NOTE
SUR LES « SCEAUX »
Selon Ibn
Arabî :
« Le Prophète – qu’Allâh répande sur lui Sa
grâce unitive et Sa Paix ! – [sic] a comparé la prophétie à un mur de
brique entièrement achevé à l’exception de l’emplacement d’une brique, car il
était lui-même cette brique. Là où il n’a vu, comme il l’a dit, qu’une seule
brique [labinatan wâhîdatan], le
Sceau des saints, qui bénéficie nécessairement de la même vision, voit dans le
mur l’emplacement de deux briques, qui sont d’or et d’argent ; et il se
voit nécessairement convenir lui-même pour l’emplacement des deux briques
manquantes : le Sceau des Saints n’est autre que ces briques, de sorte que
le mur est achevé !
La raison pour laquelle il voit
deux briques (est la suivante) : extérieurement, il suit la Loi du Sceau
des envoyés ; c’est l’emplacement de la brique d’argent qui
représente son aspect extérieur et le fait qu’il suit les prescriptions de
cette loi. D’autre part, il tire secrètement d’Allâh ce qu’il suit selon la
forme apparente, car il voit l’Ordre (divin) [al-Amr] selon ce qu’il est en réalité et il ne peut le voir
qu’ainsi : c’est l’emplacement de la brique d’or, à l’intérieur, car il
puise à la source même dont l’ange [Gabriel] tire ce qu’il inspire à l’envoyé.
Si tu comprends ce à quoi je fais allusion, tu as acquis la ‟science
utile” de toute chose ».
Dans cette
traduction du deuxième chapitre des Fuçûç
al-Hikam consacré à Seth, Mr Gilis met cette « allusion » en
rapport avec le « Dépôt de la science primordiale gardée par le Centre
suprême » (Connaissance des
Religions, n° 41-42, p. 90-91), ce qui est plus facile à dire qu’à
démontrer, car ceux qui pourrait le démontrer n’ont aucun besoin d’avoir
recours à ce genre d’affirmations gratuites, courantes chez notre auteur et qui
sont totalement dénuées d’intérêt doctrinal.
En réalité, la
véritable difficulté que pose ce texte est la suivante : la brique de
Mohammad doit-elle être associée ou dissociée des 2 briques d’Ibn Arabî et
est-ce que ce dernier ne représente pas lui-même la brique du Prophète ?
D’autre part,
l’emplacement du mur sur lequel manquent les 2 briques d’Ibn Arabî est situé
entre l’angle Yéménite (Sud) et l’angle Syrien (Nord) de la Kaabah, mais plus près de l’angle syrien
précise le Cheikh Al-Akbar, ce qui fait manifestement allusion au Nord-Est,
c’est-à-dire au deva-yana. Pour bien
comprendre ce dont il s’agit ici, il nous faut, une fois de plus, revenir à
l’enseignement de Guénon à propos des briques perforées (swayamâtrinnâ) qui est très proche du symbolisme évoqué ici :
« il
s’agit de trois briques ou pierres de forme annulaire, qui, superposées,
correspondent aux ‟trois mondes” (Terre,
Atmosphère et Ciel), et qui, avec trois autres briques représentant les
‟Lumières universelles” (Agni, Vâyu
et Aditya), forment l’Axe vertical de l’Univers. De ces trois
briques superposées, la plus basse correspond architecturalement au foyer
(auquel l’autel lui-même est d’ailleurs identifié, étant également le lieu de
la manifestation d’Agni dans le monde terrestre), et la plus haute à
l’‟œil” ou ouverture centrale du dôme ; elles forment ainsi, comme le dit
Coomaraswamy, à la fois une ‟cheminée” et un ‟chemin” ‟par où Agni s’achemine
et nous-mêmes devons nous acheminer vers le Ciel”. En outre, permettant le
passage d’un monde à un autre, qui s’effectue nécessairement suivant l’Axe de
l’Univers, et cela dans les deux sens opposés, elles sont la voie par laquelle
les Dêvas montent et descendent à travers ces mondes, en se servant des
trois ‟Lumières universelles” comme d’autant d’échelons, conformément à un
symbolisme dont l’exemple le plus connu est celui de l’‟échelle de Jacob”. Ce
qui unit ces mondes et leur est en quelque sorte commun, quoique sous des
modalités diverses, c’est le ‟Souffle total” (sarva-prâna), auquel
correspond ici le vide central des briques superposées [et « Vâyu qui
correspond au monde intermédiaire »] (Symboles
de la Science sacrée, ch. XLII, p. 333-334) ; c’est aussi, suivant un
autre mode d’expression équivalent au fond, le sûtrâtmâ qui, comme nous
l’avons déjà expliqué ailleurs, relie tous les états de l’être entre eux et à
son centre total, généralement symbolisé par le soleil, de sorte que le sûtrâtmâ
lui-même est alors représenté comme un « rayon solaire », et plus
précisément comme le « septième rayon » qui passe directement à travers le
soleil » (Ibid.).
Ainsi, la brique d’or qui correspond à
l’aspect « intérieur » et qui est située sur la partie supérieure du
mur pourrait correspondre à Aditya,
et la brique d’argent qui correspond à l’aspect « extérieur » et qui
est située sur la partie inférieure du même mur serait alors en rapport avec Agni ; et dans cette perspective,
Ibn Arabî en tant que Sceau « intermédiaire » entre Muhammad
(brique d’argent) et Aïssa (brique d’or) pourrait très bien être en relation
avec Vâyu.
