L. R. Q. S. T.
Hégémonie du « Règne de la Quantité » et Islâm.
Selon Guénon, lorsqu’elle aura
épuisé sa finalité exclusivement dissolvante, la fonction du monde moderne
n’aura plus de nécessité et son temps cessera. Mais avant d’en arriver à ce
terme, beaucoup de choses appartenant encore à des réalités vivantes d’ordre religieux
et initiatique, au sein des traditions occidentales et orientales, devront
disparaître ou laisser la place à leurs contrefaçons, car, à considérer la
logique des choses, les déséquilibres en nombre croissant ne peuvent que
continuer à engendrer, troubles, désordres et conflits insolubles. Quoi qu’il
en soit de l’avenir incertain de notre humanité, les « philosophes
modernes » s’emploieront à justifier avec zèle toutes les crises en cours
et à venir en les considérant comme la rançon inévitable du
« progressisme » se gardant bien de les intégrer dans une mesure
globale et d’en dégager les causes premières. Cependant, rien n’y fera :
tant que les faits ne seront pas situés à la place qui leur revient, il nous
sera impossible d’évaluer leur concours singulier simultanément à leur
« somme » dans « l’équilibre total » d’une période, en
l’occurrence la nôtre, qui débuta avec de la visibilité de l’histoire humaine.
Faute de cette « vision intégrale », la chronique des évènements
s’oriente naturellement selon les tendances mentales de l’époque par laquelle
leurs auteurs conçoivent le sens de l’Histoire, de sorte que bon gré mal gré,
ceux-ci ne sont au fond que de simples instruments au service de la diffusion
idéologique, sinon de la propagande, non pas de « l’Empire », comme
l’appellent certains mais d’une parodie d’Empire.
Les raisons qui ont amené
progressivement le monde occidental à l’hégémonie du « Règne de la
Quantité » se manifestent aujourd’hui avec une telle puissance que les
États dirigeants possèdent la garantie de leurs dominations sur le reste du
monde. Ce « privilège » s’exprime par de l’arrogance et un
extraordinaire sentiment d’impunité ouvrant la voie aux pires
forfaits. Comme au siècle dernier, l’objectif consiste à affronter le
monde traditionnel par la violence et l’ethnocide et à imposer ensuite, partout
où cela devient possible, des conceptions idéologiques anti-traditionnelles. De surcroit,
les « démocraties anglo-saxonnes et européennes » ont acquise à leur
avantage de redoutables techniques de manipulation audio visuelles qui les
incitent à provoquer des situations critiques tout en brouillant à loisir les
informations.
Au début du XXème siècle,
simultanément aux conflits qu’ils ont répandus dans les pays
orientaux, les États colonisateurs ont utilisé, selon les circonstances, des
courants latents de la « contre-tradition », bien mieux adaptés pour leur
prosélytisme. Les peuples occidentaux dans leur grande majorité ignorent – et
préfèrent ignorer – les manipulations éhontées des pouvoirs
britanniques et américains par l’activité occulte de leurs services secrets afin
de susciter et propager des mouvements de réforme. L’installation du pouvoir politique des Séoud par le moyen de
l’idéologie wahhabite en est l’exemple type (1). Conformément à la mentalité du
profit qui a toujours animé la colonisation, leurs objectifs consistent à asservir
la communauté islamique aux intérêts financiers du monde occidental et à diffuser
les attraits matériels du « Règne de la Quantité » dans les pays arabes.
Cette instrumentalisation leur permettant d’atteindre encore un autre
objectif : subvertir, de l’intérieur, la spiritualité de l’Islam dont la
vitalité représentera toujours un adversaire efficace contre les forces
ténébreuses du progrès moderne.
