(5) « Quand les hommes eurent commencé à se multiplier sur la face du sol, et qu’il leur fut né des filles, 2 - les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles, et ils prirent pour femmes toutes celles qui leur plurent. 3 - Et Yahweh dit : “ Mon esprit ne demeurera pas toujours dans l’homme, puisqu’il n’est que chair ; mais que ses jours soient de cent vingt ansˮ. 4 - Il y eut des géants sur la terre en ce temps là, et aussi depuis lors, quand les fils de Dieu s’approchant des filles des hommes en ont eu des enfants : ce sont les héros fameux du temps jadis. 5 -Yahweh vit que la malice des hommes était grande sur la terre, et que toutes les pensées de leur cœur se portaient chaque jour uniquement vers le mal. 6 - Et Yahweh se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre, et il fut affligé dans son cœur. 7 -Et Yahweh dit “ J’effacerai de la face du sol l’homme que j’ai créé, et avec l’homme les animaux domestiques, les reptiles et les oiseaux du ciel, car je me repens de les avoir faitsˮ. 8 - Mais Noé trouva grâce aux yeux de Yahweh. » (LA SAINTE BIBLE du chanoine Crampon ; Desclée & Co, Belgium 1961.)
LES POITRINES DES HOMMES LIBRES SONT LES TOMBEAUX DES SECRETS صدور الأحرار قبور الأسرار
samedi 3 décembre 2016
2 rabi‘a al-awwal 1438 / 2 décembre 2016 ( LQST, suite)
REMARQUES COMPLÉMENTAIRES
(Voir article précédent :
L.
Q. S. T.
Hégémonie du « Règne de la
Quantité » et Islâm.)
« (…) la
décadence de la doctrine religieuse en Occident, et la perte totale de
l’ésotérisme correspondant, montrent assez quel peut en être l’aboutissement si
une pareille façon de voir vient quelque jour à se généraliser jusqu’en Orient
même ; il y a là un danger assez grave pour qu’il soit bon de le signaler
pendant qu’il en est encore temps*. »
* L. R. Q. S. T., Gallimard 1950 (p. 86).
Guénon envisage le péril d’une
situation qui, en Orient, subirait le sort de la « doctrine religieuse en
Occident », à présent abstraite de toute spiritualité authentique. Pour ce
qui concerne l’Orient aujourd’hui, et plus particulièrement les pays musulmans,
la « perte » de l’ésotérisme tend « à se généraliser »
effectivement à une vitesse qui s’accélère sans cesse depuis la fin du XXe
siècle. Les agressions guerrières américaines, auxquelles se sont coalisé
la plupart des puissances occidentales, en détruisant ce qui subsistait de
traditionnel dans des pays comme l’Afghanistan, l’Irak, la Lybie, le Yémen et
aujourd’hui la Syrie, se sont rendus responsables conjointement à la
propagation des courants de Wahhabo-salafisme d’une mise en péril inquiétante du taçawwuf dont on peut redouter
dorénavant les conséquences d’une éventuelle « perte totale » (1). Il serait
évidemment profitable pour les savants de la communauté musulmane de prendre
très au sérieux l’avertissement de Guénon sur les effets de cette « perte
totale de l’ésotérisme » et de bien mesurer les raisons profondes et les
conséquences de son rejet, aujourd’hui, par les réformistes de l’Islâm (2). L’hostilité des
autorités cléricales du Christianisme et leur obstination, depuis le début des
temps modernes, à détruire l’ésotérisme chrétien, pourrait servir de leçon.
D’autre part, en relation directe avec
ce déclin spirituel assez préoccupant, nous devons apporter des précisions à
propos de la note 2 (renvoyant à l’ouvrage de Youssef Hindi) dans laquelle nous
avons évoqué le cas de personnes qui depuis quelque temps s’interrogent sur
l’identité des véritables agents et celle de leurs commanditaires ayant répandu
les troubles et ces agressions délibérées produisant des « chocs en
retour » tels que ceux que commencent à subir actuellement les pays
occidentaux. En effet, bien que se doutant de certaines faits inavouables,
celles-ci ne tirent pas toutes les conséquences de leurs questionnements,
partiels dans presque tous les cas, et souvent confus. Réagissant généralement
par le recours à une « défense de l’Occident », c’est-à-dire, à un
ensemble de « valeurs culturelles » inefficientes, elles s’enferment
dans des limitations idéologiques comme le patriotisme ou le nationalisme*. Même s’il s’agit en l’occurrence
de personnes ayant encore quelques attaches religieuses, rares sont celles qui
ont la capacité intellectuelle de sauvegarder leur « prise de
conscience » des connaissances acquises et assimilées selon l’état
d’esprit antireligieux de l’éducation moderne. Dans le pire des cas, le
ralliement à une action politique quelconque, conformément à la nature
« réactionnaire » et sentimentale de la mentalité
« démocratiste », ne peut que renforcer la solidification de l’esprit
antitraditionnel. Les personnes dont l’esprit reste dégagé de toute
sentimentalité peuvent constater là que les puissances obscures de la
« descente cyclique » contemporaine se resserrent comme un piège sur
ceux dont les intentions ne sont pas authentiquement spirituelles.
