Y. B.
Un extrait des
Aperçus
sur le « Retournement »
« LA VOIE DU MILIEU »
Selon Ibn Arabî,
« le secret de l’institution des œuvres
d’obligation (fard) et des œuvres de surrérogation (nâfila) se trouve dans la relation que la science (‘Ilm) a avec les dimensions de “hauteur”
(tûl) et de “largeur” (ard) » ; « la “largeur”
est chose limitée, et la “longueur” n’est qu’ “ombre prolongée” »,
et Michel Vâlsan précise que l’ « “ombre
prolongée” (qui est en rapport avec les œuvres d’obligation) est un des traits
caractéristiques de la demeure paradisiaque des “compagnons de la droite” (Cor.
56, 30) lesquels occupent une place inférieure à celle des Premiers = les
Rapprochés (Cor. 56, 10-11) » (1). Cette
relation entre les œuvres d’obligation (sharîah)
et la « droite » indique assez clairement que dans les traditions
prophétiques la « Voie du Ciel » est en rapport avec les
« influences descendantes » qui sont symbolisées par la
« Miséricorde » ; et ce « retournement » est également
une caractéristique de la tradition extrême-orientale :
« “L’humanité, c’est la droite ; la Voie, c’est la
gauche”, ce qui implique manifestement une infériorité de la droite par rapport
à la gauche ; relativement l’une à l’autre, la gauche correspondait alors
au yang et la droite au yin » (2) ;
or,
c’est cette « humanité » qui est régit par la loi prophétique ;
et on pourrait dire que, en Islam, l’Imâm de gauche est Yang et l’Imâm de droite est Yin
l’un par rapport à l’autre.
La
tradition arabe enseigne que Muhammad se trouva au carrefour de trois voies
durant son « voyage nocturne » dont celle de la droite symbolisée par
la tradition juive et celle de la gauche par la tradition chrétienne, et,
suivant le Cheikh al-akbar, le point de vue moïsiaque est en rapport avec la
« Majesté » (Jalâl) et le
point de vue christique avec la « Beauté » (Jamâl), ce qui permet d’établir une correspondance entre la
« Voie du Ciel » et la Jalâliyah
et la « Voie de la Terre » et la Jamâliyah
(3). A cet égard, Muhammad représente la « Voie du
Milieu » symbolisée par la « Perfection » (Kamâliyah), et sa relation avec la fonction royale (Malik) est confirmée par les indications
de Guénon sur le « Roi-Pontife » :
« En tant que le Wang [ou le calife] s’identifie à
l’axe vertical, celui-ci est désigné comme la “Voie Royale” (Wang-Tao) ;
mais, d’autre part, ce même axe est aussi la “Voie du Ciel” (Tien-Tao)
(…) de sorte que, en définitive, la “Voie Royale” est identique à la “Voie du
Ciel” » (4).
Du reste, les
racines arabes désignant l’anticipation (sabaqa)
et la proximité (qurba) sont également
en connexion avec le symbolisme de la
« Voie du Milieu ».
Selon certaines
autorités islamiques, le « Voyage nocturne » (Mirâj) désigne le voyage initiatique des Rapprochés (al-Muqarabûn) (5), mais ce
« voyage » désigne, en réalité, la réintégration spirituelle
intégrale, y compris la « modalité corporelle ». À cet égard, le
Sceaux des prophètes, Muhammad, achève la voie hénochienne (Idrîs) parcourue
dans le sens « ascendant », pourrait-on dire, par Moïse et
« descendant » par le Christ (‘Aîsa) ; et c’est également cette
voie « polaire » qui distingue les 4 fonctions suprêmes de l’Islam et
qui sont représentées par des prophètes qui n’ont pas été atteints par la mort
corporelle, c’est-à-dire : « Idris
(Hénoch), Ilyâs (Elie), Aïssa (Jésus), et Khidr » qui « sont les Piliers (Awtâd) de la Tradition Pure (ad-Dînu-l-Hanîf) » (6).
