L’ESPRIT MÉDIÉVAL
&
Les transmissions de
la civilisation arabo-islamique
René Guénon considère le règne de Philippe le Bel, et plus
tard les traités de Westphalie, comme marquant le terme de la période médiévale
dont le franchissement va correspondre à des changements profonds. La malédiction
des « trois R » (1) fait son entrée sur la scène européenne. Résumons : dès la
Renaissance, avec l’idée du progressisme, s’enchainent trois siècles
de décadence spirituelle inaugurée par la Réforme : la perspective de profits
exclusivement économiques et matériels se répand en Europe et s’étend par la
conquête des terres appartenant à d’autres civilisations ; la tentative d’extermination
de certaines de leurs ethnies ; le déclin de la Royauté et enfin, la
Révolution. On ne pouvait pas mieux préparer le terrain de l’éclosion industrielle
et les conditions nécessaires à sa propagation, accompagnées des fureurs du
nationalisme dont les guerres mêlées à des massacres ethniques sans précédent seront
le résultat immédiat. De nouveaux émigrants arrivent en Amériques exportant la
maladie réformatrice et les « lumières » du progrès tout en procédant
à la plus grande extermination ethnique de l’histoire de l’humanité. À partir
de la Révolution française, en deux siècles, la catastrophe devient presque immédiatement
internationale. La perte définitive des vraies connaissances a laissé progressivement
la place à tous les déséquilibres contaminant l’ensemble des sociétés gagnées à
une nouvelle idole, la « Démocratie ». L’agitation continuelle, la
dégradation de la vie sociale, l’obsession de la réussite individuelle, chacun
peut facilement prolonger la liste des fléaux accumulés par le Progrès en
majesté.
Le bilan est simplement accablant,
et, il faut quand même admettre que les penseurs du monde moderne ne doutent
vraiment de rien pour qualifier d’« obscurantistes » les mœurs, lois
et coutumes des sociétés qui ont précédé la nôtre. À condition de dissiper les
préjugés durablement diffusés dans les mentalités, l’Antiquité et le Moyen-âge apparaissent
comme tout autre chose que les conceptions fabriquées (2) par l’histoire officielle. On peut facilement
constater que la critique des faits rassemblés pour l’élaboration historique
de toute la période médiévale est lacunaire ; on pourrait accuser les intentions
orientées des historiens et leurs interprétations partisanes sans beaucoup se
tromper, mais le plus simple est de considérer déjà ce qu’ils ont été incapable
de voir, ou plutôt n’ont délibérément pas voulu voir, ne serait-ce que dans
l’apport de la translatio studiorum (3).
Aristote était déjà connu dans le
monde oriental avant la naissance de l’Islâm, notamment chez les Nestoriens et
les Jacobites, qui associèrent théologie et philosophie (*). On sait également que les
doctrines hindoues, notamment la logique et la métaphysique, ont influencé la
philosophie grecque (4) ; pourtant, comme l’a noté l’auteur de La crise du monde moderne, l’importance
de l’héritage grec dans la « civilisation européenne » revendiquée
par la culture officielle, est surévaluée. La science et la philosophie grecque
furent effectivement transmises aux européens
« mais
seulement après avoir été étudiées et approfondies dans le Proche-Orient par des
traducteurs et des savants arabes, persans et indiens (5) »,
ce qu’en général les penseurs et particulièrement les
historiens imprégnés de progressisme et de nationalisme se gardent bien de dire.
Cette transmission s’effectua en grande partie à partir du califat de Bagdad
dont le but premier était l’éducation (adab)
de la communauté musulmane par le Savoir qu’il était recommandé d’aller
rechercher, même « jusqu’en Chine », si possible.
« Les
deux premiers siècles du khalifat correspondent à l’acculturation philosophique
des Arabes, à l’essor de la philosophie de l’Islam et dans l’Islam, bref à
l’une des plus riches périodes intellectuelles qu’aient connu l’Orient musulman
et l’Orient chrétien (6).
