Le texte qui suit est la
réponse à deux commentaires déposés à propos du message intitulé SUR LA
PUBLICATION DES INÉDITS DE RENÉ GUÉNON, mis en ligne ci-dessous, le vendredi 20
septembre 2013. (Les commentaires sont reproduits ici en italique).
- Contrairement
à ce que dit l’auteur de la remarque, la mise à disposition de certains inédits
est assez récente." C'est malheureusement bien ce que je dis, il y a
encore des inédits, 60 ans après, délivrés au compte goutte (peut-être pour
maintenir le suspense?), je ne comprends pas.
Les
inédits de RG sont, comme ses textes publiés, soumis aux droits d’auteur. Ils
ne peuvent donc être édités qu’avec l’accord des ayants droit. Pourtant, d’une
façon générale, on constate que certains ne se gênent pas pour contourner la
loi, en publiant dans des pays dans lesquels ces droits tombent après 50 ans
(voir : Recueil, au Canada), ou en mettant en ligne sur Internet, par
exemple, des correspondances de RG à tel ou tel (elles sont inédites, en
livres, à ce jour).
Il
est proprement scandaleux que ceux qui n’ont pas reçu le moindre mandat
éditorial, ou qui n’en bénéficient plus, spolient ainsi les enfants de René
Guénon, par des éditions illégales, en français et en langues étrangères, et
par la mise en ligne sur Internet de nombre de livres, de textes et de
correspondances.
Tous
ces documents sont d’ailleurs plus ou moins fautifs, partiels. Pour les
lettres, on ne sait pas ce que le correspondant de Guénon a bien pu lui écrire,
ce qui peut engendrer bien des difficultés ou mésinterprétations. Par exemple,
le 12 août 1917, Guénon écrit à Noële Maurice-Denis
: « Voilà déjà huit jours que j’ai reçu mon
manuscrit et votre lettre ». De quel manuscrit s’agit-il ? De celui
sur « L’idée de l’Infini » ? De son « Examen des idées de
Leibnitz sur la signification du Calcul infinitésimal » ? D’une autre
étude ? Certains indices contenus dans cette lettre nous orientent
sur une piste ; mais nous aurions bien entendu toute certitude en
connaissant la lettre de Noële Maurice-Denis.
- Et
je ne parle pas de la qualité catastrophique des recueils déjà publiés, que ce
soit par la présentation ou par la simple retranscription des textes.
Nous
sommes tout à fait d’accord. Les recueils posthumes préparés par
Reyor/Clavelle, Maridort et Grossato, ont été faits sans avoir en vue un ordre
d’ensemble cohérent. Ils manquent de sérieux, d’abord dans leur composition,
certains articles n’ayant manifestement pas leur place dans tel ou tel recueil
(par ex : les 4 premiers chapitres d’Initiation et Réalisation
spirituelle).
De
plus, on constate, pour le regretter : des fautes d’orthographe, de
ponctuation ; des mots, phrases et notes oubliés ; des termes ajoutés
ou substitués à ceux écrits initialement par Guénon ; des phrases
répétées ; des erreurs concernant les références des articles publiés,
ainsi qu’une absence totale de provenance des articles dans tel ouvrage, etc.
Et
les responsables de ces publications anarchiques et catastrophiques se sont
glorifiés, en associant leurs noms à celui de René Guénon, en signant des
« Avant-propos » insignifiants, et bien contestables.
Par
exemple, Clavelle (Reyor), avec les Aperçus
sur l’Ésotérisme chrétien. Son
édition a été faite par surprise, “en pirate”, soutenue par Chacornac et
Maridort en 1954. J’ai appris que Michel Vâlsan, mandataire littéraire nommé
par René Guénon, avait dû accepter cette édition à titre transitoire,
puisqu’elle était déjà composée en imprimerie ; mais il ne l’avait
autorisée que pour une seule édition. Celle-ci avait de plus perturbé les possibilités
d’une organisation judicieuse immédiate du matériel restant, car elle avait
empiété sur le domaine du symbolisme, en incluant trois des articles destinés
normalement au volume sur les symboles.
Quelques années après, Maridort et Chacornac reconnurent leurs torts
respectifs dans cette affaire. Cela n’a rien changé au fait que les Aperçus sur l’Ésotérisme chrétien ont été régulièrement
réédités, plus tard avec une nouvelle pagination, et quelques corrections…
La question qui se pose est donc de savoir
comment publier à nouveau ces articles.
- Par ordre chronologique ? Leur
édition sous forme de succession « chronologique » pourrait-elle
permettre d’en comprendre leur véritable « logique » ?
- N’importe comment, comme pour Mélanges et Recueil ?
- Par thèmes ? Peu avant son décès,
Guénon avait privilégié cette dernière méthode, parlant d’« un ou deux
recueils d’articles sur le symbolisme, et peut-être aussi une suite aux Aperçus sur l’Initiation ». Sur ce dernier point, Initiation et Réalisation spirituelle aurait pu être la suite espérée : encore une publication bâclée,
fautive, etc…
-
Quel intérêt que de passer 10 000 heures à compter les virgules du cours de
philosophie? Il y en a certainement un, mais ce n'est pas ça la priorité.
