LES POITRINES DES HOMMES LIBRES SONT LES TOMBEAUX DES SECRETS صدور الأحرار قبور الأسرار

dimanche 24 juillet 2022

À PROPOS D’ EMMANUEL KANT – MAITRE DE LA PENSÉE MODERNE –




FAUSSE LIBERTÉ ET ALIÉNATION POLITIQUE

 

  

 

Notre époque égalitariste dispose ses pièges anti-traditionnels partout où il lui est possible de duper ceux qui ne possèdent aucune défense intellectuelle et qui, par là même, sont susceptibles de tout sacrifier aux idoles de la modernité.

 

Kant ou le rejet de la métaphysique.

La liberté pour Kant se pense dans sa corrélation avec le déterminisme ; l’accent sur l’un ou l’autre de ces deux points de vue relève d’une méthode sujette à critique. Le rôle de la philosophie sera donc pour lui, non de produire seulement une connaissance, mais aussi et surtout d’évaluer et de critiquer les « savoirs », car au fond, pense-t-il, ces deux points de vue sont légitimes. Le caractère métaphysique sur lequel repose la légitimité de la connaissance est entièrement ignoré. Ce qui lui importe avant tout est que l’homme, étant défini comme «  un phénomène déterminé par sa physiologie, son histoire, son milieu social », soit, en tant qu’homme, encore responsable de ses actes car « il est une chose en soi ». A ce titre, ce que Kant conçoit de l’homme est identifié à la liberté, mais une liberté dont « aucune science ne pourra rendre compte intégralement » car cette liberté qu’il peine à cerner est « non quantifiable ».

« Pour prouver métaphysiquement la liberté, il suffit, sans s’embarrasser de tous les arguments philosophiques ordinaires, d’établir qu’elle est une possibilité, puisque le possible et le réel sont métaphysiquement identiques. Pour cela, nous pouvons d’abord définir la liberté comme l’absence de contrainte : définition négative dans la forme, mais qui, ici encore, est positive au fond, car c’est la contrainte qui est une limitation, c’est-à-dire une négation véritable. Or, quant à la Possibilité universelle envisagée au delà de l’Être, c’est-à-dire comme le Non-Être, on ne peut pas parler d’unité, comme nous l’avons dit plus haut, puisque le Non-Être est le Zéro métaphysique, mais on peut du moins, en employant toujours la forme négative, parler de “non-dualité” (adwaita). Là où il n’y a pas de dualité, il n’y a nécessairement aucune contrainte, et cela suffit à prouver que la liberté est une possibilité, dès lors qu’elle résulte immédiatement de la “non-dualité”, qui est évidemment exempte de toute contradiction. » (L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XXII)

 

Certains s’imaginent que son absence de précision a permis à Kant de dépasser le cadre étroit de la « pensée théologique » alors que cela lui a surtout dérobé l’accès au « sens des proportions ». C’est d’ailleurs celui-ci, à peu près inaccessible pour la pensée philosophique depuis Descartes, qu’il refuse délibérément, ce qui amène l’interrogation suivante qu’aucun penseur moderne ne semble capable de formuler : que peut valoir une conception de la liberté quand on rejette le principe même de sa réalité ? Il semble qu’il y eut pour Kant comme le défi d’un obscur projet pour diffuser une conception de la liberté en soi et de la « liberté dans d’action » suffisamment vague pour être malléable : bien accueillie par l’esprit du Protestantisme, également par les juifs sortis de leur tradition, adoptée largement par la libre pensée des catholiques contemporains (« renouveau charismatique » et autres), cette philosophie doit son succès à son adaptabilité à tous les courants de la modernité désireux de s’émanciper de toutes règle religieuse.

Quant aux considérations sentimentales de Kant sur « la nature du peuple » telles qu’il les a exposé, elles participent également de la même simplification et rendent paradoxalement les choses compliquées et sans solution. En ne tenant jamais compte du pouvoir déterminant des conditionnements du psychisme humain, il a pu faire illusion sur une liberté conditionnelle identifiée confusément à la liberté en soi.  S’il avait seulement envisagé les conditions limitatives de l’activité mentale et pensé les contraintes de l’action comme des restrictions, il n’aurait pu dire que le seul moyen de murir pour la liberté est d’être mis en liberté. On peut facilement objecter sur ce dernier point que la seule liberté qu’un peuple puisse effectivement revendiquer est nécessairement conditionnelle puisqu’elle est soumise aux règles et aux lois permettant à chacun de « fonctionner » socialement. Pour remettre les choses à leur place, il suffit de revenir sur la définition même de la liberté en posant le principe de son unité ainsi que le démontre parfaitement l’extrait suivant de l’Homme et son Devenir selon le Védântâ :

