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dimanche 31 janvier 2010

DES VÉDAS AU CHRISTIANISME (Compte-rendu)







Tara MICHAËL : DES VÉDAS AU CHRISTIANISME*
Hommage à Philippe Lavastine avec la contribution de Lama Denys Teundrup.
Éditions Signatura





Tara Michaël, collaboratrice régulière de Vers la Tradition et anciennement de la défunte revue Connaissance des religions – et auteur de nombreux livres – fut très tôt éveillée à l’esprit traditionnel, et particulièrement à la spiritualité hindoue par la lecture des ouvrages de René Guénon. Elle étudie à Paris et y poursuit la voie universitaire; obtient une licence ès lettre et apprend le sanskrit avec Louis Renou à la Sorbonne; rencontre le grand musicien de sarangî, le pandit Ram Narayan ; reçoit le certificat de sanskrit de l’université de Paris ; étudie la civili- sation de l’Inde ancienne à l’EPHE, puis celle de l’Inde contemporaine, à l’INALCO ; obtient une bourse de deux ans du gouvernement indien qui lui permet de partir à Poona, en Inde, afin de poursuivre son cursus. C’est là qu’elle prend contact directement avec les courants spirituels et la vie traditionnelle qui lui donneront cette autorité particulière la distinguant nettement de la plupart des universitaires qui s’arrêtent en général à des connaissances méthodologiques de seconde main.
Cet ouvrage, présentant Philippe Lavastine (1908-1999) dans une préface très élogieuse, contient essentiellement des retranscriptions d’entretiens de ce dernier la différentes périodes de son existence. L’intérêt de ce travail est de nous exposer les doctrines hindoues sous le rapport de l’organisation rituelle de la société sans jamais perdre de vue que l’existence, dans sa totalité, est sacralisée dans l’actualisation permanente des Védas. La profondeur de ces entretiens doit certainement beaucoup à la lecture de l’œuvre de René Guénon, que P Lavastine cite d’ailleurs, et ses formulations sont telles qu’il est facile, au fond, de les transposer à toutes les civilisation traditionnelles comme lui-même le fait très souvent avec le Christianisme.
La première partie se compose de propos reconstitués à partir des notes de T. Michaël rédigées alors qu’elle accompagnait P. Lavastine en tant que secrétaire dans les années soixante, et la seconde, de transcriptions à partir d’enregistrements d’entretiens effectués avec le Lama Denys Teundrup ; transcriptions qui devaient faire l’objet d’un ouvrage qui finalement n’a jamais vu le jour. L’échec de tous les projets livresques de P. Lavastine serait dû, semble-t-il, à son incapacité à relire et remettre en forme écrite ses propres paroles rapportées par les uns et les autres. On peut se demander, par conséquent, s’il n’y a pas dans tous ces exposés sur le Sanâtana Dharma, le Christianisme et la mentalité du monde moderne, qu’il critique avec une virulence parfaitement justifiée, quelques imprécisions venant de l’ambiguïté de certaines formules utilisées spontanément, étant donné l’absence du contexte vivant et direct de ses déclarations.

