Extrait d'une lettre
de Clavelle (Jean Reyor) datée du 24 Août 1975.
Connu de quelques guénoniens, l’extrait suivant a le mérite de décrire certaines des conditions qui ont déterminé la publication
des ouvrages posthumes de Guénon. À lire avec les réserves d’usage pour ce qui
concerne les opinions personnelles de l’auteur.
« […] J’ai déploré longuement et
publiquement en 20 pages du “Symbolisme” (janv.-févr.1965) la publication des 2
volumes de Guénon sur la Maçonnerie, publication due à la sottise congénitale
et définitive de Roger Maridort, bien que d’autres aient aussi leur
responsabilité en cette affaire. Tu n’as peut-être pas su les détails des faits
relatifs aux ouvrages posthumes de Guénon.
Dès
la mort de Guénon, à un moment où la tutelle des enfants n’était pas encore
établie et où il n’y avait personne qui eut qualité juridique pour traiter avec
les éditeurs, les Chacornac s’autorisant d’une lettre adressée à moi par Guénon
au sujet des publications à faire après sa mort, me chargèrent de préparer
plusieurs volumes destinés à paraître assez rapidement afin de procurer des
droits d’auteur à la veuve et aux enfants.
Je
prépare d’abord “Initiation et Réalisation spirituelle” qui parut dès 1952,
puis “Aperçus sur l’ésotérisme chrétien”. Mais au moment où on allait donner le
bon à tirer de ce dernier ouvrage les Chacornac recevaient une lettre de
Caudron annonçant qu’il était mandaté par la tutelle des enfants Guénon pour
s’occuper des affaires d’édition et demandant qu’on suspende toute publication
en attendant sa venue à Paris – Caudron vint accompagné de Vâlsan qu’il présenta
comme son substitut et à qui on remit les épreuve des “Aperçus sur l’ésotérisme
chrétien” – En ayant pris connaissance, Vâlsan me demanda aussitôt de retirer
ou de modifier mon avant-propos qu’il estimait scandaleux pour la mémoire du
musulman Guénon puisque je rappelais, par ses propres textes, qu’il avait
reconnu la divinité du Christ – Je refuse de changer quoique ce soit à mon
texte et je dis à Vâlsan : “vous avez le pouvoir de supprimer cet
avant-propos mais je vous préviens que, dans ce cas, il paraîtra ailleurs avec
des explications sur les motifs de sa suppression”. Ainsi coincé Vâlsan donna
le bon à tirer sans changer une virgule à mon texte. Mais pendant que s’était
préparée l’impression des “Aperçus sur l’ésotérisme chrétien”, j’avais commencé
un 3ième et gros volume sur la Maçonnerie, tout différent de celui
qui a été finalement publié dix ans plus tard, car j’y avais fait large part au
symbolisme. Il me restait à écrire une introduction assez importante. Comme les
publications passaient aux mains de Vâlsan, je n’ai jamais écrit cette
introduction.
Huit
ans près les“ Aperçus sur l’ésotérisme chrétien”, Vâlsan fit paraître les
“Symboles fondamentaux”. A ce moment je pensais qu’il n’y aurait plus de
recueil sur la Maçonnerie puisque tout ce qui concernait le symbolisme
maçonnique se trouvait dans les “Symboles fondamentaux” qui d’ailleurs
reprenaient aussi certains articles déjà parus dans les “Aperçus sur
l’ésotérisme chrétien” (recueil “provisoire” disait Vâlsan). La tactique de
Vâlsan était claire : il n’y aurait pas de recueil de Guénon sur la
Maçonnerie et les “Aperçus sur l’ésotérisme chrétien” seraient retirés du
commerce ou, du moins ne seraient pas réédités.
Mais
peu après la publication des “Symboles fondamentaux”, Vâlsan était dessaisi de son mandat, celui-ci étant confié
à Maridort. Celui-ci arrive aussitôt chez moi en me demandant de préparer
d’urgence un volume ou deux d’articles et de comptes-rendus sur la Maçonnerie.