La « contre-tradition »
Ceci nous amène à une troisième
remarque qui concerne ce que nous avons dit à propos de l’utilisation par les
États colonisateurs « des courants naissants de la “contre-traditionˮ, bien mieux adaptés pour diffuser leur prosélytisme ».
Une correction s’impose en
effet ; au chapitre XXXVIII du R.Q.S.T. (DE l’ANTITRADITION A LA
CONTRE-TRADITION), Guénon
écrit :
« Les choses dont nous avons
parlé en dernier lieu ont, comme toutes celles qui appartiennent
essentiellement au monde moderne, un caractère foncièrement antitraditionnel ;
mais, en un sens, elles vont encore plus loin que l’ “antitraditionˮ, entendue comme une négation pure et simple, et elles tendent à
la constitution de ce qu’on pourrait appeler plus proprement une
“contre-traditionˮ. Il y a là une distinction
semblable à celle que nous avons faite précédemment entre déviation et
subversion, et qui correspond encore aux deux mêmes phases de l’action
antitraditionnelle envisagée dans son ensemble : l’ “antitraditionˮ a eu son expression la plus complète dans le matérialisme qu’on
pourrait dire “intégralˮ, tel qu’il régnait vers la fin
du siècle dernier ; quant à la “contre-traditionˮ, nous n’en
voyons encore que les signes précurseurs, constitués précisément par toutes ces
choses qui visent à contrefaire d’une façon ou d’une autre l’idée
traditionnelle elle-même ».
Le livre de Hindi retrace le
parcours dans le temps de quelques courants déviés de la kabbale juive suscités
par la contre-initiation qui ont élaboré, depuis la fin du Moyen-âge, la
construction notamment du nationalisme* sioniste, mais qui ont contribué aussi,
de façon plus sournoise et informelle, à l’installation d’un conflit durable
entre les religions chrétienne et islamique. Actuellement, l’influence
grandissante de « groupes de pression » constitués en vue de
renforcer ce nationalisme* spécial, dont les pays arabo-musulmans subissent actuellement les
effets, s’accorde, sans que cela soit jamais énoncé clairement, aux diverses
influences de courants occultes liées aux contrefaçons modernes de la
Maçonnerie et autres ; Protestantisme, occultisme, socialisme, etc. Ces
courants, déjà mentionnées en 1914 dans la France-Anti-maçonnique
(3), représentent le « travail
dans l’ombre » qui, depuis la Révolution française, a inspiré et dirigé
plus ou moins directement tous les mouvements idéologiques et politiques du
monde occidental moderne. Il s’agit bien là de l’influence antitraditionnelle
qui se met progressivement en place pour finalement accueillir
l’extériorisation progressive de la contre-tradition (4).
Pour l’origine de la «
contre-initiation », cet extrait du chapitre XXXVIII (du R.Q.S.T.) :
« la « contre-initiation », il faut bien
le dire, ne peut pas être assimilée à une invention purement humaine, qui ne se
distinguerait en rien, par sa nature, de la « pseudo-initiation » pure et
simple ; à la vérité, elle est bien plus que cela, et, pour l’être
effectivement, il faut nécessairement que, d’une certaine façon, et quant à son
origine même, elle procède de la source unique à laquelle se rattache toute
initiation, et aussi, plus généralement, tout ce qui manifeste dans notre monde
un élément « non-humain » ; mais elle en procède par une dégénérescence allant
jusqu’à son degré le plus extrême, c’est-à-dire jusqu’à ce « renversement » qui
constitue le « satanisme » proprement dit. Une telle dégénérescence est
évidemment beaucoup plus profonde que celle d’une tradition simplement déviée
dans une certaine mesure, ou même tronquée et réduite à sa partie inférieure ;
il y a même là quelque chose de plus que dans le cas de ces traditions
véritablement mortes et entièrement abandonnées par l’esprit, dont la «
contre-initiation » elle-même peut utiliser les « résidus » à ses fins ainsi
que nous l’avons expliqué. Cela conduit logiquement à penser que cette
dégénérescence doit remonter beaucoup plus loin dans le passé ; et, si obscure
que soit cette question des origines, on peut admettre comme vraisemblable
qu’elle se rattache à la perversion de quelqu’une des anciennes civilisations
ayant appartenu à l’un ou à l’autre des continents disparus dans les
cataclysmes qui se sont produits au cours du présent Manvantara 2.
A la note 2, Guénon renvoie au chapitre VI de la Genèse « qui pourrait peut-être
fournir, sous une forme symbolique, quelques indications se rapportant à ces
origines lointaines de la “contre-initiationˮ (5) ».
On peut constater que le
mondialisme est pratiquement la volonté avouée d’établir une sorte de
« contre-Empire », mais il faut encore envisager un nombre
indéterminé d’étapes avant que la « grande parodie » ne s’installe
irrémédiablement, sans perdre de vue que la « contre-initiation » se
manifeste de manière plus ou moins directe à partir des courants déviés de
toutes les traditions encore vivantes.
Définitions de Guénon sur les
modalités successives de la « contre-initiation » :
« (…) Pour cela, nous devons nous
reporter encore au rôle de la “contre-initiationˮ ; en
effet, c’est évidemment celle-ci qui, après avoir travaillé constamment dans
l’ombre pour inspirer et diriger invisiblement tous les “mouvementsˮ modernes, en arrivera en
dernier lieu à “extérioriserˮ, si l’on peut s’exprimer ainsi,
quelque chose qui sera comme la contrepartie d’une véritable tradition, du
moins aussi complètement et aussi exactement que le permettent les limites qui
s’imposent nécessairement à toute contrefaçon possible. Comme l’initiation est,
ainsi que nous l’avons dit, ce qui représente effectivement l’esprit d’une
tradition, la “contre-initiationˮ jouera elle-même un rôle
semblable à l’égard de la “contre-traditionˮ ; mais, bien entendu, il
serait tout à fait impropre et erroné de parler ici d’esprit, puisqu’il s’agit
précisément de ce dont l’esprit est le plus totalement absent, de ce qui en
serait même l’opposé si l’esprit n’était essentiellement au delà de toute
opposition, et qui, en tout cas, a bien la prétention de s’y opposer, tout en
l’imitant à la façon de cette ombre inversée dont nous avons parlé déjà à
diverses reprises ; c’est pourquoi, si loin que soit poussée cette
imitation, la “contre-traditionˮ ne pourra jamais être autre
chose qu’une parodie, et elle sera seulement la plus extrême et la plus immense
de toutes les parodies, dont nous n’avons encore vu jusqu’ici, avec toute la
falsification du monde moderne, que des “essaisˮ bien
partiels et des “préfigurationsˮ bien pâles en comparaison de ce
qui se prépare pour un avenir que certains estiment prochain, en quoi la
rapidité croissante des événements actuels tendrait assez à leur donner raison*. »
* R. Q. S. T., chapitre XXXVIII (deuxième paragraphe).
Pour ce qui est du wahabbisme, il
n’est pas exclu de considérer qu’il a été installé par la « contre-initiation »,
mais, actuellement, il est d’avantage de nature antitraditionnelle que
proprement « contre-traditionnelle », à l’instar du Protestantisme.
La « contre-tradition » est censée apporter un « plus »,
qui sera une voie infernale qu’elle présentera comme son
« ésotérisme ». Il lui sera toujours difficile de nier explicitement
celui-ci, mais avec cette différence qu’elle ne sera capable que d’en
présenter une ou des caricatures sous l’apparence des traditions véritables et
c’est très précisément sur cette différence qu’elle sera identifiable (6).
NOTES
(1) La Russie
soviétique a été, avec la Chine maoïste, l’une des premières nations aux
prétentions « démocratistes » à envahir un pays traditionnel au moyen
de la violence guerrière. Leurs soldats ont été jusqu’à assassiner
des shuyûkh du taçawwuf en afghanistan. L’armée de cette nation, avec les groupements terroristes du Wahhabo-salafisme, perpétue actuellement ses crimes
en Syrie montrant par là que les changements de régime ne sont que des
« accidents » dans la fonction antitraditionnelle des démocraties
moderne.
(2) Ibn Taymiyya, qui
d’une certaine façon a contribué, par réformistes interposés, à l’émergence du
Wahhabo-salafisme, était rattaché au taçawwuf.
Il y en quelques uns également parmi les réformistes eux même qui ont tous en
commun de mener un combat anti-spirituel à l’égard de l’initiation islamique.
Impressionnés par le modèle occidental (et la colonisation), leurs théologiens
s’évertuent, au moyen d’une pseudo-juridiction, à détruire toutes les
empreintes que le taçawwuf a déposé
dans la société musulmane. Ils exercent ainsi leur volonté de réduire la
religion pour l’accorder aux mentalités des nouvelles sociétés
« démocratiques » de l’Occident industrialisé.
Ce que relatent Hindi, et Vernochet de son côté, définit
clairement « le travail dans l’ombre » de certains courants
contre-initiatiques, issus de la Kabbale juive, qui ont contribué pour une part
non négligeable à la réalisation de l’Etat saoudien wahhabite, lequel, à partir de
son statut international, établira des alliances financières et politiques avec
les Etats modernes les plus puissants, mettant en mouvement une véritable
machine de guerre antitraditionnelle à l’échelle mondiale.
(3)
Youssef Hindi, qui considère La Crise du
Monde moderne comme un ouvrage important, semble ignorer le R. Q. S. T. et aussi, sans doute, l’existence d’un article paru dans la France
Antimaçonnique : REFLECTION A PROPOS DU « POUVOIR
OCCULTE »,
dont nous avons extrait le passage ci-dessous (accessible aujourd’hui dans
l’ouvrage Le Sphinx – Recueil [pp.
672-673] ; Éditions Kalki, Rennes 2015) : « (…) Pour en revenir à notre distinction
entre différents ordres de “pouvoirs occultesˮ, nous devons ajouter
qu’elle ne supprime pas la possibilité d’une certaine interpénétration de
ces différents ordres, car il ne faut jamais établir de catégories trop
absolues ; nous disons interpénétration, parce que ce terme nous semble
plus précis que celui d’enchevêtrement, et qu’il laisse mieux entrevoir
la hiérarchisation nécessaire des organismes multiples. Pour savoir jusqu’où
s’étend cette hiérarchisation, il faut se demander s’il existe encore, dans
l’Occident contemporain, une puissance vraiment initiatique qui ait laissé
autre chose que des vestiges à peu près incompris ; et, sans rien vouloir
exagérer, on est bien obligé de convenir qu’il n’y a guère, apparemment, que le
Kabbalisme qui puisse compter dans ce domaine, et aussi que les Juifs le
réservent jalousement pour eux seuls, car le “néo-kabbalismeˮ
occultisant n’est qu’une fantaisie sans grande importance. Tous les autres
courants, car il y en a eu (1),
semblent s’être perdus vers la fin du moyen âge, si l’on excepte quelques cas
isolés ; par suite, si leur influence a pu, jusqu’à un certain point, se
transmettre en-deçà de cette époque, ce n’est que d’une façon indirecte et qui,
dans une large mesure, échappe forcément à notre investigation. D’autre part,
si on envisage les tentatives qui ont été faites récemment dans le sens d’une
“contre-kabbaleˮ (et qui se basaient principalement
sur le Druidisme), on ne peut pas dire qu’elles aient abouti à une
réalisation quelconque, et leur échec est encore une preuve de la force
incontestable que possède l’élément judaïque au sein du “pouvoir occulteˮ
occidental.
(1) [Note Le Sphinx] : Voir L’Ésotérisme de
Dante, dans la France Antimaçonnique, 28e année, n° 10, pp. 109-113.
(4) Au sein de groupements nationalistes et politiquement extrêmes du sionisme, il
est question de reconstruire le temple de Jérusalem avec des techniques
modernes, ce qui permettrait de facto
de déclarer la Ville Sainte, capitale de l’Europe moderne, et partant de toutes
les nations, enfin « mondialisées ». Il s’agirait là d’une
« gouvernance mondiale » par centralisation subversive d’un pouvoir
unique dont l’annexion du Centre spirituel de l’Occident, représenterait une
véritable parodie d’Empire.
Voir l’article « Sheth » paru dans le Voile d’Isis (chapitre XX du recueil
posthume ; Symboles de la Science
Sacrée, Gallimard), où Guénon établit une relation entre Nimrod
correspondant à « la révolte contre l’autorité spirituelle » et
autres « géants » antédiluviens. Les « fils de Dieu »
symbolisent l’origine initiatique et « les filles des hommes », sa
corruption avec la nature humaine, produisant les « géants ». Ces
derniers désignent à la fois les kshatriyas « dans les périodes
antérieures » comme les « héros » et comme
« Nemrodien ».
