La charge anti-spirituelle du nationalisme
« (…) il est à
peine besoin de rappeler combien la Révolution fut farouchement ‟nationaliste”
et ‟centralisatrice”, et aussi quel usage proprement révolutionnaire fut fait,
durant tout le cours du XIXe siècle, du soi-disant ‟principe des nationalités” ;
il y a donc une assez singulière contradiction dans le ‟nationalisme”
qu’affichent aujourd’hui certains adversaires déclarés de la Révolution et de
son œuvre. » (1)
Guénon dans ses « Notes inédites » (datant des
années 1910) a écrit : « La race est une particularisation de
l’espèce, tandis que la nation n’est qu’une forme de la collectivité
sociale ». Jusqu’à la Révolution française, « la collectivité
sociale » se définissait, en Europe comme partout ailleurs, selon la
communauté religieuse. La conception nationaliste apparait avec les
conséquences des nouvelles « idées philosophiques » qui ont
germé durant la Renaissance. Longtemps, la civilisation arabo-islamique fut
épargnée du fléau nationaliste jusqu’à ca que les déséquilibres de la modernité
occidentale ne viennent la pervertir avec la colonisation.
C’est
à partir du milieu du XIXe siècle que cette
idéologie s’est progressivement constitué en Europe et en Amérique du Nord. Les
dirigeants des nouveaux États modernes, en héritiers de la Révolution,
comprennent immédiatement l’importance du sentiment national et ils n’auront
dés lors que la préoccupation du pouvoir qui leur est ainsi offert de manipuler
les foules par l’exploitation de leur identification politique. Les candidats
au « suffrage universel », dans les campagnes en vue de leurs
élections, n’hésitent jamais à faire appel aux moyens les plus puissamment
mobilisateurs, fussent-ils du plus bas niveau. En conséquence, la réduction du
sentiment collectif d’un peuple particulier identifié
par la propagande « démocratiste » à un État historiquement
« pré-défini » par une tradition (telle que la religion chrétienne) a
donné naissance au racisme ordinaire qui deviendra vite inséparable de toute conviction
nationaliste.
En
tant que projet politique, le nationalisme se superpose spontanément au patriotisme jusqu’à l’absorber, et du reste, il
faut bien admettre que ceux qui se revendiquent ouvertement comme nationalistes expriment un sentimentalisme
qui s’affirme par une défense autoritariste de leur supposée identité
collective. La volonté d’être reconnus dans leur légitimité ne se base que sur
l’idée d’appartenir à une communauté de « haut lignage historique »
assumant une destinée exceptionnelle excluant de la « communauté
nationale » l’ensemble de ceux qui sont soupçonnés de contrarier ce projet.
Cette attitude entretient nécessairement des tendances agressives favorables
aux fractures sociales. Elle s’alimente essentiellement de discours identitaires et de défenses fantasmatiques autour de l’idée de progrès et de civilisation.
Elle porte en elle les bases même du
sectarisme dont la mentalité pseudo-religieuse est sans cesse guettée
par le fanatisme. Jacques Bainville, dans son Histoire de trois générations (1918),
considérant les causes profondes de la Grande Guerre, fait lui aussi remonter
l’origine du concept de nation à la Révolution française (2) et à
son exaltation sentimentale. Il est certain que la mentalité religieuse qui
composa si spontanément avec la « modernité » explique la rapidité du
développement de ces idéologies soi-disant humanistes qui portèrent l’illusion
française de la supposée bienveillance naturelle partagée par les peuples
européens telle qu’elle est décrite par l’auteur de l’Histoire de France (3). Il
n’y a pas lieu de s’étonner que l’amoindrissement de la dimension
traditionnelle du christianisme durant le XVIIe siècle soit à
l’origine de l’émergence du nationalisme qui n’est au fond que le résidu des
sentiments d’appartenance des peuples européens à la communauté chrétienne.
