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mercredi 6 octobre 2010

NASKH

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La « petite voie » est la plus grande

Certaines personnes se réclamant de l’enseignement de René Guénon revendiquent pour l’Islam une « Doctrine le l’abrogation » en se basant sur un passage des Futûhâtul mekkiyah (1) dans lequel le sheykh al-akbar emploie le terme naskh que plusieurs traducteurs ont interprété sans commentaire par « abrogation ». Il serait bon de remettre un peu d’ordre dans les idées en rappelant pour commencer l’acception guénonienne du terme doctrine.
En effet, ce terme s’applique indifféremment à une théologie, une philosophie ou une idéologie politique mais il définit, pour ce qui concerne la Tradition, l’ensemble des expressions d’une forme religieuse ou ésotérique dont la cohérence représente véritablement le corps ou mieux la forme intellectuelle telle qu’elle est susceptible d’être enseignée métaphysiquement (et théologiquement) à partir d’un texte révélé. Par conséquent, il n’y a pas plus de doctrine de l’abrogation que de doctrine du califat, de la prière, du pèlerinage ou de tout autre aspect particulier ou secondaire car tous ces aspects ne sont à proprement parlé que les membres de la doctrine elle-même ( 2). On observe donc là ce qu’il convient d’appeler un abus de langage destiné en l’occurrence à impressionner le lecteur afin de mettre en avant sa propre religion au détriment de celle des autres. Le procédé est assez efficace puisqu‘à présent cette tendance prosélyte gagne même les esprits de ceux qui se recommandent de l’enseignement de René Guénon.
Les affirmations dogmatiques sans cesse guettées par la rigidité de l’entendement humain sont le propre de la ferveur théologique, qui en soi reste tout à fait légitime mais relève, sur le fond, du domaine mystique, non de la voie initiatique et ésotérique ; ainsi, dans ce cas précis, le théologien parlera d’abrogation et de caducité là où l’initié (ou le métaphysicien) envisagera la possibilité de réaliser l’intégration de toutes les lois antérieures (à l’avènement de l’Islam). Tel est le point de vue de ceux qui recherchent la parfaite Servitude spirituelle (3).
Jusque là, nous avions l’habitude d’entendre plutôt les théologiens chrétiens qui, sur ce point de l’excellence non partagée, manquent rarement de se faire entendre. Depuis l’élection du Cardinal Ratzinger à la fonction pontificale, ces derniers, renforcés par les religieux nationalistes, durcissent encore le ton en proclamant de façon virulente (avec la revendication affichée de partir en guerre contre l’Islam) que la religion du Christ est la seule vraie Religion puisque Dieu a envoyé son Fils, l’Incarnation, afin de sauver tous les hommes et que cet avènement s’est produit sans aucun précédent et demeure par là même déterminant pour l’humanité par son irruption dans l’Histoire. En outre, ces déclarations exclusivistes qui purent se justifier en d’autres circonstances ne sont certainement pas un remède à la confusion générale actuelle. Mais le plus important, selon nous, est que cette attitude relevant de l’enthousiasme guerrier au sens propre reste conditionnée par l’emprise psychique et s’avère nulle et non avenue pour ce qui concerne le domaine d’une voie initiatique.
Si l’affirmation de l’excellence du dernier, au sens entendu et désigné ici, comme exclusif, avait été démontrée et confirmée par Guénon, on aurait pu alors parler à son égard d’une «  fonction pour l’avènement de l’Islam dans l’eschatologie occidentale moderne du monde chrétien », ce qui est évidemment réducteur, tendancieux et inacceptable (4). Sans mettre spécialement en avant l’excellence du dernier et encore moins une abrogation des formes antérieures, Guénon a mis en évidence la pérennité intellectuelle de la Tradition primordiale qui se perpétue, dans les modalités de notre période cyclique, avec l’Islam, lequel, en tant que Sceau de la prophétie, trouve son excellence, au même titre que toute tradition vivante jusqu’à la fin de notre cycle (5). Cette attitude qui n’a rien à voir avec la promotion d’une prétendue « équivalence de toutes les religions » concept aberrant et parfaitement étranger à notre point de vue (6), s’applique également pour le Védântâ, le Tantra, ou le Dharma Bouddhique (et par excellence le Vajrayana) qui conviennent plus particulièrement aux mentalités orientales et extrêmes orientales.
Dans une lettre à Lovinescu envoyée du Caire et datée du 19 mai 1935, Guénon précisait :
 « On ne peut d’ailleurs jamais dire que la constitution d’une nouvelle forme traditionnelle doit avoir forcément pour effet d’en faire disparaître une autre (même celle dont elle procède directement), car il pourra toujours y avoir des êtres auxquels celle-ci sera mieux appropriée, de même que la prédominance d’une certaine race dans une période n’empêche pas qu’il subsiste des représentant de la race qui l’ont précédée ».
On ne saurait être plus clair. 

*Les différentes définitions de ce terme sont les suivantes : abrogation ; révocation ; reproduction ; suspension ; transcription (d’un texte) ; métamorphose (d’une chose en une autre).




NOTES


(1) Chapître 339.
(2) Rappelons la définition universelle de l’Islam par son Tawhîd : « La doctrine de l’Unité est unique » (Tawhîdun wahîd).
(3) Le naskh des lois antérieures abordé par Ibn Arabî (voir le passage reproduit ci-dessus) est susceptible de s’interpréter selon différents point de vue comme beaucoup d’autres aspects, d’ailleurs, de la doctrine islamique contenue dans les Futûhât, conformément au hadith, « La différence de point de vue (ikhtilâf) dans ma communauté est une baraka ».
(4) Ce qui nous fit adhérer immédiatement à l’exposé doctrinal de R. Guénon dés la lecture d’Orient et Occident est précisément l’esprit totalement désintéressé de ce dernier à l’égard de tout engagement confessionnel. C’est ce que nous avons tenté de suggérer dans un autre texte par les réserves que nous formulons à l’égard de l’idée d’une fonction, afin de rétablir l’équilibre, en quelque sorte, car enfin, il nous parait impossible de représenter l’enseignement de R. Guénon par un titre officiel quelconque sans en réduire la dimension initiatique (voir ci-dessous : De « Vers la Tradition » à la Tradition).
(5) Seules les traditions éteintes comme par exemple celle de l’Egypte ancienne ou encore celle des Incas peuvent être considérées comme caduques et par conséquent abrogées de facto. 
(6) Il ne peut y avoir aucune équivalence entre les religions du fait qu’elles se déterminent par adaptation cyclique à différents types humains et qu’elles ne sont, par là même, aucunement interchangeables. Ce n’est qu’au regard du seul point de vue métaphysique qu’il est possible parler de l’équivalence des différentes formes traditionnelles.





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