hadîth
– 124000, dont 314 envoyés divins. S'il est supérieur à ce chiffre, c'est que
l'héritage de tel ou tel de ces prophètes a été partagé entre plusieurs saints
(awliyâ’) (59).
L’héritage du saint suivant son modèle prophétique marque de façon précise les
caractères de sa station et de ses états spirituels, ses sciences et ses vertus
spéciales, ses charismes et son comportement. Ibn Arabi a exposé en détail ce
qui caractérise chacune des classes de la hiérarchie des saints dans le très
long chapitre 73 des Futûhât qui s’ouvre
par un poème de 28 vers, allusion aux 28 lettres.
Globalement, on
y distingue deux grandes catégories :
La première est
constituée de 35 classes rassemblant 589 personnages qui se renouvellent à
chaque époque, et chacune de ces classes est occupée par un nombre fixe de
saints.
La deuxième
catégorie se compose d'autres classes dont le nombre de saints varient selon
les époques.
Mais toute cette
structure hiérarchique est basée sur les mystères des nombres et des lettres.
En effet Ibn Arabi donne deux principes qui montrent la fonction essentielle
des nombres en toute chose, particulièrement dans le royaume de la
sainteté :
- Premier
principe : le statut du nombre est antérieur à tous les autres statuts (60). C’est ce qu’exprime
ce verset du livre de la sagesse (XI, 21) :
« le
Créateur a œuvré selon le nombre et la mesure ».
- Second
principe ; A chaque époque, Dieu fait correspondre à toute chose
déterminée par un nombre, un nombre égal d'hommes (saints) par lesquels Il
préserve celle-ci (61).
Les nombres sont, pour Ibn Arabi, les manifestations de l’Unité lors de ses
épiphanies dans la multiplicité illimitée, autrement dit, l’épiphanie de
l'Absolu Infini Unique et Transcendant dans ses multiples manifestations
conditionnées. Les nombres représentent les rapports qui relient les êtres
entre eux, et l’harmonie universelle où se réfléchissent les lumières de la
Beauté et de la Majesté des perfections divines. Selon ses spécificités, chaque
nombre possède une fonction existentielle. Ces fonctions sont les manifestations
de
Et, comme on l’a déjà dit, à chaque
nombre correspond une ou plusieurs lettres (62). Ainsi, la
signification des mots et les qualités des lettres qui les composent
représentent l'aspect qualitatif qui trouve son expression dans un support
quantitatif qui n'est autre que la valeur numérique de ces lettres et mots.
À ce propos René Guénon a écrit :
« …dans
des langues telles que l’hébreu et l’arabe, la signification des mots est
inséparable du symbolisme littéral, et il serait impossible d'en donner une
interprétation complète, quant à leur sens le plus profond, celui qui importe
vraiment au point de vue traditionnel et initiatique (car il ne faut pas
oublier qu’il s'agit ici essentiellement de “langues sacrées”), sans tenir
compte de la valeur numérique des lettres qui les composent ; les rapports
existant entre des mots numériquement équivalents et les substitutions
auxquelles ils donnent lieu parfois sont, à cet égard, un exemple
particulièrement net. Il y a donc là quelque chose qui, comme nous le disions
au début, tient essentiellement à la constitution même de ces langues, qui y
est lié d'une façon proprement “organique” bien loin d'être venu s’y adjoindre
du dehors, et après coup comme dans le cas de la langue grecque; et, cet élément
se trouvant à la fois dans l’hébreu et dans l'arabe, on peut légitimement le
regarder comme procédant de la source commune de ces deux langues et des deux
traditions qu’elles expriment, c’est-à-dire de ce qu'on peut appeler la
tradition “abrahamique” » (63).