C’est par le véhicule de la langue
arabe que vont nous parvenir, grâce aux traductions des savants arabes et persans, principalement
sous le règne d’Haroun al-Rashîd à Bagdad, la ville la plus importante de
l’Orient à cette époque (7). De nombreux
textes de différentes origines ont été traduits vers le latin, notamment dans
l’Espagne musulmane et chrétienne. Mais, déjà,
« Le nom d’Haroun était alors célèbre dans les
partie les plus reculées du monde connu. La Tartarie, l’Inde, la Chine
envoyaient des ambassadeurs à sa cour. Le puissant Empereur Charlemagne,
véritable souverain d’Occident, qui régnait de l’Atlantique jusqu’à l’Elbe,
mais ne régnait que sur des barbares, chargea des ambassadeurs de lui porter
ses vœux et de solliciter sa protection pour les pèlerins qui se rendaient à
Jérusalem. Haroun accorda la protection demandée et renvoya les ambassadeurs avec
de magnifiques présents. On voyait parmi eux un éléphant richement orné, animal
entièrement inconnu en Europe, des perles, des bijoux, de l’ivoire, de
l’encens, des étoffes de soi et enfin une horloge qui marquait et sonnait les
heures » (8).
Il y a lieu d’ajouter que Charlemagne, le fondateur du Saint-Empire, reçut également
des ambassadeurs d’Haroun al-Rachid, les « clés du Saint-Sépulcre » (9). L’apport de
la civilisation arabe au monde européen ne s’arrête pas là. L’influence du
savoir traditionnel islamique se fit sentir à Padoue en Italie, en Sicile, à
Tolède où Raymond l’archevêque commença la traduction en latin des plus grands
auteurs arabes. Le succès de ces nouvelles connaissances, du douzième au
treizième siècle, fut considérable ; on connut ainsi Rhazès, Albucasis,
Avicenne, Averroès, et, les philosophes grecs : Galien, Hippocrate, Platon,
Aristote, Euclide, Archimède, Ptolémée. Plus de trois cents traités de médecine
arabe furent également traduits. Quant au domaine des sciences mathématiques,
« (...)
ce n’est pas seulement la science grecque qui a été transmise à l’Occident par
l’intermédiaire de la civilisation islamique mais aussi la science hindoue. Les
Grecs avaient aussi développé la géométrie, et même la science des nombres,
laquelle pour eux, était toujours rattachée à la considération des figures
géométriques correspondantes (...). Il existe cependant une autre partie des
mathématiques appartenant à la science des nombres qui n’est pas connue, comme
les autres sous une dénomination grecque dans les langues européennes, pour la
raison que les anciens grecs l’ont ignorée. Cette science est l’algèbre, dont
la source première est l’Inde et dont l’appellation arabe montre assez bien
comment elle a été transmise à l’Occident » (10).
Avec les mathématiques et l’algèbre s’est imposé
l’usage des chiffres indiens connus chez nous comme « chiffres
arabes » (11). La somme
de toutes ces connaissances va constituer un apport intellectuel décisif au
cœur des sociétés chrétiennes européennes. Celles-ci vont lui devoir
principalement, outre la philosophie d’Aristote accompagnée des commentaires
d’Ibn Rush (Averroès), les traités d’Alchimie (al-kimiyah), l’astronomie et l’astrologie (le ´ilm al-nujûm qui désigne en arabe l’une et l’autre de ces deux
sciences qui n’en font qu’une en réalité), la physique et les sciences
naturelles auxquelles il faut ajouter l’architecture. Pour ce qui concerne la
médecine, les musulmans y ont excellé durant tout le Moyen-âge, et leurs
ouvrages furent pris en compte par les cercles médicaux de la Renaissance
jusqu’au XVIIème siècle.
« Pour
les sciences naturelles, nous savons que certaines d’entre elles ont été
transmises à l’Europe de façon complète, et ce qu’est devenue la chimie (dont
l’origine est l’alchimie), en a même gardé le nom arabe, de même qu’un grand
nombre de corps célestes et de termes techniques qui se sont maintenus dans
les conceptions modernes de l’astronomie » (12).
