Çloka 11
Les rites tels que chândrâyana
etc. sont un moyen de détruire les erreurs ; ils sont appelés prâyascitta.
Çloka 12
Les activités du mental dédiées au saguna Brahman ainsi qu’elles sont décrites dans le shândilya
vidyâ* sont
des upâsanâs**.
*Ce terme désigne les mantras invoquant
la Réalité
suprême selon différents degrés : « Tout est Brahman » (Chândogya Upanishad :
3, 14, 1.) ; « Le manas est Brahman » ; « Le prâna est Brahman ».
**Concentration par la dévotion
Commentaire
« Saguna Brahman » (de sa, avec
et gunas, attibuts), signifie Brahma (ou la Conscience pure)
qualifié par l’Omniscience, l’Omnipotence, l’Amour (miséricorde) etc. Ces attributs
comprenant les trois gunas se manifestent
également sur le plan de la conscience individualisée, agissent sur les états
de veille, de rêve et de sommeil profond et provoquent les états d’auteur et
d’expérimentateur entraînant avec eux le plaisir et la souffrance.
Afin d’accéder à la connaissance suprême, le sadhaka doit commencer par développer sa
faculté de concentration qu’il lui est impossible d’exercer directement sur la Conscience pure (çuddha chaitanya) ; il prendra
donc les gunas comme support sous la
forme d’un Avatara (par exemple,
Krishna).
Çloka 13
Nitya karma et les autres rites sont principalement destinés à
purifier le mental, mais le but de upâsanâs
est la concentration ainsi qu’il est dit dans un passage de la Shruti :
« Les brahmanes cherchent à connaître le Soi par l’étude des Védas et par
le sacrifice » (Brihadâranyaka Upanishad ;
4, 4, 22.) ; et également dans un passage de la Smriti :
« Ils détruisent les impuretés (kalmasa)
par la pratique des austérités (tapas)*. » (Manu : 12, 104.)
*On traduit généralement ce terme
par ascèse ou austérité. Sa signification, en sanskrit, est celle du feu qui
réchauffe et transforme une chose en une autre comme lorsque l’on cuit des
aliments pour les rendre comestibles. Les rites quotidiens, à l’instar du feu,
transforment le mental (manas) jusqu’à
ce qu’il devienne apte à comprendre la vérité suprême.
Commentaire
«…Ils détruisent les impuretés (kalmasa)… » : kalmasa signifie impureté saleté ; une
chose est considérée impure lorsqu’elle est mélangée à un élément étranger qui
la dévalorise, comme l’or peut-être impur quand il est mélangé avec d’autres
métaux. Purifier un être, consiste à éliminer les éléments qui ne font pas
parti de son essence, c'est-à-dire les états illusoires de la conscience qui
découlent de la connaissance erronée entretenue à l’égard de soi-même et des
informations sensorielles. De cette ignorance (mulajnâna)* proviennent tous les actes proscrits aboutissant
d’une manière ou d’une autre à la souffrance.
Dans le Naiskarma
siddhi est indiquée la conduite progressive menant à la Délivrance : Le nitya karma produit le dharma, lequel détruit l’impureté ;
vient ensuite la purification du mental permettant la compréhension de la vraie
nature du monde phénoménal (samsâra).
Ce résultat amenant au détachement (vairâgya)
éveille la volonté et le désir de se libérer (mumukshutva).
*mulajnâna signifie littéralement
racine de l’ignorance.
Çloka 14
Les conséquences secondaires* du nitya et du naimittika
karma sont l’obtention du pitriloka ;
les conséquences secondaires de l’upâsanâs
sont l’obtention du satyaloka, ainsi
qu’il est dit dans un passage de la
Shruti : « Par le sacrifice est
atteint le monde des Ancêtres, et par la Connaissance, le
monde des Dieux. » (Br. Up. ;
15, 16)
*ou posthumes
Çloka 15
Les moyens d’acquérir la Connaissance sont la
discrimination entre ce qui est permanent et ce qui est transitoire ; le
renoncement au plaisir que procurent les fruits de l’action dans ce monde et
celui du devenir posthume ; les « six Joyaux », comme la maîtrise du mental etc.; et le désir de la Délivrance (mumukshutva).
Commentaire
L’approfondissement de la discrimination entre ce qui
est permanent et ce qui est transitoire nous amène à la question
suivante : Cette discrimination (viveka)
repose-t-elle sur une certitude ou sur un doute ?
Si l’on considère qu’elle repose sur une certitude,
c’est que la réalité permanence est déjà connue au moment même de la
discrimination ce qui signifierait ipso
facto l’obtention du but recherché, à savoir, la Connaissance de Brahman et, dans ce cas, les degrés de
la sâdhanâ que sont le renoncement,
la maîtrise de soi etc. deviennent sans objet ; en même temps, la
discrimination n’est pas non plus l’équivalent du doute car le doute n’incite pas
un être à renoncer aux fruits de l’action obtenus dans ce monde et celui
d’après.
En vérité, la discrimination n’est ni une certitude
pure et simple ni un doute, mais un “acte intellectuel” établi à partir d’une
réflexion juste sur la nature de ce monde (samsâra)
et de son impermanence.
Voici un exemple de discrimination : Tous les
éléments soumis aux conditions mondaines
sont de nature impermanente, car il ne sont que des effets (un corps, un objet,
un état mental, un sentiment etc.). Nous prenons un grand plaisir à écouter un
joueur de sitar, mais ce plaisir, qui est un effet venant de causes appropriées
(perception de vibrations sonores procurant la “saveur”musicale et l’émotion), vient à se dégrader puis à disparaître si l’on
écoute cette musique sans interruption. Il en va ainsi de tous les plaisirs
donnés par les sens constituant les évènements transitoires de l’existence.
Çloka 16
La discrimination entre ce qui est permanent et ce qui
est transitoire s’exprime par le constat que seul Brahman est une réalité permanente et que tout autre que Brahman est impermanent.
Commentaire
Par cette discrimination, nous constatons que rien de
ce qui est conditionné par l’impermanence ne peut venir à l’existence sans la
présence d’une réalité permanente, libre de tout conditionnement, contrairement aux objets mondains qui demeurent soumis à un
commencement et à une fin.
Çloka 17
Le détachement des jouissances [données par les fruits
de l’action] dans ce monde et dans le monde des états posthumes signifie, d’une
part, le détachement des jouissances des objets de ce monde telle qu’une
guirlande de fleurs, de la pâte de santal ou le plaisir sexuel etc., en raison
de leurs caractères impermanents résultant de l’action, et, d’autre part, pour
la même raison, cela signifie le complet détachement des jouissances des objets
du monde posthume, tel que le Nectar, qui sont de nature impermanente.
Commentaire
Les expériences sensorielles qui se manifestent et qui,
par conséquent, n’avaient antérieurement aucune existence, sont de nature
impermanente du fait qu’elles sont liées à l’activité mentale et au mouvement
physique, comme il en est dans le fait de savourer un gâteau :
l’impression gustative n’existait pas avant l’acte de manger le gâteau ; il
a fallu pour cela procéder à l’activité mentale et au mouvement du corps afin
de préparer et de cuire ce que l’on va ensuite consommer. Le gâteau est donc le
fruit de l’action tout comme l’expérience gustative qui en résulte ; en
raison de ce fait, leurs natures respectives sont foncièrement impermanentes et
ne méritent aucunement notre confiance pour procurer un bonheur stable.
Çloka 18
Sama est le retrait du mental ; dama, le retrait des sens (indriyas) ;
uparati, le retrait du mental et des sens de leurs objets ; titikshâ, l’endurance ; samâdhâna, la concentration
mentale ; shraddhâ, la foi*.
*Shraddhâ signifie l’acte de confiance, la conviction et la ferveur ;
accorder toute sa confiance au guru,
aux textes sacrés, etc.
Çloka 19
Sama est le retrait du mental des objets autres que shravana* etc.
* Shravana : audition des
paroles de l’Écriture, réflexion, concentration mentale (shravana, manana, nididhyâsana).
Commentaire
La signification de sama peut analogiquement se comparer à l’état d’un être affamé qui
ne pense à rien d’autre qu’a assouvir sa faim ; de même l’aspirant (sadhaka), pratiquant le sama, ne pense qu’à engager son mental,
exclusivement, sur shravana, manana et
nididhyâsana, en en retirant tout autre
objet que ces “trois”.
Çloka 20
Dama est le retrait des organes des sens externes* de tout objet autre que cela, shravana, etc.
*Les cinq organes de connaissance
(jnânendriyas) sont : la vue,
l’ouie, l’odorat, le goût et la sensation tactile, et, les cinq facultés d’action (karmêndriyas) : la parole, la préhension,
la locomotion, l’excrétion et la procréation.
Çloka 21
Une fois les organes des sens retirés, les retirer à
nouveau des objets sensoriels autre que cela, shravana etc., est appelé uparati,
ou bien, l’abandon des actes prescrits par les Écritures*.
*Tel que nitya karma etc.
Commentaire
Il est précisé dans ce çloka qu’uparati, l’abandon
des rites prescrits, doit s’effectuer selon les préceptes de l’Écriture afin
d’en d’exclure l’abandon par paresse ou par dépit qui ne conduisent pas à la Délivrance. Le
deuxième sens d’uparati est
d’accepter le quatrième stade de l’existence, l’état de sannyâsa qui s’exprime par : « Je ne suis l’auteur
d’aucun acte ».