Qui fut P. Lavastine ? On a vu apparaitre le nom de cet ami sincère de l’Inde dans le colloque de Cerisy-la-Salle dirigé par R. Alleau et M. Scriabine qui eut lieu en 1973 (les actes du colloque furent publiés quelques années plus tard; René Guénon et l’actualité de la pensée traditionnelle, Éd. Archè Milano). Il participa, en effet, à ce colloque par une communication intitulée Tri-Varga (les trois valeurs) et la plupart des « tables rondes », organisées à la suite de plusieurs interventions, bénéficièrent de sa présence. Les amis « marginaux » du poète astrologue Daniel Giraud ont eut aussi l’occasion de le découvrir dans une interview lors de la parution du premier numéro de la revue Révolution intérieure (septembre 1977).
Il fut autrefois, dit-on, un ami de René Daumal et un proche de Gurdjieff. Mais il fut surtout disciple des Pandits Motimal Sharma et Vasudeva Agrawala (1904 - 1966) qu’il rencontra lors d’un séjour de sept années en Inde. C’est vraisemblablement par l’enseignement de ces savants, l’apprentissage du sanskrit et la fréquentation du milieu traditionnel qu’il dut acquérir l’autorité dont il fait preuve dans ses propos : « (…) Car le Dieu unique était aussi bien connu de la vieille Inde que d’Israël. Les études de Coomaraswamy sur le monothéisme védique ne laissent aucun doute à ce sujet (…) Le principe fondamental au sujet de cet UN qui n’est pas l’un numérique, le premier nombre d’une série, mais l’un sans second (ekam advaitam), c’est : Il n’est pas donné, Il est donnant (Plotin). La même idée se retrouve dans la Kena Upanishad. Il y a chez les Anciens un mono-idéisme, mais cette idée doit rayonner partout. Les anciens n’ont qu’une idée, l’idée du centre, mais il faut que ce centre rayonne partout. C’est ce que l’Inde exprime par la grande formule : Veda pûrânâbhyâm samupabrihayet ! Que le Veda soit amplifié par les purâna ! Ce Brihayet signifie : qu’il soit étendu, agrandi, déployé, expanded en anglais. La racine BRH qui exprime l’expansion est celle de Brahmâ, de BRHat. Or le moment où l’âtman réalise le brahman, c’est le moment où l’âtman commence à croître. Ce qui n’était qu’un alpâtman, un petit âtman angoissé, mesquin, fermé, devient maintenant un mahâtman, un grand âtman. Il prend conscience de l’infini : il se magnifie. C’est l’instant du magnificat. Il commence à s’étendre : tendere : Racine sanskrite TAN qui se trouve dans TANTRA. Le Tantra, c’est l’extension (sous-entendu : du sacrifice).
Cet UN est ce qui est à sacrifier, c’est-à-dire à étendre. Le Shata-patha-brâ- mana veut dire le Brâhmana des cent chemins. ‘Étendre le sacrifice’, c’est le faire pénétrer partout. Le silence est requis pendant le sacrifice parce qu’il s’agit qu’il imbibe, qu’il pénètre toute la réalité ».
À l’instar de René Guénon, il voit dans le monde moderne l’irréparable catas trophe. C’est le fond désastreux de la situation du monde occidental qui motive les critiques visant l’inconsistance actuelle de l’Église chrétienne acceptant que sa pratique de la foi soit réduite à une affaire privée sans conséquence sur le cours de la vie sociale, économique et politique. Cet abandon à la seule volonté des puissances nationales le révolte. La vie spirituelle ainsi réduite au degré individuel, cet étouffement subi et accepté ayant joué de concert avec l’ouverture, depuis la fin du moyen âge, de toutes les portes qui ont introduit le système aberrant qui mène le monde actuel est dénoncé avec une grande pertinence tant pour ce qui concerne directement le monde chrétien – il vaudrait mieux dire le monde d’origine chrétienne – que l’état actuel de l’Inde elle même qui, peu à peu, tend à s’imprégner de l’influence des productions industrielles de l’Occident. Tara Michaël nous avait dressé un tableau assez alarmant de la situation des hindous subissant dans les campagnes l’influence dissolvante de la “parabole” ; voir aussi l’article, « Qu’en est-il de la Tradition en Inde, aujourd’hui ? » (VLT n° 104- 105).
Voici un autre extrait, précisément sur les conséquences de cette diffusion des productions artistiques actuelles : « Le véritable scandale de notre temps, c’est une colère rentrée depuis cinquante ans de ne pouvoir le hurler, c’est l’art moderne. Vous savez dans l’église orthodoxe, on appelle encore un peintre d’icônes un écrivain d’icône ; il y a deux sortes de paroles, la parole pour les oreilles, c’est l’écriture sainte, et la parole pour les yeux, les images saintes (...). Le scandale aujourd’hui, c’est tellement effrayant que le monde va en mourir, c’est la prostitution des images ; on ne sait plus que les images possèdent une vie propre ; par exemple si je salis votre image du père, ou votre image de la mère, ou votre image de l’enfant, je détruis en vous cette image, c’est un assassinat, c’est un crime ». Et ce dont parle P. Lavastine n’est que l’un des effets de ces forces anti traditionnelles qui doivent supplanter, et peut-être même détruire, tous les cultes sacrés conformément au rôle et à la finalité que la tradition hindoue attribue au Kali-Yuga et à la Déesse Kali, aspect de Shiva, qui s’abreuve du sang de ses victimes et porte un collier de crânes humains… mais nos contemporains ignorent tout de leur misère spirituelle. Et pour ce qui est du culte, il s’avère qu’aujourd’hui, l’Église romaine, à la différence de l’Islam, n’offre plus aucune résistance : « L’Église à un moment donné vers le XIVe siècle a fini de tuer l’ancien monde mythique par son obstination à vouloir transposer en mode historique dit ‘réel’ et matérialiste l’événement éternel, celui qui a lieu in illo tempore, en ce temps là qui est le présent éternel. Par contamination romaine et matérialiste, mythe devint synonyme de mensonge et l’Église voulut que Jésus soit historique pour qu’il soit réel. Elle perd le sens du mythe, qui n’est rien en effet et c’est pourquoi on doit le vivre 1. Un mythe n’est qu’un mythe, c’est pourquoi tu dois le vivre, l’agir, le faire. C’est le bouleversant facere veritatem de l’Évangile. Il faut “faire la vérité”. (…) Que servira-t-il à quelqu’un, dit saint Paul, de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres ? (…) L’idée une fois perdue que c’est par le faire rituel, le faire selon le mythe, que l’on puise la connaissance, l’Église va laisser le monde faire ‘comme il veut’. Il n’y aura plus de scénario divin réglant toutes les activités humaines sur les prototypes angéliques ou divins. Lorsqu’au XIVe siècle, l’œuvre de destruction du sacré est achevée, les temps modernes commencent ».

Si l’on se reporte quelques années en arrière, en 1972, date à laquelle eut lieu le colloque de Cerisy, on constate déjà cette même attitude parfois abrupte qu’accompagne une intelligence traditionnelle que le temps n’a pas entamée (les entretiens avec le Lama Denys Teundroup eurent lieu peu de temps avant sa disparition). Cependant, ceux qui ont modifié leur parcours, après avoir médité Orient et Occident, et qui, ayant pris les mesures qui s’imposent face à la crise du monde moderne, ont aussi constaté avec son auteur que si les choses en sont arrivées à ce point extrême, c’est bien qu’il y a à cela une nécessité d’ordre cyclique, s’attendent à ce que le scandale arrive, parce qu’il faut qu’il y ait un scandale. Les conséquences à envisager de ce point de vue supérieur ne sont jamais évoquées par P. Lavastine. Cela s’explique sans doute par son rejet de la métaphysique pure et du darshan védantique post-shankarien, voire de Shankara lui-même. Bien que cette attitude puisse être interprétée comme une limitation, cela ne déprécie en rien le témoignage de cet homme au parcours exceptionnel pour qui l’Inde et ses doctrines actualisent l’expression du modèle traditionnel le plus complet.


*Paru dans le n°118 de VLT.











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