Concernant la métaphysique, il faut dire
maintenant que certains cultivent une sorte de « préjugé » qui
pourrait résulter d’une mauvaise assimilation de l’œuvre de Guénon car la
métaphysique est en réalité
« ce
qui est le plus facilement saisissable dans une tradition »,
et
« nous
pouvons rappeler à ce propos ce que nous avons dit plus généralement en
d’autres occasions de la difficulté d’assimilation des “sciences
traditionnelles” beaucoup plus grande
que celle des enseignements d’ordre purement métaphysique, en raison de leur
caractère spécialisé qui les attache indissolublement à telle ou telle forme
déterminée, et qui ne permet pas de les transporter telles quelles d’une
civilisation à une autre, sous peine de les rendre entièrement inintelligibles,
ou bien de n’avoir qu’un résultat tout illusoire, sinon même complètement
faux » (7).
Ceci étant dit,
présenter la théorie hindoue des trois gunas
comme « un système cruciforme de tendances, dont l’application dans
l’hindouisme concerne surtout l’ordre cosmologique » tend à réduire la
portée universelle de la tradition qui véhicule l’héritage le plus
primordial ; Prakriti (la
substance universelle)
« possède trois gunas ou qualités
constitutives, qui sont en parfait équilibre dans son indifférenciation
primordiale ; toute manifestation ou modification de la substance représente
une rupture de cet équilibre, et les êtres, dans leurs différents états de
manifestation, participent des trois gunas à des degrés divers et, pour
ainsi dire, suivant des proportions indéfiniment variées. Ces gunas ne
sont donc pas des états, mais des conditions de l’existence universelle,
auxquelles sont soumis tous les êtres manifestés, et qu’il faut avoir soin de
distinguer des conditions spéciales qui déterminent tel ou tel état ou mode de
la manifestation, comme l’espace et le temps, qui conditionnent l’état corporel
à l’exclusion des autres. Les trois gunas sont : sattwa, la
conformité à l’essence pure de l’Être ou Sat, qui est identifiée à la
lumière intelligible ou à la connaissance, et représentée comme une tendance
ascendante ; rajas, l’impulsion expansive, selon laquelle l’être se
développe dans un certain état et, en quelque sorte, à un niveau déterminé de
l’existence ; enfin, tamas, l’obscurité, assimilée à l’ignorance, et
représentée comme une tendance descendante » (8).
Ce qui nous
importe de souligner ici, c’est que par le « retournement », rajas
devient prédominant à l’égard de sattwa et tamas ; prédominance qui est mise en évidence
dans le nom des fonctions hindoues qui correspondent à Melchissedech (Dharma-Raja)
et aux 4 Awtâd de l’ésotérisme
islamique (Mahârajas)
(9) ;
et cette tendance « rajasique » qui peut être représentée « par
une extension dans le sens horizontal, se réfère au monde intermédiaire, qui
est ici le “monde de l’homme”, puisque c’est notre degré d’existence que nous
prenons comme terme de comparaison, et qui doit être regardé comme comprenant
la Terre avec le Purgatoire, c’est-à-dire l’ensemble du monde corporel et du
monde psychique » (10).
Maintenant,
lorsque Guénon écrit à propos du Bodhisattwa
« qu’un tel être chargé de toutes les
influences spirituelles inhérentes à son état transcendant, devient le “véhicule”
par lequel ces influences sont dirigées vers notre monde »,
il ne mentionne
pas la « réalisation descendante » comme l’affirme Reyor (11), puisque Guénon
précise aussitôt :
« cette
“descente” des influences spirituelles est indiquée assez explicitement par le
nom d’Avalokitêshwara, et elle est aussi une des significations
principales et “bénéfiques” du triangle inversé » (12).
