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René Guénon sur la
question du Khalifat et du Khalife.
Correspondance M. Clavelle,
Le Caire, 7 septembre 1933
« Pour l’article sur le Khalifat, je vois bien de quoi il s’agit : c’est un mauvais tour que la France veut jouer à l’Angleterre, laquelle voudrait, elle aussi, et depuis longtemps déjà, avoir un Khalife « de façade » qui ne serait qu’un instrument entre ses mains ; et je m’explique maintenant le voyage d’un certain personnage marocain qui nous avait un peu intrigué il y a quelques mois… En fait, l’une des deux solutions ne vaudrait guère mieux que l’autre étant donné surtout ce qui se passe actuellement en Afrique du Nord (sans parler de la Syrie) ; jamais encore les Français ne s’étaient comportés de pareille façon jusqu’ici ; c’est sans doute l’effet des belles promesses faites pendant la guerre. Quoi qu’il en soit, il est plutôt maladroit de confier le « lancement » de cette idée à des gens aussi grossièrement ignorants que l’auteur de l’article en question. « Puissance sacerdotale », « Souveraineté pontificale », etc… autant d’âneries que de mots… Il est d’ailleurs tout à fait faux que la présence d’un Khalife soit nécessaire au maintien de l’orthodoxie, et il ne l’est pas moins que le Khalife doive remplir telle ou telle condition définie, on préférerait en général qu’il soit d’origine arabe, mais cela même n’est nullement nécessaire, et en fait n’importe qui peut être désigné. Lors du congrès de Jérusalem, certains pensaient mettre en avant la candidature de quelqu’un que je connais très bien, et qui ne remplit aucune des prétendues conditions ; c’est seulement un homme énergique et très instruit des choses de l’Islam, et c’est là l’essentiel ; mais sans connaître l’actuel sultan du Maroc, je crois qu’il y a bien des chances pour qu’il ne possède ni l’une ni l’autre de ces deux qualités. D’autre part, il y a trois modes possibles de désignation d’un Khalife, tout aussi réguliers l’un que l’autre, et qui correspondent proprement aux trois titres respectifs de « Khalifat », d’« Imâm » et d’« Anûrul-Muminîn » ; vous voyez que c’est assez complexe et que personne en Europe n’y connais quoi que ce soit. – Quant à Mustafa Kémal, je comprends bien pourquoi il entrerait dans la combinaison, et vous pourrez être sûr que ses raisons n’ont rien de « spirituel », mais comment lui et ses partisans pourraient-ils bien continuer à se prétendre, je ne dis pas « sunnites », mais simplement « orthodoxes », quand ils se servent, dans les mosquées, d’une traduction du Qoran, ce qui est tout ce qu’il y a de plus rigoureusement interdit. Du reste, des gens qui ont fait du port d’une casquette le symbole de la « civilisation » sont jugés par là même, je ne veux pas dire qu’il y ait là une question de principe (c’est bien moins important qu’ils ne le croient eux-mêmes), mais je prends cela comme un « signe » qui donne assez exactement la mesure de leur « horizon intellectuel ». »
Le Caire, 2 septembre 1932
« Quant à l’Islam politique, mieux vaut n’en pas
parler, car ce n’est plus qu’un souvenir historique ; c’est certainement dans
ce domaine politique que les idées occidentales, avec la conception des «
nationalités », ont fait le plus de ravages, et avec une singulière rapidité.
C’est à tel point que maintenant les Égyptiens ne veulent pas venir en aide aux
Syriens, ni ceux-ci aux Palestiniens, et ainsi de suite ; et il y en a beaucoup
à qui on ne peut même plus arriver à faire comprendre combien ce particularisme
est contraire aux intérêts traditionnels. – Cela n’a pas empêché un soi-disant
« explorateur » français, qui n’est probablement qu’un vulgaire touriste, de
prétendre dans un livre récent que le Khalifat existe toujours en fait, et,
mieux encore, qu’il a son siège ici même à El-Azhar. Ce serait à éclater de
rire si la réalité, à cet égard, n’était assez triste au fond ; savez-vous
qu’au congrès de Jérusalem, en décembre dernier, la question du rétablissement
du Khalifat ayant été posée, il a été impossible d’arriver à une entente et à
une solution quelconque ? Et savez-vous aussi, en ce qui concerne spécialement
El-Azhar, que le recteur, il y a à peu près un an, a refusé de signer une
protestation contre les atrocités italiennes en Tripolitaine, sous le prétexte
que « c’était là une question politique dans laquelle il n’avait pas à
intervenir » ?»
« La théorie musulmane du Khalifat unit aussi les deux
pouvoirs, au moins dans une certaine mesure, ainsi que la conception
extrême-orientale du Wang .»
(voir La Grande
Triade, ch. XVII).» Guénon, Le Roi du Monde
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« l’ésotérisme est essentiellement autre chose
que la religion », et il « ne peut aucunement être dérivé de la
religion ; là même où il la prend pour support, en tant que moyen
d’expression et de réalisation, il ne fait pas autre chose que de la relier effectivement
à son principe, et il représente en réalité, par rapport à elle, la Tradition
antérieure à toutes les formes extérieures particulières, religieuses ou
autres »
Aperçus
sur l’Initiation, chap. III, p. 27 et ch. X, p. 74-75
A R ; Y. Bragard p. 21 (pdf)
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Le Prophète (‘as) a dit
:
« Il viendra des années de tromperies. Le véridique sera considéré comme un menteur tandis que les menteurs seront écoutés. L’homme honnête sera déconsidéré tandis que le malfaisant sera bien en vue. Et l’ignorant (al-ruwaybidah)* parlera beaucoup. On demanda : — qu’est ce que al-ruwaybidah ? ».
Il répondit : « il s’agit de l’homme ignorant qui parlera à propos de choses dont il n’a aucune science ».
(Al-silsilah sahihah, 1887)
(الرويبضة)*
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La réponse de l’Emir Abd El Kader à Monseigneur Pavy, qui le remerciait de
son intervention en faveur des chrétiens de Damas en 1860:
« Ce que nous avons
fait de bien avec les Chrétiens, nous nous devions de le faire, par fidélité à
la foi musulmane et pour respecter les droits de l’humanité (huqûq al-insâniyya). Car toutes les
créatures sont la famille de Dieu, et les plus aimés de Dieu sont ceux les plus
utiles à sa famille. Toutes les religions apportées par les prophètes depuis
Adam jusqu’à Muhammad reposent sur deux principes : l’exaltation du Dieu très
haut et la compassion pour ses créatures. En dehors de ces deux principes, il
n’y a que des ramifications sur lesquelles les divergences sont sans
importance.
Et la loi de Mohammad
est parmi les doctrines, celle qui montre le plus d’attachement et donne le
plus d’importance au respect de la compassion et de la miséricorde, et à tout
ce qui assure la cohésion sociale et nous préserve de la dissension.
Mais ceux qui
appartiennent à la religion de Mohamed l’ont dévoyée. C’est pourquoi Dieu les a
égarés. La sanction a été de même nature que la faute ».
(L’Emir Abd El Kader: Témoin et Visionnaire, P. Lory, D. Rivet, H. Teissier, Ibis Presse, Paris 2004)
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SupprimerBonjour, juste pour vous dire que votre blog est pour "moi", une source où je viens puiser l'inspiration. Idée de lecture ou relecture, explication de texte etc... Rare sont ces lieux qui me permettent de m'abandonner et qui m'aident a trouver mon chemin,loin de la cohue et la bêtise ambiante. Merci ! Cordialement. SH
SupprimerMerci pour votre appréciation.
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