La récente parution d’Islam & Occident de
Youssef Hindi, nous livre des informations jusque là réservées à quelques
spécialistes (2). Il s’agit de « faits
occultes », qui confirment à divers égards l’existence d’un arrière plan
déterminant les évènements retenus par l’histoire officielle. Ce dont rend
compte Hindi, illustre l’efficacité de diverses actions délibérées et sournoises
qui se combinent pour aménager des enjeux politiques favorables à la
dissolution des réalités spirituelles à l’intérieur même des formes
traditionnelles, en l’occurrence, les actions occultes issues de divers
« courants messianiques » déviés du Judaïsme dont le dessein est de
provoquer l’affrontement entre les pays chrétiens (ou soi-disant tels) et les pays
musulmans, affrontement dénommé « Choc des civilisation » par
l’orientaliste Bernard Lewis. Que ces « faits occultes » s’accordent
aussi avec les intentions cachées des autres courants déviants qui
se formèrent au fil de l’histoire depuis la fin de la période médiévale, tels
le Protestantisme, les multiples déviations des organisations maçonniques, le
wahhabisme, le Salafisme, et plus récemment, l’instrumentalisation politique du
nationalisme chrétien, ne fait que confirmer la logique interne de la
forfaiture moderniste.
Une réserve cependant. Hindi, en n’envisageant
que l’aspect historique de ces courants, ne distingue pas suffisamment la tradition
Juive des nombreuses dérives « contre-traditionnelles » qui en sont
issues. Le lecteur est ainsi induit à confondre les réalités spirituelles de
l’initiation, en l’occurrence l’ésotérisme de la Kabbale, et la contre-initiation
elle-même. Ors, la vérité est que ces faits, relatés et référencés sans
jugement, expriment des tendances qui, dans leur ordre, ne dépendent pas des
formes traditionnelles elles-mêmes ; c’est-à-dire qu’à partir d’« une
critique des faits », on ne peut établir de causes délétères provenant d’une
forme religieuse ou initiatique particulière qui agiraient directement sur
d’autres formes comme le laisse entendre, à tord, l’auteur.
Il est important, sinon
indispensable, répétons-le, de relier les faits constitutifs de l’histoire
moderne, aux déterminations apparentes et cachées des situations par lesquelles
ils sont rendus possibles tout en considérant le « climat » cycliques
de leurs apparitions. La
possibilité de l’ensemble des déviations contemporaines correspondant à ce
« climat » est, dans l’ordre causal, antérieure aux
« accidents », observables en tant que faits, tels qu’ils
apparaissent comme « Signes des Temps » dans le cours d’un Cycle, en
l’occurrence, de son cours terminal ; faits dont l’accélération – signe ultime – est
maintenant vérifiable sur de très courtes durées. Pour
bien mesurer ces nouvelles « possibilités de
manifestation » que sont les évènements actuels, Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps (3)
demeure un ouvrage incontournable. Depuis le commencement des temps modernes,
rien de ce qui se produit dans ce qu’on appelle aujourd’hui « le théâtre
de la géopolitique mondiale », n’est véritablement compréhensible hors
d’une méditation de ses quarante chapitres.
On a souvent réinterprété le point de vue Guénon à
propos de la crise du monde moderne et des situations insolubles qu’elle
engendre. Trop facilement considérées comme un rejet, ou une
« réaction », voir même comme une « révolte » à la manière
d’Évola, par quelques faux intellectuels sensibles à ces tendances, les
considérations de l’auteur du RQST
sur les temps modernes relèvent, au contraire, d’une attitude sereine,
inséparable de la véritable sagesse, qui consiste, ainsi que ne cesse de le
dire Ibn ’Arabî, à mettre chaque chose à sa place. De ce point de vue, et de ce
point de vue exclusivement, rien de ce qui arrive actuellement en tant
qu’évènement ne peut faire l’objet d’une indignation ou d’une réaction
quelconque. En effet, ce serait là se laisser aller à du ressentiment, qui
n’est que l’expression psychologique de l’ignorance (au sens oriental du terme).