La plupart des connaissances concernant les contrées
éloignées d’Asie ou d’Afrique ont été acquises par des explorateurs arabes qui
visitèrent ces régions. Les récits d’Ibn Battûta, par exemple, sont restés dans
toutes les mémoires. On pourrait voir également chez Ibn Khaldûn les premiers
travaux d’ethnologie, de sociologie et d’histoire.
Afin de réfuter définitivement la
récupération idéologique de quelques nationalistes chrétiens, dès la parution
de l’ouvrage de Guggenheim (Aristote au Mont
St. Michel), il est nécessaire de préciser que la philosophie connue sous
le nom de scolastique est distinguée en musulmane, juive et chrétienne, et que
c’est par les arabes qu’elles furent transmises aux élites latines. Même si des
personnalités isolées purent connaître Aristote auparavant, à l’instar des
Nestoriens et des Jacobites, cela ne modifie en rien la réalité factuelle de la transmission
des connaissances qui ne se limitèrent pas comme le voudraient ces pseudos-chrétiens
réactionnaires à la seule philosophie d’Aristote. D’ailleurs, il n’y eut
pas que la philosophie et la science,
« […] en ce qui concerne la littérature et la poésie, bien des idées
provenant des écrivains et des poètes musulmans, ont été utilisées dans la
littérature européenne et que même certains écrivains occidentaux sont allés
jusqu’à l’imitation pure et simple de leurs œuvres. De même, on peut relever des
traces de l’influence islamique en architecture, et cela d’une façon toute
particulière au Moyen Age ; ainsi, la croisée d’ogive dont le caractère
s’est affirmé à ce point qu’elle à donné son nom à un style architectural, a
incontestablement son origine dans l’architecture islamique, bien que de
nombreuses théories fantaisistes aient été inventées pour dissimuler cette
vérité. Ces théories sont contredites par l’existence d’une tradition chez les
constructeurs eux-mêmes affirmant constamment la transmission de leurs
connaissances à partir du Proche-Orient.
Ces connaissances
revêtaient un caractère secret et donnaient à leur art un sens symbolique ;
elles avaient des relations très étroites avec la science des nombres et leur
origine première a toujours été rapportée à ceux qui bâtirent le Temple de
Salomon » (13).
On sait que dans le domaine particulier de la
« littérature », Don Miguel Asin Palacios, un orientaliste espagnol
du siècle dernier, a étudié l’œuvre de Dante et a mis en évidence les
influences musulmanes en démontrant que
« des symboles et des expressions
employés par ce grand poète l’avaient été auparavant par le plus grand des
maîtres çûfî, Sidi Mohyid-dîn Ibn-Arabî » (14).
Il y aurait encore bien d’autres transmissions à
mentionner, notamment les échanges qui eurent lieu avec les Templiers durant
les Croisades, mais il faut également considérer ce qui est également passé
sous silence par les universitaires, à savoir : la transmission et
l’inspiration des idées qui ont donné naissance à « l’idéal
chevaleresque » qui furent partagées autant par le monde chrétien que
musulman.
Dès le début du XIe siècle, lorsque
débutèrent les croisades bourguignonnes en Espagne, les chevaliers chrétiens
entrèrent en contact avec la chevalerie musulmane. Les premières chansons de
geste célébrèrent la Vaillance et la chevalerie des « ennemis sarrasins »
; on reconnaissait que des vertus comme la loyauté, la générosité et l’esprit
de justice n’étaient pas le monopole des chrétiens et on savait que leurs
adversaires musulmans manifestaient les mêmes qualités de noblesse. C’est
d’ailleurs un arabe qui déclara « plus haut un peuple place la femme, plus
haut il se place lui-même » ; La spiritualité de l’Islâm, diffusée
par l’enthousiasme des premiers musulmans gagna de nombreux peuples de
l’Inde à l’Occident. Ils insufflèrent la connaissance et la sagesse coranique
qui se manifestent fondamentalement avec l’idée de la « Miséricorde »
et de l’Amour divin, la « rahmah ».