Je lui dis que la situation avait grandement changé depuis 1945 puisque tout ce
qui concernait le symbolisme maçonnique était déjà publié en volume et qu’il me
paraissait impossible de réaliser ce recueil à moins de le faire précéder d’une
introduction cette fois très importante. Il fallait penser que ce recueil
pourrait être acheté par des gens qui n’auraient rien lu d’autre auparavant de
Guénon. Ceux-ci ne pourraient rien comprendre aux articles qui restaient à
publier si on n’expliquait pas d’abord dans une préface ce qu’était la
Maçonnerie pour Guénon, ce qu’il entendait par initiation. Il fallait donner un
bref historique de la Maçonnerie et quelques notions de symbolisme. Il était
possible de faire cette préface en utilisant principalement des citations de
Guénon tirées des ouvrages déjà parus mais il y aurait
tout de même une participation personnelle du préfacier. J’étais disposé à
entreprendre ce travail qui, à première estime représentait au moins 50 à 60
pages, mais que c’était une chose pour laquelle il ne m’était pas possible de
fixer un délai rapproché. Ce n’était d’ailleurs qu’en faisant le travail que je
me rendrais compte de l’étendue qu’il faudrait lui donner. Je me réservais –
puisque je prendrais aussi la responsabilité du recueil – de choisir les
articles et comptes-rendus qui y figureraient (je pensais ne rien prendre de la
“Gnose” et très peu de la “France anti-maçonnique”)*. Maridort
s’écria que ce n’était pas cela qu’il me demandait, mais simplement de faire un
classement des articles, y compris tous ceux signés “Palingenius” et le “Sphinx”* et prendre tous les comptes-rendus. J’essayais de
lui faire comprendre l’absurdité de cette entreprise et, comme je sentais bien
qu’il avait une arrière-pensée, je finis par lui dire : “Tu as peur que je
fasse de la pensée de Guénon une présentation que tu qualifierais de
tendancieuse”. Il avoua que c’était bien cela – à quoi je répondis : Tu as bien
tord ; car c’est toi qui est le maître de la publication. S’il se trouve
dans mon texte quelque chose qui ne te conviens pas, tu ne le publies pas. Il
ne sera publié qu’un texte sur lequel nous serons tombés d’accord”. Mais mon
bonhomme ne se sentait pas rassuré pour autant, me croyant capable de
machiavélisme. Il resta sur ses positions. Je lui dis que dans ce cas la chose
ne m’intéressait pas, que dans ces conditions n’importe qui pouvait faire un
classement en quelques jours, lui tout le premier. Comme le bruit avait couru
parmi les lecteurs des E. T. que c’était moi qui devait préparer ce recueil,
dès sa publication je fis paraître l’article de janvier-février 1965 dans le
“Symbolisme” pour dégager ma responsabilité dans cette entreprise absurde.
Voilà pour l’anecdote.
Quant
au fond de la question, c.à.d. les positions contradictoires de Guénon
concernant la Maçonnerie, j’ai essayé de les expliquer dans ce même article du
“Symbolisme”.
En
deux mots, je crois qu’on peut dire ceci : il y a ou presque parfaite
continuité entre Palingenius et Guénon lorsqu’il s’agit d’exposés de doctrines
orientales : Guénon y transmet ce qu’il a lui-même reçu. Il n’en va pas de
même lorsque Guénon traite des organisations occidentales et notamment de la
Maçonnerie. Là il est réduit à ses propres moyens (s’il a reçu quelque chose de
l’ancienne Maçonnerie – l’histoire des Maîtres à tous grades – ce fut
certainement après l’époque de la “Gnose”) et l’approfondissement de ses
connaissances l’a amené à changer ses positions totalement.
A
vrai dire, dans une phrase assez énigmatique (“ceux de nous – qui sont morts
depuis longtemps”) il a lui-même laissé entendre en 1933 que le Guénon de la
maturité ne se voulait plus solidaire de Palingenius et du Sphinx.
Je
ne crois pas devoir m’excuser de ces explications un peu longuettes : il
me semble bon qu’après moi il y ait quelqu’un qui sache avec précision comment
certaines choses se sont passées… et où se trouvaient les
responsabilités ».
*Clavelle écrit : la “Gnose” ; la “France anti-maçonnique” ; le “Sphinx”.
Pour un aperçus sur quelques problèmes posés par la réédition de l’œuvre complète de Guénon (avant que
celle-ci ne tombe dans le domaine public en 2022), voir les deux messages postés plus
haut, le 20 septembre 2013 et le 13 octobre 2013 : « La publication des inédits de Guénon ».
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