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dimanche 5 janvier 2025

SHEYKH MUHAMMAD AL-HIBRI / Les « Dossiers Guénon » / Houris -

 



 

LETTRE DU SHEYKH MUHAMMAD AL-HIBRI (1)

A SES DISCIPLES

 

 

Mes frères, je vous donne une recommandation qui vous profitera en cette vie et dans l’autre : tenez-vous en à l’invocation d’Allâh en secret et en public ; votre invocation doit s’accomplir avec la concentration dans la méditation (fikra), car le dhikr est lumière et la fikra est son rayon, et toute clarté dépourvue de rayonnement ne permet aucune vision. Vous pouvez le constater chez les dévots reclus, qui prient pendant des mois ou des années : ils ne récoltent que la stérilité car ils ne se soucient pas du rayonnement de leur invocation (c’est-à-dire la fikra).

 Ibn ‘Atâ’ Allâh (2) disait à ce propos :

« Ce n’est pas la pluie qu’on souhaite d’un nuage, mais plutôt les fruits ! »

Toute invocation sans méditation (fikra) est stérile, éteinte. Par contre, une invocation réfléchie est capable de prendre racine et de fleurir sur un roc.

 « La plus noble des sciences est celle qu’on reçoit en compagnie de la méditation »

disent les maîtres,

« le rejet des passions favorise l’afflux de la méditation »,

disait en ce sens le sheykh Darqâwî (3),

« celle-ci favorise l’acquisition de la science inspirée (al-’ilm al-wahbî), et cette dernière aboutira à la grande certitude (al-yaqîn al-kabîr) ; celle-ci, enfin, chassera définitivement tout doute ou illusion et conduira directement son détenteur à la présence du Seigneur omniscient ».

Ramenez votre concentration sur votre propre être et ne vous en éloignez pas, car on y trouve toute chose. Du sheykh  Muhammad al-Harrâq (4), nous avons ces vers :

« De “moi-même” j’ai bu mon propre vin, et m’en suis désaltéré.

De moi-même s’élevait mon soleil, sans que j’en sois conscient. »

Et du sheykh Shushtari (5) :

« Ô toi, égaré, éloigné de ton propre mystère !

Regarde ! Tu découvriras tout l’univers en toi-même.

Ne trouves-tu pas en toi le Royaume divin et son trône,

Et les mondes supérieurs et inférieurs ?

En toi gravitent les sphères célestes,

Se lèvent et se couchent les soleils comme les lunes !

Pénètre-toi du sens des lignes inscrites en toi ! »

 

Ceci ne peut être perçu que par l’être qui a réalisé l’extinction de l’extinction (fanâ’ al fanâ) et s’est établi définitivement dans la quintessence de l’éternité (baqâ’ al baqâ‘). Personne ne peut d’ailleurs accompagner les initiés, à moins d’avoir affranchi son extérieur des tentations et purifié son intérieur de tout ce qui peut le détourner. L’invocation réelle du Seigneur et l’acquisition de ce qu’on vient de dire ne peuvent être réalisées qu’à ces deux dernières conditions. Disparaissez en Allâh (al-ghayba) !  Et que votre cœur soit la maison d’Allâh [la Ka‘ba], votre corps La Mecque et votre conscience intime (sirr) son enceinte sacrée (haram) ! Vigilants, gravitez autour de Sa maison sacrée [votre cœur], honorez Sa Mecque [votre corps], et déambulez dans Son haram [votre sirr].

 Soyez fermes et constants dans l’invocation du Nom suprême Totalisateur, le Nom de Majesté Allâh, jusqu’à ressembler au lion animé d’un souffle puissant et soutenu. L’invocation de ce Nom est indispensable durant toutes les étapes de la voie ! Celui qui l’invoque en permanence, à tel point qu’il en imprègne sa peau, son sang, ses os et ses nerfs, voit se dissiper les voiles qui recouvrent toute chose. S’il dit à une chose « Sois ! (kun) », son ordre se réalisera instantanément, avec la permission d’Allâh. Celui qui est absorbé dans la Présence, en renonçant à toute chose, devient lui-même la Réalité intime de toute chose.