C’est ainsi que l’Amour courtois qui est à la base de l’éducation chevaleresque
repose sur « les vertus de l’Amour (muhabbah)
et de Générosité (karamâh) qui
impliquent l’éducation et le noble comportement (adab) que la Chevalerie (futuwwah)
manifestera par l’ « idéal amoureux » (15). Abû Bakr Ibn Dawûd, un théologien
zâhirite, considérant qu’Allâh transcende l’amour humain, voyait comme idéal
licite l’amour pur ou « platonique » comme support pour l’élévation spirituelle
sur la « voie d’Allâh » :
« La
nature du ‟pur amour” (hobb ´odhri) qui d’après la légende aurait été conçu et
pratiqué pour la première fois par les poètes de la tribu arabe des Banû al-‘Odhrah
(Fils de la virginité) ».
Un siècle plus tard,
« c’est dans l’Espagne mauresque que nous
retrouvons le ‟pur amour”, surtout chez
Alî Ibn Hazm, auteur du célèbre […] « Collier de la Colombe » […] ».
On trouve, en effet, dans cette œuvre, de nombreux
termes arabes correspondants à la terminologie provençale, ainsi le terme
« washi n’est autre que le « Iosengier » (médisant, calomniateur), familier à tous
les provençalisants » […].
« Même en
Espagne il n’y eut pas de frontière close entre Chrétiens et Musulmans ;
entre beaucoup d’émirs sarrazins et de rois espagnols existaient des liens d’amitiés.
Le roi et “empereur” Alphonse de Castille ne faisait
guère de distinction entre sujets chrétiens et musulmans ; il aimait à se
dire “roi des hommes des deux religions”. De cet Alphonse de Castille les
troubadours disaient qu’il avait “conquis la joie” ; la signification
courtoise en était que ce roi-chevalier avait atteint le terme de “science du
bonheur”, de la “gaie science” ou du “gai savoir” (gay saber), suprême degré de
sagesse chevaleresque dont “joven”, la jeunesse du cœur, et “joye”, la joie de
l’esprit, étaient des attributs perpétuels.
Le gendre de ce roi de Castille était Alphonse
d’Aragon, lui-même troubadour, que les chevaliers provençaux appelaient leur
“confrère en courtoisie”.
[…]
Après son retour de Syrie, Guillaume d’Aquitaine se rendait
à plusieurs reprises en Espagne pour assister ses deux beaux-frères espagnols,
poussant jusqu’à Cordoue, centre du nouveau genre de chanson lyrique andalouse
et résidence d’Ibn Qûzman, l’illustre maître de ce genre. Après ces séjours en
Espagne, Guillaume brusquement changea le style et la structure de ses poèmes,
conformes désormais aux poésies courtoises d’Ibn-Qûzman. (16)
Selon F. Vreede, il faut encore prendre
en compte l’Hermétisme, en raison de
certaines allusions à l’Alchimie chez Guillaume de Poitier, duc d’Aquitaine. Quant
à Marie,
« Comtesse
de Champagne, grande dame et petite souveraine de Cours d’amour, [elle] était
la fille de l’illustre Eléonore (Aliénor) qui successivement fut reine de
France et reine d’Angleterre, qui était elle-même la fille de Guillaume [X] d’Aquitaine,
et qui par la tradition courtoise de son père se propagea dans la France du
Nord (17) ».
Les arabes ont les premiers intégrés
les sciences hermétiques (18). Ils
exprimaient l’analogie du microcosme et du macrocosme avec cette parole : ‟le
monde est un grand homme et l’homme un petit monde ” (al-‘âlam insân kabir wa al-insân ‘âlam çaghir). De cette
idée, le principe de réalisation exprimé dans un hadîth très souvent mentionné par
Ibn ‘Arabî, « man ‘arafa
nafsahu arafa rabbah* », devient
la réalité spirituelle de la « sagesse chevaleresque se transcendant en
‟sainteté” » :
« […] cette
“philosophie des chevaliers” montrait un double aspect, spéculatif et
réalisateur : elle comportait un enseignement préparatoire et théorique,
de caractère “ cosmologique”, et, y correspondant, une discipline pratique de
caractère “alchimique”, comparable aux “techniques de réalisation intérieure”
orientale. Les chevaliers arabes appelaient cette discipline “al-kimia
es-saâdah” (l’alchimie de la félicité) : c’était la même discipline que
l’“art royal” des chevaliers chrétiens, ayant pour but le développement complet
de la personnalité humaine » (19).