Mais il y a plus encore à dire sur ce qui sous tend l’idée nationale. Dans Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporel,
Guénon dit nettement que « la formation des ‟nationalités” est
essentiellement un des épisodes de la lutte du temporel contre le spirituel »,
ce qui met à mal la sincérité des représentants du christianisme revendiquant ouvertement
une ‟ identité nationale”. Pour ces derniers, il s’agit d’une affaire de
politique et de culture prévalant sur toute spiritualité, même amoindrie à la
seule dimension religieuse. Dans toutes les institutions nationales,
on constate la présence d’idéologies « démocratistes » dont la notion
de culture joue spontanément le rôle de propagande en continuité du
prosélytisme tel qu’il se développa surtout dans les Missions en charge de
l’évangélisation du christianisme qui précéda et prépara le colonialisme. Et il
faut admettre que celui-ci n’a, dans toutes ses occurrences, plus aucune
motivation désintéressée comme pouvait encore le manifester certaines
congrégations de missionnaires. Ainsi, n’étant plus tempéré par la conscience
spirituelle, le monde Chrétien et surtout Protestant, en cédant à la
superstition imprégnant leurs communautés, l’ont par là même, livré à la
pesanteur du progressisme matériel. L’histoire récente est saturée d’exemples
nourris de ce faux enthousiasme pour le progrès matériel de l’Occident qui se
sont soldés par des dérives extrémistes ; on peut considérer, par exemple, le
délire paranoïaque d’Henri Massis (cf.
son ouvrage Défense de l’Occident) comme l’exemple type d’un fantasme
ethnocentrique qui se perpétue actuellement avec une dégradation manifestement
malsaine.
« Il serait à souhaiter que les
Occidentaux, se résignant enfin à voir la cause des plus dangereux malentendus
là où elle est, c’est-à-dire en eux-mêmes, se débarrassent de ces terreurs
ridicules dont le trop fameux « péril jaune » est assurément le plus bel
exemple. On a coutume aussi d’agiter à tort et à travers le spectre du «
panislamisme » ; ici, la crainte est sans doute moins absolument dénuée de
fondement, car les peuples musulmans, occupant une situation intermédiaire
entre l’Orient et l’Occident, ont à la fois certains traits de l’un et de
l’autre, et ils ont notamment un esprit beaucoup plus combatif que celui des
purs Orientaux ; mais enfin il ne faut rien exagérer. Le vrai panislamisme est
avant tout une affirmation de principe, d’un caractère essentiellement
doctrinal ; pour qu’il prenne la forme d’une revendication politique, il faut
que les Européens aient commis bien des maladresses ; en tout cas, il n’a rien
de commun avec un « nationalisme » quelconque, qui est tout à fait incompatible
avec les conceptions fondamentales de l’Islam. En somme, dans bien des cas (et
nous pensons surtout ici à l’Afrique du Nord), une politique d’« association »
bien comprise, respectant intégralement la législation islamique, et impliquant
une renonciation définitive à toute tentative d’« assimilation », suffirait
probablement à écarter le danger, si danger il y a ; quand on songe par exemple
que les conditions imposées pour obtenir la naturalisation française équivalent
tout simplement à une abjuration (et il y aurait bien d’autres faits à citer
dans le même ordre), on ne peut s’étonner qu’il y ait fréquemment des heurts et
des difficultés qu’une plus juste compréhension des choses pourrait éviter très
aisément ; mais, encore une fois, c’est précisément cette compréhension qui
manque tout à fait aux Européens. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que la
civilisation islamique, dans tous ses éléments essentiels, est rigoureusement
traditionnelle, comme le sont toutes les civilisations orientales ; cette
raison est pleinement suffisante pour que le panislamisme, quelque forme qu’il
revête, ne puisse jamais s’identifier avec un mouvement tel que le bolchevisme,
comme semblent le redouter des gens mal informés » (Orient et Occident, ch. IV ; paru en 1924).
Comme toutes les idéologies particulières,
l’idéologie nationaliste s’est répandue dans le monde oriental et
extrême-oriental où il fut le vecteur de la mentalité mercantile des modernes en
même temps que la cause de nombreux troubles et de massacres.