« Maintenant, on peut ajouter que la liberté est, non seulement une possibilité, au sens le plus universel, mais aussi une possibilité d’être ou de manifestation ;  il suffit ici, pour passer du Non-Être à l’Être, de passer de la “non-dualité” à l’unité : l’Être est “un” (l’Un étant le Zéro affirmé), ou plutôt il est l’Unité métaphysique elle-même, première affirmation, mais aussi, par là même, première détermination. Ce qui est un est manifestement exempt de toute contrainte, de sorte que l’absence de contrainte, c’est-à-dire la liberté, se retrouve dans le domaine de l’Être, où l’unité se présente en quelque sorte comme une spécification de la “non-dualité” principielle du Non-Être ; en d’autres termes, la liberté appartient aussi à l’Être, ce qui revient à dire qu’elle est une possibilité d’être, ou, suivant ce que nous avons expliqué précédemment, une possibilité de manifestation, puisque l’Être est avant tout le principe de la manifestation. De plus, dire que cette possibilité est essentiellement inhérente à l’Être comme conséquence immédiate de son unité, c’est dire qu’elle se manifestera, à un degré quelconque, dans tout ce qui procède de l’Être, c’est-à-dire dans tous les êtres particuliers, en tant qu’ils appartiennent au domaine de la manifestation universelle. Seulement, dès lors qu’il y a multiplicité, comme c’est le cas dans l’ordre des existences particulières, il est évident qu’il ne peut plus être question que de liberté relative ; et l’on peut envisager, à cet égard, soit la multiplicité des êtres particuliers eux-mêmes, soit celle des éléments constitutifs de chacun d’eux. En ce qui concerne la multiplicité des êtres, chacun d’eux, dans ses états de manifestation, est limité par les autres, et cette limitation peut se traduire par une restriction à la liberté ; mais dire qu’un être quelconque n’est libre à aucun degré, ce serait dire qu’il n’est pas lui-même, qu’il est “les autres”, ou qu’il n’a pas en lui-même sa raison d’être, même immédiate, ce qui, au fond, reviendrait à dire qu’il n’est aucunement un être véritable3. D’autre part, puisque l’unité de l’Être est le principe de la liberté, dans les êtres particuliers aussi bien que dans l’Être universel, un être sera libre dans la mesure où il participera de cette unité ; en d’autres termes, il sera d’autant plus libre qu’il aura plus d’unité en lui-même, ou qu’il sera plus “un” ; mais, comme nous l’avons déjà dit, les êtres individuels ne le sont jamais que relativement. D’ailleurs, il importe de remarquer, à cet égard, que ce n’est pas précisément la plus ou moins grande complexité de la constitution d’un être qui le fait plus ou moins libre, mais bien plutôt le caractère de cette complexité, suivant qu’elle est plus ou moins unifiée effectivement (…) » (ch. VI).

 

 

Autres critiques de Guénon à propos de la pensée de Kant :

En somme, les modernes, ou certains d’entre eux du moins, consentent bien à reconnaître leur ignorance, et les rationalistes actuels le font peut-être plus volontiers que leurs prédécesseurs, mais ce n’est qu’à la condition que nul n’ait le droit de connaître ce qu’eux-mêmes ignorent ; qu’on prétende limiter ce qui est ou seulement limiter radicalement la connaissance, c’est toujours une manifestation de l’esprit de négation qui est si caractéristique du monde moderne. Cet esprit de négation, ce n’est pas autre chose que l’esprit systématique, car un système est essentiellement une conception fermée ; et il en est arrivé à s’identifier à l’esprit philosophique lui-même, surtout depuis Kant, qui, voulant enfermer toute connaissance dans le relatif, a osé déclarer expressément que « la philosophie est, non un instrument pour étendre la connaissance, mais une discipline pour la limiter », ce qui revient à dire que la fonction principale des philosophes consiste à imposer à tous les bornes étroites de leur propre entendement. C’est pourquoi la philosophie moderne finit par substituer presque entièrement la « critique » ou la « théorie de la connaissance » à la connaissance elle-même ; c’est aussi pourquoi, chez beaucoup de ses représentants, elle ne veut plus être que « philosophie scientifique », c’est-à-dire simple coordination des résultats les plus généraux de la science, dont le domaine est le seul qu’elle reconnaisse comme accessible à l’intelligence.