(Traduit de l’arabe par Abdelbaqî MEFTAH)

 


 

 

NOTES

 

(1) Mort en 1939 J.-C. ; le sheykh Hibrî est l’un des maîtres de la tarîqa Darqâwiyya Shâdhiliyya de la première moitié du XXe siècle. Le siège (zâwiya) de sa confrérie se trouve au Maroc, près de la frontière algérienne, à l’ouest de Tlemcen. Après sa mort en 1939, trois sheykhs lui ont succédé : son fils Ahmad jusqu’en 1951, puis Ibn Ibrâhîm jusqu’en 1972, la zâwiya de ce dernier se trouvant du côté de Saïda, dans l’ouest algérien. Le troisième fut Sidi Muhammad Belqâ’id de Tlemcen, décédé en 1998.

(2) Mort en 708 H. (1309 J.-C.).

(3) Mort en 1239 H. (1823 J.-C.).

(4) Mort en 1261 H. (1845 J.-C.).

(5) Mort en 668 H. (1269 J.-C.).

(6) On peut rappeler à ce propos des paroles de l’Évangile : « Bienheureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux leur appartient ». Ce « renoncement à tout » est ce qu’on appelle « El-Faqr » dans l’ésotérisme islamique. Cette « pauvreté spirituelle » est le détachement à l’égard de la manifestation, qui implique la dépendance totale de l’être vis-à-vis de son Créateur, du Principe hors duquel il n’y a absolument rien qui existe.

  


 

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Charles-André Gilis : Introduction à l’Enseignement et au Mystère de René Guénon, Les Éditions de l’Œuvre, 1985.

 

Gilis a le mérite d’avoir traduit intégralement les Fuçûs al-hikam. Cette activité de traducteur dans laquelle il excelle ne se limite pas à ce dernier ouvrage. De nombreux extraits des écrits du shaykh al-akbar se retrouvent dans son abondante production (Le Pèlerinage à la Maison d’Allâh, Les trente-six Attestations coraniques de l’Unité, Le Livre du Mîm, du Wâw et du Nûn, Le Cheikh Abd al-Qâdir A-Gilânî etc.) ; L’ensemble de son œuvre publiée constitue un apport important à la connaissance de l’enseignement d’Ibn ‘Arabî. Cependant, les commentaires et les considérations personnelles à l’égard de son shaykh Mustafa Vâlsan viennent souvent brouiller ce que Guénon a clairement exposé. Par ailleurs, Vâlsan ayant déclaré que « Guénon ne s’est jamais présenté spécialement au nom de l’Islâm, mais au nom de la conscience traditionnelle et initiatique d’une façon universelle », son « disciple zélé » n’a pas manqué d’affirmer que « l’œuvre guénonienne telle qu’elle s’est développée après la Première Guerre mondiale ne peut être dissociée entièrement d’une certaine finalité islamique ». On trouve ici la signature d’une préoccupation confessionnelle récurrente dans la production gilisienne qui ne correspond pas aux intentions traditionnelles et métaphysiques de Guénon. Emporté par un enthousiasme religieux, il en arrive même à trahir la clarté des écrits de celui qu’il nomme « notre maître » et en oublie la rigueur terminologique qu’il peine parfois à transposer comme nous allons le constater.

A propos de ce livre, Yûsuf Bragard remarque en effet (à la page 77) que son auteur « établit une distinction entre la doctrine de la Wahdat al-Wujûd exposé par Guénon qui « la comprend uniquement comme une désignation de l’“Unicité de l’Existence” » et la doctrine concernant Al-Wujûd qui « se rapporte ici [c’est-à-dire, dans la doctrine de l’ésotérisme islamique], en effet, non pas au domaine infra-ontologique auquel Guénon fait référence, et qui est celui de l’existence universelle, mais bien à la réalité supra-ontologique de la pure essence principielle ». À vrai dire, ajoute Bragard, cette manière de voir les choses exprime parfaitement la conception que Mr Gilis se fait de la métaphysique. La doctrine de l’Unicité de l’existence est probablement celle qui caractérise le mieux les doctrines islamiques car, en raison de l’importance que celles-ci accordent à l’ « Extérieur » et qui implique un « Retournement » de point de vue, l’Unité métaphysique y est envisagée dans sa relation avec la multiplicité. Cependant, à partir du moment où il est question d’unicité (wahdat) on ne peut pas affirmer, à proprement parler, que nous nous trouvons dans le domaine « infra-ontologique », puisque l’Existence universelle est envisagée du point de vue de son Unité à partir de laquelle s’opère la distinction entre la non-manifestation et la manifestation universelle ; et comme celle-ci n’a elle-même de réalité que par rapport aux possibilités de non-manifestation dont elle tire son existence, le point de vue « ontologique » peut très bien être adopté pour exposer les réalités métaphysiques à condition de n’être pas affecté par l’esprit de système. Si Guénon n’adopte pas le point de vue « islamique » d’al-wujûd, c’est parce que cette doctrine est universelle, et selon l’enseignement du Cheikh al-akbar, al-wujûd nûr, c’est-à-dire « al-Wujûd est lumière » (Les Sept Etendards du Califat, p. 50) ; à cet égard, Guénon a exposé une doctrine analogue à travers le symbolisme d’autres formes traditionnelles que l’Islam. Seulement, nous reconnaissons volontiers à Mr Gilis l’arrogance de se montrer plus érudit que Guénon, non pas sur les doctrines de l’Islam, mais sur la terminologie akbarienne, « et on sait avec quel succès ». À la suite de ces dernières considérations, Mr Gilis conclut « qu’il n’y a aucune divergence entre l’enseignement d’Ibn ‘Arabî et celui de René Guénon », non sans souligner au passage et sans en avoir l’air, l’insuffisance métaphysique de Guénon à l’égard d’al-Wujûd (« Il y a une nuance importante à observer ici entre “unicité” [wahdat] et “unité”[ahad] : la première enveloppe la multiplicité comme telle, la seconde en est le principe », cf. L’homme et son devenir selon le Vêdantâ, ch. VI).