(6) Nous pouvons voir des exemples
de cette falsification avec certains groupements issus du Catholicisme, qui ont
la volonté de propager l’usage des prières en hébreu, ce qui est sans doute
proche des centres d intérêt d’une certaine « Maçonnerie chrétienne »
assez déviante mais séduisante pour ceux qui rechercheraient quelque chose
ressemblant à de l’ésotérisme. Il y a du coté de la religion Orthodoxe des
personnalités nettement suspectes telles que Alexandre Douguine ou encore des
courants jungiens assez répandus. Autour de l’Hindouisme, il existe également
des courants déviés, notamment celui diffusé par le néo-védantiste Arnaud
Desjardin dont le guru, swami Prajnandpad, amalgamait psychanalyse et
méditation ; de même le courant qui a été lancé par Mahendranath, un
disciple de Crowley, dont le pseudo enseignement était mélangé à celui des
Nathas avec lesquels il était parvenu à devenir guru. À considérer l’ensemble
des formes traditionnelles, on pourrait très facilement multiplier les exemples
de ce genre.
Ayât 187 de la
sourate Al-A‘râf : « Ils t'interrogeront au sujet de l'Heure, demandant
quand elle viendra. Dis : “Sa connaissance n'appartient qu'à mon Seigneur ; nul
ne la fera apparaître en son temps si ce n’est Lui. Elle pèsera sur les cieux
et sur la terre ; elle ne vous atteindra qu'à l'improvisteˮ. Ils t'interrogeront comme si tu savais
en étais informé (hafiyyun). Dis leur : “Sa connaissance n'appartient
qu'à Allâh, mais la plupart des
hommes l’ignorentˮ. »
*
* *
La véritable nature du
nationalisme
Extrait du chapitre VII, Les usurpations de la royauté et leurs
conséquences de l’ouvrage de René Guénon ; Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporel
(Véga 1947, p. 79)
[La
première édition d’A.S.P.T. date de 1939 (éditions Librairie philosophique J. Vrin) ;
ses neuf chapitres ne comportaient alors aucun titre ; Guénon a ensuite
modifié quelque passage de cet ouvrage et notamment quelques paragraphes du
septième chapitre pour la seconde édition de 1947.]
Mais revenons à
Philippe le Bel, qui nous fournit un exemple particulièrement typique pour ce
que nous nous proposons d’expliquer ici : il est à remarquer que Dante attribue
comme mobile à ses actions la « cupidité » (8), qui est un
vice, non de Kshatriya, mais de Vaishya ; on pourrait dire que les Kshatriyas,
dès qu’ils se mettent en état de révolte, se dégradent en quelque sorte et
perdent leur caractère propre pour prendre celui d’une caste inférieure. On
pourrait même ajouter que cette dégradation doit inévitablement accompagner la
perte de la légitimité : si les Kshatriyas sont, par leur faute, déchus de
leur droit normal à l’exercice du pouvoir temporel, c’est qu’ils ne sont pas de
vrais Kshatriyas, nous voulons dire que leur nature n’est plus telle qu’elle
les rende aptes à remplir ce qui était leur fonction propre. Si le roi ne se
contente plus d’être le premier des Kshatriyas, c’est-à-dire le chef de la
noblesse, et de jouer le rôle « régulateur » qui lui appartient à ce titre, il
perd ce qui fait sa raison d’être essentielle, et, en même temps, il se met en
opposition avec cette noblesse dont il n’était que l’émanation et comme
l’expression la plus achevée. C’est ainsi que nous voyons la royauté, pour « centraliser »
et absorber en elle les pouvoirs qui appartiennent collectivement à la noblesse
tout entière, entrer en lutte avec celle-ci et travailler avec acharnement à la
destruction de la féodalité, dont pourtant elle était issue ; elle ne pouvait
d’ailleurs le faire qu’en s’appuyant sur le tiers-état, qui correspond aux
Vaishyas ; et c’est pourquoi nous voyons aussi, à partir de Philippe le Bel
précisément, les rois de France s’entourer presque constamment de bourgeois,
surtout ceux qui, comme Louis XI et Louis XIV, ont poussé le plus loin le
travail de « centralisation » , dont la bourgeoisie devait du reste
recueillir ensuite le bénéfice lorsqu’elle s’empara du pouvoir par la
Révolution.