A cet égard, dés le second paragraphe de l’Avant
Propos, Guénon exprime clairement l’état d’esprit avec lequel il va aborder l’ensemble
des questions sous-jacentes au « Règne de la Quantité » :
« Du reste, même à un point de
vue purement désintéressé “théoriqueˮ, il ne suffit pas de dénoncer des erreurs
et de les faire apparaître telles qu’elles sont réellement en elles-mêmes ; si
utile que cela puisse être, il est encore plus intéressant et plus instructif
de les expliquer, c’est-à-dire de rechercher comment et pourquoi elles se sont
produites, car tout ce qui existe en quelque façon que ce soit, même l’erreur,
a nécessairement sa raison d’être, et le désordre lui-même doit finalement
trouver sa place parmi les éléments de l’ordre universel. C’est ainsi que, si
le monde moderne, considéré en lui-même, constitue une anomalie et même une
sorte de monstruosité, il n’en est pas moins vrai que, situé dans l’ensemble du
cycle historique dont il fait partie, il correspond exactement aux conditions
d’une certaine phase de ce cycle, celle que la tradition hindoue désigne comme
la période extrême du Kali-Yuga ; ce sont ces conditions, résultant de
la marche même de la manifestation cyclique, qui en ont déterminé les
caractères propres, et l’on peut dire, à cet égard, que l’époque actuelle ne
pouvait pas être autre que ce qu’elle est effectivement. Seulement, il est bien
entendu que, pour voir le désordre comme un élément de l’ordre, ou pour réduire
l’erreur à une vue partielle et déformée de quelque vérité, il faut s’élever
au-dessus du niveau des contingences au domaine desquelles appartiennent ce
désordre et cette erreur comme tels ; et de même, pour saisir la vraie
signification du monde moderne conformément aux lois cycliques qui régissent le
développement de la présente humanité terrestre, il faut être entièrement
dégagé de la mentalité qui le caractérise spécialement et n’en être affecté à
aucun degré ; cela est même d’autant plus évident que cette mentalité implique
forcément, et en quelque sorte par définition, une totale ignorance des lois
dont il s’agit, aussi bien que de toutes les autres vérités qui, dérivant plus
ou moins directement des principes transcendants, font essentiellement partie
de cette connaissance traditionnelle dont toutes les conceptions proprement
modernes ne sont, consciemment ou inconsciemment, que la négation pure et
simple. »
NOTES
(1) Nous ne parlons pas ici de la fausse
résistance des « courants radicaux » déviés et contre-traditionnels
issu du « réformisme ». Paradoxalement, les méfaits de ce
« réformisme » ne corrige en rien l’aveuglement des pseudos philosophes
et autres penseurs contemporains qui l’invoquent continuellement et à tout
propos, avec d’autant plus d’assurance qu’ils ignorent à peu près complètement
les fondements traditionnels déterminant toutes les religions.
On
peut s’informer sur les agissements occultes et les manipulations des pouvoirs
coloniaux durant la fin du XIXème siècle et le début du XXème
en consultant l’ouvrage de J. M. Vernochet ; Les Egaré.
Le wahhabisme est-il un contre islam ? (Éd. Sigest), qui relate l’émergence du
Wahhabo-salafisme au sein de l’Islam (traditionnel) :
« Ibn
Séoud, lorsque la reconquête du Hedjaz est achevé, le 2 nov. 1925, celui qui
s’est proclamé sultan du Nedj dès 1921, signe avec les Anglais le traité de
Hadda. Acte faisant suite aux accords préliminaires – relatifs aux frontières
de l’Irak, du Koweït et de l’Arabie – passé en 1922 lors d’une rencontre dans
l’oasis d’Al Aqir, à l’Est de la péninsule, entre Ibn Séoud, le Haut
commissaire pour la Mésopotamie, sir Perry Cox et le Major Moore. Dans ce
contexte rien de surprenant à ce que la création du Royaume d’Arabie en 1932 ne
soit de nos jours perçue a posteriori
comme la contrepartie du rôle joué par les Séoud dans la consolidation de
l’influence britannique sur la Péninsule arabique, notamment en Palestine où a
été établi le Foyer national juif. » (p.34)
(2)
Youssef Hindi : Occident &
Islam, Sources et genèse messianique du sionisme de l’Europe médiévale au choc
des civilisations, Tome I ; Éd Sigest 2015. Il y actuellement de plus
en plus de personnes qui se questionnent sur l’imposture politique des grandes
nations occidentales et qui perçoivent les nombreuses implications de leurs services
secrets et celles des pouvoirs occultes et pseudo-messianiques mises en
évidence dans cette étude.
(3)
René Guénon : Le Règne de la
Quantité et les Signes des Temps, Gallimard 1946 ; Version numérique
(entièrement corrigée) : Éditions Kariboo, 2015.
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