Il nous faut insister quelque peu sur la notion de « Possibilité universelle », car l’exposé de Mr Gilis sur cette question ne reproduit pas exactement celui de René Guénon. La Possibilité universelle, en tant qu’« aspect de l’Infini, dont celle-là ne se distingue que par notre façon de l’envisager, comprend toutes les possibilités particulière de manifestation et de non-manifestation » (Les Etats Multiples de l’Être, ch. I, p. 18). Elle « contient nécessairement la totalité des possibilités, et on peut dire que l’Être et le Non-Être sont ses deux aspects (…) L’Être contient donc tout le manifesté ; et le Non-Être contient tout le non-manifesté, y compris l’Être lui-même ; mais la Possibilité universelle comprend à la fois l’Être et le Non-Être » (ibid., ch. III, p. 31-32).

Or, à propos de l’Être, Mr Gilis écrit : « Rappelons que celui-ci est uniquement le principe de la manifestation universelle, c’est-à-dire des possibilités de manifestation en tant qu’elles sont effectivement manifestées, alors que la mashi’a [c’est-à-dire l’énergie productrice] régit la totalité des possibilités particulières (…) elle n’est rien d’autre qu’une “hypostase” de la Possibilité Universelle qui, rappelons le, “embrasse à la fois dans son Infinité, le domaine de la manifestation et celui de la non-manifestation” » (Les Sept Etendards du Califat, ch. VII, p. 56-57). Seulement, l’Être n’est pas « uniquement » le principe de la manifestation universelle car en tant que tel « il est lui-même non-manifesté » (Les Etats Multiples de l’Être, ch. III, p. 31-32) ; autrement dit, « l’Unité primordiale n’est pas autre chose que le Zéro affirmé, ou, en d’autres termes, l’Être universel qui est cette unité n’est que le Non-Être affirmé » (Ibid., ch. V, p. 46 ; voir aussi L’homme et son devenir ) ; et on peut trouver une expression doctrinale analogue chez Ibn ‘Arabî : « La non-existenciation (‘adam) dans l’être contingent (mumkin) est plus puissante que l’existenciation (wujûd) car le rapport qui relie cet être à l’état de non-manifestation est plus étroit que celui qui le relie à l’état de manifestation » (Les Sept Etendards du Califat, ch. VIII, p. 65-66).