À vrai dire,
comme le Président et Très puissant Souverain Grand Commandeur élève les mains
pour invoquer « le Saint Enoch d’Israël et le Très Haut et Très puissant
Dieu d’ Abraham… », la correspondance entre le 33e degré de la
Maçonnerie écossaise et la fonction de Melchissedech s’impose plus
naturellement que celle envisagée par Michel Vâlsan. Ainsi le 31e
degré pourrait être mis en relation avec le symbolisme d’Adoni-Tsedeq, le « Seigneur de Justice » (Brahâtma) ; le 32e degré
avec celui de Kohen-Tsedeq, le
« Prêtre de Justice » (Mahâtma) ;
et le 33e degré avec celui de Melki-Tsedeq,
le « Roi de Justice » (Mahânga) ;
car
« Bien que Melki-Tsedeq ne soit alors
proprement que le nom du troisième aspect, il est appliqué d’ordinaire par
extension à l’ensemble des trois, et, s’il est ainsi employé de préférence aux
autres, c’est que la fonction qu’il exprime est la plus proche du monde
extérieur, donc celle qui est manifestée le plus immédiatement » (13).
Il est opportun
de souligner ici que, dans le domaine qui lui est propre, la Maçonnerie ne
présente pas les restrictions que Guénon a formulé à propos de la séparation de
l’Empire et de la Papauté :
« Une telle séparation peut être considérée
comme la marque d’une organisation incomplète par en haut, si l’on peut
s’exprimer ainsi, puisqu’on n’y voit pas apparaître le principe commun dont
procèdent et dépendent régulièrement les deux pouvoirs ; le véritable
pouvoir suprême devait donc se trouver ailleurs » (14).
Y. B.
(À suivre)
NOTES
(1) L’Islam et la fonction de René Guénon,
p. 63-64. Les « compagnons de la droite » sont « nombreux parmi
les premiers et … parmi les derniers » (ET. 1972, p.264) ce qui ne vise manifestement pas l’Élite au sens guénonien
du terme. Du reste, le terme qui sert à désigner la prière en arabe
(aç-çalat) est étymologiquement
apparenté au terme muçallî qui (tout
en désignant d’un côté le « priant »), en matière hippique, désigne
le cheval qui dans une course suit de près le sabîq (de « précédent », le premier – ET. 1962,
p. 26), ce qui renvoie au même symbolisme.
(2) La Grande Triade, ch. VII, p. 55. Dans
la tradition chrétienne, ce « retournement » peut être mis en relation
avec le symbolisme du Christ souffrant et du Christ rayonnant ; et c’est à cette doctrine que fait allusion la « Melencolia » de Dürer dont le
« carré magique » est retourné par rapport à celui de Jupiter. Du
reste, les attributs de l’Ange et de l’enfant sont « inversés » comme
dans la 3ème et la 4ème lame du Tarot (ibid. ch. XV), qui se réfère au nombre 34, et qui est aussi celui des
chants de l’Enfer de Dante. Selon
Guénon, le Saint-Esprit est en rapport avec Purusha
et le « Ciel » [droite], la Vierge avec Prakriti et la
« Terre » [gauche] (ibid. ch.
I, p. 18 – Le Christ représente la « Voie du
Milieu »). Nous ignorons s’il y a un rapport entre celui-ci et le « fils
de la Veuve », mais c’est avec son sein gauche que Marie allaite Saint
Bernard, et le symbolisme de la Femme de
l’Apocalypse semble aussi devoir
être mis en rapport avec la
« gauche » ; l’Imâm de gauche à l’époque de Muhammad était Abu Bakr, c'est-à-dire le « Père de la
vierge ».