« Déclarons-le très nettement : l’esprit moderne
étant chose purement occidentale, ceux qui en sont affectés, même s’ils sont
des Orientaux de naissance, doivent être considérés, sous le rapport de la
mentalité, comme des Occidentaux, car toute idée orientale leur est entièrement
étrangère, et leur ignorance à l’égard des doctrines traditionnelles est la
seule excuse de leur hostilité. Ce qui peut sembler assez singulier et même
contradictoire, c’est que ces mêmes hommes, qui se font les auxiliaires de l’‟occidentalisme”
au point de vue intellectuel, ou plus exactement contre toute véritable
intellectualité, apparaissent parfois comme ses adversaires dans le domaine
politique ; et pourtant, au fond, il n’y a là rien dont on doive s’étonner. Ce
sont eux qui s’efforcent d’instituer en Orient des ‟nationalismes” divers, et
tout ‟nationalisme” est nécessairement opposé à l’esprit traditionnel ; s’ils
veulent combattre la domination étrangère, c’est par les méthodes mêmes de
l’Occident, de la même façon que les divers peuples occidentaux luttent entre
eux ; et peut-être est-ce là ce qui fait leur raison d’être. En effet, si
les choses en sont arrivées à un tel point que l’emploi de semblables méthodes
soit devenu inévitable, leur mise en œuvre ne peut être que le fait d’éléments
ayant rompu toute attache avec la tradition ; il se peut donc que ces éléments
soient utilisés ainsi transitoirement, et ensuite éliminés comme les
Occidentaux eux-mêmes. Il serait d’ailleurs assez logique que les idées que
ceux-ci ont répandues se retournent contre eux, car elles ne peuvent être que
des facteurs de division et de ruine ; c’est par là que la civilisation moderne
périra d’une façon ou d’une autre ; peu importe que ce soit par l’effet des
dissensions entre les Occidentaux, dissensions entre nations ou entre classes
sociales, ou, comme certains le prétendent, par les attaques des Orientaux
‟occidentalisés”, ou encore à la suite d’un cataclysme provoqué par les ‟progrès
de la science” ; dans tous les cas, le monde occidental ne court de
dangers que par sa propre faute et par ce qui sort de lui-même » (La crise du monde moderne, p.73 -74 ;
paru en 1927).
Le japon fut effectivement le « Cheval
de Troie » de la mentalité occidentale en extrême-Orient et son influence
depuis un siècle ne cessa de perpétuer le plan de destruction généré par le
capitalisme mondial à l’égard des sociétés traditionnelles. Sur le plan de la
barbarie, il faut reconnaitre que cette « nouvelle nation » a su
rivaliser, en terme de cruauté avec les « groupements
racistes » de l’Allemagne durant la seconde guerre mondiale. Une preuve
supplémentaire venant s’ajouter au caractère sinistre du nationalisme.
« (…) les Japonais, issus d’un mélange où
dominent les éléments malais, n’appartiennent pas véritablement à la race
jaune, et par conséquent leur tradition a forcément un caractère différent. Si
le Japon a maintenant l’ambition d’exercer son hégémonie sur l’Asie tout
entière et de l’‟organiser” à sa façon, c’est précisément parce que le
Shintoïsme, tradition qui, à bien des égards, diffère profondément du Taoïsme
chinois et qui accorde une grande importance aux rites guerriers, est entré en
contact avec le nationalisme, emprunté naturellement à l’Occident – car les
Japonais ont toujours excellé comme imitateurs – et s’est changé en un
impérialisme tout à fait semblable à ce que l’on peut voir dans d’autres pays.
Toutefois, si les Japonais s’engagent dans une pareille entreprise, ils
rencontreront tout autant de résistance que les peuples européens, et peut-être
même davantage encore. En effet, les Chinois n’éprouvent pour personne la même
hostilité que pour les Japonais, sans doute parce que ceux-ci, étant leurs voisins,
leur semblent particulièrement dangereux ; ils les redoutent, comme un
homme qui aime sa tranquillité redoute tout ce qui menace de la troubler, et
surtout ils les méprisent. C’est seulement au Japon que le prétendu ‟progrès” occidental a été accueilli avec un
empressement d’autant plus grand qu’on croit pouvoir le faire servir à réaliser
cette ambition dont nous parlions tout à l’heure ; et pourtant la
supériorité des armements, même jointe aux plus remarquables qualités
guerrières, ne prévaut pas toujours contre certaines forces d’un autre ordre »
(Orient et Occident, ch. IV ;
paru en 1924).
Enfin la création du foyer national juif
en Palestine, devenu en peu de temps un État matérialiste et ultra-moderne, vient
confirmer le caractère conflictuel, destructeur et anti-traditionnel du
nationaliste. D’ailleurs, contrairement à ce revendiquent certains « sionistes »,
cette volonté de se constituer en nation en fabriquant artificiellement un
refuge à la diaspora juive pour mettre un terme au nomadisme, n’a véritablement
rien à voir avec l’esprit sémite et on peut même sans exagérer considérer cette
volonté de se conformer au progressisme comme une contrefaçon véritablement
opposée en tout point
à cet esprit.