Pour en revenir à Guénon, rappelons que « si l’on parle corrélativement de l’Infini et de la Possibilité, ce n’est pas pour établir entre ces deux termes une distinction qui ne saurait exister réellement ; c’est que l’Infini est alors envisagé plus spécialement sous son aspect actif, tandis que la Possibilité est son aspect passif (cf. L’homme et son devenir selon le Vêdantâ, p. 91, note 1). La non-manifestation d’une possibilité est plus essentielle que sa manifestation mais c’est par cette dernière que sa puissance se réalise, même si elle ne modifie rien en apparence), mais, qu’il soit regardé par nous comme actif ou comme passif, c’est toujours l’Infini, qui ne saurait être affecté par ces points de vue contingents, et les déterminations, quel que soit le principe par lequel on les effectue, n’existent ici que par rapport à notre conception. C’est donc là, en somme, la même chose que ce que nous avons appelé ailleurs, suivant la terminologie de la doctrine extrême-orientale, la “perfection active” (Khien) et la “perfection passive” (Khouen), la Perfection, au sens absolu, étant identique à l’Infini entendu dans toute son indétermination ; et, comme nous l’avons dit alors, c’est l’analogue, mais à un autre degré et à un point de vue bien plus universel, de ce que sont, dans l’Être, l’“essence” et la “substance” » (Les Etats Multiples de l’Être, ch. I, p. 21-22).

Guénon donne encore des indications qui peuvent s’appliquer à Khouen à propos du symbolisme des deux chaos : « L’ensemble des possibilités formelles et celui des possibilités informelles sont ce que les différentes doctrines traditionnelles symbolisent respectivement par les “Eaux inférieures” et les “Eaux supérieures” ; les Eaux, d’une façon générale et au sens le plus étendu, représentent la Possibilité, entendue comme la “perfection passive”, ou le principe plastique universel, qui, dans l’Être, se détermine comme la “substance” (aspect potentiel de l’Être) ; dans ce dernier cas, il ne s’agit plus que de la totalité des possibilités de manifestation, les possibilités de non-manifestation étant au-delà de l’Être » (Les Etats Multiples de l’Être, ch. XII, p. 94-95) ; et ailleurs, il précise encore : « si l’on dit que le monde a été formé à partir du “chaos”, c’est qu’on l’envisage uniquement au point de vue substantiel, et alors il faut d’ailleurs considérer ce commencement comme intemporel, car, évidemment, le temps n’existe pas dans le “chaos”, mais seulement dans le “cosmos”. Si donc on veut se référer à l’ordre de développement de la manifestation, qui, dans le domaine de l’existence corporelle et du fait des conditions qui définissent celle-ci, se traduit par un ordre de succession temporelle, ce n’est pas de ce côté qu’il faut partir, mais au contraire de celui du pôle essentiel, dont la manifestation, conformément aux lois cycliques, s’éloigne constamment pour descendre vers le pôle substantiel. La “création”, en tant que résolution du “chaos”, est en quelque sorte “instantanée”, et c’est proprement le Fiat Lux biblique ; mais ce qui est véritablement à l’origine même du “cosmos”, c’est la Lumière primordiale elle-même, c’est-à-dire l’“esprit pur” en lequel sont les essences de toutes choses » (Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, Ch. XI, p. 84) ; et tel semble bien être le point de vue d’Ibn Arabî (cf. Les Sept Etendards du Califat, ch. VIII, p. 66-67), mais que valent réellement les rapprochements opérés par Mr Gilis qui ne respecte même pas la terminologie adoptée par Guénon ? ».