Qui
fait ce type de travail complètement stupide ? Très rares sont ceux qui ont lu
ce Cours, et je n’en connais aucun qui se soit adonné à ce genre d’imbécillité.
Mais peut-être disposez-vous d’informations que je ne possède pas... Ayez
l’amabilité de m’apporter des renseignements là-dessus ; je vous en remercie à
l’avance.
Ce
qui est sûr, c’est que ceux qui ont lu ce Cours l’ont trouvé tout à fait
conforme aux idées traditionnelles que RG expose dans ses livres et articles
publiés. Il apporte, comme tout texte inédit de RG, des éclairages
complémentaires, ou totalement nouveaux, sur bien des points.
C’est
toujours la même doctrine, toujours le même enseignement. Mais, pour le savoir,
il faut avoir lu ce Cours, et ne pas s’en faire quelque idée définitive à
partir des rares extraits qui ont été publiés, ni préconçue, du fait qu’il
provient, précisément, d’un cours de philosophie, alors qu’il ne s’agit ici que
de la philosophie considérée et interprétée du seul point de vue traditionnel.
J’apporte
quelques précisions complémentaires à ce que j’ai écrit précédemment au sujet
de ce Cours de Philosophie.
Après
l’édition du pitoyable Psychologie, Patrice Brecq a montré à qui il fallait attribuer la
paternité de ce Cours, d’où était tirée la partie publiée par A. Grossato.
Celui-ci n’en connaissait évidemment pas la provenance, pas plus qu’il ne
connaît le Schiller et le Weber cités par Guénon, et que ce brillant
universitaire confond avec deux autres homonymes !
AG
ayant interprété de façon complètement fautive la question de “l’imagination
créatrice” dans ce Cours, PB a jugé utile d’éditer le chapitre correspondant,
qui doit être compris “psychologiquement” ou philosophiquement, et non, comme
l’a fait AG, à partir de ce qui se rapporte à “l’art de la mémoire”, et à
“l’imagination créatrice” selon Corbin.
Les
deux premiers chapitres de “Psychologie” ont été édités pour que les lecteurs
constatent qu’AG avait fait un travail qui ne pouvait que desservir RG. Leur
publication a permis de répondre encore à ceux qui estimaient que Psychologie ne pouvait être de RG, à cause de la présence de
l’expression : “psychologie métaphysique”.
PB
a aussi donné ces précisions : le Cours se présente
« le plus souvent comme un exposé des principales thèses soutenues par
divers philosophes sur telle ou telle question, suivi d’un examen critique qui
permet de pouvoir ensuite dégager plus facilement une conclusion. C’est dans la
partie “critique” et dans la conclusion que la perspective traditionnelle est
affirmée de la façon la plus explicite » (Science sacrée, n° sur RG).
Ce
qui a été illustré par la publication du chapitre sur « Les degrés de la
connaissance » : « Guénon y rappelle la distinction, établie par
Spinoza, des quatre degrés de la connaissance ; puis il relève dans cette
distinction plusieurs défauts ; il termine sa leçon en enseignant qu’il est
préférable de distinguer trois degrés dans la connaissance, résumés dans un
tableau qui n’est pas sans rappeler le premier tableau du chapitre II de L’Homme
et son devenir selon le Vêdânta ;
puis il ajoute enfin plusieurs remarques concernant la métaphysique » (Ibid.).
D’autre
part, si on connaît, d’après Guénon, qu’il n’y a pas d’inconscient
psychologique, « Conscience, subconscience, inconscience » (VLT n°
123) est le seul texte qui contient une argumentation détaillée sur cette
question. De plus, les notes ajoutées éclairent plusieurs notions, comme celles
de “conscience morale” et de “mémoire”. Les deux références données (Kant et
Leibnitz), relatives à des citations faites par Guénon, si elles peuvent
intéresser certains lecteurs, sont surtout des preuves documentaires en la
faveur de Guénon lui-même.
Dans
le n° 127 de VLT : « Définition
et division de la logique », chapitre introductif à la “Logique”, et
« Les principes logiques », chapitre II de la “Logique générale”, et
dans le seul n° 128 de LRT : « La méthode mathématique ». Le n° 129
devait inclure la suite et la fin de ce chapitre. Cet ensemble, qui contient
des données qu’on ne trouve pas ailleurs de façon aussi détaillée, concerne
deux sciences qui « sont, dans tout le
domaine scientifique, ce qui offre le plus de rapports réels avec la
métaphysique ».
On
est donc bien loin d’un cours de philosophie dispensé en lycée ou à
l’université ! Dans ce Cours, les conceptions philosophiques sont en effet
exposées, puis réfutées uniquement à partir du
point de vue traditionnel, et d’idées conformes à la
théorie des états multiples de l’être.
L’édition
de ce Cours serait autrement plus intéressante « que de passer 10 000
heures à compter ses virgules » !