Dans la langue
Arabe, les lettres possèdent 17 qualités, et chacune d’entre elles est
caractérisée par cinq, six ou sept parmi ces 17 qualités. Pour Ibn Arabi,
chaque qualité représente un certain nombre d'attributs divins. Ainsi les
qualités et les particularités des lettres mentales, prononcées, et
transcrites, expriment la plénitude des perfections divines qui s’épiphanisent
dans le royaume de la sainteté. De ce fait, à chaque degré de la sainteté
correspond une ou plusieurs lettres qui agissent directement sur l'état
spirituel et la station initiatique de tout saint et les déterminent :
« Le nombre des stations spirituelles (maqâmât),
écrit Ibn Arabi, et les secrets de chacun
de leurs noms, sont à la mesure des valeurs numériques des lettres qui
les composent »
(64).
Par exemple, la
lettre qui détermine la fonction du pôle est la première lettre, l’alif,
et celle de ses deux lieutenants sont le wâw et le yâ’. Ces trois lettres déterminent les
trois fonctions suprêmes définies dans le Roi
du monde de René Guénon.
Aussi, le nombre
total des saints occupant le sommet de leur hiérarchie, c'est à dire 589,
nombre cité plus haut, est en relation directe avec les lettres, puisqu'il est
la somme de leur nombre (28) et de la somme des nombres correspondants aux
lettres contenues dans l’expression : al-nafas al rahmânî « le
Souffle du Miséricordieux » (الـــنــفـــس الــرحــمـاني = 221 + 340 = 561 ) ;
et c’est cette relation organique qui fait qu’Ibn Arabi appelle le royaume de
la sainteté le « Monde des souffles
(‘âlam al-anfâs) ».
CONCLUSION
Quel est donc le
but final de toutes ces sciences ? Ibn Arabi, dans son livre Le phénix d'occident (‘anqâ’ maghrib),
répond à cette question :
« Mon but, dans tout ce que j'écris
selon cet art spirituel, n'est pas la connaissance de ce qui se manifeste dans
l’univers, mais seulement d’instruire l'être distrait au sujet de ce qui
constitue l'essence de l'être humain. Il n'y a d’autre profit dans la
connaissance de ce qui est extérieur à ton être [personnel] que ce qui concerne
la voie de ta délivrance ».
Appliquant cette
règle aux sciences des lettres il dit dans un poème des futûhât (67) :
« L'existence est une lettre dont tu
es le sens ;
et je n'ai dans l'univers d’autre que
Lui »
(68).
Commentant ce
vers, M. D. Gril écrit : « Si Ibn Arabi affirme que “l’existence est
une lettre dont tu es le sens” c'est que “Toi” le serviteur, doit s'identifier
à la lettre et au sens du Coran. Or ce livre est lui-même issu du “livre
inconnu” enveloppant et impénétrable comme la science divine. Comme l’Homme
Universel, le livre regarde d'une face vers le manifesté et de l'autre vers le
non-manifesté. Dans l’isthme qui sépare ces deux faces de la réalité, les
lettres assurent le passage de l'un à l'autre, tantôt pour abolir la
distinction tantôt pour l'instituer, toujours pour assister le serviteur de la
réalité une et multiple (…) la science des lettres pourrait ainsi se définir comme
une métalinguistique et une métaphysique (…) elle apparaît donc bien comme le
lieu et le langage commun de la métaphysique, de la cosmogonie et de la
cosmologie, ainsi que de la voie initiatique. Elle révèle aussi l'universalité
du savoir de ceux qui la détiennent (…) parce qu'elle permet non seulement
d'exprimer, mais aussi de réaliser l’origine de la manifestation et des êtres,
que ce soit en termes pythagoriciens, par la relation entre les lettres et les
nombres, néoplatoniciens, par la procession et les mouvements des sphères
célestes, aristotéliciens et stoïciens tout à la fois, par la composition et la
mixtion des natures et des éléments. Ainsi, plus que toute autre, cette science
permet l'intégration en Islam de tout l’héritage ésotérique antique par le
truchement des vingt-huit lettres de l'alphabet arabe, elles mêmes comme le
produit de la multiplication des quatre ‟natures” par les différents plan de
l'hiérarchie septénaire » (69).
Terminons par le
vers d’Ibn Arabi cité plus haut :
« L’existence est une lettre dont tu es
le sens ; et je n'ai dans l'univers d'autre que Lui ».