Après cette longue mise au point que nous avons tenu à reproduire intégralement en raison de sa clarté, ce premier ouvrage de Gilis sur Guénon se termine avec les chapitres XI, « Les origines de la religion chrétienne », qui nous semble bien inspiré, et XII,  « Remarques finales », où, à la suite d’éloges sur l’excellence et l’« indispensable connaissance » de l’œuvre de Guénon, nous trouvons ce passage mettant en cause «  un langage relativement nouveau qui ne coïncide pas toujours (…) avec celui des révélations correspondant à la phase ultime du présent cycle humain. L’exemple le plus clair à cet égard est celui de la Foi que Guénon a envisagé uniquement comme attachement sentimental à certaines expressions particulières de la Vérité, alors qu’en doctrine islamique, notamment, elle accompagne la réalisation métaphysique jusqu’à son degrés suprême ». Notons déjà qu’il n’y a de « suprême » que l’ « Identité » et la « Réalité ultime », non la réalisation elle-même ni ses degrés, car la réalisation appartient exclusivement à l’initié (‘abd) et non à Allâh. Cette « remarque » est caractéristique d’une distinction insuffisante entre la forme propre à l’ésotérisme et le sens ésotérique lui-même qui est toujours celui de Guénon. Ici, Gilis ne tient pas compte des différents degrés de la Foi musulmane, celui commun à tous les muslîm, et les degrés supérieurs de la Foi qui se révèlent progressivement avec le parcours initiatique pour aboutir à la Foi de « Science certaine » : « C’est Lui qui a fait descendre la sakîna dans le cœur des croyants afin que leur foi augmente (li-yazdâdû) toujours d’avantage » (al-fath, 4). Maintenant, ce que Guénon visait particulièrement lorsqu’il parlait de ceux qui ne font que croire à ce que d’autres savent est la croyance sentimentale qui est celle des chrétiens occidentaux et des pseudos religieux vivant dans l’ambiance des « démocraties occidentales », tandis que la Foi « comme attachement sentimental à certaines expressions particulières de la Vérité », concerne le caractère propre à « la mentalité religieuse » de l’exotérisme qui est apparu avec la Religion à l’époque de Musâ. Dans une note inédite (rédigée entre les années 1910 -1925), Guénon relève que : « La foi (shraddhâ), entendue dans son vrai sens, implique la certitude (elle est donc totalement différente de la croyance) ; elle est un moyen de connaissance pour ce qui dépasse le domaine de la raison (et qui est, non pas ‟irrationnel”, mais ‟supra-rationnel”) ». Le mot sanskrit shraddâ désigne la Foi avec l’idée de ferveur, ce qui est un équivalent exact du terme arabe imân. Si, comme Guénon lui-même en a fait la remarque à l’un de ses correspondants se posant des questions de cet ordre à l’égard du caractère religieux de la shari’ah : « celui qui peut le plus peut le moins », c’est aussi parce que « le moins » (la Loi religieuse) ne peut en aucun cas représenter une gêne ou un obstacle pour « le plus » (la haqiqah ou Vérité métaphysique) ; en Islâm, comme dans toute forme traditionnelle, la réalisation spirituelle intègre et n’exclue que l’erreur ou l’impossibilité. Gilis conclut donc à la nécessité d’« une adaptation des notions guénoniennes (…) », car pour lui, il y aurait une sorte d’incompatibilité entre « l’attachement sentimental à certaines expressions particulières de la vérité et la Réalisation métaphysique » ; ce rôle « d’adaptation et de guidance qui fut précisément assumé, en Islam, par Michel Vâlsan » devrait, selon lui, être toujours pris en compte.

 Mais ce que Gilis ne prend pas en compte est le fait que dans une tariqah, ne sont légitimes d’être diffusé en priorité que les enseignements des maîtres de la silsilah ; Ainsi, dans la silsilah Shadhiliyyah, deux murshîd seulement sont akbariens : Mohammad bahr al-safâ (père) et  ‘Alî wafâ (fils) , mais ni Ibn ’Arabî, ni ‘Abd al-Wâhid Yahyâ n’y figurent, ce qui implique que leurs œuvres ne peuvent être diffusées sans précaution dans les zawiyah (de cette tariqah et des autres). ‘Alî wafâ est l’auteur d’un certain nombre d’œuvres comprenant un ensemble d’invocations, de litanies, d’exhortations et de poèmes. A l’instar de son noble père, il était connu pour son approche akbarienne du taçawwuf. Il était un défenseur et un commentateur de sa doctrine de l’« Unité de l’être » (wahdah al-wujûd). Plusieurs de ses écrits abordent les mystères et les secrets spirituels sur des points complexes de la ma‘rifah mais la plupart n’ont jamais été édité et furent seulement réservés à l’élite de ses disciples comme il l’expliquait lui-même : « Celui qui écrit des livres sur les secrets spirituels doit les mettre à l’écart de la foule, et s’il voit une personne n’ayant pas le niveau requis s’en approcher, il se doit de lui en interdire l’accès ». On raconte également qu’un jour, deux foqarah akbariens s’entretenaient avec les fuçûs al-hikam ouvert devant eux ; lorsqu’un autre faqîr de la confrérie s’approcha, Ils refermèrent discrètement le kitab et parlèrent d’autres choses. Cette anecdote indique subtilement la place que doit occuper l’enseignement du shaykh al-akbar et a fortiori celui de Guénon, lesquels par adab, ne peuvent être partagés sans une attention particulière de la situation.

Le cas de Vâlsan cité par Gilis exigeait un commentaire car il faut tenir compte qu’en son temps les disciples du shaykh Mustafa se recrutaient exclusivement parmi les lecteurs de Guénon qui accédaient simultanément à l’Islâm (shari’ah) et à l’initiation dans la tariqah. Or, cette particularité, de toute évidence a cessé en 1974 avec l’activité de guidance du shaykh Mustafa.