Les quatre
stades de l’existence (ashramas) sont
les suivants : brahmacharya,
étudiant observant les austérités (tapas) ;
grîhastha,
la maître de maison ; banaprashta, la vie dans la forêt ; sannyâsa, “renonçant” menant une vie
errante.
Çloka 22
Titikshâ est l’endurance aux dualités comme le chaud-froid
etc.
Çloka 23
Samâdhâna est la concentration constante du mental, déjà
retiré, la concentration sur les passages [importants, tels que les mantras ou autre]
de l’Écriture, ainsi que les éléments qui fournissent leur compréhension.
Commentaire
En dehors de l’audition de texte sacré, doivent être
respectés les comportements traditionnels comme la simplicité et le service
envers le guru.
Çloka 24
Shraddhâ est la foi (conviction) dans les vérités du Vêdânta
enseignées par le guru.
Çloka 25
Mumuksutva est la volonté de se libérer
Commentaire
Une volonté particulière est toujours précédée par un
désir. Or, la libération n’est possible que lorsque tous les désirs, sans exception, sont
dépassés ; un désir est nuisible lorsqu’il se rapporte à ce qui est autre
que le Soi (âtman),
c'est-à-dire tout ce qui est le produit de l’ignorance. Par contre, le désir
concernant le Soi et sa libération n’est pas nuisible. En outre, sa nature
profonde, puisqu’il se rapporte essentiellement à la volonté, est en mesure de
détruire tous les autres désirs causant la souffrance. [René Guénon considère
la volonté comme ce qui caractérise la voie initiatique de la voie mystique.]
Çloka 26
L’aspirant
(sadhaka) possèdant les qualités précitées est apte [à acquérir la
connaissance suprême], ainsi qu’il est dit dans ce passage de la shruti : « Celui qui est
apaisé et qui a maitrisé [ses sens]. » (Br.Up. :
4, 4, 23.) Il est dit également : « Que l’on transmet Cela (la
connaissance suprême) à celui dont le mental est apaisé, dont les sens sont
maitrisés, qui est dépourvu d’impureté (dosa)
qui agit selon les préceptes et qui est doué de toutes les vertus (détachement,
discrimination etc.), obéissant (fidèlement aux instructions du guru) et qui a la réelle volonté de se
libérer* ».
*Upadesha Sâhasrî (ouvrage attribué à Shankara).
Çloka 27
Le sujet du Vêdânta est l’identité entre le Soi
individualisé (jîva) et le brahman. Cette identité relève de
l’intellect pur qui est à réaliser ; c’est cela que consistent les textes
védantiques.
Commentaire
Le terme aikyam
[traduit ici par identité, désigne proprement l’unité] ne signifie pas l’union
ou la “relation unitive” de deux choses distinctes mais le fait d’être établi
dans la conscience pure (çudda chaitanya),
laquelle est voilée par le jiva (la
conscience individualisée) et par Ishwara,
(Le principe de la manifestation universelle). Cette identité exclue toute
notion de dualité.
Question :
Pourquoi la conscience pure fait-elle l’objet d’étude
en vue de la Connaissance
puisqu’elle est une réalité apparaissant d’elle-même, avant l’étude et la
pratique de la sadhana ?
Réponse :
Bien qu’apparaissant à travers la conscience du “moi”,
la conscience pure ne se présente pas en tant que “plénitude” ;
c'est-à-dire en tant que sat (Être), chit (Conscience) et ânanda (“Béatitude”)*. C’est pourquoi, il est nécessaire d’étudier pour approfondir
le Vêdânta et de pratiquer la sadhana.
Si une chose
est parfaitement connue, il n’y a aucune nécessité à entreprendre une
investigation afin d’en établir la réalité, ainsi ; une cruche exposée en
plein soleil ne suscite aucun doute quant à son existence et ne demande par
conséquent aucun effort pour être découverte en tant qu’objet. De même, si brahman est connu parfaitement, l’étude Vêdânta
et la pratique de la sadhana deviennent
inutiles.
La raison d’une investigation, ayant pour but de
découvrir la vérité, n’est possible que lorsque celle-ci est connue
partiellement car une chose totalement inconnue ne peut faire l’objet d’aucune
investigation. La conscience du “moi” n’est pas la connaissance totale de l’Être
mais seulement une conscience fragmentaire résultant du Réel mêlée à une ou des
entités contingentes. Comprendre son caractère illusoire nécessite, par
conséquent, l’approfondissement du Vêdânta et la pratique de la sadhana.