-
Concernant les distinctions que vous faites, livres publiés du vivant de,
correspondances, etc, je le vois d'une autre façon : les travaux recueillis
dans les ouvrages posthumes ont pour la plupart été publiés en revue du vivant
de Guénon, et certains inédits étaient destinés à l'être. Quel est donc leur
point commun : c'est l’œuvre publique.
Je vois que nos points de vue concernant
les recueils posthumes, qui contiennent des articles publiés par Guénon de son
vivant, ne sont pas si différents, puisqu’ils concernent effectivement
« l’œuvre publique ». Toutefois, il ne faut pas oublier que ces
recueils n’ont pas été constitués par Guénon lui-même. Et j’ai fait
précédemment plusieurs critiques à ces ouvrages posthumes. Si bien que seuls les
livres de Guénon, publiés par lui de son vivant, bénéficient d’un véritable
statut « à part ».
Si on veut ajouter à ces livres les
articles publiés par Guénon, et ceux qu’il a voulu éditer, sans y parvenir (par
exemple : « Les dualités cosmiques »), on a effectivement un
ensemble : celui de son œuvre publique.
Que faire alors des articles publiés dans
diverses revues, et de tous les documents inédits ? Quel est le statut de
ces derniers ? Peut-on, doit-on, les publier ? Ces questions
rejoignent vos dernières remarques, que je reprends :
-
Vient ensuite une autre catégorie à part, qui sont les cours de Guénon, pas
vraiment privés, mais pas destinés non plus au public, et pas de la même
teneur. Et enfin les correspondances, privées elles, dont beaucoup sont intéressantes
certes, mais c'est bien l’œuvre publique la priorité n°1. C'est ça, la volonté
de Guénon. Il n'a jamais demandé à ce qu'on publie ses correspondances ou ses
cours de philo, par contre il a bataillé toute sa vie pour voir son œuvre
publiée, bien présentée et disponible.
Pour le Cours de Philosophie, Patrice
Brecq écrivait en 2003, qu’il n’avait « pas lu, à ce jour, d’indications
de Guénon concernant une éventuelle possibilité d’édition de son cours de
philosophie, pas plus, d’ailleurs, que de mentions en interdisant sa
publication. De là, si ce Cours ne devait pas rester inédit, il faudrait, pour
constituer en livre ces leçons de philosophie, partir des originaux, donc de la
source la plus sûre et la mieux établie, puisque l’auteur ne l’a pas fait
lui-même ».
Depuis dix ans, et malgré de patientes
recherches, il n’a toujours pas lu quoi que ce soit de Guénon à ce sujet, pas
plus qu’il n’a trouvé, de la part de Guénon, d’interdiction de publication de
ses autres écrits, ni de sa correspondance.
La seule réserve trouvée est
indirecte : selon l’un se ses correspondants (dans une lettre de ce
dernier à un tiers), Guénon aurait interdit la publication d’un seul texte
(c’est plus exactement un ensemble de textes) mais ce correspondant ne
s’exprime pas très clairement sur ce point, et, surtout, dans sa propre
correspondance avec Guénon, on ne trouve pas de formulation de ladite
interdiction.
Pour la publication des correspondances
(1), bien des bruits circulent, mais on n’a jamais rapporté à ce jour le
moindre témoignage écrit de Guénon sur ce sujet : ni pour, ni contre.
Comme tout auteur, Guénon savait bien que la question de « ses
inédits » se poserait après sa disparition. S’il n’a rien précisé, c’est
qu’en authentique walî (saint ou “rapproché”, ami de Dieu) − on ne sait guère, en Occident,
qu’« Al-walî » est précisément le titre par lequel il est connu en
Égypte, et dans bien des pays musulmans −, il s’en est remis à ce sujet à la
Volonté et à la Sagesse divine.
Il
y a encore un autre type de documents inédits : il s’agit des notes qu’il
a rédigées tout au long de sa vie. Elles
sont contenues dans deux ensembles : le Document
I concerne le domaine traditionnel,
et comprend 1120 pages ; le Document
II traite principalement de théologie et de philosophie,
sur 296 pages (notes prises entre 1914 ou 1915 et 1924). Ils
sont constitués, d’une part de la copie de passages extraits de livres et
d’articles, lus par Guénon, et parfois annotés par lui ; d’autre part, de
considérations, observations ou réflexions consignées par Guénon, pouvant
s’étendre sur plusieurs pages. En fonction des sujets qu’il traitait, il les
intégrait telles quelles dans ses propres écrits, signalant sur les manuscrits
qu’elles étaient désormais reprises. Mais nombre de ces notes restent inédites.
Là encore, faut-il les publier ? Comment ? Etc.
Les lecteurs familiers des lettres de
Guénon, et ceux qui connaissent ses autres écrits inédits, notamment son Cours
de Philosophie, savent qu’ils sont tout à fait conformes aux idées
traditionnelles que René Guénon expose dans ses livres et articles publiés.
De là, pour ces lecteurs, il ne fait aucun
doute que tous les écrits de
Guénon relèvent, chacun dans son ordre, d’un enseignement unique. Pour eux, toutes les
subdivisions que certains établissent, avec plus ou moins d’ingéniosité,
disparaissent finalement devant ce principe d’unité.