NOTES
(1) « On a raison de dire que la formation de
la ‟nation française”, en particulier, fut l’œuvre des rois ; mais ceux-ci, par
là même, préparaient sans le savoir leur propre ruine ; et, si la France fut le
premier pays d’Europe où la royauté fut abolie, c’est parce que c’est en France
que la ‟nationalisation” avait eu son point de départ. D’ailleurs, il est à
peine besoin de rappeler combien la Révolution fut farouchement ‟nationaliste”
et ‟centralisatrice”, et aussi quel usage proprement révolutionnaire fut fait,
durant tout le cours du XIXe siècle, du soi-disant ‟principe des nationalités” ;
il y a donc une assez singulière contradiction dans le ‟nationalisme”
qu’affichent aujourd’hui certains adversaires déclarés de la Révolution et de
son œuvre. Mais le point le plus intéressant pour nous présentement est
celui-ci : la formation des ‟nationalités” est essentiellement un des épisodes
de la lutte du temporel contre le spirituel ; et, si l’on veut aller au fond
des choses, on peut dire que c’est précisément pour cela qu’elle fut fatale à
la royauté, qui, alors même qu’elle semblait réaliser toutes ses ambitions, ne
faisait que courir à sa perte. » (R. Guénon ; ASPT, ch. VII)
(2) C’est
en effet à partir de la Révolution française que les peuples de l’Europe et de
l’Amérique du Nord tendent à devenir des masses et que les guerres deviennent
de véritables massacres dont les civils font toujours les frais. Bien qu’il
n’en tira pas toutes les conséquences, Bainville avait bien vu la chose à
propos de la guerre de 1792 dans son
Histoire de France : « A d’autres égards, heureusement pour
la France, c’était encore une de ces guerres d’autrefois où les armées étaient
peu nombreuses, où les campagnes traînaient, où les batailles étaient
d’ordinaire de simples engagements, où l’on ne portait pas de coups décisifs.
C’est quand les guerres seront tout à fait nationales, de peuple à peuple,
qu’elles deviendront vraiment terribles comme Mirabeau l’avait annoncé ».
(3) Il
faut reconnaitre d’ailleurs que cette dernière étude historique nettement
favorable à l’idée nationale aurait pu être accompagnée du sous-titre :
« La naissance d’une nation ».
*
* *
META : un titre et un nouveau sigle pour « faceBook »
« La thèse ‟nominaliste” qui, en mathématiques, consiste à attribuer une vertu intrinsèque à la notation, et à croire qu’il est possible d’obtenir des résultats effectifs en opérant de simples changements de signes qui ne correspondraient à rien d’un ordre supérieur, n’est en somme qu’une illusion qui revient proprement à prendre le chiffre pour le nombre, c'est-à-dire, plus généralement, le signe pour la chose ou l’idée signifiée. » (R. G. : Notes inédites)
Trans/ Sub
Meta/ Infra
« Meta » et « trans » ne sont pas des préfixes choisis par hasard. Il est important de conserver à l’esprit que leur usage à l’origine concerne exclusivement la spiritualité puisque la définition de la métaphysique par Aristote en a fixé le sens. Le préfixe « meta » dont la plupart des acceptions dérivées sont sémantiquement dégradées (tout comme celle du préfixe « trans » qui a subi lui aussi la même chute) a été délibérément détourné comme beaucoup d’autres termes dans le but inavoué de subvertir les mentalités. L’art diabolique de leurs inspirateurs est de tromper les foules avec toutes les apparences de la séduction. Sur ce point leur efficacité est redoutable. Garder le sens des proportions demeure la seule garantie contre les effets de la « falsification du langage ». D’ailleurs, se garder des illusions « trans-humanistes » et restituer le sens des terminologies ne peuvent qu’aller de pair si on a la volonté d’échapper au programme des agents manipulateurs du GAFA. Se conformant au courant de la « Grande Parodie » de civilisation qui émergea dans sa forme critique au début du XXe siècle, le projet Facebook, avec la complicité de ses adhérants, consiste à l’achever irrémédiablement par un processus sournois d’abstraction et de « dévitalisation » des relations sociales. La réalisation de ce projet spécial qui s’intègre au reset doit s’imposer mondialement. La ruse, pour détourner l’attention de ce dont il s’agit véritablement, consiste à diffuser par l’intermédiaire de tous les « réseaux sociaux » un état d’esprit passif et perméable à toutes les influences pour obtenir un résultat exactement inverse de tout ce qui est vanté publiquement par la « société du spectacle » et la propagande médiatique.
À
tenir compte de la multiplication des « Signes des temps », on peut s’attendre
désormais à un événement d’une ampleur sans précédent qui pourrait
prochainement venir confirmer la chute mondiale des peuples dans
l’infra-humanité.
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