* Des traductions approximatives du shaykh al-akbar, dans lesquelles le sens très précis qui fait tout l’intérêt de ses écrits n’y est pas toujours respecté, apparaissent régulièrement sur FaceBook, tel cet extrait des Futûhât al-Mekkiyah rédigé dans une syntaxe inégale et qui n'a suscitté aucune réaction. Le voici rectifié par A. T.
FUTÛHÂT AL-MEKKIYAH
Chapitre 55
« Et ainsi, sont apparus les gens de l'innovation et des passions. Les démons ont projeté en eux une idée [litt. : un principe (açl)] juste (çahîh) dont ils ne doutaient pas. Mais, ensuite, surviennent des erreurs et des confusions (talbîsât : ‟équivoques, ambiguïtés, obscurités”) à cause de leur manque de compréhension (عدم الفهم) à tel point qu'ils s'égarèrent. Mais cela se rapporte au shaytân par la force du principe (açl) [l’idée juste qu’il a projeté dans leur esprit afin de susciter en eux un spéculation erronée…], même s’ils avaient su que le shaytân, sur ces questions, est leur élève et apprend d’eux. Nombre de cas semblables se trouvent chez les shî’ites (shî’ah), notamment les Imâmîtes, de cette façon, les jinns diaboliques les ont d'abord séduit par le moyen de l'amour de la famille prophétique (âhl al-bayt) dans lequel ils se sont engagés avec force pensant qu’il y avait là l’acte d’amour le plus élevé pour se rapprocher d’Allâh. Ce serait le cas s’ils s’en étaient tenus là sans rien ajouter. Or, ils ont dévié de l'amour de la famille prophétique pour se fourvoyer dans l'une des deux voies suivantes : parmi eux se trouvaient ceux qui ont cédé à la haine et l'insulte des Compagnons du Prophète, du fait qu’ils ne leur ont pas reconnu la précellence, en s’imaginant que les « Gens de la Maison » méritaient davantage ces dignités dans ce bas-monde (manâçib dunyawiyya). Mais il est bien connu qu’il y en a certains parmi eux, qui sont allés encore plus loin, en diffamant le Messager d’Allâh, [l'ange] Jîbrîl et Allâh, en plus d'insulter les Compagnons, dans la mesure où ils n’ont pas indiqué l’importance de leur degré et leur précellence dans la lieutenance spirituelle (khilâfa) à l’égard des gens au point que certains d'entre eux sont allés jusqu'à scander : ‟Celui qui a envoyé ‟le digne de confiance (al-âmîn)”, était lui-même indigne de confiance”. Bien que tout ceci soit né et se soit développé à partir d'un principe de base sain [‟ l’idée juste” dont il a été question plus haut], à savoir l'amour de la famille prophétique, ce qui en a dérivé et qui est sorti de leur attention était déséquilibré et défectueux. Ainsi, ils se sont égarés et ont trompé les autres. Par conséquent, observez et considérez ce à quoi mène l'exagération dans la religion ! Voyez comment cela les a conduits bien au-delà de la limite, et de leur intention initiale [qui était de montrer leur amour sincère pour la famille prophétique] avec l'effet inverse à celui escompté. Le Très-Haut, dit : ‟Ô gens du Livre, n'exagérez pas dans votre religion, en vous opposant à la vérité. Ne suivez pas les passions des gens qui ont égaré beaucoup de monde et qui se sont écartés du chemin droit” (Al-Mâ‘idah, 77). »
Commentaires de cette traduction corrigée par Abdallâh T.