La « centralisation »
temporelle est d’ailleurs généralement la marque d’une opposition vis-à-vis de
l’autorité spirituelle, dont les gouvernements s’efforcent de neutraliser ainsi
l’influence pour y substituer la leur ; c’est pourquoi la forme féodale,
qui est celle où les Kshatriyas peuvent exercer le plus complètement leurs
fonctions normales, est en même temps celle qui paraît convenir le mieux à
l’organisation régulière des civilisations traditionnelles, comme l’était celle
du moyen âge. L’époque moderne, qui est celle de la rupture avec la tradition,
pourrait, sous le rapport politique, être caractérisée par la substitution du
système national au système féodal ; et c’est au XIVe siècle que les
« nationalités » commencèrent à se constituer, par ce travail de « centralisation »
dont nous venons de parler. On a raison de dire que la formation de la « nation
française », en particulier, fut l’œuvre des rois ; mais ceux-ci, par là
même, préparaient sans le savoir leur propre ruine (9) ; et, si la
France fut le premier pays d’Europe où la royauté fut abolie, c’est parce que
c’est en France que la « nationalisation » avait eu son point de
départ. D’ailleurs, il est à peine besoin de rappeler combien la Révolution fut
farouchement « nationaliste » et « centralisatrice », et
aussi quel usage proprement révolutionnaire fut fait, durant tout le cours du
XIXe siècle, du
soi-disant « principe des nationalités » (10) ; il y a donc une assez singulière contradiction
dans le « nationalisme » qu’affichent aujourd’hui certains
adversaires déclarés de la Révolution et de son œuvre. Mais le point le plus
intéressant pour nous présentement est celui-ci : la formation des « nationalités »
est essentiellement un des épisodes de la lutte du temporel contre le spirituel
; et, si l’on veut aller au fond des choses, on peut dire que c’est précisément
pour cela qu’elle fut fatale à la royauté, qui, alors même qu’elle semblait
réaliser toutes ses ambitions, ne faisait que courir à sa perte (11).
Il est une sorte
d’unification politique, donc tout extérieure, qui implique la méconnaissance,
sinon la négation, des principes spirituels qui seuls peuvent faire l’unité
véritable et profonde d’une civilisation, et les « nationalités » en
sont un exemple. Au moyen âge, il y avait, pour tout l’Occident, une unité
réelle, fondée sur des bases d’ordre proprement traditionnel, qui était celle
de la « Chrétienté » ; lorsque furent formées ces unités secondaires,
d’ordre purement politique, c’est-à-dire temporel et non plus spirituel, que
sont les nations, cette grande unité de l’Occident fut irrémédiablement brisée,
et l’existence effective de la « Chrétienté » prit fin. Les nations,
qui ne sont que les fragments dispersés de l’ancienne « Chrétienté »,
les fausses unités substituées à l’unité véritable par la volonté de domination
du pouvoir temporel, ne pouvaient vivre, par les conditions mêmes de leur
constitution, qu’en s’opposant les unes aux autres, en luttant sans cesse entre
elles sur tous les terrains (12) ; l’esprit est
unité, la matière est multiplicité et division, et plus on s’éloigne de la
spiritualité, plus les antagonismes s’accentuent et s’amplifient. Personne ne
pourra contester que les guerres féodales, étroitement localisées, et d’ailleurs
soumises à une règlementation restrictive émanant de l’autorité spirituelle,
n’étaient rien en comparaison des guerres nationales, qui ont abouti, avec la
Révolution et l’Empire, aux « nations armées » (13), et que nous
avons vues prendre de nos jours de nouveaux développements fort peu rassurants
pour l’avenir.
D’autre part, la
constitution des « nationalités » rendit possibles de véritables
tentatives d’asservissement du spirituel au temporel, impliquant un
renversement complet des rapports hiérarchiques entre les deux pouvoirs ; cet
asservissement trouve son expression la plus définie dans l’idée d’une Église « nationale »,
c’est-à-dire subordonnée à l’État et enfermée dans les limites de celui-ci ; et
le terme même de « religion d’État », sous son apparence
volontairement équivoque, ne signifie rien d’autre au fond : c’est la religion
dont le gouvernement temporel se sert comme d’un moyen pour assurer sa
domination ; c’est la religion réduite à n’être plus qu’un simple facteur de
l’ordre social (14). Cette idée
d’Église « nationale » vit le jour tout d’abord dans les pays
protestants, ou, pour mieux dire, c’est peut-être surtout pour la réaliser que
le Protestantisme fut suscité, car il semble bien que Luther n’ait guère été,
politiquement tout au moins, qu’un instrument des ambitions de certains princes
allemands, et il est fort probable que, sans cela, même si sa révolte contre
Rome s’était produite, les conséquences en auraient été tout aussi négligeables
que celles de beaucoup d’autres dissidences individuelles qui ne furent que des
incidents sans lendemain. La Réforme est le symptôme le plus apparent de la rupture
de l’unité spirituelle de la « Chrétienté », mais ce n’est pas elle
qui commença, suivant l’expression de Joseph de Maistre, à « déchirer la
robe sans couture » ; cette rupture était alors un fait accompli depuis
longtemps déjà, puisque, comme nous l’avons dit, son début remonte en réalité
deux siècles plus tôt ; et l’on pourrait faire une remarque analogue au sujet
de la Renaissance, qui, par une coïncidence où il n’y a rien de fortuit, se
produisit à peu près en même temps que la Réforme, et seulement alors que les
connaissances traditionnelles du moyen âge étaient presque entièrement perdues.