(3) Michel Chodkiewicz : Un Océan sans rivage, p. 104. Dans la sunnah que nous avons cité
plus haut, l’ouïe est en connexion avec la « droite », qui correspond
au point de vue mussawî et aux
nomades, et la vue avec la
« gauche », qui correspond au point de vue ‘aissawî et aux sédentaires. La vue a un rapport direct avec
l’espace et l’ouïe avec le temps (Le
Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXI) et on peut remarquer
que l’espace a un rapport avec les « Stations » (maqâmât) et le temps avec les « Etats » (ahwâl). Cependant, « les Compagnons
des Stations » (Ashab al-maqâmât)
sont ces nomades (rihâlûn) qui
considèrent ce bas-monde comme un état
passager et ils sont en rapport avec la « Voie du Ciel » où prédomine
la « droite » ; tandis que les « Compagnons des États »
(Ashab al-ahwâl) sont des « sédentaires » (maqîmûn) qui font de l’état humain leur maqâm et sont en rapport
avec la « Voie de la terre » où prédomine la « gauche ». Le
fait que les sédentaires sont désignés par un terme arabe qui évoque la
« Station » et l’espace, et les nomades par un autre qui rappelle l’
« État » et le temps, s’explique par l’indication suivante de Guénon :
« le temps est mis en correspondance avec le Ciel par la notion des
cycles, dont la base est essentiellement astronomique, et l’espace avec la
Terre en tant que, dans l’ordre des apparences sensibles, la surface terrestre
représente proprement l’étendue mesurable » (La Grande Triade, ch. VIII, p. 63). Seulement, toutes les
« Stations » ont leur propre « État » qui peut se
manifester dans notre bas-monde et la « Lumière » qui illumine tous
les maqâmât est le principe commun du
Soleil et de la Lune auquel l’être doit s’identifier par la contemplation (L’Islam et la fonction de René Guénon, p.189).
L’épithète de Uthmân (Dhû an-Nûrayn)
est à mettre en relation avec cette question (Ibid., p. 182 n. 16).
Dans la
Kabbale, la Création est considérée comme la Pensée de Dieu, et dans le taçawwuf, comme Sa Vision (ru’yah) ; la Pensée est en rapport
avec l’Intellect et le temps (ouïe) et la spéculation peut donc être considérée
comme « nomade ». La relation entre la Vision (ru’yah) et le Songe s’explique par la parole prophétique :
« Les gens dorment (ignorance) et quand ils meurent (seconde naissance),
ils se réveillent » ; en Inde, l’homme est dans l’illusion (maya) et en Islam, dans le Songe éveillé
dont il doit prendre conscience.
D’autre
part, l’Imâm de gauche est en relation avec le Mulk (monde terrestre) dont le paradis correspondant est celui des
Juifs (droite) et l’Imâm de droite est en relation avec le Malakût (monde intermédiaire) dont le paradis correspondant est
celui des Chrétiens (gauche) ; (Études
Traditionnelles, 1963, p. 93). La différence de perspective s’explique ici
par l’analogie « en sens inverse » entre l’état humain et les états
supérieurs de l’être.
(4) La Grande Triade, ch. XVII, p. 121. Parmi les
« Sceaux », le Cheikh al-akbar durant son investiture représente la Kamâliyah (Voie du Milieu) qui constitue
la véritable « clé de voûte »
des Futûhât puisque, selon Qunawî, la
Walâyah, la Nubuwwah, la Risâlâh et
la Khilâfah lui sont subordonnées (ÉT. n° 398, p. 250). La quatrième
section des Futûhât est composée de chapitres qui caractérisent les dignités
muhammadiennes, ‘aissawie et mussawie, ce qui fait manifestement allusion aux
trois voies mentionnées ici. Précisons encore que, au niveau des silsilah, la Qadariyah est en rapport avec la « droite »
et la Shadhiliyah avec la « gauche ». D’autre part, le caractère
axial de la Akbariyah ne concerne pas directement les chaines initiatiques
conventionnelles qui ont été vivifiées par celle-ci et qui sont par rapport à
elle ce que les Rosicruciens sont à la Rose-Croix, mais on sait que certains
Rose-Croix se dissimulèrent parmi les rosicruciens.
(5)
L’Islam
et la fonction de René Guénon, p. 59
n. 10 et p. 183 n. 23.
(6)
Michel Vâlsan, « Les Hauts Grades de
l’Écossisme » ; ÉT. 1953,
p. 167. Cette voie peut également être mise en relation avec les cinq prophètes
postérieurs à Abraham : Ismaël, Joseph (Yûsuf), Jean Baptiste (Yahyâ) et
le Christ, qui, dans le Coran, sont appelés
ghulâm, équivalent arabe du golem
hébraïque qui est l’anagramme de gamal, la « Beauté » ;
le « mot de passe » du 26e grade de la Maçonnerie
Écossaise est en rapport avec le « Troisième Ciel », c’est-à-dire Vénus
(Orient) (L’Ésotérisme de Dante,
p . 17). Dans l’Hindouisme, cette voie est en relation avec la
« condition de Taijasa » (L’Homme et son devenir selon le Vêdânta,
ch. XIII ; voir aussi : L’Erreur
spirite, p. 116 à 119). On peut remarquer que le symbolisme de la ville de
Jérusalem est « central » par rapport aux trois législateurs.