« Ibn ‘Arabî explique en résumé, au début de ce chapitre 55 portant « sur la connaissance des suggestions psychiques (khawâtir) ‟diaboliques” », que les démons projettent dans l'esprit des humains une suggestion de type « mental (ma‘nawwî) », sous la forme d’« idées générales -littéralement : des choses (umûr)- » et positives, mais à partir desquelles le mental humain va produire des spéculations erronées. Les démons, dit-il, ne connaissent pas eux-mêmes ces conceptions erronées que va produire le mental des hommes mais ils savent que les « idées générales » insufflées sont suffisamment puissantes et significatives pour que la pensée humaine les examine en détail jusqu'à produire des interprétations fausses dont ils perdront le contrôle. Au départ de ce processus, il y a ce qu’Ibn ‘Arabî appelle un « principe (ou une idée) juste » (açl çahîh), qui va être perdu dans les spéculations et réflexions (tafaqquh) désordonnées de la pensée humaine jusqu'à produire des erreurs. Ce qui est original dans cette conception d’Ibn ‘Arabî, c'est que le diable ne connaît pas les erreurs qui vont être produites par l'esprit des hommes à partir de la suggestion (l’‟idée générale” ou le ‟principe juste”) qu'il leur a inspirée, de sorte, dit-il, que quand l'âme humaine produit des spéculations erronées, le diable les apprend d'elles... C'est donc cette conception de la suggestion satanique de type mental qu'il applique aux shi‘ites, comme l'explique le passage cité : le « principe juste », c'est la vénération des « Gens de la Maison », que le diable inspire aux gens. Ensuite ils produisent à partir de cette idée juste des conceptions erronées (pour Ibn ‘Arabî et les ‟sunnites” en tout cas...) : l'éminence d’‘Alî et la doctrine des Imâms,...etc. Au début du passage, le traducteur fait un contresens sur le mot açl en disant: « Certes, les influences diaboliques (shayâtîn) ont guetté leurs saines intentions sans qu’ils ne le soupçonnent en raison de la nature de son pouvoir », là où on lit simplement : « Les démons ont projeté en eux une idée [litt. : un principe (açl)] juste (çahîh) dont ils ne doutaient pas ». Et plus loin, il refait le même contresens, en disant : « Néanmoins, cela provient de Satan, du fait de son statut [lui appartenant en propre] (بحكم الأصل) [bi hukm al-açl] même s'ils savaient que Satan était [directement responsable dans ces choses-là, s’instruisant de leur propre cas (c’est à dire de leurs intentions)] » (phrase qui ne veut rien dire...), là où il est dit : « Mais cela se rapporte au shaytân par la force du principe (açl), même s’ils avaient su que le shaytan, sur ces questions, est leur élève et apprend d’eux ». Il n'est pas question ici du « pouvoir » ou du « statut » du diable, mais de celui de l'idée juste qu’il insuffle au départ dans l’esprit des gens, lesquels, comme on l'a dit plus haut, vont produire des erreurs que le diable va découvrir lui-même, c'est pourquoi Ibn ‘Arabî dit que « sur ces questions », il est « leur élève et apprend d'eux », ce qu’évidemment les shi'ites visés ici ne sont pas censés savoir... l'idée est que même s'il savaient que le diable est à leur écoute, ce serait toujours non pas le diable mais l’ « idée juste » qu'il a inspiré dans leur esprit qui est la cause de leur erreur... »
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Âhl
al-bayt
LA MAISON DU PROPHÈTE
À propos de l’ouvrage de Claude Addas, la Maison Mohammadienne, que nous avons recensé sur ce blog*, C. A. Gilis a rédigé et publié, en 2015, une plaquette titrée : La Maison du Prophète selon René Guénon (éd. Le Turban Noir). Il y développe des considérations intéressantes avec quelques critiques justifiées dont certaines s’apparentent aux nôtres. Par contre, alors que notre compte rendu mentionnait des passages accompagnés d’appréciations positives – notamment les traductions de l’auteur –, Gilis ne voit dans cet ouvrage, certes très universitaire, que la volonté « d’occulter la présence et l’influence de l’autorité ésotérique suprême afin de favoriser les desseins de la subversion occidentale », ce qui expliquerait, toujours selon Gilis, l’éviction de toute référence à « l’enseignement de René Guénon et Michel Vâlsan ». Sans nous faire l’avocat de C. Addas, nous doutons que l’absence de référence à Guénon et Vâlsan soit d’avantage qu’une simple absence d’affinité à l’égard de ces deux auteurs ; contrairement à son père, Addas a toujours fait preuve d'une influence de nature mystique et universitaire. Si l’on passe outre ce jugement agressif formulé sans appel, on reconnaitra que les précisions symboliques apportées par l’auteur, qui représente l’essentiel de son texte, ne sont pas négligeables. Nous en recommandons naturellement la lecture à ceux qui désirent approfondir leur méditation sur le prophète Mohammad (qsrh) et les âhl al-bayt. Nous ne nous arrêterons pas sur le rappel préliminaire très gilisien du fameux conflit concernant la présentation et l’annotation valsanienne des Symboles fondamentaux de la Science Sacrée, mais plutôt sur l’incongruité du titre de cette plaquette : à notre connaissance, Guénon n’a jamais mentionné spécialement la Maison Mohammadienne dans son œuvre, et ici, en dehors d’une application analogique très pertinente au demeurant de l’article El-Arkân (SSS, p. 279), aucune citation, ni aucune référence ne figure dans cette Maison du Prophète pour venir justifier un point de vue selon René Guénon.
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septembre 2016 – La Maison Mohammadienne
(Claude Addas, éd. Gallimard 2015.
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