N’est-Il pas, « Lui, le Premier et le Dernier, l’Apparent et le Caché ? »
Abdelbâqî MEFTAH
(À suivre)...
NOTES
* Article publié dans la revue « Vers la Tradition », n° 121 - sept./nov. 2010.
(1) Parmi ces
traités : kitâb al-alif ; kitâb al-bâ’ ; kitâb al-mim wa al-waw wa al-nûn
(Le livre du mîm , du wâw et du nûn, traduit et présenté par C.-A. Gilis, Alburaq,
Beyrouth, 2002 ) ; kitâb al-yâ’ ;
kitâb al-jalâla (traduit par Michel Vâlsan in
Etudes Traditionnelles,
Juin-Juillet-Août-Sept. Dec. 1948) ; kitâb
asrâr al-hurûf ; kitâb
al-mabâdi wa al-ghayât (qui a aussi
pour titre : al-fath al-fâsi) ;
kitâb al-madkil fî ‘ilm al-hurûf ;
kitâb al-‘azama (qui concerne les
lettres de la 1ere sourate du Coran al-fâtiha).
(2) Futûhât : les chapitres 2, 5, 20,
26,109, 198, 255, 275, 73 (réponses aux questions de Tirmidhi : n°41, et
n° 130 à 142). La distinction entre les trois catégories de lettres est
précisée dans le chapitre 26 et dans la réponse à la question 41 de Tirmidhi :
Fut. II, 73, p.68 ; voir aussi l'excellente introduction et la traduction
partielle du chapitre 2 par Denis Gril dans : Les Illuminations de La Mecque, pp. 385-487 ; et une autre
traduction partielle des chapitres 2, 60, et 198 dans la thèse doctorale de
Carmela Crescenti, La science des
lettres, Métaphysique de la langue et des lettres selon la doctrine d’ Ibn
Arabi, Ecole pratique des hautes études, 2007. Le chapitre
L’édition citée
des Futûhât d’Ibn Arabi est :
Ibn Arabi, al-Futûhât al-makkiyya,
édition Dar Sader, Beyrouth ; en français et en anglais, cf. l’anthologie dirigée par M.
Chodkiewicz, Les Illuminations de
(3) Fut. I, 2, p. 77
(4) Fut. II, 73, p. 123 ; 198, pp.
390-391 ; III, 357, p.257 ; IV, 451, p. 65 ; II, 73 (réponse à
la question 141 de Tirmidhi).
(5) Ces articles
ont été reproduits dans les Symboles de
la Science Sacrée, hormis les deux articles Angélologie et Chirologie
qui ont été reproduits dans Esotérisme
islamique et Taoïsme (Paris, 1973). Il faut mentionner que l’article « Un
hiéroglyphe du Pôle » traite du symbolisme de la lettre qâf et de la relation entre les lettres
et la hiérarchie initiatique. Voir également « La Tétraktys et le carré de
quatre » (in Symboles de la Science
Sacrée), dans lequel on trouve des considérations sur les nombres 4 et 6
qui rappellent celles du ch. 2 des Futûhât ;
cf. aussi Le Symbolisme de la Croix, Paris, 1931, p. 137, n. 2.
(6) Cf. Esotérisme Islamique et Taoisme, ch. V, pp
.54-61
(7) « La Terre
du Soleil », ch. XII des Symboles de
la Science Sacrée ; voir les développements explicites et très
intéressants concernant cette « langue syriaque (lugha sûryâniyya) » dans le kitâb al-Ibriz, écrit par Ahmed ben Moubarek (m. 1156 H) qui
rassemble les paroles et les réponses du saint marocain Abdel-‘azîz Ed-dabagh,
le Caire, II (traduit partiellement par Zakia Zouanat, Ed. du Relié, Liban,
2001).
(8) Cor. II, 31; cf. Genèse II, 19-20
(9) Fut., 73, p. 71 : réponse à la question
45 de Tirmidhî.