« Pour
revenir à la considération de la plus haute des trois briques perforées de
l’autel védique, on peut dire que la « porte solaire » se situe à sa face
supérieure (qui est le véritable sommet de l’édifice total), et la « porte
lunaire » à sa face inférieure, puisque cette brique elle-même représente le Swarga ;
d’ailleurs, la sphère lunaire est effectivement décrite comme touchant à la
partie supérieure de l’atmosphère ou du monde intermédiaire (Antariksha),
qui est ici représenté par la brique médiane. On peut donc dire, dans les
termes de la tradition hindoue, que la « porte lunaire » donne accès à l’Indra-loka
(puisque Indra est le régent du Swarga) et la « porte solaire »
au Brahmaloka ; dans les traditions de l’antiquité occidentale, à l’Indra-loka
correspond l’« Élysée » et au Brahma loka l’« Empyrée », le premier
étant« intra-cosmique » et le second « extra-cosmique » ; et nous devons
ajouter que c’est la « porte solaire » seule qui est proprement la « porte
étroite » dont nous avons parlé précédemment, et par laquelle l’être, sortant
du Cosmos et étant par là même définitivement affranchi des conditions de toute
existence manifestée, passe véritablement « de la mort à l’immortalité »* (Symboles
de la Science sacrée, ch. XVIII, p. 336-337).
Ceux qui pourraient s’offusquer de la
relation ainsi établie entre la fonction prophétique législative et la
« porte lunaire » feraient bien de réfléchir au fait que cette
relation a son fondement coranique par le biais du terme nafs qui désigne l’âme, car Allâh dit à Moïse, le fondateur de la
religion : « Je t’ai assigné à moi-même » [*] et la fonction prophétique est elle-même
envisagée comme procédant de « nos âmes » : laqad jâ’a-kum rasûlun mîn anfusi-kum (cf. Marie en Islam, p. 22, n. 13 – En sanskrit le pronom personnel
(soi-même – nafsî) âtmân dérive du terme qui désigne
l’Esprit universel (âtmâ).
Du reste, ces quelques considérations
sont aussi en rapport avec la nafs
natiqah ; toutes les doctrines traditionnelles montrent que le
« mental » dans l’homme est double, suivant qu’on le considère comme
tourné vers les choses sensibles, ce qui est le mental pris dans son sens
ordinaire et individuel, ou qu’on le transpose
dans un sens supérieur, où il s’identifie à l’hégemôn de Platon ou à l’antar-yâmi
de la tradition hindoue.
Signalons encore qu’une expression
akbarienne courante comme « ni par l’intellect, ni par la loi »
n’implique pas nécessairement une « association » entre ces deux
termes et qu’elle pourrait même faire allusion à deux domaines différents qui
sont respectivement celui de l’Esprit et celui de l’Âme. Autrement dit, elle
pourrait désigner la « non-dualité » ou le « secret » (sirr), c'est-à-dire l’inexprimable.
Enfin il n’est peut-être pas inutile de
souligner que la conception islamique de la fonction de « Sceau » implique
la considération de la succession et donc, celle corrélative du temps ; ce
qui ne concerne manifestement que certains états d’existence.
« La ‟Révélation” est reçue, non
dans le mental, mais dans le corps de l’être qui est ‟missionné” pour exprimer
le Principe » dit Guénon à propos de la descente du Coran. C’est l’aspect
charnel du Verbe selon Jean et cet aspect est assimilé par la pratique rituelle
de la langue sacrée.
––––––––
* Selon Ibn Arabî, la Balance est sous les « étoiles fixes » où se trouve le « Lotus de la limite » du monde manifesté (Sidrât al-muntana) ; Futûhât, ch. 560, (extraits traduits par M. Vâlsan, op.cit.). Le raf raf pourrait symboliser le « 7ème rayon ».
ÉPILOGUE
Ces Aperçus
sur le « Retournement » furent rédigés en 1996-97. Quelques
années plus tard, Y. B. m’a remis un jeu de photocopie de son tapuscrit de
54 pages comprenant l’Annexe et de nombreux graphiques. Dans une correspondance
doctrinale datant du 4 avril 2011, celui-ci précise que le texte de ses Aperçus dont il ne possédait aucune
version numérique, est pour lui « illisible aujourd’hui » et il
ajoutait : « je le reprends thème par thème en articles séparés […]
surtout à usage maçonnique ». Ce fut plusieurs de ces thèmes qu’il reprit spécialement
en articles pour VLT alors que j’étais responsable de cette revue. Il faut
croire que certains maçons n’apprécient guère les écrits de Y. B. ; l’administrateur
J. B. P. qui avait récupéré VLT à la mort de Roland Goffin, m’avait menacé de
laisser tomber la fabrication de sa revue si je persistais à publier ce genre
d’écrit. Sans doute pour d’autres raisons, les articles de Y. B. ne plaisaient
pas d’avantage aux vâlsaniens. Que cela plaise ou déplaise, l’intérêt doctrinal
susceptible d’être retiré de cette étude nous parait largement suffisant pour
justifier sa publication et permettre de toucher les personnes auxquelles
l’auteur entendait s’adresser. Je l’ai donc entièrement numérisé en le découpant en XV
chapitres titrés afin de le rendre plus accessible. Depuis le 23 mars 2017, date
de la mise en ligne du premier extrait - « À propos de la ‟wahdah al-wujûd” et du concept de ‟réalisation
suprême” » - qui constitue le chapitre VIII, la totalité du texte est
parue dans La Fin des Temps modernes.
J’espère que l’illisibilité reconnue par son auteur est atténuée en partie par la
segmentation en chapitres. Le texte est restitué tel que, sans aucun
commentaire. Il sera bientôt disponible en pdf à l’adresse suivante :
<findestempsmodernes72@gmail.com>.
MR
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire