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mercredi 6 juin 2018

LA MÉDITATION DU SHAYKH AL-AKBAR


















IBN ‘ARABÎ

LA STATION DE LA MÉDITATION



Le chapitre cent vingt six de la Connaissance du maqâm al-murâqabah* (extrait).




Sois vigilant sur Lui en toutes choses
Car Lui – subhânahu – est attentif à ton égard

Dans tes veilles (hudûr) et tes « sommeils profonds » (ghaîbah).
C’est pourquoi, pour ce qui me concerne, en tout état
(hal), me revient une part (de mon attitude)

Et, lorsque surviennent des moments vacants,
Aucune inquiétude ne m’atteint et ceci est merveille.


     L’observation (murâqaba) est une attribution divine et, pour nous, un abreuvoir ; le Suprême – ta‘âlâ – a dit : « Et Allâh est Vigilant sur toutes choses » (1) et : « La préservation (des Cieux et de la Terre) ne Lui demande rien » (2) ; les Cieux constituent le monde le plus élevé (al-a‘lâ), et la Terre, le monde le plus bas (al-asfal), et [finalement] il n’y a que le plus élevé et le plus bas. Ensuite, le plus élevé et le plus bas se divisent en deux : un Monde qui se manifeste de lui-même et un Monde qui ne se manifeste pas par lui-même ; celui qui se manifeste de lui-même est constitué des substances (jawâhir) et des corps (ajsâm), et celui qui ne se manifeste pas par lui-même est constitué des êtres crées (akwân) et des couleurs (alwân) ; celles-ci sont les qualités (al-çifât) et les accidents (al-a‘râd). Or, le Monde des corps et des substances doit sa durée à l’existence des accidents en ces derniers, de telle sorte que, si les accidents ne se manifestent pas, ce qui doit être existencié par l’effet de sa durée et de son existence, devient non manifesté, et, il n’y aucun doute que les accidents ne se manifestent plus dans le temps suivant (dans « un temps second » –al-zamân al-thânî–). Mais la Réalité métaphysique (al-haqq) observe [simultanément] de façon permanente (marâqabân) le Monde des corps et des substances les plus élevées et les plus abaissées ; lorsqu’un accident, par lequel (les corps et les substances) ont leur existence, devient non-manifesté, Il crée, dans ce temps même, un accident semblable ou différent par lequel Il le maintient hors du non-être (al-‘adam) pour tout temps, car Il (Allâh) est Créateur permanent, et ainsi le Monde est dépendant perpétuellement de Lui – ta‘âlâ – selon une dépendance essentielle (dâtyân) du Monde des accidents et des substances. Ceci est la contemplation de la Réalité métaphysique (al-haqq) sur Ses créatures pour en sauvegarder l’existenciation. Il s’agit là des « états conditionnels » (shu’ûn) dont nous informe Son Livre en ces termes : « Chaque jour, Il a (pour objet) un état conditionné » (3).
      Une autre contemplation métaphysique (murâqabah akhirâ li-l-haqq) concerne Ses adorateurs (‘ibâdihi) et consiste dans Son Regard porté sur eux, et sur leurs responsabilités (kalifuhum) à l’égard de Ses commandements, Ses interdits, et ce qu’Il a défini comme limite ; ceci est la Conscience (murâqabah) de la Grandeur (d’une part) et (d’autre part) de la Promesse et de l’Avertissement (wa‘îd) (4) : et, parmi eux (Ses adorateurs), qui ont reçu la fonction d’observer tout ce qu’ils font, par Lui, conformément au verset : « On ne prononce aucune parole sans qu’il y ait auprès de Lui un observateur averti » (5) et comme celui-ci : « [Allâh a des] Nobles scribes qui savent ce que vous faites » (6) et : « Nous écrivons ce qu’ils disent » (7) et cet autre : « Toute chose, Nous l'avons consignée dans un “Guide” évident (imâm mubîn) » (8) et encore : « Et Allâh n'est pas inattentif à ce que vous faites » (9). Tels sont (les exemples de) la contemplation métaphysique (murâqabah-l-haqq).
      Quant à la méditation de l’adorateur (murâqibah-l-‘abd), elle est de trois sortes : la première n’est pas réalisable (lâ yaçihh) tandis que les deux autres lui sont rendues possibles et il peut les trouver à partir (de son statut) d’adorateur (min al-‘abd ). Pour celle qui n’est pas réalisable, c’est-à-dire la méditation de l’adorateur sur son Seigneur (qui concernerait) la connaissance de Son Essence (dhâtihi), elle est impossible de même que (la connaissance) du lien (nisbah) qu’Il entretient avec le monde ; on ne peut imaginer (lâ yataçûr) cette méditation du fait qu’elle ne peut s’établir sur la science constituée par l’essence de ce qui est observé (bi-dhâti-l-murâqab).
     Cependant, d’autres disent que cette méditation est possible car la shari‘ah a défini les choses conformément à Sa Majesté : « (Allâh est) où que nous soyons » ; « Il est établi sur le Trône (al-arsh) » (10) ; « Il est sur la Terre » ; « (Il) connait notre Secret et notre apparence » ; « (Il est) dans le Ciel » et « Il descend sur lui (le Ciel) » et « Il est l’Apparent (al-zâhir) » dans le Principe de la manifestation de tous les Possibles. Sachant ces déterminations Le concernant, nous méditons sur Lui selon ces limites (hadd) et notre observation des choses est identique à l’Essence même de notre méditation (c’est-à-dire la Réalité divine) apparaissant ponctuellement en tout objet. Ainsi, il y a des gens qui ont dit « je n’ai pas vu de chose, si ce n’est Allâh, avant d’avoir observé (la chose) » ; d’autres ont dit : « (si ce n’est), après (la chose observée) » et d’autres : « (si ce n’est), avec (la chose observée) ; d’autres enfin : « (si ce n’est), dans (la chose observée) » (11). De telles personnes valident par là même leur contemplation.
      La deuxième méditation est celle de la Pudeur (al-hayâ’), conformément à Sa Parole : « Ne sait-il pas qu’Allâh voit (ruyâhu) ? » (12) ; celui qui la pratique est attentif à la Vision d’Allâh et Celle-ci l’observe ; ainsi, il médite sur la pure Contemplation (murâqabah-l-haqq). Cette (méditation a pour but) la contemplation de la Contemplation et elle s’intègre à la shari‘ah.
        La troisième méditation consiste à observer son cœur ainsi que son moi externe et interne afin de voir (directement) les « traces (âthâr) de son Seigneur » (13) et de se comporter en conséquence (14)  ; de même, dans les manifestations extérieures provenant de Lui, (la méditation consiste à) percevoir les « traces de son Seigneur » conformément à Sa parole : « Nous leur ferons voir Nos signes dans les horizons et en eux-mêmes ». Cette observation est liée à la Réalité métaphysique (bi-l-haqq) car il n’y a d’agent (méditant) que cette Réalité.