Il est remarquable que l’on retrouve
ce même esprit chevaleresque dans
l’Europe chrétienne durant toute la période médiévale :
« La Chrétienté était identique à la civilisation
occidentale, fondée alors sur des bases essentiellement traditionnelles, comme
l’est toute civilisation normale, et qui allait atteindre son apogée au XIIIe
siècle ; la perte de ce caractère traditionnel devait nécessairement
suivre la rupture de l’unité même de la Chrétienté. Cette rupture, qui fut
accomplie dans le domaine religieux par la Réforme, le fut dans le domaine
politique par l’instauration des nationalités, précédée de la destruction du
régime féodal ; et l’on peut dire, à ce dernier point de vue, que celui
qui porta les premiers coups à l’édifice grandiose de la Chrétienté médiévale
fut Philippe le Bel, celui-là même qui, par une coïncidence qui n’a assurément
rien de fortuit, détruisit l’Ordre du Temple, s’attaquant par là directement à
l’œuvre même de saint Bernard » (20).
On connaît la suite de
l’histoire de France et des autres pays européens. À la Renaissance, le contenu spirituel des connaissances transmises par la tradition arabo-islamique (21)
échappera aux héritiers humanistes de la tradition chrétienne et on
s’empressera d’oublier l’essence spirituelle que doit animer toute connaissance
dans une civilisation digne de ce nom. Le Christianisme déclinera rapidement et
le Savoir va progressivement s’amoindrir jusqu’à se réduire à son plus bas
niveau pour servir la volonté de puissance et la folie ethnocidaire de l’homme
moderne (22). Sur ce
dernier aspect, on peut évaluer à leurs justes mesures les faits humains
retenus par l’histoire officielle.
* « Qui se connaît connaît son Seigneur. »
NOTES
Traduction du hadîth :
« Abû
Huraîrah (radî Allâh ‘anhu) a rapporté : ‟L’Envoyé d’Allâh (çalla ‘alayhi wa salâm) a dit : - Celui qui connait une des
sciences permettant d’obtenir l’agrément (wajhi)
d’Allâh (‘aza wa jal) et qui ne l’intègre que pour tirer profit de ce
bas-monde ne sentira pas le goût du Paradis au jour de la Résurrection
-” ».
(1) Renaissance, Réforme, Révolution : « Il
serait nécessaire de marquer nettement l’étroite solidarité qui existe entre
ces trois idoles de l’esprit moderne : Renaissance, Réforme, Révolution, et de
montrer qu’il y a entre elles un enchaînement logique, une continuité qui ne
permet pas de les séparer si on veut en comprendre la signification profonde,
car elles ne sont que les manifestations successives d’un même esprit de
négation (qu’on peut justement qualifier de « satanique », car « satanisme »
signifie proprement négation, inversion, destruction). Les trois termes de
cette trilogie (appelons-les abréviativement « les trois R » pour en
synthétiser la corrélation d’une façon plus saisissante) forment un tout, un
bloc qu’il faut accepter ou rejeter intégralement ; et, si on a reconnu la
nécessité de combattre ce dont ils sont l’expression historique, il ne faut pas
s’arrêter à mi-chemin, mais il faut remonter jusqu’à l’extrémité de cette
chaîne, où l’on a plus de chances qu’en aucun autre point de trouver la marque
caractéristique des influences plus ou moins obscures qui ont présidé à la soi-disant
« évolution » du monde occidental moderne » (Guénon, Notes inédites).