 


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L’AGE D’OR Spiritualité et Tradition, numéro spécial - René GUÉNON - TÉMOIN DE LA TRADITION ET PROPHÈTE DE L’AGE D’OR À VENIR  - Puisseaux 1986-87.

Les éditeurs de cette revue ont composé cet hommage sous l’influence des conceptions de Julius Évola dont les intentions liées au pouvoir politique apparaissent encore plus nettement aujourd’hui. Évola est surtout reconnu dans les milieux nationalistes, particulièrement ceux de l’ « extrême droite », ce qui est fâcheux pour sa crédibilité et rend problématique toute référence à ce qui reste de valable dans ses ouvrages. Dans un passage du premier des trois textes signés par l’auteur de Chevaucher le tigre, figurant un peu lourdement en tête du sommaire, nous lisons ceci : « Dans le domaine de l’initiation, il convient également de faire des réserves (…) vis-à-vis de la conception quasi bureaucratique de l’initiation défendue notamment par Guénon : celle qui considère uniquement le rattachement (…) à des organisations ‟ régulières” qui, pourtant, dans le monde actuel, soit ont cessé d’exister, soit sont pratiquement hors d’atteinte (…) ». Évola fait ici le procès de la Maçonnerie qu’il connait certainement d’ailleurs pour y avoir été initié, sauf erreur, mais poursuivons avec le Bouddhisme dont il revendique une connaissance (théorique et particulière) du hinayana dans sa Doctrine de l’Eveil : « le jugement porté, au départ, sur le Bouddhisme par Guénon témoignait d’une stupéfiante incompréhension : jadis supprimé dans l’édition anglaise d’Orient et Occident, il fut ensuite modifié par Guénon, mais partiellement, celui-ci n’ayant fait de concession qu’à un Bouddhisme ‟ brahmanisé ” - c’est-à-dire à un Bouddhisme  privé de ce qu’il avait, originellement, de spécifique et de plus valable. Cet  élément  spécifique concerne une voie de réalisation en quelque sorte autonome, en une situation où l’action de l’individu qualifié qui se tourne vers l’inconditionné, y compris par la violence (et le Christianisme lui-même connait la violence que la porte des Cieux peut-être amenée à subir, ainsi que la formule ‟Vous êtes des dieux”), est la contrepartie imprescriptible à la descente  d’une force venue d’en haut, sans ‟bureaucraties initiatiques” ». La suite est affligeante et confirme l’ignorance profonde d’Évola. Mais le ton de la « révolte du kshatriyas » est donné, un ton dont l’expression semble davantage mêlée d’idéologie que de connaissance d’ordre traditionnel, au point qu’on a ici une charge critique dont les limites se retournent ipso-facto contre elles-mêmes : ignorance des réalités initiatiques, ignorance des liens entre l’ésotérisme et l’exotérisme (de l’Islâm par exemple), mais surtout en l’occurrence, ignorance des rapports entre le Hinayana et le Mahayana tel qu’il existe dans le Dharma tibétain du Vajrayana et dans le Tchan de la Chine traditionnelle que l’« esprit différencié » d’Évola semble ignorer superbement. Ces assertions contredisent de façon manifeste toutes les voies traditionnelles du Dharma dans lesquelles la « violence », comme celle évoquée dans les Évangiles, concerne l’effort (le grand jihad ou l’ascèse) dont l’initié doit faire preuve à l’encontre de ses illusions individuelles. Ces considérations évoliennes s’inscrivent dans la continuité de l’inversion hiérarchique du pouvoir royal sur l’autorité sacerdotale que cet auteur a soutenu toute sa vie avec un entêtement obsessionnel. Avec le temps, on mesure à quel point ces conceptions continuent de jeter de la confusion dans les idées, notamment chez des penseurs comme Alain de Benoist qui mélangent un peu trop facilement les « idéologies réactionnaires » avec la rectitude spirituelle de la tradition.

Peu de chose donc à retenir parmi les textes et des interventions des personnalités conviées à ce témoignage de la tradition. Il est remarquable qu’ils partagent tous un non-engagement dans une forme traditionnelle et une indifférence à l’égard de l’initiation régulière et de ses implications, à l’exception cependant de Pierre et Jean Louis Grison qui signent une longue présentation de Guénon tout à fait correcte sauvant in extremis cette publication de l’oubli.