(Orient et Occident, ch. II)

 

 

Il ne faudrait pas non plus confondre immutabilité avec immobilité ; les méprises de ce genre sont fréquentes chez les Occidentaux, parce qu’ils sont généralement incapables de séparer la conception de l’imagination, et parce que leur esprit ne peut se dégager des représentations sensibles ; cela se voit très nettement chez des philosophes tels que Kant, qui ne peuvent pourtant pas être rangés parmi les « sensualistes ». L’immuable, ce n’est pas ce qui est contraire au changement, mais ce qui lui est supérieur, de même que le « supra-rationnel » n’est pas l’« irrationnel » ; il faut se défier de la tendance à arranger les choses en oppositions et en antithèses artificielles, par une interprétation à la fois « simpliste » et systématique, qui procède surtout de l’incapacité d’aller plus loin et de résoudre les contrastes apparents dans l’unité harmonique d’une véritable synthèse.

(Orient et Occident, ch. III)

 

 

(…) L’idée de devoir ou d’obligation est absente de la plupart des morales antiques, de celle des Stoïciens notamment ; ce n’est que chez les modernes, et surtout depuis Kant, qu’elle est arrivée à jouer un rôle prépondérant. Ce qu’il importe de noter à ce propos, parce que c’est là une des sources d’erreur les plus fréquentes, c’est que des idées ou des points de vue qui sont devenus habituels tendent par là même à paraître essentiels ; c’est pourquoi on s’efforce de les transporter dans l’interprétation de toutes les conceptions, même les plus éloignées dans le temps ou dans l’espace, et pourtant il n’y aurait souvent pas besoin de remonter bien loin pour en découvrir l’origine et le point de départ.

(Introduction Générale à l’Étude des Doctrines Hindoues, ch. V)

 

 

La morale, quelle que soit la base qu’on lui donne, et quelle que soit aussi l’importance qu’on lui attribue, n’est et ne peut être qu’une règle d’action ; pour des hommes qui ne s’intéressent plus qu’à l’action, il est évident qu’elle doit jouer un rôle capital, et ils s’y attachent d’autant plus que les considérations de cet ordre peuvent donner l’illusion de la pensée dans une période de décadence intellectuelle ; c’est là ce qui explique la naissance du « moralisme ». Un phénomène analogue s’était déjà produit vers la fin de la civilisation grecque, mais sans atteindre, à ce qu’il semble, les proportions qu’il a prises de notre temps ; en fait, à partir de Kant, presque toute la philosophie moderne est pénétrée de « moralisme », ce qui revient à dire qu’elle donne le pas à la pratique sur la spéculation, cette pratique étant d’ailleurs envisagée sous un angle spécial ; cette tendance arrive à son entier développement avec ces philosophies de la vie et de l’action dont nous avons parlé. D’autre part, nous avons signalé l’obsession, jusque chez les matérialistes les plus avérés, de ce qu’on appelle la « morale scientifique », ce qui représente exactement la même tendance ; qu’on la dise scientifique ou philosophique, suivant les goûts de chacun, ce n’est jamais qu’une expression du sentimentalisme, et cette expression ne varie même pas d’une façon très appréciable.

(Orient et Occident, ch. III)

 

 

 (…) Il n’y a de connaissance véritable et effective que celle qui nous permet de pénétrer dans la nature même des choses, et, si une telle pénétration peut déjà avoir lieu jusqu’à un certain point dans les degrés inférieurs de la connaissance, ce n’est que dans la connaissance métaphysique qu’elle est pleinement et totalement réalisable.