(10) Les illuminations de La Mecque, op. cit., p. 411.
(11) Fut. II, 109, p. 193.
(12) Éd. Albouraq,
Beyrouth, 2004.
(13) Fut. IV, 559, p. 220.
(14) Fut. II, 198, section 20, p. 440.
(15) Fut. I, 22, pp. 179-180 ; II, 271, p.
577 ; voir aussi kitab al-manazil al-fahwaniyya. Le nombre 19 est
aussi la somme des nombres des lettres du mot wujûd (« existence »).
(16) Le nombre parfait
est défini comme étant égal à la somme exacte de ses diviseurs entiers : 6
= 1 + 2 + 3 ; 28 = 1 + 2 + 4 + 7 + 14.
(17)
Fut. I, 2, p. 75; II, 198, p. 469 ; cf. aussi kitâb al-mîm wa al-wâw
wa al-nûn.
(18) Certains soufis
ont écrit des traités spéciaux pour expliciter cette dimension; voir par
exemple : Qushayrî (m. 465 H/1070 JC), nahw-al-qulûb (la grammaire des cœurs) ;
Ibn-Al-Banna Al-Murrakchî (m. 742 H/ 1326 JC), ‘Unwan al-Dalîl ;
Ibn-‘Ajiba (m. 1216 H / 1809 JC), commentaire ésotérique des règles de la
grammaire de l’ajrumiyya.
(19) Fut. I, 2, p. 85.
(20) Illuminations…, op. cit., pp. 53-54.
(21) Sur ces
pratiques, cf. Ibn Khaldoun, al-muqaddima, sur la science des lettres ;
Toufic Fahd, La divination arabe,
Paris, 1982, pp. 219-234 ; voir aussi, E. Doutté, Magie et religion en Afrique du Nord, IV, Paris, 1984 ; Jean
Marquès Rivière, Amulettes, Talismans et
Pentacles dans les traditions orientales et occidentales, V, Paris, 1950.
(22)
C’est
pourquoi on la retrouve dans certains livres de maîtres authentiques du
Soufisme ; voir par exemple : Mâ’ al-‘Aynayn (m. 1328 H / 1912 JC), na‘t al-bidâya wa al-tawsîf al-nihâya.
(23) Fut. I, 26, p. 190.
(23) Fut. I, 26, p. 190.
(24) Illuminations..., p.49.
(25) Fut. I , 2, pp. 57,
65.
(26) Ibidem, p. 53.
(27) Illuminations…, p. 49.
(28) Ibidem, p. 406.
(29) Jîlî, Sharh mushkilât al-futûhât.
(30) Cf. La
profession de foi, attribué à Ibn Arabi, présenté et traduit par Roger
Deladrière, éd. Sindbad, Paris, 1985. Au sujet de ce livre, Michel Chodkiewicz
a écrit dans Le Sceau des saints (p. 90) : « … cet ouvrage, selon nous, ne peut
être attribué à Ibn Arabi mais porte la marque de la doctrine akbarienne et
contient des passages extraits des écrits du Shaykh al Akbar. Sur le problème
de l’attribution de la Tadhkira, voir
le compte rendu de Denis Gril, dans le bulletin critique des Annales
islamologiques », t. XX, 1984,
pp. 337 – 339 ».
(31) Cf. Symboles fondamentaux…, ch. VI.
(32) « Il faut
encore remarquer que le “Livre du Monde” est en même temps le “Message divin” (Er-Risâlatul-ilâhiyah),
archétype de tous les Livres sacrés ; les écritures traditionnelles n’en
sont que des traductions en langage humain. Cela est affirmé expressément du Véda et du Qorân ; l’idée de l’‟Évangile éternel” montre aussi que cette
même conception n’est pas entièrement étrangère au Christianisme, ou que du moins
elle ne l’a pas toujours été » [note de R. Guénon].
(33) « C’est de
la racine amr que dérive en
hébreu le verbe yâmer, employé
dans la Génèse pour exprimer l’action créatrice représentée comme “parole”
divine » [note de R. Guénon].