(7) Notre intention, ici, n’est évidemment pas de
contester la « nécessité » de la métaphysique ; cependant, l’hypothèse
d’une « superposition métaphysique » à l’organisation maçonnique est
une autre confusion entre la méthode et la doctrine. Selon Michel Vâlsan, « en
passant de l’“opératif” au “spéculatif”, la maçonnerie a perdu une part de son
influence spirituelle » (ÉT.
1965, p. 161), alors que la « dégénérescence
d’une organisation initiatique ne change pourtant rien à sa nature essentielle,
et que même la continuité de la transmission suffit pour que, si des circonstances plus favorables se
présentaient, une restauration soit toujours possible, cette restauration
devant alors nécessairement être conçue comme un retour à l’état “opératif” » ; du reste, « on peut
toujours, d’une façon très exacte, appliquer les termes “opératif” et
“spéculatif”, à l’égard d’une forme initiatique quelle qu’elle soit, et même si
elle ne prend pas un métier comme “support”, en les faisant correspondre
respectivement à l’initiation effective et à l’initiation virtuelle ». (Aperçus sur l’Initiation, ch. XIX, p. 196-197).
(8) Introduction
générale à l’étude des doctrines hindoues, p. 231-232. Selon Guénon, le deva-yâna [voie des Dieux] désigne « la Voie qui conduit vers
les états supérieurs de l’être, donc vers l’assimilation à l’essence même de la
Lumière intelligible » (L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, p. 168). Cette expression de « lumière intelligible » par
laquelle il traduit le sanskrit sattwa
lui sert à rendre l’arabe an-Nûr :
« la Lumière intelligible [an-Nûr]
est l’essence (dhât) de l’“Esprit” (Er-Rûh), et celui-ci,
lorsqu’il est envisagé au sens universel, s’identifie à la Lumière elle-même ;
c’est pourquoi les expressions En-Nûr el-muhammadî et Er-Rûh
el-muhammadiyah sont équivalentes, l’une et l’autre désignant la forme
principielle et totale de l’ “Homme Universel”, qui est awwalu khalqi’Llâh,
“le premier de la création divine” ». (Aperçus sur
l’Initiation, ch. XLVII). Guénon met cet enseignement en connexion avec le
symbolisme de Metatron (Ibid. ch. XLVII, n. 7).
Par
ailleurs, sattwa et tamas correspondent au Zénith et au
Nadir représentés par l’« axe » qui symbolise la « croix
verticale », tandis que les deux axes solsticial et équinoxial qui
symbolisent la « croix horizontale » se rapportent à rajas (Le Symbolisme de la Croix, ch. V).
Du reste, on pourrait établir
une correspondance d’une part entre sattwa
et tamas, et d’autre part entre al-Fatîr (la Lumière primordiale) et azh-zhul (l’Obscurité) (L’Islam et la fonction de René Guénon, p.
153). Comme la lumière qui procède du Cœur est intelligible, ce point de
vue permet de résoudre la dualité contingente entre le Cœur et l’Intellect (Ibid. p. 20-21) ; la subordination
de l’Intellect au Coran le fait participer à la nature « incrée » du
Livre sacré.