La conséquence immédiate de ceci, c’est que connaître et être ne sont au fond qu’une seule et même chose ; ce sont, si l’on veut, deux aspects inséparables d’une réalité unique, aspects qui ne sauraient même plus être distingués vraiment là où tout est « sans dualité ». Cela suffit à rendre complètement vaines toutes les « théories de la connaissance » à prétentions pseudo-métaphysiques qui tiennent une si grande place dans la philosophie occidentale moderne, et qui tendent même parfois, comme chez Kant par exemple, à absorber tout le reste, ou tout au moins à se le subordonner ; la seule raison d’être de ce genre de théories est dans une attitude commune à presque tous les philosophes modernes, et d’ailleurs issue du dualisme cartésien, attitude qui consiste à opposer artificiellement le connaître à l’être, ce qui est la négation de toute métaphysique vraie. Cette philosophie en arrive ainsi à vouloir substituer la « théorie de la connaissance » à la connaissance elle-même, et c’est là, de sa part, un véritable aveu d’impuissance ; rien n’est plus caractéristique à cet égard que cette déclaration de Kant : « La plus grande et peut-être la seule utilité de toute philosophie de la raison pure est, après tout, exclusivement négative, puisqu’elle est, non un instrument pour étendre la connaissance, mais une discipline pour la limiter » (1). De telles paroles ne reviennent-elles pas tout simplement à dire que l’unique prétention des philosophes doit être d’imposer à tous les bornes étroites de leur propre entendement ? C’est là, du reste, l’inévitable résultat de l’esprit de système, qui est, nous le répétons, antimétaphysique au plus haut point. »

(Introduction Générale à l’Étude des Doctrines Hindoues, ch. X)

 

(1) Kritik der reinenVernunft, éd. Hartenstein, p. 256. 

 

 

Une des grandes erreurs des philosophes modernes consiste à confondre le concevable et l’imaginable ; cette erreur est particulièrement visible chez Kant, mais elle ne lui est pas spéciale, et elle est même un trait général de la mentalité occidentale, du moins depuis que celle-ci s’est tournée à peu près exclusivement du côté des choses sensibles ; pour quiconque fait une semblable confusion, il n’y a évidemment pas de métaphysique possible.

(Erreur Spirite, ch. V)

 

 

(…) Mais ce n’est pas tout : l’individualisme entraîne inévitablement le « naturalisme », puisque tout ce qui est au-delà de la nature est, par là même, hors de l’atteinte de l’individu comme tel ; « naturalisme » ou négation de la métaphysique, ce n’est d’ailleurs qu’une seule et même chose, et, dès lors que l’intuition intellectuelle est méconnue, il n’y a plus de métaphysique possible ; mais, tandis que certains s’obstinent cependant à bâtir une « pseudo-métaphysique » quelconque, d’autres reconnaissent plus franchement cette impossibilité ; de là le « relativisme » sous toutes ses formes, que ce soit le « criticisme » de Kant ou le « positivisme » d’Auguste Comte ; et, la raison étant elle-même toute relative et ne pouvant s’appliquer valablement qu’à un domaine également relatif, il est bien vrai que le « relativisme » est le seul aboutissement logique du « rationalisme ».

(Crise du Monde Moderne, ch. V)

 

 

 (…) beaucoup ne savent faire aucune différence entre « concevoir » et « imaginer », et certains philosophes, tels que Kant, vont jusqu’à déclarer « inconcevable » ou « impensable » tout ce qui n’est pas susceptible de représentation. Aussi tout ce qu’on appelle « spiritualisme » ou « idéalisme » n’est-il, le plus souvent, qu’une sorte de matérialisme transposé ; cela n’est pas vrai seulement de ce que nous avons désigné sous le nom de « néo-spiritualisme », mais aussi du spiritualisme philosophique lui-même, qui se considère pourtant comme l’opposé du matérialisme.

(Crise du Monde Moderne, ch. VII)

 

 

L’espace, ainsi que le temps, est une des conditions qui définissent l’existence corporelle, mais ces conditions sont différentes de la « matière » ou plutôt de la quantité, bien qu’elles se combinent naturellement avec celle-ci ; elles sont moins « substantielles », donc plus rapprochées de l’essence, et c’est en effet ce qu’implique l’existence en elles d’un aspect qualitatif ; nous venons de le voir pour l’espace, et nous le verrons aussi pour le temps. Avant d’en arriver là, nous indiquerons encore que l’inexistence d’un « espace vide » suffit pour montrer l’absurdité d’une des trop fameuses « antinomies » cosmologiques de Kant : se demander « si le monde est infini ou s’il est limité dans l’espace », c’est là une question qui n’a absolument aucun sens ; il est impossible que l’espace s’étende au-delà du monde pour le contenir, car alors c’est d’un espace vide qu’il s’agirait, et le vide ne peut contenir quoi que ce soit ; au contraire, c’est l’espace qui est dans le monde, c’est-à-dire dans la manifestation, et, si l’on se restreint à la considération du seul domaine de la manifestation corporelle, on pourra dire que l’espace est coextensif à ce monde, puisqu’il en est une des conditions ; mais ce monde n’est pas plus infini que l’espace lui-même, car, comme celui-ci, il ne contient pas toute possibilité, mais ne représente qu’un certain ordre de possibilités particulières, et il est limité par les déterminations qui constituent sa nature même.