(34) « Comme
nous l’avons déjà indiqué ailleurs, alif = qutb = 111 » (« Un hiéroglyphe du Pôle »,
n° de mai 1937) ; « ajoutons que le nom Aâlâ, ‟Très-Haut”, a
aussi le même nombre » [note de R. Guénon].
(35) Publié dans Etudes traditionnelles (1964-1966).
(36) Voir le symbolisme des lettres des noms : Adam, David, Mohammed,
dans Fut. IV, 515, p. 155 ;
concernant le Nom divin ahad voir Fut. II, 73, pp. 56-57 ; IV 558, pp. 293-294. On peut remarquer que le centre commun des deux
triangles correspond à la lettre wâw
qui relie les deux noms : Adam wa
Hawâ ; ainsi la somme des nombres de leurs lettres arabes est égale à
66 qui est le nombre du Nom suprême : Allâh.
(37) Fut. I, 26, p. 191.
(38) Voir la station
spéciale de Salomon dans le façç qui
lui est consacré (ch. 16 des Fuçûç al-hikam) ; voir aussi l’histoire de la Reine Bilqîs et de son trône
dans la sourate XXVII (Al-naml).
(39) Fut. IV, 557, p. 195.
(40) Fut. I, 2, p. 58 ; II, ch. 198, p. 448.
(41) Fut. III,
366, p. 329.
(42) Sur ce
parallélisme voir Fut. 198. Sur la
cosmologie akbarienne voir aussi l’ouvrage d’Ibn Arabi ‘uqla al-mustawfiz, et Titus Burckhardt, Clé spirituelle de l'astrologie musulmane, Milan, 1974.
(43) Fut. I, 15, p. 152 ; 14, p.151.
(44) Fut. I, 67, p. 327.
(45) Cf. Ibn Arabi, Le dévoilement des effets du voyage, traduit par D. Gril, éd. de
l’Éclat, 1994, p. 36. Les deux
autres Hermès sont : l’Hermès Babylonien, et l’Hermès l’Egyptien ; cf. les trois articles de R. Guénon
dans le recueil Formes traditionnelles et
cycles cosmiques : « La tradition hermétique, Hermès, Le tombeau
d'Hermès ». Dans ce dernier texte, R. Guénon indique que les trois
pyramides d’Egypte ont pu constituer une « fixation » des sciences
traditionnelles qui sont rapportées respectivement à Adam, Seth, et Idris :
« (…) dont les mystères de sa sagesse et de sa science ont été cachés
dans la grande pyramide (…) Sa science se trouve incluse dans sa structure
même, dans sa disposition extérieure et intérieure et dans ses proportions; et
tout ce qu'il peut y avoir de valable dans les “découvertes” que les modernes
ont faites ou cru faire à ce sujet ne représente en somme que quelques
fragments infimes de cette antique science traditionnelle ». Dans cette
phrase R. Guénon fait allusion à ce qu’on pourrait appeler « l’écriture
architecturale ».
(46) Fut. II,
73, pp. 5-6 ; voir aussi M. Chodkiewicz, Le sceau des saints, Ed. Gallimard, 1986, pp. 118-119.
(47) Fut.
I, 26, p. 190.
(48) Cf. son introduction à sa traduction
anglaise des fuçûç al-hikam, The bezels of wisdom, London, 1980, p.
23.
(49) Fut. I, 2, p.83.
(50) fut. III, 346, p. 188 : « Nous
sommes à présent au troisième tiers de cette nuit du sommeil de l'univers. Or
la théophanie qui donne les grâces, les sciences et les connaissances parfaites
sous leurs formes les plus accomplies sont celles du dernier tiers de la
nuit » (trad. in Illuminations…,
pp. 50-51).
(51) Etudes
traditionnelles, Août-Sept. 1938, pp. 287-291. [Note 1 de l’article « Er-rûh »
[repris dans l’ORG : Recueils
posthume ; Tradition primordiale et
adaptation cyclique.]