(2) « Fabriqué » est un terme utilisé sans vergogne par
certains animateurs d’une émission de France-Culture :
« fabrique de l’histoire » ; ce qui sous-entend, fabrique de l’idéologie,
fabrique de la politique, fabrique de la propagande et naturellement fabrique
de la culture. La terminologie est chose bien instructive : une radio fabriquée
pour une « pensées fabriquée ».
(3) Cf. Alain de
Libéra, La Philosophie médiévale ;
PUF.
(4) « Après
Aristote, les traces d’une influence hindoue dans la philosophie grecque
deviennent de plus en plus rares, sinon tout à fait nulles, parce que cette
philosophie se renferme dans un domaine de plus en plus limité et contingent,
de plus en plus éloigné de toute intellectualité véritable, et que ce domaine
est, pour la plus grande partie, celui de la morale, se rapportant à des
préoccupations qui ont toujours été complètement étrangères aux Orientaux. Ce
n’est que chez les néo-platoniciens qu’on verra reparaître des influences
orientales, et c’est même là qu’on rencontrera pour la première fois chez les
Grecs certaines idées métaphysiques, comme celle de l’Infini. Jusque là,
en effet, les Grecs n’avaient eu que la notion de l’indéfini, et, trait éminemment
caractéristique de leur mentalité, fini et parfait étaient pour eux des termes
synonymes ; pour les Orientaux, tout au contraire, c’est l’Infini qui est
identique à la Perfection. Telle est la différence profonde qui existe entre
une pensée philosophique, au sens européen du mot, et une pensée
métaphysique (...) » (R. Guénon, Introduction
générale à l’étude des doctrines hindoues, ch. IV).
(5) R. Guénon, Apercus sur l’ésotérisme
islamique et le Taoïsme ; chap. VIII, « Influence de la
civilisation islamique en Occident ».
(6) La Philosophie médiévale, p. 70, ibid. Notons que la philosophie n’est
pas à elle seule toute la richesse « intellectuelle qu’ai connue l’Orient musulman… ».
(7) « Qu’ils soient chrétiens ou
musulmans c’est en arabe que les philosophes et les penseurs s’expriment à la
fin du IX e siècle apr. J.-C. / IIIe siècle H. Ce changement de
langue correspond à une nouvelle étape de la translation des études. La
philosophie pratiquée par les nestoriens et les jacobites dans l’horizon de la
théologie chrétienne passe désormais dans la sphère politique culturelle des
khalifes musulmans. Le changement de terrain social de la philosophie
correspond à un changement de fonction idéologique et à une extension du corpus
philosophique lui-même : on lit plus de textes avec les khalifes qu’on ne
le faisait dans les monastères ou les écoles chrétiennes, et, surtout, on lit
d’autres textes. Aristote, l’Aristote
logicien des syriaques cède la place à un Aristote intégral et plus
qu’intégral : proliférant, apocryphe, pseudépigraphe. Les péripatéticiens – Alexandre d’Aphrodise –
et les néo-platoniciens – Plotin, Porphyre, Proclus – réapparaissent au
jour ; bref la quasi-totalité des grands auteurs de l’Antiquité tardive
passe dans les mains des Arabes. La reconstitution du volume de production et
de discussion philosophiques du VIe siècle, quatre siècles plus
tard, suppose un mouvement de traduction sans exemple dans l’histoire de
l’humanité. C’est grâce à la volonté politique du pouvoir abbâsside qu’il se
réalise en quelques décennies » (Ibid.
p. 72).
8) Il s’agissait d’une « horloge
à eau ». On rapporte qu’à la cour de Charlemagne, lorsqu’elle tomba en panne, personne ne fut capable
d’en comprendre le mécanisme pour la réparer (Extrait de La Civilisation des Arabes, Gustave Le
Bon).
(9) On sait que le « pouvoir des clés » est une
notion spécifiquement hermétique. C’est sans doute là que furent inaugurés les
liens entre l’hermétisme chrétien et l’hermétisme islamique (Cf. Aperçus sur l’Initiation, chap. XLI).