 (Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. IV)

 

 

Ainsi, il faut vraiment avoir une mentalité tout à fait spéciale pour déformer et dénaturer une doctrine aussi purement métaphysique que l’est le Védânta, jusqu’à y voir, comme l’a fait notamment le trop célèbre Max Müller (qui fut, dans la « science des religions », l’un des plus notables propagateurs de la fantaisiste théorie du « mythe solaire », précédemment développée par Dupuis), un « système de philosophie » (tout comme s’il s’agissait des conceptions individuelles d’un Descartes ou d’un Kant), et aussi, en même temps, « la plus consolante de toutes les religions »  !

 (Notes inédites)

 

 

Il paraît qu’on a tort lorsqu’on veut être plus positif que les positivistes, plus rationnel que les rationalistes, et plus logique que les logiciens.

Pourtant, il est bien difficile de ne pas constater dans la philosophie au moins quatre grands illogismes : celui des sceptiques, qui cherchent des raisons de nier la raison, celui de Kant, qui a fait une métaphysique pour nier la métaphysique, celui d’Auguste Comte, qui a fondé une religion contre les religions, et celui de Nietzsche, qui a établi une morale contre la morale.

Et Descartes, lorsqu’il disait : « Cogito, ergo sum », alors qu’il aurait dû dire : « Cogito, quiasum », faisait-il une faute de latin ou une faute de logique ?

Descartes était un physicien, Kant un astronome, Auguste Comte un mathématicien, Nietzsche un poète, et les sceptiques sont tous des malades ; pourquoi donc en avoir fait des philosophes ?

La chose la plus intéressante que Kant ait laissée, bien que d’un intérêt encore relatif, c’est la théorie cosmogonique de Laplace : « Sic vos, non vobis », disait déjà Virgile.

Et, parmi les grands hommes, plus d’un n’a été grand que parce qu’un autre a voulu paraître petit ; des deux, quel est en vérité le plus grand ?

Tout est renversé parmi les hommes qui n’ont ni tradition, ni caste, ni famille, et qui ont remplacé l’incantation par la prière, la méditation par la rêverie, et l’action  par l’agitation.

(Notes inédites, 30 décembre 1910.)

 

 

(…) Cette discussion a beau être entreprise et conduite envue de conclusions qui peuvent être extrapsychologiques, elle n’en est pas moins, en elle-même, d’ordre purement psychologique, à l’exception de quelques points qui y sont envisagés plus ou moins incidemment, comme la question de la finalité (psychique et biologique), à propos de laquelle sont examinés les arguments du néo-vitalisme. Nous signalerons encore, dans cette partie, le chapitre relatif au « primat de la raison pratique » ; mais a-t-on vraiment le droit d’appeler métaphysiques, comme le fait M. Laird, les théories de Kant et de ses successeurs « volontaristes » à cet égard, ou même celle (dont la position est d’ailleurs notablement différente) de M. Bergson ?

 (Compte rendu paru dans la  Revue Philosophique,  Mai-juin 1919 : John LAIRD, Problems of the Self. -1 vol. in-8° de 375 p. Londres, Macmillan, 1917.)

 

Kant est seulement mentionné dans le compte rendu de « La Kabbale juive » (paru en italien dans la revue Ignis, 1925, p. 116. Nouvelle traduction en français par Patrice Brecq, parue dans la revue Vers la Tradition, juin-juillet-août 2011).

 

 

 

 

 

« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »

(Marc 12,17 ; Matthieu, 22,21 ; Luc, 20,25.)