(9) Le Roi du Monde, p. 53 et 80. La correspondance
entre Rajas et les Kshatriyas ne doit pas nécessairement
être interprétée de façon systématique car, d’après Guénon, le Kshatriyas « peut être pris pour
symboliser l’individualité quelle qu’elle soit (…) tandis que le Brâhmane (…) représente les états
supérieurs de l’être » (Études sur l’Hindouisme,
p. 14). Un Brâhmane peut se manifester avec les apparences d’un Kshatrya comme
Guénon l’a signalé pour le Christ et là encore on peut s’en reporter à
l’enseignement de Lao-Tseu : « La Voie est grande ; le Ciel est
grand ; la Terre est grande ; le Roi
aussi est grand. Au milieu, il y a donc quatre grandes choses, mais seul le Roi
est visible » (La Grande Triade,
ch. XVII). En Islam, ce sont la Terre, le Ciel et la voie qui sont
visibles ; le Calife est invisible. D’un point de vue initiatique, c’est
la connexion entre le gunas Rajas et l’élément Air (vayu) qui est intéressante car l’Air est
en relation avec le « Souffle » désigné en arabe par le terme Nafas qui évoque aussi l’âme (Nafs). Selon Ibn Arabî :
« lorsque ton âme sera rendue pure et que son miroir sera polie, ne
considère pas avec elle le monde pour recevoir en elle l’image de ce qui est
dans le monde même pris dans sa totalité, car il n’y a aucune utilité à cela,
mais oriente ton âme vers la Dignité Essentielle (el-hadrah edh-dhâtiah)
sous le rapport de la science que celle-ci a d’Elle-même. » (Études Traditionnelles, n° 299, p. 129-130). « Il est dit
dans la Bhagavad-Gîtâ : “Sur Moi toutes choses sont enfilées comme un
rang de perles sur un fil” Il s’agit ici du symbolisme du sûtrâtmâ [le
rayon solaire qui relie tous les états de l’être eux et à son centre
total] : c’est Âtmâ qui, comme un fil (sûtra), pénètre et
relie entre eux tous les mondes, en même temps qu’il est aussi le “souffle” qui,
suivant d’autres textes, les soutient et les fait subsister, et sans lequel ils
ne pourraient avoir aucune réalité ni exister en aucune façon. » (Symboles de la Science Sacrée, ch. LXI,
p. 347).
Dans l’ésotérisme islamique, on dit d’un
tel être [l’homme véritable] qu’il « “soutient le monde par sa seule
respiration” (…) C’est lui aussi dont l’ “action de présence” maintient et conserve
l’existence de ce monde, puisqu’il en est le centre, et que, sans le centre,
rien ne saurait avoir une existence effective ; c’est là, au fond, la
raison d’être des rites qui, dans toutes les traditions, affirment sous une
forme sensible l’intervention de l’homme pour le maintien de l’ordre cosmique,
et qui ne sont en somme qu’autant d’expressions plus ou moins particulières de
la fonction de “médiation” qui lui appartient essentiellement. » En effet,
« celui qui réalise véritablement ce qui est impliqué dans le rite
s’assimile les influences célestes et les ramène en quelque sorte en ce monde
pour les y conjoindre aux influences terrestres, en lui-même d’abord, et
ensuite, par participation et comme par “rayonnement”, dans le milieu cosmique
tout entier » (La Grande Triade,
ch. XIV). « (…) tous les êtres qui sont capables d’en prendre conscience
doivent, chacun à sa place et suivant ses possibilités propres, concourir
effectivement à cette réalisation, qui est aussi désignée comme le “plan du
Grand Architecte de l’Univers” », et qui est « la réalisation de l’ “ordre”,
en tant qu’elle ne fait qu’un avec celle de la manifestation elle-même dans le
domaine d’un état d’existence tel que notre monde » ; « ce dont il s’agit pourra se traduire par la
constitution d’une organisation traditionnelle complète, sous l’inspiration des
organisations initiatiques qui, en constituant la partie ésotérique, seront
comme l’“esprit” même de tout l’ensemble de cette organisation sociale » ;
c’est ce qui « est désigné dans la Maçonnerie écossaise comme le “règne
du Saint-Empire”, par un souvenir évident de la constitution de l’ancienne “Chrétienté”,
considérée comme une application de l’ “art royal” dans une forme
traditionnelle particulière » (Aperçus sur l’Initiation, ch. XLVI).
Nous avons certaines raisons de penser
que la question de l’exotérisme chrétien est « réservée » et que
c’est la raison pour laquelle Guénon n’avait aucune inclinaison à l’aborder.