(10) AEIT, chap.
VIII, opus cite.
« Après Aristote,
les traces d’une influence hindoue dans la philosophie grecque deviennent de
plus en plus rares, sinon tout à fait nulles, parce que cette philosophie se
renferme dans un domaine de plus en plus limité et contingent, de plus en plus
éloigné de toute intellectualité véritable, et que ce domaine est, pour la plus
grande partie, celui de la morale, se rapportant à des préoccupations qui ont
toujours été complètement étrangères aux Orientaux. Ce n’est que chez les néo-platoniciens
qu’on verra reparaître des influences orientales, et c’est même là qu’on
rencontrera pour la première fois chez les Grecs certaines idées métaphysiques,
comme celle de l’Infini » (Guénon, ch. IV, IGEDH).
(11) « (...) les nombres 3, 4, et 5,
dont les figures géométriques correspondantes sont le triangle, le carré et le
cercle. En effet, les Arabes, qui ont transmis leur numérotation au monde
occidental, figurent le chiffre cinq par un cercle », (Denys Roman : René Guénon et le Destin de la Franc-Maconnerie,
ch. I « Pythagorisme et Maçonnerie »).
(12) « Influence de la civilisation
islamique en Occident », ibid.
(13) Ibid.
(14) Ibid.
(15) Cf. L’IDÉAL CHEVALERESQUE ET COURTOIS DANS LA LITTERATURE FRANCAISE DU MOYEN
ÂGE, LEÇON INAUGURALE ;
Frans Vreede, professeur de langue française à la faculté des lettres de
l’université à Djakarta. Ed. J. B. Wolters – Djakarta, Groningue – 1954. (On
peut lire l’intervention de F. Vreede dans René
Guénon et l’actualité de la pensée traditionnelle - Actes du colloque international de Cerisy-la-salle :13-20 juillet
1973 – qui est certainement la plus intéressante, et la moins bien comprise,
si l’on s’en tient à la table ronde qui lui fait suite - en l’absence de Vreede-).
(16) Ibid.
(17) Ibid.
(18) Les sciences hermétiques qui seront
dévoyées à partir de la Renaissance et surtout du XXVIIIème siècle par les spirites et les
occultistes qui sont à l’origine des
courants psychiques résiduels, tels que l’anthroposophisme contemporain et
toutes les dérives du « new-âge ».
« Il faut
noter tout d’abord que ce mot ‟hermétisme” indique qu’il s’agit d’une
tradition d’origine égyptienne, revêtue par la suite d’une forme hellénisée,
sans doute à l’époque alexandrine, et transmise sous cette forme, au moyen âge,
à la fois au monde islamique et au monde chrétien, et, ajouterons-nous, au
second en grande partie par l’intermédiaire du premier (*), comme le
prouvent les nombreux termes arabes ou arabisés adoptés par les hermétistes
européens, à commencer par le mot même d’ ‟alchimie” (el-kimyâ) » (Ibid.
Guénon, A I, ÉT, § XLI).
(*) Ceci est encore à rapprocher de ce que
nous avons dit des rapports qu’eut le Rosicrucianisme, à son origine même, avec
l’ésotérisme islamique [note] ».
(19) Ibid.
(20)
Guénon, Saint Bernard, Éditions
Traditionnelles.
(21) Tout le monde aujourd’hui peut accéder à l’histoire
de cette « transmission des connaissances » et connaître la diversité
des conditions par lesquelles elles nous sont parvenues. Il y a là-dessus des
faits historiques incontestables (voir l’ouvrage d’Alain de Libera ; La philosophie médiévale, opus cite).
(22) Aujourd’hui, comme à l’aube du XXe
siècle, nous subissons les conséquences que l’Occident moderne a déclenché
à partir d’une exploitation exclusivement matérielle et commerciale de
l’ensemble de ce savoir transmis par la civilisation arabo-islamique. Si
l’homme moderne peut s’enorgueillir de son progrès technique, c’est au prix de
son intellectualité, de son intelligence et de sa mémoire.