 

 

Du temps du Christ, César représentait un pouvoir politique agissant contre toute autorité spirituelle et auquel le peuple, occupé par l’armée romaine, devait payer l’impôt. Sous ce rapport, on peut considérer les pouvoirs politiques de l’Occident depuis la fin de la période médiévale comme également opposé à toute autorité véritable. On sait qu’à partir de Philippe Le Bel, la royauté, sous la domination progressive de la noblesse et des marchands, pris son indépendance à l’égard de l’Eglise, notamment en centralisant progressivement la puissance de l’État. Elle confirma son attrait pour les biens de ce monde et finalement fut le premier acteur de sa décadence jusqu’au règne absolutiste du « Roi Soleil ». Rien ne pouvait être plus favorable que ces conditions pour déclencher la Révolution dont nous subissons les conséquences encore actuellement : les sciences modernes, l’idéologie du progrès, le déchaînement de la puissance matérielle et la profusion des technologies industrielles sont bien les principales forces véritablement diaboliques délibérément dirigées contre l’esprit du christianisme et partant contre l’esprit de toute les religions. Sans le reconnaitre, les penseurs contemporains savent bien que ces sciences, avec les idéologies qui les soutiennent, ont été élaborées dès la Renaissance par des philosophes humanistes et individualistes en révolte contre l’autorité spirituelle des représentants de l’Eglise et en grande partie diffusées par le courant idéologique de la Réforme.

Il y a aujourd’hui, de la part des chrétiens dans leur immense majorité, une incroyable naïveté à ne pas voir que, depuis la fin de la Chrétienté médiévale, ce qui devait être rendu à Dieu sera progressivement dévolu à César jusqu’à la Révolution. À partir de celle-ci, la confusion hiérarchique devient une inversion parodique qui va détruire définitivement la condition spirituelle des peuples occidentaux puis, par la colonisation, ceux du monde oriental, proche oriental et extrême oriental. À force de confondre César avec Dieu, quoi de plus étonnant d’en arriver à privilégier les puissances matérielles et ne plus s’intéresser qu’à ces dernières exclusivement ?

Aujourd’hui, combien de chrétiens perçoivent que, durant leur histoire récente, ils n’ont cessé de collaborer avec les idéologies anti-spirituelles qui ont fini par triompher dans l’esprit des sociétés modernes et auxquelles ils se soumettent aujourd’hui plus ou moins consciemment ? En conclusion, il ne reste qu’à tirer les conséquences de ce dernier enseignement du Christ : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse » (Matthieu 12, 30).

 

 

 

Les premières illusions du socialisme

 

Michel-Antoine Burnier, dans son « Histoire du socialisme » paru en 1978, ne consacre qu’un page seulement aux grandes figures du milieu du XVIIIe siècle qui donnèrent naissance à cette nouvelle idéologie. Il faut reconnaître que le but n’était pas de refroidir certains esprits encore surchauffés par mai 68 en s’attardant sur l’état psychique des « utopistes », d’autant que quelques uns des anciens lanceurs de pavés, dés juillet, avaient pris la tangente en « prenant la route » – certains vers l’Orient...

Pourtant, l’aveu de l’absence de tout de principe dans cette nouvelle entreprise s’exprime discrètement dés les premières lignes de l’ouvrage : « Socialisme : en France, le mot a été inventé dans les années 1830 par un philosophe ami de George Sand, Pierre Leroux. Pour lui, cela signifie une espèce de nouvelle religion communautaire, inspirée de Moise, de Bouddha et de Jésus. Il s’agit de supprimer le règne de l’argent dans la société (…) ».

Pour en savoir un plus, il n’existe aucune source plus fiable que celle-ci  (Spiritisme, Socialisme et Réincarnation ; Leroux, Fournier et Allan Kardec) :

« ... Mais revenons aux origines du spiritisme français : on peut y vérifier ce que nous avons affirmé précédemment, que les communications sont en harmonie avec les opinions du milieu. En effet, le milieu où se recrutèrent surtout les premiers adhérents de la nouvelle croyance, ce fut celui des socialistes de 1848 ; on sait que ceux-ci étaient, pour la plupart, des mystiques  dans le plus mauvais sens du mot, ou, si l’on veut, des pseudo-mystiques ; il était donc tout naturel qu’ils vinssent au spiritisme, avant même que la doctrine n’en eût été élaborée, et, comme ils influèrent sur cette élaboration, ils y retrouvèrent ensuite non moins naturellement leurs propres idées, réfléchies par ces véritables ‟miroirs psychiques que sont les médiums. Rivail, qui appartenait à la Maçonnerie, avait pu y fréquenter beaucoup des chefs d’écoles socialistes, et il avait probablement lu les ouvrages de ceux qu’il ne connaissait pas personnellement ; c’est de là que proviennent la plupart des idées qui furent exprimées par lui et par son groupe, et notamment, comme nous avons eu déjà l’occasion de le dire ailleurs, l’idée de réincarnation ; nous avons signalé, sous ce rapport, l’influence certaine de Fourier et de Pierre Leroux. Certains contemporains n’avaient pas manqué de faire le rapprochement, et parmi eux le Dr Dechambre (...) à propos de la façon dont les spirites envisagent la hiérarchie des êtres supérieurs, et après avoir rappelé les idées des néo-platoniciens (qui en étaient d’ailleurs beaucoup plus éloignées qu’il ne semble le croire), il ajoute ceci : ‟Les instructeurs invisibles de M. Allan Kardec n’auraient pas eu besoin de converser dans les airs avec l’esprit de Porphyre pour en savoir si long ; ils n’avaient qu’à causer quelques instants avec M. Pierre Leroux, plus facile probablement à rencontrer, ou encore avec Fourier” (....) » 