Lorsque nous disons qu’elle est « réservée », nous ne voulons pas
dire qu’elle l’est pour une « élite », mais qu’elle est en
« réserve », pourrait-on dire, dans le temps. Il y a là peut-être
quelque chose qui est en relation avec l’ « état mental » de
l’Occident et avec la perspective « souffrante » et
« rayonnante » du Christianisme. Quoi qu’il en soit, les remarques de
Guénon indiquent clairement que la revivification du Christianisme est
subordonnée au « destin de la Maçonnerie » et que la conservation
vigilante de ses différents héritages est actuellement la méthode initiatique
la plus positive de servir le Christ.
(10) L’Ésotérisme de Dante, ch. VI, p. 49.
« Il faut ajouter que le monde terrestre peut être regardé comme
représentant ici, par transposition, tout l’ensemble du “cosmos”, et qu’alors
le ciel représentera, suivant la même transposition, le domaine “
extra-cosmique” ; à ce point de vue, c’est à l’ordre “spirituel”, entendu
dans son acception la plus élevée, que devra s’appliquer la considération du
“sens inverse” par rapport, non seulement à l’ordre sensible, mais à l’ordre
cosmique tout entier » (Symboles de
la Science Sacrée, ch. XXXV, p. 224-225).
(11) Pour un
aboutissement de l’œuvre de René Guénon (Éditions Traditionnelles, 1998), p.
168, n. 3.
(12) Initiation
et réalisation spirituelle,
ch XXXII, n. 1. Toujours à propos du
triangle inversé, Guénon écrit : « le renversement du symbole du
soufre signifie la descente des influences spirituelles dans le “monde d'en
bas”, c'est-à-dire dans le monde terrestre et humain ; c'est, en d'autres
termes, la rosée céleste » (EFMC II,
p. 64).
(13) Le Roi du Monde, p. 52-53. La hiérarchie
proposée par Michel Vâlsan est inversée par rapport à celle qui est communiquée
ici (cf. É.T. 1953, p. 231),
seulement les nuances formulées par Guénon sont très claires : « c’est
précisément avec cette signification [descendante] que le triangle inversé est
pris comme symbole des plus hauts grades de la Maçonnerie écossaise ; dans
celle-ci, d’ailleurs, le 30e degré étant regardé comme nec plus
ultra, doit logiquement marquer par là même le terme de la “montée”, de
sorte que les degrés suivants ne peuvent plus se référer qu’à une “redescente”,
par laquelle sont apportées à toute l’organisation initiatique les influences
destinées à la “vivifier”(…) » (Initiation
et réalisation spirituelle, ch XXXII, n. 1).
(14) Le Roi du Monde, p. 18. « Le sacerdoce selon l’ordre de Melchissedec implique aussi
en lui-même la royauté ; c’est ici, précisément, que l’un et l’autre ne
peuvent être séparés, puisque Melchissedec est, lui aussi, prêtre et roi à la
fois, et qu’ainsi il est réellement la figure du Principe en lequel les deux
pouvoirs sont unis, comme le sacrifice qu’il offre avec le pain et le vin est
la figure même de l’Eucharistie » (« Le Christ prêtre et roi » É.T. 1962, p. 3). Le pain et le vin sont
mentionnés dans le deuxième songe interprété par le patriarche Joseph. On sait que le « vin »
correspond à la « science des États » (‘ilm al-ahwâl) ; « le
vin que buvaient les Templiers était le même que celui que buvaient les
kabbalistes juifs et les soufis musulmans » (Aperçus sur l’ésotérisme chrétien, p. 63) et « en hébreu les mots iaïn, “vin”, et sod,
“mystère”, se substituent l’un à l’autre comme ayant le même nombre » (Le Roi du Monde, p. 46), c’est-à-dire
70 qui est aussi la valeur numérique de la lettre arabe ‘ayn qui désigne la « source » (Cor. LVI, 18). « “Avec
coupes et aiguières ainsi que verres à breuvages de source”, emblèmes (les
premières mentionnées) des “vins” (khamia)
de la volonté spirituelle (irâdah),
de la connaissance (al-ma’rifah), de
l’amour (al-mahabbah), du désir
passionnel (al-ichq) et de la saveur
éprouvée (adh-dhawq), ainsi
qu’emblèmes (les verres) des “eaux” correspondant aux formes de sagesse et de
science transcendante (miyâ-hu-l-hikam
wa-l-‘ulûm) » commente Qâchânî (cf.