(52) Voir
commentaire de ce hadîth par Ibn
Arabi dans fut. I, 2, section 2,
p.85 ; 5, p. 109 ; 10, p. 137 ; fut. II, 73, p. 58, 87 ; 216, p. 505.
(53) Al-haqq : litt. : « le Vrai, la Vérité », et aussi « le
droit », principal nom divin
coranique qui est rendu en français de différentes façons : « la
“Vérité” au sens absolu » (cf. R.
Guénon, « Les Idées éternelles »), « la Vérité Suprême, Dieu,… »
(Michel Vâlsan), la Réalité absolue, le Vrai principiel,…etc.
(54) Voir le sens
profond de ce hadîth dans Fut. III, 355, pp. 251-252.
(55) Cette
identification apparaît dans l’égalité du nombre des prophètes envoyés selon la
tradition islamique, qui est 314, avec le nombre du nom Métatron et le nom
Muhammad en explicitant ses lettres :
Mitatrûn : 40 + 9 + 9 +
200 + 6 + 50 = 314
Muhammad : mîm, hâ’, mîm, mîm, dâl : 90 + 8 + 90 + 90 + 35 = 314.
(56) Cf. R. Guénon, Esotérisme islamique et Taoïsme, Gallimard, 1973, ch. V « Er-Rûh ».
(57) Auquel est attribué
le distique suivant :
« Si tu sais lire la science des
lettres, tu sauras que ton être est une une tablette gravée de lignes ;
(58) Fut. IV, 559, p. 398 ; voir aussi cette notion d'héritage prophétique dans d'autres chapitres : I, 36, 37, 69 p. 482 ; II, 270, pp. 571-574 ; III, 336, pp. 135-140 ; IV, les 462 à 557, pp. 74-195 ; voir aussi : M. Chodkiewicz, Le Sceau des Saints, op. cit., ch. III, IV et V.
(59) Fut. III, 349, p. 208.
(60) Fut. II, 131, p. 215.
(61) Fut. II, 73, p. 16.
(62) Voir la valeur
de chaque lettre et sa signification dans fut.
I, 2, pp. 80-81
(63) Cf. R. Guénon, Formes traditionnelles et cycles cosmiques, éd. Gallimard, pp.
78-79.
(64) Fut. II, 109, p. 193.
(65) Fut. I, 2, p. 78.
(66) Fut .II, 73, pp.6-11.
(67) Fut. II, 78, pp. 320-321.
(68) Cf. Fut., ch. 178 (Les Illuminations de la
Mecque, op. cit., p. 411.
(69) Illuminations..., pp. 385-436.
« Gloire à Celui
qui a transporté de nuit Son serviteur de la Maison sacrée à la Maison al-aqçâ dont Nous avons répandu
l’influence spirituelle autour afin que Nous puissions lui montrer Nos signes ;
certes, Il est Celui Qui entend et Qui voit. »
(Al-Âsrâ, 1)
* * *
Concernant le propos de Monsieur A. Meftah sur M. Vâlsan, le considérant comme « le continuateur fidèle de René Guénon », nous rappellerons ce que celui-ci déclarait dans une lettre à Louis Caudron datée du 17 octobre 1950 :
« (…) personne n’a et n’aura jamais aucun document de moi l’autorisant d’une
façon quelconque à se considérer comme mon successeur, ce qui me paraîtrait
d’ailleurs tout à fait dépourvu de sens. Si j’ai dit autrefois que la tarîqah
était « le seul aboutissement de mon œuvre » (ce qui du reste était
vrai à cette époque), il doit être bien entendu qu’il s’agissait en cela de la
tarîqah elle-même, ce qui n’a absolument rien à voir avec « l’œuvre de
Sheikh Aïssa » ; je pensais encore qu’il devait s’agir d’une tarîqah « normale »,
dans laquelle il n’aurait dû avoir rien d’autre à faire que de remplir la
fonction de « transmetteur » et de se conformer strictement à
l’enseignement traditionnel, sans introduire aucune innovation ayant un
caractère « personnel ».