Dans sa préface aux Brahma çutras, le commentateur Vacaspati Misra développe les
arguments allant contre l’étude du Védânta et ceux démontrant sa nécessité, et,
il conclut : « …La tentative de découvrir si le corbeau possède une dent
est parfaitement vaine faute d’utilité ; si Brahman (la connaissance
suprême) entre dans cette catégorie, l’étude du Vêdânta est superflue. En
réalité, le Brahman est défini comme
identique à l’atman et toutes les
créatures vivantes, des insectes aux déités, connaissent le Brahman qui se manifeste pour eux à
travers aham (la notion “je”de la
conscience individuelle) ».
Pour tout le monde, cette conscience du “moi” est une
connaissance directe, dépourvue de doute et d’erreur ; aucune personne
saine d’esprit ne se demande si elle existe réellement ou si son existence est
complètement dénuée de toute réalité.
Vacaspati Misra mentionne ensuite divers degrés d’affirmations
concernant l’identité de l’être humain tout en réfutant leur caractère illusoire.
Voici la première réfutation de l’affirmation selon laquelle le “moi”serait l’identité
de l’être humain :
« La conscience du “moi” ne peut exprimer à elle
seule l’identité de l’être car elle se situe sur le même plan que celui de la
conscience corporelle ; par conséquent, cette identité de l’être s’exprime
également avec celle de la notion de corps. On peut en conclure que c’est le
corps qui constitue l’identité du “je” comme lorsque l’on dit “je suis mince”,
“je suis gros”, “je marche”etc., les attributs caractéristiques d’un corps
étant ici assimilés à la conscience “je”.
Réponse :
Si le corps était l’essence de l’être, l’expression suivante
“Moi qui ait connu mes parents dans l’enfance, à présent, je vois mes petits
enfants dans la vieillesse” serait impossible car aucune commune mesure ni aucune
identité ne peut être établie entre le corps tel qu’il apparaît au stade de l’enfance
et tel qu’il apparaît, une fois devenu vieillard.
Lorsque deux objets peuvent se concevoir distinctement
l’un de l’autre, il est juste d’affirmer qu’ils sont de nature différente à
l’image des grains du mala (chapelet)
se distinguant du fil qui les relie. De même, nous constatons que les états
successif du corps (enfance, adolescence, vieillesse) apparaissent et
disparaissent les uns après les autres tout en étant reliés par la conscience
“je”. Le fait que celle-ci demeure identique, tandis que le corps change
continuellement nous autorise à conclure que la conscience “je” est distincte du
corps.
Dans l’état de rêve (swapna), notre conscience “je” peut revêtir un autre corps (un
dieu, un animal ou un monstre), selon les caractéristiques du corps en question,
puis, au réveil, reprendre son corps réel d’être humain. Tout en demeurant
identique à elle-même (c'est-à-dire continue), la conscience “je” est passée
d’un corps à l’autre, ce qui prouve, là encore, que l’identité de la conscience
est distincte du corps. Nous remarquons, en outre, que les différentes
occurrences du corps dans la conscience individuelle sont assujetties à l’annulation ; dans l’état de
rêve, le corps humain est annulé puis remplacé par celui d’un monstre, annulé à
son tour lorsque le dormeur se réveille, et ainsi de suite.
Réfutation :
Pourquoi les sens (indriyas)
ne seraient-ils pas l’essence de l’être humain ? En effet, la parole de celui
qui dit : “je suis aveugle” confirme par là même que la conscience
individuelle et la faculté visuelle se situent sur un plan identique.
Réponse :
Dans la modification des opérations sensorielles qui a
lieu avec le constat suivant : “l’objet que j’ai vu, à présent, je le
touche”, la conscience “je” demeure totalement indépendante et continue à
travers la succession des perceptions ; on peut en conclure qu’elle est nettement
distincte des organes sensoriels et des informations qu’ils transmettent.
Réfutation :
Pourquoi, le milieu mental ne serait-t-il pas
l’essence de l’être humain puisque l’on constate en disant “je suis heureux”
que les fluctuations (vritti) de buddhi se situent sur le même plan que
la conscience individuelle ?
Réponse :
Malgré les différentes manifestations de buddhi vritti, la conscience “je”
demeure identique et continue à travers les sentiments successifs, “je suis
heureux”, je suis malheureux”, j’ai des doutes”, etc. On peut donc conclure, là
également, que la conscience est autre que le milieu mental. »
* Aucun terme
occidental ne peut rendre le sens de ânanda qui
désigne un “non état”, et partant, l’extinction de tout sentiment particulier.
Çloka 28
Le lien entre cette identité, qui est à réaliser, et
les Upanishads qui l’établissent est comme le lien entre la chose à connaître
et ce par quoi elle est connue.
Commentaire
Les Upanishads sont révélatrices de la vérité suprême
car les paroles de la Shruti en sont
l’expression recueillie à partir de la Connaissance directe.
(à suivre)