la traduction de M. Vâlsân ; Études
traditionnelles, 1972, p. 260). « Les premières mentionnées »
symbolisent différents degrés de l’aspiration spirituelle, et rappelons que
Guénon a insisté sur le fait que n’importe quel état pouvait constituer le
point de départ de la réalisation spirituelle. La voie du fard, c’est l’aspiration universelle de la « conscience
organique », qui régit le corps humain, à se libérer de sa modalité
subtile et corporelle ; c’est l’aspiration du plus « bas » ou du
plus « extérieur » à atteindre par identification le plus
« haut » ou le plus « intérieur ». En outre le symbole du
« Vin » peut apparaître comme un conditionnement de la Connaissance
par l’Amour, bien que celui-ci n’exclut pas la forcément la Connaissance par la
Vérité. En l’occurrence, il ne s’agit pas à proprement parler de la
« Connaissance de l’Amour » car celle-ci peut conduire à l’égarement,
mais de l’Amour de la Connaissance, c’est-à-dire une disposition de l’être
particulièrement adapté à la nature des kshatryas.
Maintenant, ca qu’il importe de souligner ici, c’est que ce verset concerne les
Muqarabûn, c’est-à-dire les disciples
de la « Voie du Milieu ». Un traducteur traditionnaliste du Coran
donne à ce mot la signification de « précurseur » et, à vrai dire, il
ya là quelque chose de très profond si on l’interprète d’un point de vue
« cyclique », ce qui n’est assurément pas le cas du traducteur en
question. Notons encore que le terme M‘ayn
(dérivé de ‘ayn – pluriel uyûm – cf. Cor. XV, 45) est constitué des mêmes lettres que N‘aym qui désigne les délices et le 5ème paradis. Un autre
terme très proche de ceux-ci est celui qui désigne les Bestiaux (al-an‘âm – cf. Cor. XVI, 66 pour le contexte de cette note). Tout le
symbolisme évoqué à propos de ces termes peut être mis en relation avec celui
de la planète Mars, car na‘âmâ désigne
aussi le vent d’Ouest.
Chez les chrétiens, le « pain s’identifie
à la “chair” du Verbe manifesté, il peut être intéressant de signaler encore
que le mot arabe lahm, qui est le même que l’hébreu lehem, a précisément
la signification de “chair” au lieu de celle de “pain” » (Le Roi du Monde, p. 77, n. 2) ; et
ailleurs, Guénon écrit : « Dans la tradition islamique, les deux “nuits”
dont nous avons parlé sont représentées respectivement par laylatul-qadr et
laylatul-mirâj, correspondant à un double mouvement “descendant” et “ascendant” ;
la seconde est l’ascension nocturne du Prophète, c’est-à-dire un retour au
Principe à travers les différents “cieux” qui sont les états supérieurs de
l’être ; quant à la première, c’est la nuit où s’accomplit la descente du Qorân,
et cette “nuit”, suivant le commentaire de Mohyiddin ibn Arabi, s’identifie au corps
même du Prophète. Ce qui est particulièrement à remarquer ici, c’est que la “révélation”
est reçue, non dans le mental, mais dans le corps de l’être qui est “missionné”
pour exprimer le Principe : Et Verbum caro factum est, dit aussi
l’Évangile (caro et non pas meus), et c’est là, très exactement, une
autre expression, sous la forme propre à la tradition chrétienne, de ce que
représente laylatul-qadr dans la tradition islamique » (Initiation et réalisation spirituelle, ch.
XXXI, p. 250, n. 1). Enfin Joseph et les deux compagnons de prison préfigurent
le Christ et les deux larrons qui symbolisent respectivement l’ « arbre de
Vie » et la dualité de l’ « arbre de science » (du Bien et du
Mal) (cf . Le Symbolisme de la Croix,
ch. IX, p. 82).
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