Le Protestantisme fut donc plutôt, à cet égard, un aboutissement qu’un point de
départ ; mais, s’il fut surtout, en réalité, l’œuvre des princes et des
souverains, qui l’utilisèrent tout d’abord à des fins politiques, ses tendances
individualistes ne devaient pas tarder à se retourner contre ceux-ci, car elles
préparaient directement la voie aux conceptions démocratiques et égalitaires de
l’époque actuelle (15).
Pour revenir à
ce qui concerne l’asservissement de la religion à l’État, sous la forme que
nous venons d’indiquer, ce serait d’ailleurs une erreur de croire qu’on n’en
trouverait pas d’exemples en dehors du Protestantisme (16) : si le schisme
anglican d’Henri VIII est la réussite la plus complète dans la constitution
d’une Église « nationale », le gallicanisme lui-même, tel que Louis
XIV a pu le concevoir, n’était pas autre chose au fond ; si cette tentative
avait abouti, le rattachement à Rome aurait sans doute subsisté en théorie,
mais, pratiquement, les effets en auraient été complètement annulés par
l’interposition du pouvoir politique, et la situation n’aurait pas été
sensiblement différente en France de ce qu’elle pourrait être en Angleterre si
les tendances de la fraction « ritualiste » de l’Église anglicane
arrivaient à prévaloir définitivement (17). Le
Protestantisme, sous ses différentes formes, a poussé les choses à l’extrême ;
mais ce n’est pas seulement dans les pays où il s’établit que la royauté
détruisit son propre « droit divin », c’est-à-dire l’unique fondement
réel de sa légitimité, et, en même temps, l’unique garantie de sa stabilité ;
d’après ce qui vient d’être exposé, la royauté française, sans aller jusqu’à
une rupture aussi manifeste avec l’autorité spirituelle, avait en somme, par
d’autres moyens plus détournés, agi exactement de la même façon, et même il
semble bien qu’elle avait été la première à s’engager dans cette voie ;
ceux de ses partisans qui lui en font une sorte de gloire ne paraissent guère
se rendre compte des conséquences que cette attitude a entraînées et qu’elle ne
pouvait pas ne pas entraîner. La vérité est que c’est la royauté qui, par là,
ouvrit inconsciemment le chemin à la Révolution, et que celle-ci, en la détruisant,
ne fit qu’aller plus loin dans le sens du désordre où elle-même avait commencé
à s’engager. En fait, partout dans le monde occidental, la bourgeoisie est
parvenue à s’emparer du pouvoir, auquel la royauté l’avait tout d’abord fait
participer indûment ; peu importe d’ailleurs qu’elle ait alors aboli la
royauté comme en France, ou qu’elle l’ait laissée subsister nominalement comme
en Angleterre ou ailleurs ; le résultat est le même dans tous les cas, et
c’est le triomphe de l’« économique », sa suprématie proclamée
ouvertement. Mais, à mesure qu’on s’enfonce dans la matérialité, l’instabilité
s’accroît, les changements se produisent de plus en plus rapidement ;
aussi le règne de la bourgeoisie ne pourra-t-il avoir qu’une assez courte
durée, en comparaison de celle du régime auquel il a succédé ; et, comme
l’usurpation appelle l’usurpation, après les Vaishyas, ce sont maintenant les
Shûdras qui, à leur tour, aspirent à la domination : c’est là, très exactement,
la signification du bolchevisme. Nous ne voulons, à cet égard, formuler aucune
prévision, mais il ne serait sans doute pas bien difficile de tirer, de ce qui
précède, certaines conséquences pour l’avenir : si les éléments sociaux les
plus inférieurs accèdent au pouvoir d’une façon ou d’une autre, leur règne sera
vraisemblablement le plus bref de tous, et il marquera la dernière phase d’un
certain cycle historique, puisqu’il n’est pas possible de descendre plus bas ;
si même un tel événement n’a pas une portée plus générale, il est donc à supposer
qu’il sera tout au moins, pour l’Occident, la fin de la période moderne.
Un historien qui
s’appuierait sur les données que nous avons indiquées pourrait sans doute
développer ces considérations presque indéfiniment, en recherchant des faits
plus particuliers qui feraient encore ressortir, d’une façon très précise, ce
que nous avons voulu montrer principalement ici (18) : cette responsabilité trop peu connue du pouvoir
royal à l’origine de tout le désordre moderne, cette première déviation, dans
les rapports du spirituel et du temporel, qui devait inévitablement entraîner
toutes les autres. Quant à nous, ce ne peut être là notre rôle ; nous
avons voulu donner seulement des exemples destinés à éclairer un exposé
synthétique ; nous devons donc nous en tenir aux grandes lignes de
l’histoire, et nous borner aux indications essentielles qui se dégagent de la
suite même des événements.