 

 

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« HOURIS »


Les huri, ces vierges promises aux hommes ayant eu accès au Paradis relèvent d’un symbolisme que peu de gens connaissent. Les « jouissances » promises n’ont pas de lien avec celles qui appartiennent au monde terrestre (dunya), et contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas seulement les hommes qui y ont droit. Lorsque, dans ce contexte, le Qorân parle des « hommes », on doit comprendre qu’il s’agit d’êtres spirituellement accomplis ; certaines musulmanes, par leur proximité avec Allâh تعالى , sont égales à un Walî.

Allâh تعالى a dit (hadîth qudsî) :

 « J’ai préparé pour Mes serviteurs vertueux ce qu’aucun œil n’a vu, ce qu’aucune oreille n’a entendu et ce qu’aucun esprit humain n’a pu imaginer ».

Cela signifie qu’aucune  personne n’est en mesure de connaître les plaisirs qui lui sont réservés en récompense de ce qu’elles accomplissent.

Les hûr al-‘ayn (les huri) citées dans le Qoran, ces vierges pures et célestes, « qu’aucun homme, ni aucun jinn n’a défloré » (al-rahmân, 55-56 et 55-74) symbolisent les connaissances qu’Allâh تعالى a gardé secrètes et qu’Il a réservé à l’élite de Ses serviteurs (al-rahmân, 71-75). Ces « Connaissances » sont du genre féminin car elles qui donnent la vie, à l’instar du cocon matriciel (al-ummiyah) qui relève de la féminité ontologique ; elles sont par conséquent invisibles, inaccessibles pour les autres et elles sont réservées.

Elles sont vierges car personne ne les a pénétrées avant celui pour qui ces connaissances sont destinées. S’il est précisé dans le texte coranique qu'elles n’ont été déflorées par aucun homme, ni aucun jinn, c’est parce qu’elles ne sont concernés par aucune des conditions propres aux degrés du corps grossier et subtil ; chastes et pures, elles appartiennent exclusivement au plan céleste.

Il est aussi rapporté par la tradition que les « épouses paradisiaques » redeviennent vierges après chaque relation (le verbe utilisé est Çala - mise en lien-), cette symbolique relève du point de vue initiatique et métaphysique : le fait que ces huri demeurent vierges signifie que leur réalité est comme perpétuellement vierge et nouvelle. C’est la non-répétition du Réel (أنه لايتكرر شيء‏ في الوجود). Il y a ici un rapport direct avec l’invocation prophétique dans laquelle Mohammad (´as) demande à Allâh d’être toujours perplexe par rapport à la Réalité divine (les termes pour dire « perplexe » (hîr) et pour dire huri  (hûr) ont la même racine. 





 

 

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Le premier message posté sur notre blog (le 20 juin 2008), était consacré à une publication de Michel Chodskiewitcz dans Le Monde du 19 juin 1982. Le grand spécialiste universitaire du Shaykh al-akbar, Muhyd-dîn Ibn ‘Arabî, était alors directeur des Éditions du Seuil. Aujourd’hui, cette maison d’édition a été rachetée par un nationaliste d’extrême droite qui ose se prétendre chrétien et entends imposer ses conceptions idéologiques délétères. Le court texte de Chodkiewitcz, reproduit ci-dessus, démasquait la malhonnêteté de certains penseurs tristement célèbres qui, suite à des actions terroristes perpétrées par les groupements racistes de la nébuleuse sioniste, dont il convient toujours de rappeler le caractère délibérément anti-traditionnel, s’abstenaient d’en dénoncer les abjections lors même qu’ils s’empressaient de s’indigner fiévreusement de celles des autres courants politiques équivalents. Nous avions conclu dans ce message que « depuis 30 années, ce texte n’avait rien perdu de son actualité ni de sa pertinence ». Mais, en ce temps-là, Le Seuil publiait encore des ouvrages honorables. Les temps changent. L’infra-humanité et la folie meurtrière n’ayant cessé d’augmenter et de s’imposer dans les cercles de pouvoir des nations occidentales, nous en constatons les répercutions dans tous les domaines de la société. Cette maison d’édition appartient désormais à un groupe de marchands ploutocrate sans foi ni loi qui ne va pas manquer de faire le ménage dans son catalogue nouvellement acquis à l’instar des « nouveaux régimes » propres aux « démocratures ». Depuis la révolution de 89, on ne compte plus les actes que l’on peut attribuer à la disparition de l’intellectualité.

 

 

 

 


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