(L’Erreur Spirite, 1923).

 

 

 


De la politique en général et des partis politiques en particulier (extraits de la correspondance René Guénon - Luc Benoist)

 

 

Versailles, le 7 juin 1936.

« (…) Mais, d’autre part, nous vivons ici dans un monde où les questions politiques sont pressantes. Mes sympathies sont toujours allées à gauche et mes amis socialistes me pressent d’entrer dans leur parti, de même que mes amis catholiques (dominicains et autres) me pressent de me “convertir”.

Je vous aurais bien mal compris si je pensais que tout cela fut contradictoire. Le socialisme est sur le plan politique, le catholicisme sur le plan religieux, l’initiation sur le plan métaphysique. Cependant pratiquement, pensez-vous qu’il y eut quelque danger ou quelque inconvénient à l’une ou l’autre de ces démarches car je suis bien décidé à sacrifier tout au point de vue le plus élevé, celui de la métaphysique.

En m’excusant de cette question, et en vous remerciant d’avance. Je vous prie d’agréer cher Monsieur, l’assurance de mon complet dévouement. »

Luc Benoist

 

  

Le Caire, 21 juin 1936.

« (…) Quant au reste, la “séparation des plans” que vous envisagez est certainement juste en principe ; mais, en fait, les choses se présentent d’une façon assez différente, parce qu’il y a des contingences dont on est bien obligé de tenir compte. – D’abord, pour commencer par ce qu’il y a de plus contingent, ne pensez-vous pas qu’une adhésion donnée à la fois au catholicisme et au parti socialiste ne pourrait que vous faire prendre en suspicion des deux côtés à la fois ? D’autre part, pour en finir tout de suite avec ce qui concerne la politique, si l’adhésion à un parti quelconque est en soi une chose indifférente à notre point de vue, il n’en est pas moins vrai que, dans les circonstances actuelles, il s’exerce dans tous les partis des influences qui peuvent être dangereuses, car elles touchent plus ou moins à la “contre-initiation” qui insinue ses agents partout où elle le peut, et, en tout cas, le moins auquel on s’expose ainsi, c’est à jouer un rôle de dupe, ce qui n’a jamais rien de bien agréable, car tout cela est mené par des choses dont la plupart des chefs de partis eux-mêmes ne se doutent pas. Tout cela n’est que parade destinée à occuper le public, et je vous assure qu’on ne peut avoir nulle envie de s’y mêler dès qu’on a la moindre idée de ce qu’elle dissimule ! » 

René Guénon

 

  

Versailles, le 31 juin 1936

« Cher Monsieur,

Je ne saurais trop avoir de gratitudes pour la peine que vous avez prise à me répondre si précisément et si longuement. Ne pensez pas que cette réponse me déçoive. S’il en était ainsi je vous vous aurais bien mal compris. Mais j’avais cependant besoin que vous m’en renouveliez les raisons d’une façon si nette et à moi-même. Soyez en mille fois remercié. (…) »

Luc Benoist

 

 

Le Caire, 10 août 1936.

« Je suis content de savoir que ma réponse vous a donné satisfaction. - Dans les circonstances actuelles plus que jamais, il y a certainement tout intérêt à se tenir à l’écart d’activités extérieures qui ne représentent que des formes diverses du désordre et du déséquilibre caractéristiques de notre époque (…) »

René Guénon

 

 

 

Figure de l'Archéomètre de Saint-Yves d'Alveydre





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