        La méditation  est une activité spirituelle qui exige du serviteur (‘abd) qu’il n’en soit distrait à aucun moment (waqt). Sache cela et réalise-le ! Tu connaîtras la dignité de ton Seigneur en toi-même et tu comprendras ce qui t’est adressé dans les choses qui se manifestent par ta pensée et ton intellect et par ce dont tu seras témoin (mushâhadatika) et qui émergera de ce qui est caché dans ton état humain (kawnika) et partout où tu seras (dans la capacité) de connaître directement les mouvements de ta pensée.



  







NOTES



* « De la Connaissance de la Station de la Contemplation » (Futûhât al-mekkiyyah) : cette traduction représente environ un cinquième du chapitre 126. Murâqabah est un terme que l’on traduit généralement par observation, surveillance (dans la crainte d’Allâh) mais il peut définir également l’activité purement spirituelle et l’abandon de tout ce qui est autre qu’Allâh ; il s’agit alors de la méditation par excellence, ou de la contemplation, c’est-à-dire la plus haute « activité intellectuelle ».

(1) Cor. : Al-Nisâ’, 1. Nous avons utilisé la version warsh pour toutes les références coraniques (al-Azhar, Dar al-Ma‘rifah 2003).
(2) Cor.  : Al-Baqarah, 254 (extrait de l’ayyât al-Kursî).
(3) Cor. : Al-Rahmân, 29 ; « Chaque jour, Il est à un état conditionné » (kulla yaûmin huwa fî shâni).
(4) Le terme wa‘îd comporte le double sens de promesse et de menace (ou d’avertissement qui est plus approprié ici).
(5) Cor.  : Qâf, 18 : « On n’exprime aucune Parole sans qu’il y ait auprès de Lui un observateur averti. »
(6) Cor.  : Al-Infitâr, 11 : « [Allâh a des] Nobles scribes qui savent ce que vous faites » (kiramân kâtibîna ya‘lamûna mâ taf‘alûn). 
(7) Cor. : « Nous écrivons ce qu’ils disent » ; sanaktubu mâ qâlû semble ne pas figurer tel que dans le Coran.
(8) Cor. : Yâ-Sîn, 11 : « Toute chose, Nous l'avons consignée dans un “guide” évident (imâmin mubîn-in) » ; le terme « prototype » utilisé pour Imâm par la plupart des traducteurs n’est guère heureux ; en outre, l’activité d'observation directe sous-entendue dans imâmin mubîn s'accorde avec l'idée d'« Imâm permanent » universel résidant au-delà du monde manifesté.
(9) Cor. : Al-Baqarah, 73 : « Et Allâh  n'est pas négligent à propos de tout ce que vous faites » ; wa mâ Allâhu bi ghâfilin ‘ammâ ta’malûn. L’ensemble de ces neuf citations coraniques éclaire sans ambiguïté le sens profond du commentaire du Shaykh al-Akbar sur al-murâqabah.
(10) Cor. : Al-Hadîd, 4. Les citations suivantes sont de très courts extraits coraniques. Ce passage concerne les personnes dont l’individualité a disparu dans la méditation ; ainsi, le « sujet » observant un « objet » se transforme dans l’Observation, c’est-à-dire dans « l’Essence de la murâqabah qui se manifeste en toute chose ». En d’autres termes, il s’agit de la transformation de l’être dans la « non-dualité ».
(11) Ce passage se réfère aux paroles des Califes « biens guidés » relatées généralement en ces termes : « Selon Abu-Bakr : “Je n’ai pas vu de chose sans avoir vu Allâh avant la chose” ; selon Omar : “Je n’ai pas vu de chose sans avoir vu Allâh après la chose” ; selon Othmân : “Je n’ai pas vu de chose sans avoir vu Allâh avec la chose” et selon ‘Alî : “Je n’ai pas vu de chose sans avoir vu Allâh dans la chose” ». Selon ce dernier point de vue, Seyyîdnâ ‘Alî possède effectivement la Réalisation complète de la murâqabah à laquelle doit s’intégrer les trois autres « visions » pour correspondre à la plénitude de la Station mohammadienne.
(12) Cor. : Al-‘Alaq, 14 (alam ya‘lam bi-anna Allâh yarâ).
(13) Cor. : Fuçilat, 42. 
(14) Littéralement : selon le compte des « traces » visibles qu’Il y a déposé. 








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