NOTES
(8) C’est par là que s’explique, non seulement la
destruction de l’Ordre du Temple, mais aussi, plus visiblement encore, ce qu’on
a appelé l’altération des monnaies, et ces deux faits sont peut-être liés plus
étroitement qu’on ne pourrait le supposer à première vue ; en tous cas, si les
contemporains de Philippe le Bel lui firent un crime de cette altération, il
faut en conclure que, en changeant de sa propre initiative le titre de la
monnaie, il dépassait les droits reconnus au pouvoir royal. Il y a là une
indication qui est à retenir, car cette question de la monnaie avait, dans
l’antiquité et au moyen âge, des aspects tout à fait ignorés des modernes, qui
s’en tiennent au simple point de vue « économique » ; c’est ainsi
qu’on a remarqué que, chez les Celtes, les symboles figurant sur les monnaies
ne peuvent s’expliquer que si on les rapporte à des connaissances doctrinales
qui étaient propres aux Druides, ce qui implique une intervention directe de
ceux-ci dans ce domaine ; et ce contrôle de l’autorité spirituelle a dû se
perpétuer jusque vers la fin du moyen âge.
(9)
À la lutte de la royauté contre la noblesse féodale, on peut appliquer
strictement cette parole de l’Évangile : « Toute maison divisée contre
elle-même périra » ».
(10)
Il y a lieu de remarquer que ce « principe des nationalités » fut
surtout exploité contre la Papauté et contre l’Autriche, qui représentait le
dernier reste du Saint-Empire.
(11)
Là où la royauté a pu se maintenir en devenant « constitutionnelle »,
elle n’est plus que l’ombre d’elle-même et n’a guère qu’une existence nominale
et « représentative », comme l’exprime la formule connue d’après
laquelle « le roi règne, mais ne gouverne pas » ; ce n’est
véritablement qu’une caricature de l’ancienne royauté.
(12) C’est pourquoi l’idée d’une « société des nations »
ne peut être qu’une utopie sans portée réelle ; la forme nationale répugne
essentiellement à la connaissance d’une unité quelconque supérieure à la sienne
propre ; d’ailleurs, dans les conceptions qui se font jour actuellement,
il ne s’agirait évidemment que d’une unité d’ordre exclusivement temporel, donc
d’autant plus inefficace, et qui ne pourrait jamais être qu’une parodie de la
véritable unité
(13)
Comme nous l’avons fait remarquer ailleurs (La Crise du Monde moderne,
pp. 104-105), en obligeant tous les hommes indistinctement à prendre part aux
guerres modernes, on méconnaît entièrement la distinction essentielle des
fonctions sociales ; c’est là, du reste, une conséquence logique de l’« égalitarisme ».
(14)
Cette conception peut d’ailleurs se réaliser sous d’autres formes que celle
d’une Église « nationale » proprement dite ; on en a un exemple des
plus frappants dans un régime comme celui du « Concordat »
napoléonien, transformant les prêtres en fonctionnaires de l’État, ce qui est
une véritable monstruosité.
(15)
Il y a lieu de noter que le Protestantisme supprime le clergé, et que s’il
prétend maintenir l’autorité de la Bible, il la ruine en fait par le « libre
examen ».
(16)
Nous n’envisageons pas ici le cas de la Russie, qui est quelque peu spécial et
devrait donner lieu à des distinctions qui compliqueraient assez inutilement
notre exposé ; il n’en est pas moins vrai que là aussi, on trouve la « religion
d’État » au sens que nous avons défini ; mais les ordres monastiques
ont pu du moins échapper dans une certaine mesure à la subordination du
spirituel au temporel, tandis que, dans les pays protestants, leur suppression
a rendu cette subordination aussi complète que possible.
(17)
On remarquera du reste qu’il y a, entre les deux dénominations d’« anglicanisme »
et de « gallicanisme », une étroite similitude, qui correspond bien à
la réalité.
(18) Il pourrait être intéressant, par exemple, d’étudier
spécialement à ce point de vue le rôle de Richelieu, qui s’acharna à détruire
les derniers vestiges de la féodalité, et qui, tout en combattant les
Protestants à l’intérieur, s’allia à eux à l’extérieur contre ce qui pouvait
encore subsister du Saint-Empire, c’est-à-dire contre les survivances de
l’ancienne « Chrétienté ».
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